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Tag - ciblage du niveau des prix

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samedi 5 septembre 2020

Qu'est-ce que le ciblage de l'inflation moyenne ?

« La première grande revue stratégique du comité de politique monétaire de la Réserve fédérale est sur le point de s’achever. Depuis qu’elle l’a annoncée le 15 novembre 2018, la Fed s’est focalisée sur les stratégies, les outils et les pratiques en matière de communication (…).

Peut-être que le point le plus important dans le programme de révision de la Fed est celui de la stratégie de ciblage d’inflation (inflation-targeting) du comité de politique monétaire. Depuis 2012, ce dernier a explicitement ciblé un taux d’inflation de 2 % (mesuré par l’indice des prix à la consommation). Un objectif clé de la stratégie du comité de politique monétaire est d’ancrer les anticipations d’inflation de long terme, pour contribuer non seulement à la stabilité de prix, mais aussi à "l’amélioration de la capacité du comité à promouvoir l’emploi maximal face aux perturbations économiques majeures". Pourtant, depuis le début de l’année 2012, l’inflation des prix à la consommation a atteint en moyenne seulement 1,3 %, amenant beaucoup de responsables de la politique monétaire à s’inquiéter à l’idée qu’une inflation durablement basse pousse davantage l’inflation anticipée à la baisse (cf. Williams). Et, avec le taux directeur de la Fed de nouveau à proximité de zéro, la chute des anticipations d’inflation accroît le taux d’intérêt réel, resserrant les conditions monétaires et sapant les efforts des autorités monétaires pour stimuler la croissance et l’inflation.

Il est peu probable que la Fed ne garde pas l'idée d'un ciblage de 2 % d’inflation sous une forme ou sous une autre, mais cela laisse ouverte la possibilité d’autres changements. Dans cette note, nous discutons d’une alternative pour l’approche courante qui a fait l’objet d’une grande attention : à savoir le ciblage d’inflation moyenne. L’idée derrière le ciblage d’inflation moyenne est que, lorsque l’inflation se retrouve au-dessus de la cible, cela crée l’anticipation d’une plus forte inflation. Et, si l’inflation se retrouve en-dessous de sa cible, alors il faut réduire les anticipations d’inflation. Même quand le taux directeur atteint zéro, le résultat est un mouvement contracyclique dans les taux d’intérêt qui améliore l’efficacité de la politique conventionnelle.

Une banque centrale adoptant un cadre de ciblage d’inflation moyenne choisit une période de temps (qualifions-la de fenêtre de moyennisation) au cours de laquelle elle mesure l’inflation avec l’objectif d’atteindre une cible numérique (disons 2 %) en moyenne. En incluant un certain nombre d’années passées, ce système diffère fortement d’un ciblage d’inflation conventionnel. Dans le cadre de ce dernier, le passé est de l’histoire ancienne : la stratégie conventionnelle ignore ce qui a été raté par le passé, cherchant une cible numérique constante au cours d’une poignée d’années suivantes. A l’inverse, si la stratégie des autorités monétaires est celle du ciblage de l’inflation moyenne, alors elles vont essayer de rattraper une partie de leurs erreurs passées.

Pour voir la différence, considérons l’expérience américaine depuis 2012. Comme nous l’avons noté ci-dessus, au cours des huit dernières années, l’inflation a été en moyenne inférieure de 0,7 point de pourcentage par rapport à la cible de 2 % de la Fed. Malgré cet échec, l’objectif d’inflation à moyen terme dans le futur de la Fed est resté inchangé. Si la cible du comité de politique monétaire avait été l’inflation moyenne, leur cible future aurait été relevée pour compenser l’échec passé et finir par atteindre la moyenne.

