Annotations

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Tag - ciblage de l inflation moyenne

Fil des billets

vendredi 11 septembre 2020

La nouvelle stratégie de la Fed : davantage de discrétion, moins de prévention

« L’emploi peut se retrouver à son niveau maximal tel qu’on l’estime en temps réel ou au-delà sans susciter d’inquiétude, à moins que cela ne s’accompagne de signes d’accélérations indésirables de l’inflation ou de l’émergence d’autres risques qui peuvent nous empêcher d’atteindre nos objectifs. »

Jerome Powell, président de la Réserve fédérale, lors de la conférence de Jackson Hole du 27 août 2020.



Dans ce billet, nous identifions trois facteurs clés motivant la revue stratégique de la Fed et soulignons trois grands changements dans la stratégie du comité de politique monétaire. En outre, nous identifions d’importantes questions auxquelles le comité devra apporter une réponse lorsqu’il cherchera à mettre en place son nouveau cadre de politique monétaire. En particulier, l’adoption du ciblage flexible de l’inflation moyenne implique un changement dans la fonction de réaction du comité. Comment cette redéfinition de l’objectif influencera-t-elle la réponse systématique du comité aux variations de la croissance économique, du chômage, de l’inflation et des conditions financières ? Sous un ciblage flexible de l’inflation moyenne, la cible d’inflation effective au cours des prochaines années dépend aussi de l’expérience passée avec l’inflation. Quelle est cette relation ?

Peut-être que la Fed a été avant tout poussée à changer de stratégie en prenant conscience que le niveau soutenable des taux d’intérêt nominaux a décliné. Ce changement se manifeste à travers les révisions à la baisse des prévisions des taux des fonds fédéraux à long terme. Par conséquent, la banque centrale s’inquiète à l’idée de voir le taux directeur buter fréquemment à sa borne inférieure effective, dans la mesure où la marge de manœuvre de la Fed en matière de politique monétaire conventionnelle s’en trouverait réduite. L’idée du ciblage flexible de l’inflation moyenne est de relever la cible d’inflation lorsque l’inflation est faible. En réduisant le taux d’intérêt réel anticipé en de telles circonstances, le ciblage flexible de l’inflation moyenne réduit la nécessité d’utiliser le forward guidance et les outils de bilan à la borne inférieure zéro (voir notre précédent billet).

Deuxièmement, comme le président Powell le souligne dans la citation en ouverture, le lien entre le marché du travail et l’inflation est plus lâche que par le passé, ce qui rend plus difficile d’estimer le niveau de chômage compatible avec la stabilité des prix.

Troisièmement, pour l’essentiel, l’inflation s’est retrouvée sous les 2 % depuis 2012, quand le comité de politique a pour la première fois présenté sa cible quantitative. (Selon l’indice des prix, l’inflation s’est retrouvée en moyenne entre 1,3 % et 1,8 % par an au cours des huit dernières années.) Avec une inflation durablement inférieure à la cible, l’inquiétude est que les anticipations d’inflation finissent par chuter, ce qui accroîtrait les taux d’intérêt réels anticipés et resserrerait en conséquence les conditions financières, en particulier quand le taux directeur est proche de zéro. Comme le président Powell l’a souligné, "nous avons vu cette dynamique perverse affecter d’autres économies majeures à travers le monde et nous avons constaté qu’une fois tombé dans une telle situation il peut être très difficile d’en sortir".

En combinant ces trois facteurs, le comité de politique monétaire a considéré qu’il était nécessaire de répondre à l’asymétrie fondamentale de la politique monétaire conventionnelle : quand l’inflation s’élève au-dessus de sa cible, la banque centrale peut relever les taux d’intérêt, ce qui réduit la demande globale et atténue l’inflation. Cependant, si l’inflation est trop faible, quand le taux d’intérêt est à sa borne zéro, la politique conventionnelle n’est plus disponible pour davantage stimuler la demande globale, alimenter l’inflation et s’assurer que les anticipations d’inflation restent bien ancrées. L’expérience des dernières années aux Etats-Unis et à l’étranger a suscité des inquiétudes à la Fed quant à une telle éventualité.

