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Tag - chaîne de valeur

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vendredi 31 janvier 2014

Comment penser le commerce international avec les chaînes de valeur mondiales

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« (…) Les débats traditionnels autour du commerce international prenaient comme illustration des pays exportant des produits qui sont consommés dans d'autres pays : voitures, ordinateurs, vin, vêtements, et ainsi de suite. Mais dans nos économies modernes, ce qui est souvent exporté au-delà des frontières nationales est un bien intermédiaire, qui est ensuite utilisé dans la production d'autres biens intermédiaires et exporté à nouveau, si bien que le produit final est produit dans une chaîne de valeur mondiale qui implique de nombreux. Le recueil d'essais Global value chains in a changing world, édité par Deborah K. Elms et Patrick Low, en offre un bel aperçu. Le livre a été publié par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en collaboration avec l'Institut mondial Fung et l’Université technologique Nanyang.

Le livre comporte 16 chapitres couvrant divers aspects des chaînes de mondiales notamment la façon de mesurer la valeur ajoutée au sein de chaque pays, la manière de gérer ces processus de production et la façon dont les pays à revenu faible et intermédiaire peuvent se trouver un niche dans les chaînes de valeur. Ici, je vais me pencher ici sur l’essai de Richard Baldwin. Il commence ainsi (…) :

"Les chaînes de valeur mondiales ont transformé le monde. Elles ont révolutionné les options dont disposent les pays pauvres pour se développer ; maintenant ils peuvent se joindre aux chaînes de valeur plutôt que d'avoir à investir des décennies pour construire la leur. La délocalisation des étapes de fabrication intensives en main-d'œuvre et la mobilité internationale de la technologie ont contribué à la croissance exceptionnelle des pays émergents, un changement qui stimule la réforme de la politique intérieure et qui se trouve stimulée par cette dernière en retour. Ce revers de fortune constitue peut-être le changement économique mondial le plus important de ces cent dernières années. Cependant les chaînes de valeur mondiales évoluent elles-mêmes rapidement. Le changement est dû en partie à leur impact (en termes de convergence des revenus et des salaires) et en partie aux innovations rapides dans les technologies de communication, la fabrication intégrée par ordinateur et l'impression 3D."

Baldwin affirme que ces chaînes de valeur mondiales représentent une forme profondément différente du commerce international. Dans ce qu'il appelle "la première grande fragmentation" (first great unbundling) (c’est-à-dire la croissance du commerce mondial depuis le début du dix-neuvième siècle jusqu’au vingtième siècle), les gains à l’échange résultent de moindres coûts de transport combinés à l’innovation, à la spécialisation et aux économies d'échelle. Les avantages de complexité et d’échelle semblaient être mieux coordonnés lorsque la production était concentrée dans un nombre relativement limité de lieux. Le résultat a été que l'activité économique s’est concentrée : par exemple, dans le Nord plutôt que dans le Sud et dans certaines régions et aires métropolitaines plutôt que dans d'autres.

La "deuxième grande fragmentation" (second great unbundling) des chaînes de valeur mondiales est impulsée par différents facteurs : la baisse des coûts de technologie de communication et d'information a permis de coordonner les activités économiques réalisées dans de nombreux endroits différents et les grands écarts de salaires qui s'étaient creusés pendant plusieurs décennies entre les différents pays a permis de réduire les coûts en fractionnant le travail. "Certains coûts de coordination sont liés à la communication, de sorte que la `glue de coordination’ a commencé à fondre à partir du milieu des années quatre-vingt avec la fusion des télécommunications, des ordinateurs et des logiciels d'organisation… Alors que le transfert de technologie est une histoire ancienne (pensons à la poudre à canon), les TIC ont facilité le contrôle, ce qui permit de réduire les coûts et les risques associés à la combinaison de la technologie des pays développés avec le travail des pays en développement." Dans cette forme de commerce international, l'activité économique devient moins concentrée et l'expertise s'étend.

Baldwin décrit le résultat de cette façon : "Il existe des économies-sièges (headquarter), dont les exportations contiennent relativement peu de biens intermédiaires importés, et les économies-usines (factory), dont les exportations contiennent une grande part de biens intermédiaires importés). … La chaîne de valeur mondiale n'est pas vraiment mondiale, mais plutôt régionale (…) avec ce que j'appelle l'usine Asie, l’usine Amérique du Nord et l'usine Europe". Afin de montrer ces dynamiques mouvantes, Baldwin souligne que les économies du G7 (les Etats-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni) représentaient 20 % de la production mondiale en 1820, 40 % des la production mondiale en 1870, et ont culminé à deux tiers de la production mondiale en 1988, mais sont maintenant retombées à 50 % de la production mondiale.