Pour comprendre la mécanique du ciblage d’inflation moyenne, il est utile de considérer le cas du ciblage du niveau des prix. Cette stratégie est l’exact opposé du ciblage d’inflation pur, comme le passé n’est pas ignoré. En d’autres termes, le ciblage du niveau des prix est un ciblage d’inflation moyenne avec une fenêtre de temps infinie pour mesurer l’inflation. En l’occurrence, la banque centrale cherche à maintenir les prix à proximité de leur trajectoire de long terme qui augmente au taux cible, cherchant à compenser quelques erreurs passées, et ce qu’importe quand elles ont été commises. Plusieurs économistes ont conseillé le ciblage du niveau des prix précisément parce que (s'il est crédible) il peut réduire le taux d’intérêt réel anticipé lorsque les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure, ce qui permet d’assouplir davantage la politique monétaire sans que la banque centrale ait à recourir au forward guidance ou aux outils de bilan (cf. Woodford).

Pour illustrer la différence entre les deux approches, considérons deux banques centrales avec un objectif identique de 2 % de croissance annuelle du niveau des prix. La première suit une stratégie pure de ciblage d’inflation où le passé est oublié, tandis que la seconde suit une stratégie de ciblage du niveau des prix, cherchant à compenser les erreurs passées. En l’absence de tout choc qui éloigne l’inflation de la cible, les deux stratégies sont indistinctes : le niveau des prix s’élève au rythme constant de 2 % par an. (Nous empruntons cet exemple à George Kahn.)

Supposons, cependant, qu’il y ait un choc désinflationniste qui réduise l’inflation au cours de l’année t+1 d’un point de pourcentage de 2 % à 1 % (…). Supposons en outre que les deux banques centrales réussissent à retourner à leur cible à l’année t+3, c’est-à-dire au terme d’une période de deux années (que nous qualifierons de période de restauration). Le graphique ci-dessous montre les trajectoires du niveau des prix dans le cas de ces deux stratégies. Dans le cadre du ciblage d’inflation pur, la banque centrale cherche à relever l’inflation de 1 % à 2 % graduellement au cours de la période de restauration (il s’agit de la ligne bleue solide). Chose importante, alors que le niveau des prix retourne à une trajectoire qui est parallèle à la trajectoire de prix originelle, elle est à jamais inférieure à celle-ci : la ligne bleue est en-dessous de la ligne pointillée noire. C’est dans ce sens que le passé est oublié.

GRAPHIQUE Trajectoires du niveau des prix selon que la banque centrale cible l'inflation ou le niveau des prix lorsque l’inflation chute d’un point de % au cours d’une année

Cecchetti_Schoenholtz__ciblage_d__inflation_ciblage_du_niveau_des_prix.png

La ligne aux traits rouges montre la stratégie de ciblage du niveau des prix. Notons que cette ligne rejoint graduellement la ligne pointillée noire : l’inflation excède la cible d’inflation de 2 % à long terme au cours de la période de restauration. C’est ce qui signifie rattraper les erreurs passées pour une banque centrale : une période où l’inflation est supérieure à la cible suit une période où l’inflation est inférieure à la cible. En d’autres termes, dans le cadre du ciblage du niveau des prix, la politique monétaire est dépendante de l’histoire. Dans le cadre du ciblage d’inflation pur, elle ne l’est pas.

A partir de là, nous pouvons voir que le ciblage d’inflation moyenne est un hybride entre ciblage d’inflation pur et ciblage du niveau des prix (…). Plus la fenêtre de moyennisation est large, plus on se rapproche du ciblage du niveau des prix. De plus, les deux stratégies polaires ont différentes implications pour la variabilité du niveau des prix à long terme. En minimisant les écarts par rapport à la trajectoire ciblée, un ciblage du niveau des prix rend prévisible le niveau des prix à long terme, mais cela rend l’inflation plus volatile à court terme. Dans le cadre du ciblage d’inflation pur, les écarts par rapport à la trajectoire du niveau des prix originelle se creusent au cours du temps, réduisant la prévisibilité des prix à long terme.