Donc, quels sont les principaux changements quant aux objectifs de plus long terme du comité de politique monétaire ? Nous en soulignons trois : (I) l’introduction d’un ciblage flexible de l’inflation moyenne ; (ii) un relâchement des efforts pour prévenir une accélération de l’inflation ; (iii) un engagement explicite pour entreprendre une revue publique du cadre de politique monétaire "à peu près tous les cinq ans".

Le premier de ces trois objectifs vise à s’attaquer au maintien durable de l’inflation en-deçà de sa cible de 2 %. Le deuxième revient à admettre que la capacité de la Fed à prévoir l’inflation est limitée. Il dénote une moindre inquiétude à propos des marchés du travail sous tension et, dans le double mandat de la Fed, donne plus de poids à l’objectif de plein emploi relativement à celui de la stabilité des prix. Le troisième fournit un horizon temporel pour réévaluer l’adéquation du cadre de politique monétaire du comité. En se focalisant sur les deux premiers, les changements génèrent un biais vers une inflation moyenne plus élevée de façon à contrer l’asymétrie fondamentale inhérente à la politique conventionnelle de taux d’intérêt.

Nous avons discuté du ciblage de l’inflation moyenne en détails dans notre précédent billet. La version "flexible" de la Fed lui laisse une formidable discrétion. En rejetant toute "formule", l’approche définit ni la fenêtre de temps passée pour mesurer les déviations de l’inflation, ni la fenêtre de temps future pour ramener l’inflation à sa moyenne cible. De tels détails clés étant absents, le comité de politique monétaire devra communiquer d’une réunion à l’autre son objectif d’inflation à court terme. La capacité du comité à influencer les anticipations d’inflation à la borne inférieure (un motif clé pour adopter le ciblage flexible de l’inflation moyenne) va dépendre de la clarté avec laquelle il communiquera son objectif et de la crédibilité de son engagement pour l’atteindre. Plus la déclaration sera claire (à propos de l’objectif d’inflation et de l’horizon temporel), plus elle sera efficace pour réduire les taux d’intérêt réels anticipés quand le taux directeur butera sur sa borne inférieure.

Au même instant, la nouvelle déclaration laisse ouvertes d’importantes questions à propos de ce qui déclenchera un changement dans l’objectif d’inflation à moyen terme. Par exemple, si l’inflation courante ou l’inflation anticipée s’élèvent à 3 %, cela suffira-t-il pour amorcer un changement ? Alors que le ciblage flexible de l’inflation moyenne vise à rendre le niveau des prix à long terme plus prévisible, quelle variation de l’inflation à court terme le comité tolérera-t-il ?

Pour prendre un exemple simple, au cours des cinq dernières années, l’écart cumulé de l’inflation par rapport à sa cible de 2 % s’élève à 2,5 points de pourcentage (lorsque l’on mesure l’inflation à partir de l’indice des prix à la consommation). Si le comité de politique monétaire désire compenser une partie de cet écart au cours des cinq prochaines années (en ciblant sur dix ans un taux moyen d’inflation de 2 %), alors il devra atteindre une inflation de 2,5 % en moyenne. Alternativement, s’il désire rattraper plus rapidement l’écart, disons sur trois ans, alors la cible sera plus proche de 3 %. Plus le comité sera clair par rapport à sa fonction de réaction (notamment à propos de l’horizon au cours duquel il tend à restaurer l’inflation à l’objectif de plus long terme de 2 %), plus il sera probable que ses actions se révéleront stabilisatrices.

