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Tag - borne inférieure zéro

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mercredi 2 mars 2016

Les banquiers centraux des pays développés testent la borne inférieure des taux d'intérêt

GRAPHIQUE Niveaux des taux directeurs à travers le monde (en %)

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source : The Telegraph (2016)



aller plus loin... lire « A zéro et en-deçà. Que nous enseigne la récente expérience avec les taux d’intérêt négatifs ? »

vendredi 19 juin 2015

La déflation est-elle une bonne ou une mauvaise chose ?

« Plusieurs études portant (…) sur les risques déflationnistes distinguent les épisodes de déflation selon le type de choc qui les ont provoqués : un choc d’offre génèrerait une bonne déflation, tandis qu’un choc de demande entraînerait une mauvaise déflation. Cette approche est trompeuse, car elle suggère qu’une bonne déflation stimule la production, tandis qu’une mauvaise déflation pousse l’économie dans la récession (…). En fait, la nature des chocs n’est pas pertinente (…).

La borne inférieure zéro sur les taux d’intérêt nominaux

Lorsque des chocs poussent l’inflation sous sa cible, les banques centrales réagissent en réduisant leurs taux directeurs. A travers le mécanisme de transmission, les autres taux d’intérêt nominaux dans l’économie déclinent aussi. En présence de rigidités des prix, cela implique une baisse des taux d’intérêt réels, ce stimule la demande agrégée et au final les prix, donc permet de rapprocher l’inflation de sa cible. Cependant la possibilité de détenir de la monnaie, dont le rendement nominal est nul, empêche les taux d’intérêt nominaux de devenir négatifs (si ce n’est très légèrement, en raison du coût de stockage des billets).

Parmi les facteurs qui affectent la probabilité que les taux d’intérêt nominaux atteignent la borne inférieure zéro, l’un des plus pertinents est la phase du cycle d’affaires où se situe l’économie lorsque le choc négatif frappe l’économie. Lorsque le cycle est proche de son pic et que la production est en-deçà de son potentiel, les taux d’intérêt nominaux à court terme sont relativement élevés et la politique monétaire conventionnelle dispose d’une certaine marge de manœuvre. Par contre, lorsque le cycle est à un creux, la probabilité que les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure est élevée. Un autre facteur est l’enraiement du mécanisme de transmission de la politique monétaire : lorsque la transmission est enrayée, la banque centrale doit réagir plus agressivement pour atteindre les mêmes buts dans l’économie, ce qui accroît alors la probabilité d’atteindre la borne inférieure.

L’existence de la borne inférieure zéro limite l’efficacité de la politique monétaire conventionnelle, dans la mesure où la banque centrale ne peut davantage réduire les taux d’intérêts réels en réduisant les taux d’intérêt nominaux lorsque ces derniers sont nuls. (…) Alors que les banques centrales peuvent toujours compenser les chocs inflationnistes dans la mesure où il n’y a pas de limite supérieure aux taux d’intérêt nominaux, elles ne peuvent contrer les pressions déflationnistes en ajustant le taux directeur une fois que les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure zéro. Une borne inférieure contraignante accroît aussi le risque que les anticipations d’inflation à long terme ne soient plus ancrées à leur cible, ce qui accroît davantage les taux d’intérêt réels. Des agents pleinement rationnels anticipent le fait que la borne inférieure zéro puisse empêcher la banque centrale de ramener l’inflation à sa cible. Le risque que les anticipations ne soient plus ancrées à leur cible est même plus élevé si les agents utilisent les erreurs de prévision passées et les valeurs courantes pour réviser leurs anticipations d’inflation. La probabilité que les anticipations d’inflations ne soient plus ancrées lorsque l’inflation reste sous sa cible pendant une période de temps prolongée est plus élevée avec des agents avec anticipations adaptatives plutôt qu’avec des agents pleinement informés et parfaitement rationnels.

Les contraintes d’endettement

(….) La richesse réelle ne peut diminuer en-deçà d’un certain niveau (la dette réelle présente une limite supérieure). En d’autres mots, les agents font face à des contraintes d’endettement puisque le montant qu’ils sont capables d’emprunter dépend de leur revenu futur anticipé et de la valeur des collatéraux qu’ils disposent en raison de la présence de frictions financières et d’imperfections de marché.