Aux Etats-Unis, les différences pratiques entre ciblage d’inflation et ciblage du niveau des prix ont été limitées. Nous pouvons considérer que la Fed a de facto ciblé l’inflation depuis le milieu des années 1980. Néanmoins, au cours des trente dernières années, le niveau des prix (excluant l’alimentaire et l’énergie) s’est accru à peu près au rythme avec celui d’un pur régime de ciblage du niveau des prix, si bien que le taux d’inflation annuel moyen a été de 1,86 % (voir le graphique). Au même instant, sur des intervalles de temps plus courts, les écarts ont eu tendance à persister. Dans les premières années, l’inflation a typiquement dépassé la cible. Par conséquent, au deuxième trimestre 1995, le niveau des prix a dépassé la trajectoire à long terme de 4,6 %. Plus récemment, le schéma s’est inversé. Au deuxième trimestre 2020, le niveau des prix était inférieur de 3,5 % par rapport à sa trajectoire à long terme.

GRAPHIQUE Indice des prix des dépenses de consommation aux Etats-Unis (excluant l’alimentaire et l’énergie)

Cecchetti_Schoenholtz__ciblage_d__inflation_moyenne_aux_Etats-Unis.png

Cela implique que l’adoption d’un régime de ciblage d’inflation moyenne aurait été une mesure modérée, plutôt que radicale (cf. Reifschneider et Wilcox). Pour le voir, nous pouvons faire une simple simulation. Commençons par supposer (comme dans la simulation ci-dessus) que la banque centrale cible l’inflation moyenne sur cinq ans, en observant les trois années précédentes et en cherchant à restaurer le niveau le niveau des prix sur sa trajectoire de 2 % au cours des deux années suivantes. Au vu des limites quant à l’efficacité de la politique monétaire, nous soupçonnons que la période de restauration actuelle aurait été plus longue, donc cette hypothèse se traduit par une réponse plus agressive aux chocs et ajoute de la volatilité dans la cible d’inflation annuelle de la Fed. (D’un autre côté, si la période de restauration s’allonge, il devient plus difficile pour le comité de politique monétaire de faire un engagement crédible pour atteindre la cible d’inflation.)

Dans le graphique ci-dessous, prenant dans la fenêtre de moyennisation les trois années précédentes, nous indiquons la cible d’inflation annuelle impliquée pour une période de restauration de deux ans. (Notez qu’il s’agit d’une hypothèse statique : nous ne prenons pas en compte le fait que le processus d’inflation aurait changé si la Fed avait effectivement adoptée ce ciblage de l’inflation moyenne.) Sous ces hypothèses, la cible impliquée depuis 2011 aurait été comprise entre 2,2 % et 3,04 %, avec une moyenne de 2,65 %. Avec une fenêtre de moyennisation historique sur trois ans et une période de restauration de deux ans, la cible d’inflation de la Fed aurait été 0,65 point de pourcentage plus élevée pour la décennie passée. Si ce comportement de la banque centrale était crédible et anticipée, cela aurait réduit le taux d’intérêt de court terme réel moyen de 65 points de base, ce qui serait une stimulation bienvenue (quoique modérée) lorsque les taux d’intérêt nominaux étaient à la borne inférieure zéro. (Nous notons qu’un passage du prix excluant l’alimentaire et l’énergie à une mesure globale accroît la volatilité de la cible d’inflation visée sur les deux années suivantes, en élargissant sa gamme sur l’échantillon de 30 ans d’environ un point de pourcentage.)

GRAPHIQUE Hypothétique cible d’inflation moyenne focalisée sur les trois années précédentes et les deux années suivantes

Cecchetti_Schoenholtz__ciblage_d__inflation_moyenne_impliquee.png

Ce sont sûrement de bonnes nouvelles, mais il y a un risque avec un tel cadre. Celui-ci apparaît sur le graphique. Dans les quatre premières années des années 1990 (incluant la récession de 1990-1991), un régime de ciblage d’inflation moyen sur cinq ans qui inclut une période de restauration de deux ans se serait probablement traduite par une politique substantiellement plus restrictive que celle observée. En effet, la banque centrale aurait ciblé une déflation comprise entre -1,21 % et -0,17% !