Baldwin affirme également que "l’internationalisation des chaînes de valeur a également internationalisé les flux bidirectionnels complexes qui avaient seulement lieu dans les usines". Ainsi, les décisions sur la façon d'investir qui se prenaient à l'intérieur de l'usine ou peut-être dans une certaine région sont désormais des décisions concernant les investissements directs étrangers (IDE). Le transport de composants et de fournitures s’opérait au sein d’une entreprise : maintenant une part essentielle du transport est sous-traitée à des entreprises logistiques qui fournissent des services d'expédition. Les services juridiques et financiers qui étaient réalisés dans une société et même souvent au sein d’un même bâtiment constituent désormais des transactions internationales. Les décisions concernant l’usage de la propriété intellectuelle dans la ligne de production étaient prises par des gens dans des bâtiments voisins, mais maintenant il faut prendre des décisions sur le partage de la propriété intellectuelle et la formation appropriée entre différents pays.

Et l'économie politique du commerce a également changé. Dans les anciennes formes du commerce international, les pays étaient toujours tentés de protéger les industries nationales en bloquant les importations. Mais dans le commerce des chaînes de valeur mondiales, chaque pays est incité à faciliter les importations pour devenir une partie de la chaîne de valeur mondiale et anticipe que les autres pays vont se comporter de la même manière.

Ce processus de chaînes de valeur mondiales ne fait vraiment que commencer et se révélera davantage comme un kaléidoscope d'images mouvantes que comme un mouvement unidirectionnel. Il y aura toujours des avantages à être proche des fournisseurs d'intrants et des sources de demande finale. D’un autre côté, l'amélioration continue des technologies de l'information et de la communication ont tendance à encourager l’approfondissement de la séparation de l'activité économique, en parallèle avec le développement de produits qui sont à forte intensité technologique, mais qui sont petits et possèdent de faibles coûts d’expédition. Dans le cas des produits comme les logiciels ou certains services, les "produits" peuvent être expédiés par voie électronique à coût presque nul. Ces forces vont différer selon les produits. Elles vont changer avec les nouveaux développements technologiques, comme la fabrication et l'équipement assistés par ordinateur, puisque ces derniers peuvent être exploités par des spécialistes qui sont géographiquement éloignés les uns des autres (…). Les forces vont également différer selon la manière par laquelle les régions se spécialisent dans différents types de production.

Je pense que lorsque les historiens économiques dans 50 ou 100 ans regarderont notre époque, ils constateront que nos préoccupations d’aujourd’hui comme la lente reprise de la Grande Récession, le financement des soins de santé, l'euro et bien d'autres encore se seront estompées avec le temps. Ils considéreront plutôt la création de chaînes de valeur mondiales et la transformation des modèles économiques mondiaux, avec ce que cela signifie pour les pays et les travailleurs, comme l'événement économique de notre époque. »

Timothy Taylor, « Global supply chains and rethinking international trade », in Conversable Economist (blog), 20 décembre 2013. Traduit par M.A.


aller plus loin... lire « La fragmentation internationale de la production » et « Les sept dimensions de l’hypermondialisation »

samedi 5 octobre 2013

Les chaînes de valeur mondiales et les mutations du commerce international

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« Le Rapport mondial sur l'investissement 2013 de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) est ma source privilégié de statistiques en ce qui concerne les niveaux et les tendances de l'investissement direct à l’étranger (IDE). Cette année, le chapitre IV s'intitule "Les chaînes de valeur mondiales : l’investissement et le commerce au service du développement". Voici quelques points qui m'ont sauté aux yeux.

La prééminence du commerce international des biens intermédiaires

L'histoire du commerce international que racontent les manuels, dans laquelle un produit facilement identifiable réalisé dans un pays donné (par exemple une voiture, un ordinateur, du textile, du pétrole, du vin ou du blé) est échangé contre un autre bien produit dans un autre pays n'est plus une bonne représentation de la majorité des échanges mondiaux. "Environ 60 % du commerce international, qui s'élève aujourd'hui à plus de 20.000 milliards de dollars, est constitué d’échanges de biens et services intermédiaires qui sont incorporés à diverses étapes du processus de production des biens et services destinés à la consommation finale."

