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Tag - chômage

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samedi 13 juillet 2013

Pourquoi la borne inférieure zéro importe

« Je pense qu'il est important de faire la distinction entre deux arguments pour justifier de l’importance de la borne inférieure zéro (zero lower bound) des taux d'intérêt nominaux. (…) Si le premier argument est discutable, je crois qu’il est très difficile de rejeter le second.

Le premier argument (…) est que la politique monétaire non conventionnelle ne fonctionne pas ou plutôt qu’elle atteint les limites de ce qu’elle peut faire (…). Bref, la politique monétaire à la borne inférieure zéro ne peut pas atteindre pleinement les objectifs de la politique monétaire. Le second argument (…) est que l'impact de la politique monétaire devient plus incertain. Selon le second argument, une dose particulière de politique monétaire non conventionnelle est susceptible de reproduire ce que la politique de taux d'intérêt pourrait atteindre dans un autre contexte, mais il y a plus d'incertitude sur ce qui correspond à la dose appropriée. L'impact de toute mesure de politique monétaire non conventionnelle est donc moins prévisible que l'impact de la politique conventionnelle.

Une grande partie du débat autour de la politique monétaire non conventionnelle repose sur le premier argument. Une caractéristique importante de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) est que sa taille est potentiellement illimitée : la banque centrale peut créer autant de réserves qu’elle désire. Donc, si l'impact de chaque unité de QE sur l'économie est constant, même si cette constante est petite, et si nous connaissons cette constante, alors nous pouvons moduler la taille de l’assouplissement pour qu'il ait l'effet souhaité. Cependant, il semble beaucoup plus probable que cette politique monétaire ait des rendements décroissants, mais pour être honnête je n'ai aucune idée si cela signifie qu'il y ait des limites à ce que la politique monétaire peut faire actuellement. Il y a aussi ceux qui craignent que la politique monétaire non conventionnelle ait des effets secondaires dangereux sur la stabilité financière si elle devient trop large. Comme je le disais, le premier argument est discutable.

Ce qui semble clair pour moi, c'est que nous en savons beaucoup moins sur l'impact de l'assouplissement quantitatif ou des autres mesures de politique monétaire non conventionnelle que nous en savons sur la politique monétaire conventionnelle. Cela suit presque par définition : nous avons des modèles bien établis pour la politique conventionnelle et beaucoup plus de données pour vérifier ces modèles. Ce que les données dont nous disposons suggèrent également est que l'impact de la politique monétaire non conventionnelle est plus incertain. (C'est la conclusion que tire John Williams, qui a fait une bonne partie du travail sur leur impact et je n'ai jamais entendu quelqu'un soulever des arguments contre ce point de vue.) C'est pourquoi je pense qu'il est très difficile de nier que l'impact de la politique monétaire à la borne inférieure zéro soit beaucoup plus incertain par rapport à la politique monétaire en dehors de la borne inférieure zéro.

Pourquoi fais-je cette distinction ? Une bonne politique monétaire tente non seulement d'atteindre le meilleur résultat possible pour l'économie, mais elle tente aussi de réduire l'incertitude associée à ce résultat. En effet, nous pourrions bien être sacrifier une partie de l’efficacité pour réduire l’incertitude : l'incertitude est en général indésirable. Une méthode standard pour juger des mérites d'une règle particulière pour la politique macroéconomique, par exemple, est de se demander si elle réduit la variance de la production ou de l'inflation lorsque l'économie subit un ensemble standard de chocs.

Retournons voir un vieil ami. Supposons que vous soyez médecin et vous disposiez de deux médicaments pour traiter une maladie. L’un est fiable, mais l'autre nécessite une série d’essais et d’erreurs pour obtenir la bonne dose et sa prise s’accompagne parfois de désagréables effets secondaires. Dans ces circonstances, vous préférez ne pas manquer du médicament fiable. Vous faites tout votre possible pour éviter de manquer de médicament fiable.