Aussi longtemps que les contrats de dette sont libellés en termes nominaux, toute variation surprise de l’inflation modifie le fardeau réel de la dette et affecte les contraintes d’endettement des agents. Lorsque l’inflation est inférieure au taux d’inflation anticipé lorsque l’emprunt fut contracté, la valeur réelle de la dette s’accroît et la charge de la dette peut également s’accroître, à moins qu’une chute des taux d’intérêt nominaux empêche les taux d’intérêt réels de s’élever. L’impact de la désinflation est plus important si les agents sont fortement endettés et donc proches de leurs contraintes d’endettement. De plus, les contraintes d’endettement sont davantage susceptibles de se resserrer suite à un effondrement brutal du prix des actifs utilisés comme collatéraux (par exemple les logements ou les obligations publiques). Le comportement des banques, qui est lui-même affecté par la conjoncture, peut entraîner un nouveau resserrement des contraintes d’endettement. Un rationnement du crédit peut notamment survenir si la santé du système bancaire se détériore au point que les intermédiaires commencent à se désendetter (…). Par exemple, lorsqu’une bulle éclate ou lorsque les perspectives économiques restent durablement faibles, les banques peuvent subir des pertes importantes, ce qui les incite à se désendetter (…).

Une fois que les contraintes d’endettement se resserrent, les agents doivent se désendetter en réduisant leurs dépenses. La chute subséquente de la demande globale peut comprimer davantage l’inflation, ce qui réduit davantage la valeur réelle des actifs, accroît le fardeau réel de la dette et complique au final le désendettement. Ce processus correspond au mécanisme fishérien de "déflation par la dette" (debt-deflation). En outre, une chute non anticipée de l’inflation transfère des richesses des débiteurs vers les créanciers (…). Dans la mesure où les débiteurs ont une plus forte propension à consommer que les créanciers, un tel mécanisme est susceptible de comprimer davantage la demande agrégée. Les implications pour la politique budgétaire sont particulièrement importantes. Comme tout autre agent, le gouvernement peut se trouver obligé de se désendetter (…), mais la hausse des impôts et la baisse des dépenses publiques comprimeront davantage la demande globale. En outre, les interventions budgétaires discrétionnaires constituent habituellement des instruments clés pour contrer les chocs déflationnistes. Par conséquent, la nécessité de préserver la soutenabilité de la dette publique n’entraînera pas seulement une chute de la demande globale, mais empêchera également la politique budgétaire de contrer les pressions déflationnistes, si bien que seule la banque centrale se voit incomber la tâche de ramener l’inflation à sa cible.

La rigidité des salaires nominaux à la baisse

La rigidité des salaires nominaux à la baisse représente une autre contrainte qui rend asymétriques les hausses et les baisses du taux d’inflation. Si un choc désinflationniste survient, la hausse subséquente des salaires réels ne peut être compensée par une réduction de la rémunération nominale en raison de la réticence des travailleurs à accepter une baisse de leurs salaires nominaux. Par conséquent, le salaire réel va défier de sa valeur d’équilibre qui doit égaliser la demande et l’offre sur le marché du travail. (…) Les implications de cette contrainte ne sont pas très claires, du moins en ce qui concerne l’inflation à court terme (…).

En général, plus les salaires nominaux sont visqueux, plus le risque qu’un choc déflationniste resserre la contrainte est élevé. La viscosité des salaires nominaux dépend de la fréquence à laquelle les travailleurs et employeurs négocient les salaires. Si ces négociations sont peu fréquentes, les chocs déflationnistes, mais aussi les chocs désinflationnistes, poussant le taux d’inflation sous ce qui était anticipé à l’instant où la négociation avait lieu, vont accroître les salaires réels et ainsi accroître la probabilité que la contrainte sur les salaires nominaux se resserre.