Voici un exemple concret d’échanges de biens intermédiaires à travers une chaîne de valeur mondiale, en l’occurrence celle de Starbucks : "Par exemple, même la chaîne de valeur mondiale relativement simple de Starbuck (une entreprise américaine), basée sur l’offre d’un service (la vente de café), nécessite la gestion d'une chaîne de valeur qui s'étend sur tous les continents ; elle emploie directement 150.000 personnes ; qui se procure du café auprès milliers de commerçants, d’agents et de fermiers sous contrat dans les pays en développement ; fabrique du café dans plus de 30 usines, principalement en alliance avec des entreprises partenaires, généralement à proximité du marché final ; distribue le café aux points de vente à travers plus de 50 grands entrepôts et centres de distribution (…) ; et exploite environ 17.000 magasins dans plus de 50 pays à travers le monde. Cette chaîne de valeur mondiale doit être efficace et rentable, tout en respectant des normes de qualité strictes en ce qui concerne les biens et services. Elle nécessite un large éventail de services, notamment ceux liés à la gestion de la chaîne de valeur et à la gestion et développement des ressources humaines, que ce soit dans l’entreprise elle-même ou en relation avec les fournisseurs et les autres partenaires. Les flux commerciaux qui sont à l’œuvre sont immenses et ils se composent de produits agricoles, de produits manufacturés et de services techniques et de gestion."

Et voici quelques chiffres qui montrent l'importance des échanges de produits intermédiaires dans les exportations réalisées par les différents pays. La barre vert foncé indique la composante "en amont" des chaînes de valeur mondiales : c’est-à-dire la part de la valeur ajoutée étrangère qui est tout d'abord importée, mais qui est ensuite réexportée par une économie. La barre vert clair montre la composante "en aval" des chaînes de valeur mondiales : c’est-à-dire la part des exportations d’un pays qui fera plus tard partie de la valeur ajoutée des exportations d'un autre pays. La somme de ces deux composantes est le "taux de participation aux chaînes de valeur mondiales", c'est-à-dire la part des exportations d'un pays qui est impliquée soit en amont, soit en aval dans la chaîne de valeur mondiale.

GRAPHIQUE 1 Participation aux chaînes de valeur mondiale en 2010

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Et voici une liste par pays :

GRAPHIQUE 2 Taux de participation aux chaînes de valeur mondiales dans les 25 plus grosses économies exportatrices

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La centralité des firmes transnationales dans le commerce international

Les chaînes de valeur mondiales sont généralement coordonnées par les firmes transnationales (FTN), souvent par le biais des IDE dans d'autres pays (ce qui explique pourquoi il est logique de discuter des chaînes de valeur mondiales dans un rapport axé sur les IDE). En fait, une minorité de FMN coordonne et réalise l'écrasante majorité du commerce international, via la possession de filiales à l’étranger, la sous-traitance, la franchise, etc.

"Dans l'UE, les 10 % plus grandes entreprises exportatrices représentent généralement 70 à 80 % du volume des exportations, tandis que ce chiffre s'élève à 96 % du total des exportations pour les États- Unis, où environ 2.200 entreprises (représentant le 1% des plus gros exportateurs, dont la plupart sont des sociétés-mères ou des filiales de FMN) génèrent plus de 80 % du total des échanges. Les réseaux de production internationaux qui sont façonnés par les sociétés-mères et les filiales des FMN représentent une large part des échanges dans la plupart des pays. (…) La CNUCED estime qu'environ 80 % du commerce mondial (en termes d'exportations brutes) est lié aux réseaux internationaux de production des FMN..."

Chaînes de valeur mondiales et développement économique

De toute évidence, grâce aux chaînes de valeur mondiales, les prix à la consommation dans les pays importateurs sont inférieurs à ce qu'ils seraient autrement, ce qui est précisément l’une des raisons pour lesquelles les FMN élaborent de telles chaînes. Celles-ci permettent également aux FMN de générer davantage de profits. Mais les chaînes d'approvisionnement mondiales aident-elles les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire à se développer ? La réponse dépend de plusieurs facteurs.

Est-ce que participer à une chaîne de valeur mondiale permet un apprentissage supplémentaire ? "(…) Est-ce qu’elle permet aux firmes d’acquérir de nouvelles compétences qu’elles pourront ensuite appliquer à la production d'autres biens ou services ? Dans l'industrie du textile, les entreprises mexicaines ont pu acquérir de nouvelles compétences et fonctions et étendre ainsi leur rôle de fournisseurs, alors qu'il semble très difficile pour les entreprises en Afrique subsaharienne qui fournissent des vêtements dans le cadre du programme African Growth and Opportunity Act de faire autre chose que la coupe, la couture et la finition."

(…) La participation aux chaînes de valeur mondiales semble en général favoriser la croissance économique et le développement, mais il y a plusieurs défis (…) en ce qui concerne le traitement des travailleurs, les effets environnementaux, les interactions avec les institutions locales et le gouvernement local, et ainsi de suite. »

Timothy Taylor, « Global supply chains and the changing nature of international trade », in Conversable Economist (blog), septembre 2013. Traduit par Martin Anota


aller plus loin… lire « La fragmentation internationale de la production » et « Pourquoi devenir une multinationale ? »