Vu sous cet angle, il devient presque indéniable que l'austérité budgétaire à la borne inférieure zéro est une politique dangereuse. En nous rendant plus dépendant de la politique monétaire non conventionnelle, cela augmente l'incertitude macroéconomique. Cela nous pousse à recourir davantage au remède peu fiable. Je pense qu'une grande partie du débat quant à savoir si la politique monétaire est la seule chose chose dont nous ayons besoin se focalise sur le premier argument, mais néglige le second. »

Simon Wren-Lewis, « The two arguments why the zero lower bound matters », in Mainly Macro (blog), 12 juillet 2013. Traduit par M.A.

mercredi 3 avril 2013

Le chômage en zone euro

Taux de chômage (en %)
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source : The Economist (2013)

lundi 7 janvier 2013

Licenciements et santé

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« Les réallocations d'emplois sont perçues comme une caractéristique essentielle d’un bon fonctionnement des marchés du travail, comme les entreprises les plus productives croissent, tandis que les moins productives se contractent, voire disparaissent. Cependant, en dépit des avantages potentiels qu’elles ont pour l'économie, les travailleurs réaffectés supportent des coûts importants. Bien qu'une abondante littérature mette l'accent sur les pertes de revenus occasionnées par la réallocation, on sait beaucoup moins de choses sur l’impact que ces pertes d'emplois peuvent avoir sur la santé des travailleurs. Cette question est particulièrement importante, étant données les fortes hausses des taux de chômage qui se sont produites avec les ralentissements économiques de ces dernières années.

Il existe plusieurs mécanismes par lesquels les suppressions d'emplois peuvent affecter la santé. Les suppressions d'emplois augmentent le stress, qui est connu pour avoir des effets négatifs sur la santé cardiovasculaire. Cependant, il existe peu de données sur le lien entre les causes spécifiques de stress (telles que les changements dans le statut d’emploi ou les pertes de revenu) et la santé cardio-vasculaire (Bosma, Siegrist et Marmot, 1998 ; Kirvimaki et ses coauteurs, 2002). Les variations du revenu induites par la réallocation pourraient également influer sur les habitudes de consommation, ce qui pourrait avoir un effet soit positif ou négatif sur la santé. Par exemple, une personne peut répondre à la baisse des revenus en réduisant sa consommation de cigarettes et d'alcool ou, au contraire, en réduisant sa consommation de fruits et légumes frais. Enfin, les changements dans la situation d'emploi qui accompagnent le déplacement peuvent affecter le temps passé à faire de l'exercice et, de cette façon, impactent la santé.

(…) Nous examinons comment les déplacements d'emplois en Norvège affectent directement la santé cardiovasculaire en utilisant un échantillon d'hommes et de femmes qui sont pour la plupart d’entre eux au début de la quarantaine. Notre base de données fusionne les données du registre de la population de la Norvège avec de nouvelles données d'enquête représentatives sur la santé et les comportements sanitaires. (…) Nous déterminons quels employés perdent leur emploi en raison de fermetures d'usines ou de licenciements collectifs et suivons la santé des travailleurs réaffectés et non réaffectés 5 ans à 7 ans après la réaffectation. Nous nous concentrons sur l'effet de la réallocation sur les variables cardiaques (cholestérol, l'hypertension artérielle, le tabagisme, indice de masse corporelle) ainsi que sur deux indices qui mesurent le risque de maladie cardiaque. (...)

Notre travail a un certain nombre d'avantages par rapport aux travaux existants. Nous observons la population norvégienne, donc nous sommes en mesure de suivre un grand nombre de travailleurs déplacés, y compris ceux qui quittent le marché du travail. En outre, nos données d'enquête de santé contiennent des tests de diagnostic, y compris la pression artérielle et le cholestérol, ainsi que des informations relatives à certains comportements liés à la santé comme le tabagisme.

Nous constatons que le déplacement d'emplois a un effet négatif sur la santé des travailleurs déplacés. Surtout, il semble qu'une grande partie de cet effet est attribuable à la hausse du tabagisme chez les hommes et chez les femmes. Chose intéressante, il n'y a pas d'effet sanitaire équivalent sur les conjoint(e)s de ces travailleurs. Cependant, nous constatons des effets négatifs sur la santé des travailleurs dans les entreprises où ont lieu les réductions d’effectif, même si ces travailleurs ne sont pas touchés par ces dernières. »

Sandra E. Black, Paul J. Devereux et Kjell G. Salvanes, « Losing heart? The effect of job displacement on health », NBER working paper, n° 18660, décembre 2012.

samedi 5 janvier 2013

Les grands problèmes macroéconomiques : le chômage

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« Je poursuis la réflexion amorcée dans mon précédent billet en me penchant sur les principaux points de désaccord en macroéconomie. (…) Les économistes (orthodoxes) sont si divisés sur ces questions que toute idée de consensus (…) est une absurdité. Le fait que, en dépit de ces profonds désaccords, de nombreux spécialistes en macroéconomie ne voient aucun problème est, lui-même, une partie du problème. Je vais commencer par la question centrale de la macroéconomie, en l’occurrence le chômage. C'est la question centrale, car la macroéconomie a vu le jour avec l’affirmation de Keynes selon laquelle l'économie de marché peut durablement rester dans une situation où le chômage est élevé et l’offre excédentaire sur tous les marchés. Si cette affirmation est fausse, comme le soutiennent les néoclassiques, alors il n'y a pas besoin de faire de la macroéconomie un champ spécifique de la science économique : tout peut et doit être dérivé de la microéconomie (néoclassique standard).