En ce qui concerne la moindre importance donnée à la prévention de l’inflation, le changement clé concerne la façon par laquelle la Fed considère l’emploi maximal. Plutôt que de décider de la politique monétaire en réaction aux "déviations", à la hausse comme à la baisse, par rapport à l’emploi maximal (comme dans une règle de Taylor typique), la nouvelle déclaration se focalise sur les écarts à la baisse par rapport à l’emploi maximal. Comme l’évoquait la citation de Powell en ouverture, le lien entre un faible taux de chômage et l’accélération de l’inflation n’est plus aussi robuste que par le passé. Selon nous, ce changement explicite simplement ce que la Fed faisait déjà en pratique. Rappelons-nous qu’en 2019 la Fed a réduit les taux d’intérêt de 75 points de base, alors même que le taux de chômage était à 3,5 %, un niveau qui n’avait pas été atteint depuis cinquante ans. (...)

Pour résumer, et ce en cohérence avec la réaction limitée des marchés financiers, nous ne voyons dans la nouvelle déclaration de la Fed qu’une modeste révision de ses pratiques. Etant donné que l’on s’attend à une longue période de taux d’intérêt nuls, la nouvelle stratégie de la Fed répond à l’accroissement du risque d’avoir une inflation trop faible relativement au risque d'avoir une inflation trop forte.

Cela dit, la réaction des marchés peut aussi refléter un profond scepticisme quant à la capacité de la Fed à relever l’inflation, en particulier dans une telle récession. Elle a régulièrement échoué à atteindre la cible de 2 % depuis qu’elle l’a annoncée. Pourquoi devrait-on croire qu’elle est capable de ramener l’inflation au-delà de 2 % ces prochains temps ? Peut-on vraiment croire que la Fed est vraiment différente des autres grandes banques centrales qui ont passé l’essentiel de leur temps la dernière décennie à essayer de stimuler l’inflation pour la ramener à sa cible sans y parvenir ? (…)

Par conséquent, la différence la plus manifeste à moyen terme tiendra dans la communication de la Fed, dans ce qu’elle dit à propos de sa politique monétaire. Comme Ben Bernanke, l’ancien président de la Fed avait l’habitude de le dire, "la politique monétaire, c’est 98 % de paroles et 2 % d’actions". C’est encore davantage de communication lorsque, comme à présent, le taux directeur se retrouve contraint vers zéro. Plus le comité de politique monétaire pourra nous en dire à propos de la façon par laquelle il utilisera systématiquement la plus grande discrétion qu’il se donne dans son nouveau cadre, plus son action sera efficace. »

Stephen Cecchetti et Kermit Schoenholtz, « The Fed's new strategy: More discretion, less preemption », in Money & Banking (blog), 29 août 2020. Traduit par Martin Anota

samedi 5 septembre 2020

Qu'est-ce que le ciblage de l'inflation moyenne ?

« La première grande revue stratégique du comité de politique monétaire de la Réserve fédérale est sur le point de s’achever. Depuis qu’elle l’a annoncée le 15 novembre 2018, la Fed s’est focalisée sur les stratégies, les outils et les pratiques en matière de communication (…).

Peut-être que le point le plus important dans le programme de révision de la Fed est celui de la stratégie de ciblage d’inflation (inflation-targeting) du comité de politique monétaire. Depuis 2012, ce dernier a explicitement ciblé un taux d’inflation de 2 % (mesuré par l’indice des prix à la consommation). Un objectif clé de la stratégie du comité de politique monétaire est d’ancrer les anticipations d’inflation de long terme, pour contribuer non seulement à la stabilité de prix, mais aussi à "l’amélioration de la capacité du comité à promouvoir l’emploi maximal face aux perturbations économiques majeures". Pourtant, depuis le début de l’année 2012, l’inflation des prix à la consommation a atteint en moyenne seulement 1,3 %, amenant beaucoup de responsables de la politique monétaire à s’inquiéter à l’idée qu’une inflation durablement basse pousse davantage l’inflation anticipée à la baisse (cf. Williams). Et, avec le taux directeur de la Fed de nouveau à proximité de zéro, la chute des anticipations d’inflation accroît le taux d’intérêt réel, resserrant les conditions monétaires et sapant les efforts des autorités monétaires pour stimuler la croissance et l’inflation.