Les conséquences de la rigidité des salaires nominaux ne sont pas évidentes, si l’on considère les effets du côté de l’offre et du côté de la demande de l’économie. D’un côté, elle complique l’ajustement du marché du travail suite à une chute non anticipée du taux d’inflation. La hausse du salaire réel pousse les entreprises à réduire l’emploi de façon à éviter une réduction des profits. Par conséquent, la rigidité des salaires nominaux à la baisse représente une contrainte pesant sur l’équilibrage du marché du travail et empêche le processus de rééquilibrage de l’économie, ce qui rend plus difficile pour la banque centrale de ramener le taux d’inflation à sa cible. D’un autre côté, les salaires visqueux peuvent aider à stabiliser la production en réponse à des chocs temporaires en soutenant le revenu réel et donc la consommation des travailleurs à court terme. Ce mécanisme est connu sous le nom de "paradoxe de la flexibilité" (paradox of flexibility). Suite à un puissant choc de désendettement, qui pousse l’économie à la borne inférieure zéro, la courbe de demande agrégée à court terme est croissante. (…) Une baisse du niveau des prix accroît le taux d’intérêt réel, ce qui comprime la demande globale. Dans ce cas, une plus grande flexibilité des salaires aggrave finalement les choses au lieu de les améliorer, parce que la chute des prix n’aide pas à soutenir la demande, alors qu’elle intensifie l’effet de déflation par la dette en élevant la valeur réelle de la dette. En supposant que le degré de rigidité des salaires nominaux à la baisse reste constant au cours du temps, on considère généralement que les inconvénients excèdent les avantages, du moins à moyen terme. Il est possible qu’une réduction des salaires nominaux entraîne une chute de la demande agrégée et de l’inflation à court terme si l’emploi ne s’accroit pas assez rapidement pour compenser la baisse de la rémunération nominale. Cependant, l’échec des salaires réels à retourner à leur valeur d’équilibre va inévitablement provoquer une hausse du taux de chômage à moyen terme. Si les salaires réels ou l’emploi ne déclinent pas, la profitabilité des entreprises et le rendement du capital vont diminuer, entraînant une chute de l’investissement. Le fait que la production se retrouve ensuite durablement inférieure à son potentiel va générer des effets d’hystérèse, élevant le risque que le chômage conjoncturel devienne structurel.

Dans le contexte d’une déflation des prix persistante Il est peu probable que les salaires nominaux ne finissent pas par diminuer. Comme la rigidité des salaires nominaux devient trop coûteuse, il est probable qu’elle finisse par disparaître. De plus, il n’est pas sûr que la flexibilité des salaires soutienne l’inflation à court terme lorsque l’inflation est très faible, que les agents se désendettent et que l’activité économique est faible. En particulier, si les agents formulent leurs anticipations d’inflation en se basant sur leur rémunération nominale, des salaires trop flexibles peuvent amplifier l’impact des chocs négatifs touchant l’inflation, générant par là une spirale déflationniste. Ainsi, l’économie peut se retrouver dans une situation perdant-perdant, dans la mesure où des salaires nominaux rigides impliquent des salaires réels plus élevés avec des pertes en production indésirables, tandis qu’une plus grande flexibilité des salaires a des répercussions à court terme qui accroissent le risque déflationniste. »

Marco Casiraghi and Giuseppe Ferrero, « Is deflation good or bad? Just mind the inflation gap », Banque d’Italie, Questioni di Economia e Finanza, n° 268, avril. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Endettement, déflation et crises financières »

« La flexibilité des prix et salaires est-elle stabilisatrice ? »

« Comment la consommation réagit-elle à la déflation ? »

« Et si l’on surestimait les coûts de la déflation ? »

lundi 14 avril 2014

Comment les banques centrales peuvent-elles faire face au risque de borne inférieure zéro ?

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« Toute politique monétaire reposant sur un taux directeur suppose qu’il y a un niveau de taux d’intérêt qui permet à la banque centrale d’atteindre sa cible. Même avant la crise, il était notoire que la borne inférieure zéro (zero lower bound) poserait des enjeux à la mise en œuvre de la politique monétaire. Pourtant, même si l’expérience japonaise de trappe à liquidité était connue de tous, la borne inférieure zéro fut considérée comme une curiosité théorique et ne fut pas prise au sérieux avant 2008 (avec des exceptions notables, voir Bernanke et alii, 2004), lorsque la sévérité de la crise poussa les banques centrales de plusieurs pays avancés à ramener leurs taux directeurs au plus proche de zéro.