Selon la conception néoclassique, le chômage résulte de problèmes sur le marché du travail et ne peut être supprimé qu’en résolvant ces problèmes. Dans le camp néoclassique, la théorie des cycles d’affaires réels (real business cycle theory) conçoit le chômage conjoncturel comme une réponse volontaire aux chocs technologiques et aux changements dans les préférences pour le loisir. Pour reprendre la boutade de Krugman, les théoriciens des cycles d’affaires réels devraient rebaptiser la Grande Dépression des années trente les Grandes Vacances. Plus généralement, les néoclassiques cherchent à expliquer le chômage de longue durée par les distorsions du marché du travail telles que le salaire minimum, les syndicats, les restrictions en matière d'embauche et de licenciement, etc. L'école des cycles réels a principalement traité la Grande Dépression comme un cas exceptionnel (…) et elle n’a pas davantage réussi à expliquer la Grande Récession. Bien que certains aient essayé de le faire, il est absurde d'expliquer la récession actuelle comme le produit de chocs technologiques au sens ordinaire du terme. Si vous ramenez l'effondrement du secteur financier à un simple choc technologique, la théorie des cycles d’affaires réels s’avère aussi utile que le constat que l'opium vous fait somnoler à cause de ses propriétés dormitives. Puisque les booms et effondrements du secteur financier sont clairement conduits par le cycle conjoncturel général, vous obtenez la théorie selon laquelle le cycle d’affaires est causé par... le cycle d’affaires.

Une lecture approfondie de la théorie néoclassique du chômage fait apparaître deux problèmes majeurs. Tout d'abord, au cours des vingt ou trente dernières années, les syndicats ont perdu de leur pouvoir, les salaires minima ont généralement diminué en termes réels, ou du moins par rapport aux salaires moyens, et les marchés du travail ont été "réformés" pour gagner en flexibilité. Donc, la théorie néoclassique suggère que l’on pourrait s'attendre dans un tel contexte à ce que le chômage soit faible et décline. Certains ont cru percevoir le faible taux de chômage américain des années quatre-vingt-dix et (dans une moindre mesure) des années deux mille comme une confirmation de cette théorie, mais les fortes hausses du chômage qui ont été observées depuis viennent l’invalider. Un problème encore plus important qui se pose à la théorie néoclassique est que, depuis 2008, le chômage a fortement augmenté dans de nombreux pays, dotés de très différentes institutions. Beaucoup de ces pays ont réagi en réduisant les protections sociales (c’est le cas de la Lettonie, par exemple), mais le chômage est resté élevé.

La principale alternative à la vision néoclassique est une interprétation du keynésianisme qui met l’accent sur la "viscosité" (stickiness) des prix et salaires. Elle se fonde sur l'idée que l'économie est soumise à des chocs négatifs de demande, à cause desquels les prix et des salaires se révèlent trop élevés, mais il est difficile de réduire ces derniers en raison de défauts de coordination. Réduire les salaires et les prix dans un secteur ou bien réduire les salaires sans toucher aux prix n'aide aucunement. En fait, la baisse des salaires ne peut que davantage déprimer la demande globale. Ainsi, l'économie est confrontée au sous-emploi pour une longue période. Si vous acceptez l'histoire des salaires rigides, alors vous comprenez la politique que soutiennent les nouveaux keynésiens. Celle-ci affirme que, dans des conditions normales, la politique monétaire peut être utilisée pour éviter la déflation. En revanche dans une situation de «trappe à liquidité» (liquidity trap), telle que nous connaissons actuellement, où les taux d'intérêt sont leur borne inférieure zéro (zero lower bound) et où l'expansion de l’offre de monnaie n'a aucun effet, il est nécessaire que les gouvernements génèrent directement de la demande en assouplissant la politique budgétaire.