Il est peu probable que la Fed ne garde pas l'idée d'un ciblage de 2 % d’inflation sous une forme ou sous une autre, mais cela laisse ouverte la possibilité d’autres changements. Dans cette note, nous discutons d’une alternative pour l’approche courante qui a fait l’objet d’une grande attention : à savoir le ciblage d’inflation moyenne. L’idée derrière le ciblage d’inflation moyenne est que, lorsque l’inflation se retrouve au-dessus de la cible, cela crée l’anticipation d’une plus forte inflation. Et, si l’inflation se retrouve en-dessous de sa cible, alors il faut réduire les anticipations d’inflation. Même quand le taux directeur atteint zéro, le résultat est un mouvement contracyclique dans les taux d’intérêt qui améliore l’efficacité de la politique conventionnelle.

Une banque centrale adoptant un cadre de ciblage d’inflation moyenne choisit une période de temps (qualifions-la de fenêtre de moyennisation) au cours de laquelle elle mesure l’inflation avec l’objectif d’atteindre une cible numérique (disons 2 %) en moyenne. En incluant un certain nombre d’années passées, ce système diffère fortement d’un ciblage d’inflation conventionnel. Dans le cadre de ce dernier, le passé est de l’histoire ancienne : la stratégie conventionnelle ignore ce qui a été raté par le passé, cherchant une cible numérique constante au cours d’une poignée d’années suivantes. A l’inverse, si la stratégie des autorités monétaires est celle du ciblage de l’inflation moyenne, alors elles vont essayer de rattraper une partie de leurs erreurs passées.

Pour voir la différence, considérons l’expérience américaine depuis 2012. Comme nous l’avons noté ci-dessus, au cours des huit dernières années, l’inflation a été en moyenne inférieure de 0,7 point de pourcentage par rapport à la cible de 2 % de la Fed. Malgré cet échec, l’objectif d’inflation à moyen terme dans le futur de la Fed est resté inchangé. Si la cible du comité de politique monétaire avait été l’inflation moyenne, leur cible future aurait été relevée pour compenser l’échec passé et finir par atteindre la moyenne.

Pour comprendre la mécanique du ciblage d’inflation moyenne, il est utile de considérer le cas du ciblage du niveau des prix. Cette stratégie est l’exact opposé du ciblage d’inflation pur, comme le passé n’est pas ignoré. En d’autres termes, le ciblage du niveau des prix est un ciblage d’inflation moyenne avec une fenêtre de temps infinie pour mesurer l’inflation. En l’occurrence, la banque centrale cherche à maintenir les prix à proximité de leur trajectoire de long terme qui augmente au taux cible, cherchant à compenser quelques erreurs passées, et ce qu’importe quand elles ont été commises. Plusieurs économistes ont conseillé le ciblage du niveau des prix précisément parce que (s'il est crédible) il peut réduire le taux d’intérêt réel anticipé lorsque les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure, ce qui permet d’assouplir davantage la politique monétaire sans que la banque centrale ait à recourir au forward guidance ou aux outils de bilan (cf. Woodford).

Pour illustrer la différence entre les deux approches, considérons deux banques centrales avec un objectif identique de 2 % de croissance annuelle du niveau des prix. La première suit une stratégie pure de ciblage d’inflation où le passé est oublié, tandis que la seconde suit une stratégie de ciblage du niveau des prix, cherchant à compenser les erreurs passées. En l’absence de tout choc qui éloigne l’inflation de la cible, les deux stratégies sont indistinctes : le niveau des prix s’élève au rythme constant de 2 % par an. (Nous empruntons cet exemple à George Kahn.)