Il faut noter que le ciblage d’inflation moyenne (comme le ciblage du niveau des prix) peut se traduire par des épisodes au cours desquels la banque centrale veut réduire le niveau des prix, pas simplement l’inflation. Cela peut expliquer pourquoi aucune banque centrale n’a explicitement adopté un tel cadre, du moins jusqu’à présent. Nous notons aussi qu’il est d’autant plus probable qu’une banque centrale cible la déflation que l’on élargit la fenêtre de moyennisation et réduit la période de restauration. Pour compenser cela, la banque centrale peut rendre flexibles ces deux périodes, mais cela diminuerait probablement la crédibilité de l’engagement de la banque centrale et son impact sur les anticipations d’inflation. Une alternative, proposée par Ben Bernanke, est de suivre une stratégie asymétrique : cibler l’inflation lors des expansions et ne cibler le niveau des prix que lors des récessions. Même si cela fait sens, nous pensons qu’il serait difficile de communiquer une telle approche de façon à stimuler les anticipations d’inflation au bon moment, lorsqu’une récession commence. (…) »

Stephen Cecchetti & Kermit Schoenholtz, « Average inflation targeting », in Money & Banking (blog), 24 août 2020. Traduit par Martin Anota

mardi 18 avril 2017

Comment la Fed doit-elle réagir à la borne inférieure zéro ?


« (…) En utilisant des modèles économétriques pour simuler la performance de l’économie américaine, Michael Kiley et John Roberts ont constaté que, sous certaines hypothèses, les taux d’intérêt de court terme pourraient être à l’avenir à zéro entre 30 % et 40 % du temps, ce qui réduirait la marge dont dispose la Fed pour assouplir sa politique monétaire lorsque cela est nécessaire. Par conséquent, leurs simulations prédisent que la future performance économique sera en moyenne molle, avec une inflation bien inférieure à la cible de 2 % que suit la Fed et avec une production inférieure à son potentiel. (…) La Fed doit maintenant expliquer comment elle fera face aux prochains épisodes où ses taux seront contraints par leur borne zéro. Dans ce billet, je vais discuter des avantages et inconvénients d’une proposition majeure, qui consisterait pour la Fed à relever sa cible d’inflation officielle. Les arguments en faveur de cette proposition sont, au mieux, nuancés. En me basant sur les analyses de Kiley et Roberts, je vais ensuite considérer certaines alternatives que je crois plus prometteuses.

Les arguments en faveur du relèvement de la cible d’inflation

Le risque de buter sur la borne inférieure zéro dépend surtout du niveau « normal » des taux d’intérêt, c’est-à-dire du niveau des taux que l’on s’attend à voir prévaloir lorsque l’économie opère au plein emploi avec une stabilité des prix et une politique monétaire neutre. Qu’est-ce qui détermine le taux normal ? En général, un taux d’intérêt peut être exprimé comme la somme du taux réel (ou ajusté à l’inflation) et du taux d’inflation attendu. Les estimations actuelles du taux d’intérêt réel susceptible de prévaloir durant les temps normaux tournent autour de 1 %, bien en-dessous des estimations du passé récent. Avec l’engagement de la Fed à maintenir l’inflation proche de 2 % à plus long terme, un taux réel de 1 % implique que le niveau moyen des taux d’intérêt (nominaux) devrait être à l’avenir autour de 3 %. Comme Kiley et Roberts le montrent via leurs simulations, ce faible niveau accroît grandement le risque que, toute chose égale par ailleurs, la politique monétaire se retrouve contrainte par la borne inférieure zéro. Cela signifie que dans un monde de taux durablement faibles nous pouvons fréquemment nous retrouver dans des situations où la Fed aimerait réduire son taux directeur, mais où elle est incapable de le faire. Cela ne manquera pas de peser sur la performance économique.

Une solution potentielle à ce problème que des économistes d’envergure comme Olivier Blanchard ont proposée consisterait pour la Fed à relever sa cible d’inflation. Supposons par exemple que la Fed fixe sa cible d’inflation à 3 % et que le taux d’intérêt réel normal reste à 1 %. Si les marchés sont confiants quant à la capacité de la Fed à atteindre constamment la cible, alors le niveau normal des taux d’intérêt devrait aussi augmenter. Dans cet exemple, il passerait de 3 % à 4 %, ce qui permettrait d’accroître la marge dont dispose la banque centrale pour réduire son taux d’intérêt en périodes de récession ou de faible inflation.