Beaucoup de keynésiens (…) et d'économistes critiques vis-à-vis du point de vue néoclassique ne sont pas satisfaits de cette théorie de la viscosité des prix ou du moins la considèrent comme incomplète. (…) Le gros problème avec l'histoire des salaires visqueux est qu'elle suppose implicitement un équilibre général unique qui serait associé à une seule répartition des salaires réels. Mais les processus politiques et la lutte des classes ont en réalité beaucoup de marge de manœuvre pour influer sur les salaires et le chômage fait en outre partie intégrante de cette lutte (l’"armée industrielle de réserve"). Ainsi, la réduction des salaires réels lors d’une dépression peut induire un nouvel équilibre caractérisé par un salaire plus faible, ce qui laisse les salaires en vigueur encore "trop élevés" pour équilibrer le marché du travail. (…) Sur le plan empirique, l'histoire des salaires rigides implique que les salaires réels devraient être contracycliques (c’est-à-dire plus élevés en période de récession). Les versions alternatives du keynésianisme impliquent généralement le contraire. Les données empiriques sont malheureusement indécises sur ce point. Mais les désaccords qui existent entre keynésiens, ou bien entre les keynésiens et les différentes écoles hétérodoxes, sont moins importants que leur désaccord commun avec le point de vue néoclassique. »

John Quiggin, « The big issues in macroeconomics: unemployment », in Crooked Timber (blog), 3 janvier 2013.

dimanche 2 décembre 2012

L'austérité en zone euro : les méandres d'une stratégie autodestructrice

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« Quatre ans après le début de la Grande Récession, la zone euro reste en crise. Le PIB et le PIB par tête sont inférieurs à leur niveau d'avant-crise. Le taux de chômage a atteint le niveau historique de 11,6 % en septembre 2012 (…). La soutenabilité de la dette publique est une préoccupation majeure pour les gouvernements nationaux, la Commission européenne et les marchés financiers, mais les larges et successifs programmes de consolidation budgétaire se sont révélés inefficaces pour l’assurer. Jusqu'à présent, l’affirmation selon laquelle l'austérité est la seule stratégie possible pour sortir de cette impasse a été la pierre angulaire du message des dirigeants politiques aux citoyens européens.

Mais cette affirmation est fondée sur un diagnostic erroné : la crise proviendrait des excès budgétaires des Etats-membres. Pour la zone euro dans son ensemble, la politique budgétaire n'est pourtant pas à l'origine du problème. Le gonflement des déficits et des dettes fut une réaction nécessaire des gouvernements face à la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale. La réponse budgétaire a réussi à deux égards : elle a stoppé la spirale récessive et atténué la crise financière. Par conséquent, elle a conduit à une forte hausse de la dette publique dans tous les pays de la zone euro.

En temps normal, la soutenabilité de la dette publique est un problème de long terme, alors que le chômage et la croissance sont des problèmes de court terme. Pourtant, craignant une flambée imminente des taux d'intérêt et étant contraints par le pacte de stabilité et de croissance (PSC), les États-membres et la Commission européenne ont inversé les priorités, alors même que l’activité économique ne s’était pas encore pleinement stabilisée. Ce choix reflète en partie les écueils bien connus du cadre institutionnel de l'Union économique et monétaire (UEM). Mais il reflète aussi une vision dogmatique des choses selon laquelle la politique budgétaire est incapable de gérer la demande et le poids des administrations publiques doit être bridé et limité. Cette idéologie a conduit les Etats-membres à mettre en œuvre des plans d’austérité massifs aux plus mauvais moments.

Comme il est clair maintenant, cette stratégie est profondément erronée. Les pays de la zone et en particulier les pays du sud ont cherché à consolider leurs finances publiques dans la précipitation. Les mesures d'austérité ont atteint une dimension qui n'avait jamais été observée dans l'histoire de la politique budgétaire. La variation cumulée de la politique budgétaire de la Grèce de 2010 à 2012 s'élève à 18 points de PIB. Pour le Portugal, l'Espagne et l'Italie, elle a atteint respectivement 7,5, 6,5 et 4,8 points de leur PIB. La consolidation s’est rapidement synchronisée, conduisant à des répercussions négatives pour la zone euro dans son ensemble, en amplifiant les effets de premier tour. La réduction de la croissance économique, à son tour, rend de moins en moins probable la soutenabilité de la dette publique. Ainsi, l'austérité a été clairement vouée à l'échec (…).