Supposons, cependant, qu’il y ait un choc désinflationniste qui réduise l’inflation au cours de l’année t+1 d’un point de pourcentage de 2 % à 1 % (…). Supposons en outre que les deux banques centrales réussissent à retourner à leur cible à l’année t+3, c’est-à-dire au terme d’une période de deux années (que nous qualifierons de période de restauration). Le graphique ci-dessous montre les trajectoires du niveau des prix dans le cas de ces deux stratégies. Dans le cadre du ciblage d’inflation pur, la banque centrale cherche à relever l’inflation de 1 % à 2 % graduellement au cours de la période de restauration (il s’agit de la ligne bleue solide). Chose importante, alors que le niveau des prix retourne à une trajectoire qui est parallèle à la trajectoire de prix originelle, elle est à jamais inférieure à celle-ci : la ligne bleue est en-dessous de la ligne pointillée noire. C’est dans ce sens que le passé est oublié.

GRAPHIQUE Trajectoires du niveau des prix selon que la banque centrale cible l'inflation ou le niveau des prix lorsque l’inflation chute d’un point de % au cours d’une année

Cecchetti_Schoenholtz__ciblage_d__inflation_ciblage_du_niveau_des_prix.png

La ligne aux traits rouges montre la stratégie de ciblage du niveau des prix. Notons que cette ligne rejoint graduellement la ligne pointillée noire : l’inflation excède la cible d’inflation de 2 % à long terme au cours de la période de restauration. C’est ce qui signifie rattraper les erreurs passées pour une banque centrale : une période où l’inflation est supérieure à la cible suit une période où l’inflation est inférieure à la cible. En d’autres termes, dans le cadre du ciblage du niveau des prix, la politique monétaire est dépendante de l’histoire. Dans le cadre du ciblage d’inflation pur, elle ne l’est pas.

A partir de là, nous pouvons voir que le ciblage d’inflation moyenne est un hybride entre ciblage d’inflation pur et ciblage du niveau des prix (…). Plus la fenêtre de moyennisation est large, plus on se rapproche du ciblage du niveau des prix. De plus, les deux stratégies polaires ont différentes implications pour la variabilité du niveau des prix à long terme. En minimisant les écarts par rapport à la trajectoire ciblée, un ciblage du niveau des prix rend prévisible le niveau des prix à long terme, mais cela rend l’inflation plus volatile à court terme. Dans le cadre du ciblage d’inflation pur, les écarts par rapport à la trajectoire du niveau des prix originelle se creusent au cours du temps, réduisant la prévisibilité des prix à long terme.

Aux Etats-Unis, les différences pratiques entre ciblage d’inflation et ciblage du niveau des prix ont été limitées. Nous pouvons considérer que la Fed a de facto ciblé l’inflation depuis le milieu des années 1980. Néanmoins, au cours des trente dernières années, le niveau des prix (excluant l’alimentaire et l’énergie) s’est accru à peu près au rythme avec celui d’un pur régime de ciblage du niveau des prix, si bien que le taux d’inflation annuel moyen a été de 1,86 % (voir le graphique). Au même instant, sur des intervalles de temps plus courts, les écarts ont eu tendance à persister. Dans les premières années, l’inflation a typiquement dépassé la cible. Par conséquent, au deuxième trimestre 1995, le niveau des prix a dépassé la trajectoire à long terme de 4,6 %. Plus récemment, le schéma s’est inversé. Au deuxième trimestre 2020, le niveau des prix était inférieur de 3,5 % par rapport à sa trajectoire à long terme.