Le soutien en faveur d’un relèvement de la cible semble s’accroître avec les craintes à propos de la borne inférieure zéro. Dans un récent billet (…), Stephen Cecchetti et Kermit Schoenholtz citent quatre arguments en faveur d’un tel relèvement : i) le déclin persistant des taux d’intérêt normaux ; ii) des constats (comme ceux de Kiley et Roberts) selon lesquels la fréquence et la sévérité des futurs épisodes de borne inférieure zéro pourraient être pires que ce que l’on pensait précédemment, en dépit du faible niveau des taux d’intérêt normaux ; iii) certaines preuves empiriques, tirées d’une étude portant sur les années 1970, suggérant que les coûts d’une plus forte inflation peuvent être moindres que ce que l’on pensait précédemment ; et iv) des calculs qui suggèrent que les mesures d’inflation standards pourraient surévaluer bien plus qu’on ne le pensait la hausse du coût de la vie.

Je vais ajouter un autre avantage important à cette approche : un relèvement de la cible d’inflation de la Fed est une mesure relativement simple à mettre en œuvre et facile à communiquer au public. En particulier, le cadre de politique de la Fed, qui est déjà construit autour du ciblage du taux d’inflation, n’aurait pas à changer.

Quelques arguments contre le relèvement de la cible d’inflation

Il y a cependant certains raisons amenant à penser qu’un relèvement de la cible d’inflation de la Fed puisse ne pas être une aussi bonne idée que ça. Premièrement, beaucoup des récents propos qui ont été tenus à propos le choix optimal d’une cible d’inflation semblent anhistoriques, dans le sens où ils discutent de ce que serait la cible d’inflation idéale 1) si nous partions de rien et 2) si nous étions certains que les conditions présentes persisteraient indéfiniment. Bien sûr, nous ne partons pas d’une table rase : Il a fallu des années de démonstrations de réussites pour que la Fed et les autres banques centrales parviennent à fermement ancrer les anticipations d’inflation du public aux niveaux actuels, ce qui contribua à stabiliser l’inflation et à améliorer les résultats de politique économique. Il peut être difficile et coûteux d’ancrer les anticipations d’inflation (et donc les taux d’intérêt normaux) à un niveau plus élevé, en particulier lorsque, en entreprenant cela, la Fed montre qu’elle désire déplacer la cible pour ce qui apparaît comme étant des raisons tactiques.

Il est probable que les déterminants de la cible d’inflation, tels que le taux d’intérêt réel qui prévaut, les coûts de l’inflation et la nature du mécanisme de transmission de la politique monétaire, changent à l’avenir. Si la Fed relevait sa cible d’inflation aujourd’hui en se basant principalement sur le faible niveau des taux d’intérêt réels, changerait-elle plus tard à nouveau la cible en réponse à de nouveaux changements des fondamentaux ? Il serait important de le clarifier lorsque le premier changement sera entrepris. Dans un monde changeant, caractérisé par une crédibilité imparfaite et une information incomplète, les anticipations d’inflation du secteur privé ne sont pas faciles à gérer. En particulier, le calcul coûts-bénéfices d’un changement de cible doit incorporer les coûts de transition, notamment le risque de générer de l’instabilité sur les marchés et une incertitude économique.