Pour déterminer si les banques centrales doivent modifier le cadre de leur politique monétaire en temps normal pour faire face au risque d’atteindre la borne inférieure zéro, il faut non seulement évaluer la probabilité que ce risque se matérialise, mais aussi déterminer si le fait d’atteindre la borne inférieure zéro se traduit par des pertes de bien-être. Ces dernières dépendent de la capacité des outils de politique monétaire qui sont disponibles à la borne inférieure zéro (en l’occurrence, les outils de politique monétaire non conventionnelle) à se substituer efficacement à la politique traditionnelle de taux directeur. Nous considérons ces questions une à une, mais nous reconnaissons qu’il n’y a pas aujourd’hui de réponses définitives.

Commençons par ce qui détermine la vraisemblance d’atteindre la borne inférieure zéro. La politique monétaire est accommodante aussi longtemps que le taux directeur réel est inférieur au taux d’intérêt naturel (c’est-à-dire au taux d’intérêt réel compatible avec un écart de production négatif). Alors, un taux d’intérêt naturel plus faible augmente la probabilité d’atteindre la borne inférieure zéro, puisque de plus faibles chocs suffisent pour pousser le taux directeur optimal à des niveaux négatifs. Les pays émergents ont donc une faible probabilité de se retrouver à la borne inférieure zéro en raison de leurs taux d’inflation et taux d’intérêt naturel élevés (bien que la probabilité puisse s’élever au fur et à mesure que ces économies se développeront). Et, ce n’est certainement pas un problème pressant pour les pays à faible revenu où les enjeux de politique monétaire sont principalement reliés aux questions structurelles et institutionnelles. Par contre, les économies avancées avec leurs plus faibles taux d’intérêt naturels (Laubach et Williams, 2003) peuvent se retrouver plus fréquemment face à la borne inférieure zéro : la crise peut indiquer que de larges chocs sont plus probables qu’on ne le pensait précédemment et que le taux d’intérêt naturel peut être sur une tendance séculaire à la baisse. En l’occurrence, la borne inférieure zéro a été atteindre lors d’une crise financière majeure et le problème ne serait peut-être pas posé avec un secteur financier plus résilient. Cependant, du moins en principe, il peut y avoir des récessions suffisamment profondes pour pousser le taux directeur à zéro sans qu’il y ait pour autant simultanément une crise financière.

La borne inférieure zéro ne serait pas une contrainte significative pour la politique monétaire si les outils non conventionnels étaient aussi efficaces que le taux directeur de court terme. A la borne inférieure zéro, les banques centrales délaisseraient tout simplement une cible intermédiaire de court terme pour adopter des outils de politique monétaire non conventionnelle (tels que les achats d’obligations et le forward guidance) ciblant directement des taux de long terme. Les données empiriques disponibles suggèrent que la politique monétaire non conventionnelle a été efficace pour diminuer les rendements obligataires de long terme, avec des effets comparables à ceux obtenus avec une politique monétaire conventionnelle. Cependant, ces résultats ont été obtenus en étudiant principalement des périodes de sévères turbulences financiers. La politique monétaire non conventionnelle peut se révéler moins efficace si une économie atteint la borne inférieure zéro en l’absence de perturbation financière majeure. Il y a aussi d’autres motifs d’inquiétude à propos de la politique monétaire non conventionnelle, notamment des difficultés de calibrage (bien que celles-ci peuvent être dépassées avec une plus grande expérience), des complexités liées à la sortie et de possibles rendements décroissants. Ces limites ne peuvent être quantifiées avec exactitude aujourd’hui, mais elles sont soutenues par des arguments théoriques solides (FMI 2013c ; Bayoumi, 2014).