GRAPHIQUE Indice des prix des dépenses de consommation aux Etats-Unis (excluant l’alimentaire et l’énergie)

Cecchetti_Schoenholtz__ciblage_d__inflation_moyenne_aux_Etats-Unis.png

Cela implique que l’adoption d’un régime de ciblage d’inflation moyenne aurait été une mesure modérée, plutôt que radicale (cf. Reifschneider et Wilcox). Pour le voir, nous pouvons faire une simple simulation. Commençons par supposer (comme dans la simulation ci-dessus) que la banque centrale cible l’inflation moyenne sur cinq ans, en observant les trois années précédentes et en cherchant à restaurer le niveau le niveau des prix sur sa trajectoire de 2 % au cours des deux années suivantes. Au vu des limites quant à l’efficacité de la politique monétaire, nous soupçonnons que la période de restauration actuelle aurait été plus longue, donc cette hypothèse se traduit par une réponse plus agressive aux chocs et ajoute de la volatilité dans la cible d’inflation annuelle de la Fed. (D’un autre côté, si la période de restauration s’allonge, il devient plus difficile pour le comité de politique monétaire de faire un engagement crédible pour atteindre la cible d’inflation.)

Dans le graphique ci-dessous, prenant dans la fenêtre de moyennisation les trois années précédentes, nous indiquons la cible d’inflation annuelle impliquée pour une période de restauration de deux ans. (Notez qu’il s’agit d’une hypothèse statique : nous ne prenons pas en compte le fait que le processus d’inflation aurait changé si la Fed avait effectivement adoptée ce ciblage de l’inflation moyenne.) Sous ces hypothèses, la cible impliquée depuis 2011 aurait été comprise entre 2,2 % et 3,04 %, avec une moyenne de 2,65 %. Avec une fenêtre de moyennisation historique sur trois ans et une période de restauration de deux ans, la cible d’inflation de la Fed aurait été 0,65 point de pourcentage plus élevée pour la décennie passée. Si ce comportement de la banque centrale était crédible et anticipée, cela aurait réduit le taux d’intérêt de court terme réel moyen de 65 points de base, ce qui serait une stimulation bienvenue (quoique modérée) lorsque les taux d’intérêt nominaux étaient à la borne inférieure zéro. (Nous notons qu’un passage du prix excluant l’alimentaire et l’énergie à une mesure globale accroît la volatilité de la cible d’inflation visée sur les deux années suivantes, en élargissant sa gamme sur l’échantillon de 30 ans d’environ un point de pourcentage.)

GRAPHIQUE Hypothétique cible d’inflation moyenne focalisée sur les trois années précédentes et les deux années suivantes

Cecchetti_Schoenholtz__ciblage_d__inflation_moyenne_impliquee.png

Ce sont sûrement de bonnes nouvelles, mais il y a un risque avec un tel cadre. Celui-ci apparaît sur le graphique. Dans les quatre premières années des années 1990 (incluant la récession de 1990-1991), un régime de ciblage d’inflation moyen sur cinq ans qui inclut une période de restauration de deux ans se serait probablement traduite par une politique substantiellement plus restrictive que celle observée. En effet, la banque centrale aurait ciblé une déflation comprise entre -1,21 % et -0,17% !

Il faut noter que le ciblage d’inflation moyenne (comme le ciblage du niveau des prix) peut se traduire par des épisodes au cours desquels la banque centrale veut réduire le niveau des prix, pas simplement l’inflation. Cela peut expliquer pourquoi aucune banque centrale n’a explicitement adopté un tel cadre, du moins jusqu’à présent. Nous notons aussi qu’il est d’autant plus probable qu’une banque centrale cible la déflation que l’on élargit la fenêtre de moyennisation et réduit la période de restauration. Pour compenser cela, la banque centrale peut rendre flexibles ces deux périodes, mais cela diminuerait probablement la crédibilité de l’engagement de la banque centrale et son impact sur les anticipations d’inflation. Une alternative, proposée par Ben Bernanke, est de suivre une stratégie asymétrique : cibler l’inflation lors des expansions et ne cibler le niveau des prix que lors des récessions. Même si cela fait sens, nous pensons qu’il serait difficile de communiquer une telle approche de façon à stimuler les anticipations d’inflation au bon moment, lorsqu’une récession commence. (…) »

Stephen Cecchetti & Kermit Schoenholtz, « Average inflation targeting », in Money & Banking (blog), 24 août 2020. Traduit par Martin Anota