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Tag - déséquilibres globaux

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jeudi 29 novembre 2018

Où en est le rééquilibrage mondial ?

« Avant la crise financière mondiale, l’économie mondiale connaissait une période d’accroissement des déséquilibres mondiaux où un groupe de pays voyaient son excédent s’accroître rapidement tandis que, en parallèle, un groupe de pays voyait son déficit se creuser. Ces dynamiques étaient en partie liées à l’hypothèse de l’"excès d’épargne" (saving glut) mise en avant par Ben Bernanke pour expliquer le déclin des taux d’intérêt réels mondiaux de long terme. C’était aussi le cas de certains des pays déficitaires (en particulier dans la périphérie de la zone euro) qui se retrouvèrent dans une profonde crise après 2008.

Ce billet fait le point en prenant en compte ces dix dernières années. Aujourd’hui, le monde présente de plus faibles déséquilibres qu’au pic de 2008, mais ce qui est plus intéressant est l’ampleur à laquelle le rééquilibrage s’est opéré entre différents groupes de pays.

Commençons par prendre un point de vue mondial. Le graphique ci-dessous montre les soldes des comptes courants en pourcentage du PIB mondial pour certaines régions ou groupes de pays. Les données remontent à 1980, bien que certaines données soient manquantes pour des pays avant 1995 (…).

Au cours de la période allant de 1998 à 2008, en l’occurrence durant la période des déséquilibres mondiaux, nous avons vu un accroissement des excédents des pays producteurs de pétrole, de la Chine, des pays développés d’Asie (notamment le Japon, la Corée du sud, Singapour et Taïwan) et du reste du monde (la plupart de ces pays-là étant des pays émergents). La zone euro est restée assez équilibrée (je reviendrai dessus après) et le seul pays déficitaire sur ce graphique est les Etats-Unis. Certains pays de la zone euro avaient un déficit, tout comme certains pays du reste du monde.

GRAPHIQUE 1 Soldes de comptes courants (en % du PIB mondial)

Antonio_Fatas__desequilibres_courants_mondiaux.png

Depuis 2008, nous avons observé plusieurs évolutions :

  • La Chine va rapidement vers un solde courant équilibré (les prévisions du FMI suggèrent que le compte courant de la Chine sera équilibré d’ici ces deux prochaines années).

  • Les producteurs de pétrole sont allés vers un compte courant équilibré avec de petits déficits en 2015-2016 en conséquence de la baisse du prix du pétrole.

  • La zone euro a généré un excédent de plus en plus massif, le plus large parmi les régions en excédent.

  • Les pays développés d’Asie ont maintenu ou accru leur excédent relativement aux années précédentes.

  • Les Etats-Unis continuent d’être le pays qui absorbe l’essentiel des excédents. Le déficit américain est plus petit qu’en 2008 mais il ne faut pas oublier qu’il est mesuré relativement au PIB mondial et non relativement au PIB américain (relativement à ce dernier, le déclin serait moins prononcé).

  • Alors qu’en 2008, plusieurs pays émergents étaient des épargnants nets, en 2018 tous les pays en excédent sont des pays développés (d’Europe ou d’Asie). (…)



GRAPHIQUE 2 Soldes courants des pays développés d’Asie (en % du PIB mondial)

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Penchons-nous sur les sources les plus larges des excédents aujourd’hui. Que s’est passé parmi les pays développés en Asie ? Le graphique ci-dessus montre que le Japon dominait dans ce groupe au cours des premières années. Mais avec la hausse des excédents en Corée du Sud, Taïwan et Singapour au cours des dernières années, ces trois pays ont désormais ensemble un excédent plus large que le Japon. Mesurée relativement au PIB mondial, la taille globale est la même qu’avant. Si nous l’avions observée relativement à leur propre PIB, nous aurions constaté une hausse des excédents.