Si la politique monétaire non conventionnelle se révèle moins efficace que la politique monétaire conventionnelle, il faut alors déterminer, d’une part, l’ampleur des pertes en bien-être provoquées par la borne inférieure zéro et, d’autre part, la durée et la fréquence de tels épisodes. Trois choses ont amené les études d’avant-crise à sous-estimer les deux : (i) de larges chocs furent considérés comme improbables (en utilisant les observations de la Grande Modération) et les calibrations supposèrent un taux d’intérêt naturel relativement élevé ‘un héritage des années quatre-vingt) ; (ii) le paramètre d’incertitude ne fut pas pris en compte, en particulier en ce qui concerne les chocs, et les événements extrêmes furent essentiellement ignorés ; et (iii) les modèles structurels et les méthodes de solutions adoptées ne furent pas aptes à générer des contractions prolongées à la borne inférieure zéro (Reifscheider et Williams, 2000 ; Schmitt-Grohe et Uribe, 2007). Une atonie de plus de trois ans à la borne inférieure zéro fut pour ainsi dire considérée comme impossible. Les travaux qui ont été récemment réalisés portent une plus grande attention aux non-linéarités et elles donnent de plus grandes probabilités aux larges chocs. Cependant la plupart de ces modèles ne prennent pas en compte le rôle que la politique monétaire non conventionnelle peut jouer pour stimuler l’économie à la borne inférieure zéro. De plus, l’apparent aplatissement de la courbe de Phillips et le moindre risque de spirales déflationnistes qui lui est associé peuvent avoir diminué les coûts associés à la borne inférieure zéro. Il est nécessaire de réaliser davantage d’études pour obtenir une tableau complet.

Au moins quatre stratégies ont été proposées pour réduire la probabilité d’atteindre la borne inférieure zéro ou pour accroître la résilience si celle-ci est atteinte : (i) relever la cible d’inflation (Summers, 1991 ; Krugman, 1998 ; Blanchard et alii, 2010) ; (ii) utiliser le forward guidance ; (iii) adopter une règle monétaire dépendant de l’histoire telle que le ciblage du niveau des prix (Eggertson et Woodford, 2003 ; Carlstrom et Pescatori, 2009) ou le ciblage du PIB nominal (Woodford, 2012) ; et (iv) agir plus rapidement en "embrassant" la borne inférieure zéro (Williams, 2009). Nous passons en revue chacune de ces solutions ci-dessous.

De plus hautes cibles : En temps normal, un taux d’inflation plus élevé et les taux d’intérêt nominaux plus élevés qui lui sont associés fourniraient une plus grande marge de manœuvre pour assouplir la politique monétaire lorsque se produit un choc négatif. En théorie, cela apparaît comme un remède facile à mettre en œuvre pour résoudre le problème du faible taux d’intérêt naturel. Il y a cependant deux importants problèmes qui se posent alors : les coûts associés à un taux d’inflation plus élevé et la difficulté d’adopter une plus haute cible d’inflation sans perdre en crédibilité.

Les coûts associés à une plus haute inflation incluent les perturbations dans les détentions de liquidité ; le surinvestissement dans le secteur financier ; la plus grande incertitude à propos des prix relatifs et du niveau général des prix ; les perturbations du système fiscal ; la redistribution de richesse ; et les difficultés dans la planification financière (Mishkin, 2011). De plus, une plus haute inflation tend à être plus volatile, ce qui élèverait la prime de terme et par conséquent les taux d’intérêt de long terme nominaux et réels. Il n’y a cependant pas consensus sur l’importance quantitative de ces coûts. Quelques estimations suggèrent qu’ils peuvent être substantiels (Feldstein, 1997 et 1999), mais la plupart des estimations concluent à des effets beaucoup plus limités (Ball, 2013). Et, même si les récents travaux théoriques suggèrent que le taux d’inflation optimal est rarement supérieur à 3 % et souvent compris entre 1 et 2 % (Coibion et alii, 2012 ; Billi, 2011), il n’y a pas consensus dans la littérature empirique sur les valeurs des paramètres clés sous-jacents à ces résultats, notamment le risque d’atteindre la borne inférieure zéro et le coût d’inflation.