Deuxièmement, bien que qu’il s’avère difficile et controversé de quantifier les coûts économiques de l’inflation, nous savons que l’inflation est très impopulaire parmi la population. Cela peut être dû à des raisons que les économistes jugent peu convaincantes : par exemple, les gens peuvent croire que les hausses de salaire qu’ils reçoivent sont pleinement acquises (c’est-à-dire, qu’elles ne sont pas dues en partie à l’inflation), tout en blâmant l’inflation pour l’érosion du pouvoir d’achat de ces salaires. Ou peut-être que le public perçoit des coûts d’inflation (la plus grande difficulté à calculer et à planifier lorsque l’inflation est élevée, par exemple) que les économistes ont des difficultés à quantifier. Si l’antipathie du public envers l’inflation se justifie dans un sens ou un autre, le relèvement de la cible d’inflation (ou le soutien de l’inflation) serait difficile à mettre en œuvre, ce qui réduirait la crédibilité d’une telle annonce par la Fed. Si le relèvement de la cible n’est pas crédible, les taux d’intérêt normaux ne vont pas s’accroître, si bien que l’objectif même de ce relèvement ne sera pas atteint. D’une perspective politique, il semble que, pour le leadership de la Fed, le relèvement de la cible d’inflation soit dominé par une stratégie consistant à faire preuve d’un plus fort activisme à la borne inférieure, ce qui constitue l’approche que la plupart des économiques considèrent être la plus efficace.

Troisièmement, les analyses théoriques suggèrent qu’un relèvement de la cible d’inflation ne soit dans aucun cas la réponse optimale aux inquiétudes relatives à la borne inférieure. Comme on le comprend désormais bien, la réponse préférée sur le plan théorique (voir ici et pour les formulations classiques) consiste pour la Fed à promettre à l’avance de suive une politique de compensation (make-up) : en l’occurrence, si la présence de la borne inférieure fait que la politique est plus restrictive qu’elle ne l’aurait sinon été, la Fed doit compenser cela en gardant les taux d’intérêt plus faibles plus longtemps après que la borne inférieure ait cessé d’être contraignante, la durée de la période de compensation étant d’autant plus longue que l’épisode de borne inférieure aura été sévère. Si (…) les participants au marché et le public comprennent cette promesse et la jugent crédible, alors l’anticipation d’un assouplissement monétaire dans le futur devrait amortir le déclin de la production et de l’inflation au cours de la période où la borne inférieure est contraignante.

De cette perspective, relever la cible d’inflation est une politique inefficace à deux égards. Premièrement, comme Michael Woodford l’a souligné, cela force la société à supporter les coûts d’une plus forte inflation en tout temps, tandis que sous la politique optimale l’inflation s’accroît seulement temporairement suite aux épisodes de borne inférieure. Deuxièmement, une hausse unique de la cible d’inflation ne calibre pas de façon optimale la vigueur de la réponse de la politique lors d’un épisode de borne inférieure donné à la durée ou à la sévérité de cet épisode. Les simulations de Kiley et Roberts confirment qu’un relèvement de la cible d’inflation permet à la Fed de répondre plus efficacement aux récessions qu’il n’est possible de le faire sous leur scénario de base avec les politiques d’avant-crise. Mais ils constatent aussi que relever la cible d’inflation n’améliore pas autant la performance que certaines stratégies alternatives (voir ci-dessous), et ce même si l’on ignore les coûts d’une hausse permanente de l’inflation associée à une cible plus élevée.

Y a-t-il de meilleures réponses à la borne inférieure qu’un relèvement de la cible d’inflation ?

Si la Fed juge le relèvement de la cible d’inflation comme étant peu efficace, que peut-elle faire d’autre pour réduire la fréquence et la sévérité des futurs épisodes de borne inférieure zéro ? Une possibilité (…) consisterait simplement à reprendre et améliorer les approches utilisées entre 2008 et 2015. Les stratégies que la Fed a utilisées pour répondre à la borne inférieure zéro inclurent initialement une réduction agressive des taux d’intérêt, l’assouplissement quantitatif, le guidage des anticipations (forward guidance) à propos des futures trajectoires de taux d’intérêt et une stratégie de « gestion du risque » qui se traduit par une remontée très prudente de zéro lorsque le temps de la normalisation arrive. Comme je l’ai précédemment noté, beaucoup de responsables au sein de la Fed et d’économistes ont aussi appelé à un usage plus actif de la politique budgétaire lors des forts ralentissements de l’activité. Cette approche plus incrémentale a l’avantage de ne pas requérir de brutaux changements du cadre actuel de la politique de la Fed et certaines études suggèrent que cela peut marcher, du moins avec les ralentissements modérés, même sans soutien de la part de la politique budgétaire. Cependant, il n’est pas clair que cette approche plus conservatrice suffise pour faire face à une très brutale récession qui pousserait les taux à leur borne inférieure pendant une période prolongée.