GRAPHIQUE 3 Soldes courants dans la zone euro (en % du PIB mondial)

Antonio_Fatas__desequilibres_courants_zone_euro.png

Et finalement la zone euro. Je divise la zone euro en trois groupes : l’Allemagne, les pays déficitaires de la zone euro et les pays excédentaires de la zone euro. Les pays sont considérés selon l’orientation de leur solde courant durant la période allant de 2000 à 2008. (…) Dans la décennie des années deux mille, nous observons une forte hausse des excédents en Allemagne, tandis que le groupe des pays déficitaires accrurent massivement leurs déficits. Après 2008, nous observons un rapide rééquilibrage des pays déficitaires vers un excédent, tandis que l’Allemagne maintient (relativement au pourcentage du PIB mondial) ou augmente (relativement à son propre PIB) son excédent courant. »

Antonio Fatás, « Global rebalancing », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 27 novembre 2018. Traduit par Martin Anota

mercredi 26 avril 2017

L’excédent combiné de l’Asie et de l’Europe est resté élevé en 2016

« Il y a longtemps, j’ai avoué que j’aimais lire les Perspectives de l’économie mondiale du FMI du début à la fin. Bon, il est vrai que j’ai sauté quelques chapitres. Mais je prête une attention particulière aux tables de données du FMI (la base de données électronique des Perspectives de l’économie mondiale est aussi très bien faite, même si elle manque malheureusement de données relatives à la balance des paiements).

GRAPHIQUE 1 Solde du compte courant des pays excédentaires d’Asie et d’Europe (en milliards de dollars)

Brad_Setser__Solde_courant_des_pays_excedentaires_d_Asie_et_d_Europe.png

Et les tables de données montrent que l’excédent de compte courant combiné de l’Europe et des pans manufacturés de l’Asie (un excédent qui reflète l’excédent d’épargne de l’Asie et la faiblesse relative de l’investissement de l’Europe) est resté assez élevé en 2016. L’excédent de la Chine a un peu baissé en 2016, mais cela n’a pas réellement réduit l’excédent total des principaux exportateurs asiatiques de biens manufacturiers.

GRAPHIQUE 2 Soldes de compte courant de la Chine, du Japon et des nouveaux pays industrialisés d'Asie (en milliards de dollars)

Brad_Setser__Soldes_courants_Chine_Japon_nouveaux_pays_industrialises.png

L’essentiel de la chute de l’excédent chinois a été compensé par une hausse de l’excédent japonais. Les tableaux de données des Perspectives de l’économie mondiale suggèrent que les exportations nettes représentaient environ la moitié de la croissance de 1 % du Japon ; la croissance japonaise ne repose toujours pas sur une expansion de la demande interne. Et l’excédent combiné de la Corée du Sud, de Taïwan, de Singapour et de Hong Kong reste bien plus ample qu’avant la crise financière mondiale de 2008. Les nouveaux pays industrialisés d’Asie (la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour) génèrent maintenant collectivement un excédent plus large que la Chine. Par conséquent, en termes de dollars (et aussi relativement au PIB des partenaires à l’échange asiatiques), l’excédent combiné de l’Asie « manufacturière » n’a pas beaucoup baissé au cours des dix dernières années.

La taille de l’excédent combiné de l’Europe et de l’Asie manufacturière signifie nécessairement que d’autres pans majeurs du monde connaissent de larges déficits dans les biens manufacturés. (…) Les gros exportateurs de pétrole et de gaz vont fondamentalement échanger du pétrole contre des biens étrangers (et des vacances) et des parties de l’Asie et de l’Europe vont également avoir à échanger des biens manufacturés contre de l’énergie. Mais les gros pays exportateurs de biens manufacturés d’Asie et d’Europe ne peuvent pas maintenir des excédents aussi massifs en l’absence d’un déficit commercial américain ; ce dernier est aujourd’hui aussi large qu’en 2005 et en 2006. Il y a tellement de manières par lesquelles la balance des paiements courants mondiale peut s’équilibrer.

Tandis que l’excédent de parties clés de l’économie mondiale n’a pas beaucoup changé, la nature des afflux financiers qui canalisent l’excédent de compte courant d’Europe et d’Asie (leurs excédents d’épargne) au reste du monde a certainement changé. Mis à part quelques pays (la Suisse et peut-être Singapour), les gouvernements ne canalisent pas directement les fonds à l’étranger via l’accumulation de réserves et d’actifs par leurs fonds souverains.

(…) La croissance des avoirs officiels a été corrélée avec la forte accumulation de leur excédent combiné avant la crise (pour aller plus loin, voir le document de travail de Joe Gagnon de 2013 et le livre qu’il devrait prochainement publier avec Fred Bergsten) et les pays qui ont historiquement contribué à l’essentiel de l’accumulation de réserves réduisent maintenant leur stock d’actifs.