En ce qui concerne le problème de crédibilité de la banque centrale, le risque est qu’un unique relèvement de la cible d’inflation amène les agents à anticiper de nouveaux relèvements (Bernanke, 2010 ; Woodford ; 2009 ; Mishkin, 2011). En pratique, c’est difficile d’évaluer ces inquiétudes, dans la mesure où les cibles dans les économies avancées ont rarement été modifiées en temps normal, mais le cas de la Nouvelle Zélande (qui a modifié sa bande de cible d’inflation en la passant de 0-2 % à 1-3 %) est plutôt rassurant (Brash, 1998). Le calendrier de la transition est également important, puisqu’une hausse crédible des cibles d’inflation mènerait à une hausse immédiate des taux d’intérêt de long terme. Ces risques font du changement de cible une option difficile à mettre en œuvre dans les économies avancées. Il peut être toutefois opportun pour les pays émergents et les pays en développement de maintenir leurs cibles d’inflation relativement plus élevées : en effet, si elles diminuaient leurs cibles, il pourrait leur être difficile de les relever après.

Le forward guidance : Une alternative à de plus hautes cibles ex ante consiste à générée une inflation anticipée temporairement plus élevée une fois la borne inférieure zéro atteinte. Cela peut être obtenu avec le forward guidance ou un cadre de politique qui présente une dépendance à l’histoire (comme on le verra ci-dessous). A la borne inférieure zéro, le forward guidance peut réduire les taux d’intérêt à long terme si la banque centrale parvient à convaincre les agents que les taux d’intérêt futurs seront plus faibles que ceux suggérés par une fonction de réaction en temps normal (Eggertsson et Woodford, 2003 ; Eggertsson et Ostry, 2005 ; Woodford, 2012). Cela peut générer une incohérence temporelle dans la mesure, une fois éloignée de la borne inférieure zéro, une banque centrale peut être tentée de revenir à sa fonction de réaction normale plus tôt qu’elle ne l’a promis. Ce problème peut être atténué si la banque centrale s’inquiète suffisamment pour sa réputation à long terme. Par conséquent, ce type de forward guidance va être plus efficace lorsque la banque centrale dispose d’une forte crédibilité ou lorsqu’elle accompagne ses annonces d’un dispositif d’engagement (tel que les achats à grande échelle d’actifs de long terme).

Durant la crise, la Banque du Canada, la Réserve fédérale des Etats-Unis, la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne (BCE) ont toutes utilisé le forward guidance (FMI, 2013c). La question est de savoir si le forward guidance est nécessaire et quelle forme il doit prendre. En temps normal, le forward guidance est en principe redondant si une banque centrale publie ses prévisions économiques et si sa fonction de réaction est connaissance commune. (Cependant, s’il est difficile de pleinement spécifier la fonction de réaction, le forward guidance peut être un outil de communication supplémentaire bien utile même en temps normal.) A la borne inférieure zéro, la question qui se pose est de savoir comment informer des futures déviations par rapport à la fonction de réaction suivie en temps normal. De ce point de vue, conditionner le comportement futur de la banque centrale à l’état de l’économie apparaît plus efficace que de suivre un forward guidance conditionnel au calendrier (ce dernier pouvant être interprété comme une simple prévision). Mais la récente expérience des banques centrales aux Etats-Unis et au Royaume-Uni suggère que le forward guidance conditionnel à l’état de l’économie peut amener le public à interpréter ces conditions comme des seuils de déclenchement, ce qui peut se révéler problématique si l’économie dévie de sa trajectoire attendue. Une meilleure communication pourrait atténuer ce problème, mais l’incertitude à propos du canal de transmission fait de cela un véritable défi.

Les règles monétaires dépendantes de l’histoire : Ces propositions incluent le ciblage du niveau des prix (price-level targeting) et le ciblage du PIB nominal (nominal-GDP targeting). Dans leur cadre, une banque centrale cherche à maintenir le PIB nominal ou le niveau des prix sur une certaine trajectoire. Si la borne inférieure zéro empêche la banque centrale de contrer une contraction de l’activité, la règle impose à la politique monétaire de rester accommodante jusqu’à ce que le PIB nominal ou le niveau des prix soient de retour à la trajectoire cible. Cela signifie que la croissance du PIB nominale ou l’inflation seront plus élevées qu’en moyenne dans une période future. Par rapport au régime de ciblage d’inflation standard, les règles dépendant du sentier maintiennent l’inflation délibérément au-dessus de sa moyenne de long terme pour quelques temps pour compenser la déflation passée.