Si la Fed veut aller plus loin, elle pourrait considérer l’idée de changer ce qu’elle cible, c’est-à-dire d’abandonner le ciblage d’inflation pour cibler une autre variable économique. Plusieurs cibles alternatives ont été proposées et chacune d’entre elles a aussi bien des avantages que des inconvénients. Une possibilité est le ciblage du niveau des prix. En ciblant un niveau des prix, la Fed s’engagerait à compenser les ratés qu’elle a essuyés en recherchant son niveau d’inflation désiré. Par exemple, si l’inflation chute sous 2 % pendant un temps, la Fed compenserait cela en cherchant une inflation supérieure à 2 % jusqu’à ce que l’inflation moyenne soit retournée à 2 %. L’adoption du ciblage du niveau des prix serait préférable au relèvement de la cible d’inflation, comme le ciblage du niveau des prix est à la fois plus cohérent avec le mandat de stabilité des prix de la Fed et comme il se rapproche d’une politique monétaire de compensation optimale. (Suite à un épisode de borne inférieure zéro, une banque centrale ciblant le niveau des prix serait engagée à compenser toute chute de l’inflation.)

Le ciblage du niveau des prix a également des inconvénients. Par exemple, si une hausse des prix du pétrole ou un autre choc d’offre accroît temporairement l’inflation, une banque centrale qui chercherait à cibler le niveau des prix serait forcée à resserrer sa politique monétaire pour pousser à la baisse les taux d’inflation subséquents, même si l’économie est en pleine récession. A l’inverse, une banque centrale qui ciblerait l’inflation peut « regarder au-delà » d’une hausse temporaire de l’inflation, laissant le passé de l’inflation au passé.

Une autre alternative serait d’essayer de mettre en œuvre une stratégie de compensation optimale, consistant pour la Fed à s’engager à compenser les effets de la borne inférieure zéro en maintenant les taux à un faible niveau pendant un certain temps après que la borne inférieure ait cessé d’être contraignante, la durée de cette période de compensation dépendant explicitement de la sévérité de l’épisode de borne inférieure. Kiley et Roberts considèrent diverses politiques de ce type et montrent dans leurs simulations qu’elles réduisent la fréquence des épisodes de borne inférieure zéro et éliminent largement leurs coûts, tout en maintenant l’inflation moyenne proche de 2 %. Il faut toutefois que la banque centrale communique clairement cette approche et s’assure à ce qu’elle soit crédible, puisque la politique ne marchera pas si les participants au marché et le public ne croient pas que la banque centrale respectera sa promesse de garder les taux à un faible niveau. Cependant, la récente expérience de la Fed avec le forward guidance suggère que de tels engagements par les banques centrales peuvent être efficaces. Ils seraient probablement plus efficaces si les principes de cette approche étaient exposés et expliqués en temps normal, lorsque la borne zéro n’est pas contraignante.

Comme le ciblage du niveau des prix et les politiques de compensation sont intimement liées, elles peuvent être combinées de diverses façons. Par exemple, en promettant de ramener le niveau des prix à sa trajectoire tendancielle après une période à la borne inférieure zéro, la Fed peut utiliser le langage du ciblage du niveau des prix pour préciser son engagement à compenser son incapacité à agir adéquatement lorsque les taux étaient à zéro. (…) »

Ben Bernanke, « The zero lower bound on interest rates: How should the Fed respond? », 13 avril 2017. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Et si les banques centrales ciblaient une inflation de 4 % ? »

« Quelle est la cible d’inflation optimale ? »

« La stratégie de forward guidance »

« Quelle est l’efficacité du forward guidance à la borne inférieure zéro ? »

« Quels sont les effets macroéconomiques des mesures non conventionnelles de la Fed ? »