De manière générale, au cours des dix dernières années, l’excédent d’Asie n’a pas beaucoup changé tandis que l’Europe a remplacé les exportateurs de pétrole comme deuxième grande source derrière les déséquilibres de paiements mondiaux. Et les sorties de capitaux privés plutôt sont devenues la principale contrepartie financière aux amples excédents de compte courant dans le monde à la place des sorties de capitaux officiels. Cela se révèle important pour la composition des afflux de capitaux vers les Etats-Unis : le monde achète moins de bons du Trésor et plus d’obligations d’entreprises américaines ; bien que l’Asie semble aussi avoir repris confiance envers Freddie et Fannie.

Les assureurs taïwanais, les fonds de pension coréens et les banques japonaises ont plus de tolérance vis-à-vis du risque que les traditionnels gestionnaires de réserves des banques centrales. C’est également vrai pour les assureurs allemands, les fonds de pension danois et les gestionnaires de réserves de Suisse, qui ont plus de liberté que la plupart de leurs contreparties pour acheter des actions et des obligations d’entreprises en plus des actifs de réserves traditionnels. De tels changements dans la composition des afflux vers les Etats-Unis peuvent contribuer à expliquer pourquoi le FMI constate que, relativement aux fondamentaux, les spreads des entreprises américains semblent un peu serrés.

Un dernier point : Le Trésor américain soupçonne que cette chute de la croissance des réserves est en grande partie une fonction de la force du dollar et il a exprimé ses inquiétudes à l’idée que cela puisse ne pas être durable dans son plus récent rapport sur les changes étrangers.

Je suis généralement d’accord : les banques centrales du monde sont historiquement bien plus intervenues quand le dollar était faible que lorsque le dollar était fort. Les pays qui connaissent les plus amples excédents doivent utiliser les bilans de leurs administrations publiques quand le marché ne veut pas financer le déficit externe américain. Mais je soupçonne aussi que les plus grands pays excédentaires au monde sont désormais un peu plus compétents que dans le passé pour dissimuler leurs interventions ; les fonds souverains peuvent garder leurs actifs étrangers hors des comptes de la banque centrale, les fonds de pension publics font souvent le gros du travail et, dans le cas de la Chine, la croissance des prêts étrangers des banques publiques chinoises est susceptible d’avoir réduit structurellement le rythme de la croissance des réserves en période favorable. Quand l’intervention revient, cela peut ne pas être principalement via l’usage de bilans de banques centrales. »

Brad Setser, « The combined surplus of Asia and Europe stayed big in 2016 », in Follow the Money (blog), 20 avril 2017. Traduit par Martin Anota



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« La fin des déséquilibres globaux ? »

« Pourquoi les déséquilibres globaux se sont-ils résorbés ? »

« Les déséquilibres globaux sont-ils à un tournant ? »

« Adopter le modèle allemand ou sauver l’euro »

vendredi 4 novembre 2016

L’Asie génère toujours un excès d’épargne

« En 2005, lorsque Ben Bernanke mit en garde pour la première fois contre le risque d’un excès mondial d’épargne (global savings glut), le taux d’épargne combiné des principales économies en excédent d’Asie (en l’occurrence, de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud, de Taïwan, de Hong Kong et de Singapour) était égal à environ 35 % de leur PIB collectif. A combien s’élève ce chiffre désormais ? Environ 40 %.

GRAPHIQUE Taux d’épargne des trois régions majeures du monde (en % du PIB régional)

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Cela fait évidemment beaucoup d’épargne, de l’épargne qui doit soit financer un niveau très élevé d’investissement dans l’économie domestique, soit être exporté au reste du monde. Et avec les faibles taux d’intérêt que l’on observe autour du monde, l’économie mondiale n’a pas vraiment besoin d’importer de l’épargne d’Asie en ce moment.

Le niveau élevé d’épargne de l’Asie de l’Est est précisément l’objet de mon nouveau document de travail.

On parle beaucoup de la récente baisse du taux d’épargne national de la Chine. Ce dernier avait atteint un pic à environ 50 % du PIB ; en 2015, il a chuté à 48 %. Une chute, certes, mais relativement modeste. N’oubliez pas qu’une forte épargne a pour revers un faible niveau de consommation ; sans niveaux élevés d’investissement, la croissance de la demande domestique peut facilement s’essouffler. Dans les données agrégées des pays asiatiques en excédent, l’accroissement de la part de la Chine dans la production régionale fait plus que compenser la chute (modeste) du taux d’épargne chinois. Le taux d’épargne national en Corée du Sud et à Taïwan se sont aussi accrus au cours des cinq dernières années. Nous avons donc un niveau record d’épargne au niveau régional. En dollars, l’accroissement de l’épargne est encore plus spectaculaire. Les économies excédentaires d’Asie ont épargné environ 2.800 milliards de dollars en 2005. Ils épargnent à présent environ 7.000 milliards de dollars. L’épargne chinoise est passée de 1.000 milliards de dollars à 5.000 milliards de dollars.