Comme le forward guidance, la politique dépendant de l’histoire amène la banque centrale à préciser aux marchés les conditions sous lesquelles la politique monétaire va rester hautement expansionniste ; à la différence du forward guidance, les seuils sont déterminés automatiquement par la trajectoire cible du PIB nominal ou du niveau des prix, si bien qu’ils ne peuvent pas être perçus comme ad hoc (Carney, 2012 ; Woodford, 2013). Ce cadre comporte un mécanisme inhérent de stabilisation. Les agents anticiperaient automatiquement une inflation plus élevée ou une croissance du PIB nominale plus rapide lorsque la banque centrale rate sa cible. Ceci diminue les taux d’intérêt réels et contient la contraction initiale.

En théorie, les règles dépendant du sentier constituent la politique monétaire optimale en présence de la borne inférieure zéro (Eggertsson et Woodford 2003 ; Billi et Kahn, 2008 ; Coibion et alii, 2012). Cependant il y a des problèmes pratiques qui ne trouvent pas de claires solutions. En particulier, un engagement au ciblage du niveau des prix fait par nature face à un problème d’incohérence temporelle. Une banque centrale peut être tentée de revenir sur ses promesses de générer une plus forte inflation une fois l’économie en-dehors de la borne inférieure zéro. En même temps, ce n’est pas clair comment les anticipations de marchés vont réagir à une banque centrale qui se montre des fois extrêmement accommodante (lorsqu’il est nécessaire de rattraper la déflation passée) et à d’autres moments extrêmement restrictives (lorsqu’elle cherche à rattraper l’inflation passée). Aussi, il peut être difficile de ramener vers le bas le niveau des prix (c’est-à-dire de déflater l’économie) après une période où le taux d’inflation à été supérieur à sa moyenne. Le ciblage du PIB nominal fait face à des limites similaires. Ce qui complique encore ce régime de politique monétaire, c’est qu’il impose à la banque centrale d’expliquer au public comment la trajectoire cible du PIB nominal est ajustée en raison des changements dans la production potentielle ou des révisions de données. En raison de ces complications, il peut être difficile de déterminer en temps réel si l’objectif de politique monétaire a été atteint et de maintenir les anticipations d’inflation bien ancrées.

L’assouplissement préventif : Lorsque le risque de déflation s’accroît, la banque centrale doit agressivement réduire ses taux directeurs, plus que ce qu’une règle standard de taux d’intérêt aurait prédit, c’est-à-dire finalement ne pas chercher à conserver des munitions. Une telle politique monétaire aide à atténuer l’effet dépressif des anticipations du secteur privé sur la production et les prix actuels lorsque la probabilité de tomber dans une trappe à liquidité est élevée. Les épisodes à la borne inférieure zéro deviennent plus fréquent, mais leur sévérité et leur durée sont réduites. De plus, cette stratégie ne nécessiterait pas un changement du régime de ciblage d’inflation, mais seulement une modification dans la réaction de la banque centrale aux fluctuations de l’inflation.

Relatif à cette stratégie est l’idée d’"aller à contre-courant" (leaning against the wind) pour empêcher la formation de déséquilibres financiers excessifs lors des expansions. Durant les booms, cela conduirait à des taux d’intérêt plus élevés que ceux qu’aurait suggéré une règle standard de taux directeur. Cela renforcerait le système financier et donnerait plus de marge de manœuvre aux banques centrales pour réduire les taux d’intérêt lorsque l’économie ralentit, ce qui réduirait au final la probabilité d’atteindre la borne inférieure zéro. »

Tamim Bayoumi, Giovanni Dell'Ariccia, Karl Friedrich Habermeier, Tommaso Mancini Griffoli et Fabian Valencia, « How should central banks deal with the risk of the zero lower bound? », Monetary Policy in the New Normal, chapitre 3, avril 2014. Traduit par Martin Anota.



aller plus loin…

« Comment les économies basculent dans une trappe à liquidité (et comment elles peuvent en sortir) »

« Et si les banques centrales ciblaient une inflation de 4 % ? »

« Quelle est l’efficacité du forward guidance à la borne inférieure zéro ? »

« Les banques centrales doivent-elles cibler le PIB nominal ? »