Depuis le printemps 2011, le chômage dans l'UE-27 et en zone euro s’est rapidement accru et le chômage a augmenté de 2 millions de personnes rien que l’année dernière. Le chômage des jeunes a également augmenté de façon spectaculaire au cours de la crise. Au deuxième trimestre de 2012, 9,2 millions de jeunes âgés de 15-29 ans étaient au chômage, ce qui correspond à 17,7 % des 15-29 ans dans la population active et représente 36,7 % du total des chômeurs dans l'UE-27. Le chômage des jeunes a augmenté plus fortement que le taux de chômage global dans l'UE. Les mêmes tendances sont observées pour les travailleurs peu qualifiés. Que nous enseigne l’expérience passée ? Une fois que le chômage a atteint un niveau élevé, il a tendance à y rester les années suivantes. Il s’agit du phénomène de persistance (ou d’hystérésis). (…) Au deuxième trimestre de 2012, près de 11 millions de personnes dans l'UE étaient au chômage depuis un an ou plus. L’année dernière, le nombre de chômeurs de longue durée a augmenté de 1,4 million dans l'UE-27 et de 1,2 million au sein de la seule zone euro. Par conséquent, la taille effective de la population active s’est réduite, ce qui peut conduire en fin de compte à un niveau plus élevé de chômage structurel. Ainsi, il sera plus difficile de générer de la croissance et des finances publiques saines à moyen terme au sein de l'UE. Outre l'effet du chômage de longue durée sur la croissance potentielle et les finances publiques, le chômage de longue durée peut provoquer une augmentation de la pauvreté (…). Nous estimons que le chômage de longue durée peut atteindre 12 millions dans l'UE et 9 millions dans la zone euro à la fin de 2013.

Ce qui est frappant, c'est que les conséquences de la consolidation (…) ont été largement sous-estimées. (…) Les analyses théoriques et empiriques affirmant que la taille des multiplicateurs budgétaires est plus large dans une situation fragile ont été négligées. Concrètement, alors qu’en temps normal, c’est-à-dire lorsque l'écart de production (output-gap) est proche de zéro, une réduction d'un point de PIB du déficit structurel réduit l'activité de 0,5 à 1 % (ce qui correspond au multiplicateur budgétaire), cet effet dépasse 1,5 % dans les mauvais moments et peut même atteindre 2 % lorsque le climat économique est sévèrement déprimé. Toutes les caractéristiques (la récession, les taux directeurs de la banque centrale à leur borne zéro, l’absence de dévaluation compensatrice, l'austérité parmi les principaux partenaires commerciaux) connues pour générer des multiplicateurs plus élevés que la normale sont observables dans la zone euro.

La reprise qui avait été observée à partir de la fin de l'année 2009 s’est enrayée. La zone euro est entrée dans une nouvelle récession au troisième trimestre de 2011 et la situation ne devrait pas s'améliorer : le PIB devrait reculer de 0,4% en 2012 et à nouveau de 0,3% en 2013. L'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce semblent sombrer dans une dépression sans fin. Le taux de chômage a grimpé à un niveau record dans la zone euro et surtout en Espagne, en Grèce, au Portugal et en Irlande. La confiance des ménages, des sociétés non financières et des marchés financiers s'est effondrée à nouveau. Les taux d'intérêt n'ont pas reculé et les gouvernements des pays du Sud se heurtent encore à une prime de risque insoutenable sur leurs taux d'intérêt, en dépit de quelques initiatives politiques, tandis que l'Allemagne, l'Autriche ou la France bénéficient de taux d'intérêt historiquement bas.

Plutôt que de se concentrer sur les déficits publics, il faut s’attaquer à la cause sous-jacente à la crise. La zone euro a souffert principalement d'une crise de balance des paiements en raison de l'accumulation de déséquilibres des comptes courants entre ses membres. Lorsque les flux financiers nécessaires pour financer ces déséquilibres s’asséchèrent, la crise prit la forme d'une crise de liquidité. Des mesures auraient dû être prises pour ajuster les salaires et prix nominaux d'une manière équilibrée, en réduisant les répercussions négatives sur la demande, sur la production et sur l'emploi. Au lieu de cela, le salut a été recherché dans l'austérité généralisée ; celle-ci a provoqué une baisse de la demande, des salaires et des prix via la hausse du chômage.

Même si une certaine consolidation budgétaire était certainement un élément essentiel d'une stratégie de rééquilibrage dans certains pays pour freiner les excès du passé, il est essentiel que les pays ayant de larges excédents, en particulier l'Allemagne, prennent des mesures symétriques pour stimuler la demande et assurer une croissance plus rapide des salaires et prix nominaux. En revanche, le fardeau de l'ajustement s’est reposé sur les seuls pays déficitaires. Certains progrès ont été accomplis pour résoudre les déséquilibres de compétitivité, mais le coût a été énorme. L'incapacité à assurer une réponse équilibrée des pays excédentaires accroît aussi l'excédent commercial global de la zone euro. Ce n'est probablement pas une solution durable, car elle déplace l'ajustement sur les pays en dehors de la zone euro et provoquera des contreréactions. »

OFCE, ECLM & IMK, « Independent Annual Growth Survey - First report », novembre 2012.

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