GRAPHIQUE Epargne des économies est-asiatiques en excédent (en milliards de dollars)

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Les chiffres en dollars importent tout particulièrement. Ils montrent l’ampleur de l’offre de matières premières pour les larges excédents (700 milliards en 2015) de l’Asie de l’Est. Et, avec l’excédent européen, cela contribue à générer un excès mondial d’épargne qui déprime les taux d’intérêt réels tout autour du monde. Trop d’épargne, pour trop peu de bons investissements.

GRAPHIQUE Solde du compte courant agrégé des économies est-asiatiques et européennes en excédent

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Il est vrai qu’en pourcentage du PIB des économies excédentaires d’Asie, l’excédent externe de l’Asie est plus faible qu’il ne l’était à la veille de la crise mondiale. 4 % du PIB régional aujourd’hui, contre 7 % lors du pic. Après la crise, la Chine a adopté un ensemble de politiques qui contraignit une plus grande part de son épargne à être utilisée au sein de son économie, ce qui compensa en partie les excédents qui se sont accrus en Corée du Sud et à Taïwan.

GRAPHIQUE Epargne, investissement et excédent courant des économies en excédent de l’Asie de l’Est (en % du PIB régional)

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Il est aussi vrai que l’économie mondiale n’a pas connu une aussi forte croissance que les économies asiatiques en excédent (la croissance rapide de la Chine après la crise a plus que compensé la faible croissance du Japon). Par conséquent, l’excédent externe agrégé de l’Asie de l’Est n’était seulement qu’un peu plus faible en 2015, relativement au PIB de ses partenaires à l’échange, qu’il ne l’était avant la crise mondiale. Je suis convaincu que c’est un chiffre important pour l’économie mondiale. Le reste du monde a du mal à générer une forte croissance de sa demande aujourd’hui ; avoir à la partager avec l’Asie de l’Est n’aide pas vraiment.

GRAPHIQUE Solde du compte courant des économies est-asiatiques et européennes en excédent (en % du PIB agrégé de leurs partenaires à l’échange)

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L’excédent des principales économies asiatiques en excédent devrait un peu baisser en 2016. L’excédent du compte courant de la Chine devrait baisser un peu. Il y a une part de vérité dans cela (la demande d’importations a augmenté, grâce à la dernière relance basée sur le crédit de la Chine). Et une part qui se révélera inexacte. Je doute que toute la hausse des importations de tourisme soit réelle (si les importations de tourisme dissimule des sorties de capitaux, l’excédent sous-jacent de la Chine doit être révisé à la hausse. L’excédent commercial de la Chine est resté autour de 600 milliards de dollars.

Sans l’adoption de certaines mesures de politique économique, il y a aussi un risque que les exportations d’épargne de l’Asie (par exemple son excédent de compte courant) puissent augmenter davantage au cours du temps. Pourquoi ? Le niveau élevé d’épargne et le fait que l’ajustement que l’on a pu voir après la crise soit passé par une hausse de l’investissement et non par une chute du niveau d’épargne sous-jacent.

Le compte courant de l’Asie est resté en excédent même avec les larges déficits budgétaires qui ont réduit l’épargne nationale du Japon et avec des niveaux exceptionnellement élevés d’investissement en Chine. Les déficits budgétaires se traduisent généralement par une désépargne du gouvernement dans un cadre de comptabilité nationale ; de hauts niveaux d’investissement domestique poussent l’épargne domestique à être utilisée dans l’économie domestique et donc réduisent les excédents externes. Sans une réduction du niveau d’épargne nationale sous-jacent, une baisse de l’investissement en Chine et une baisse des déficits budgétaires au Japon peuvent se traduire par un plus ample excédent du compte courant asiatique et par de nouveaux risques mondiaux. La constellation de risques ne sera pas la même que celle d’avant-crise, mais de larges excédents externes peuvent exporter la stagnation séculaire d’un pays à l’autre et accroître le risque de trappes à liquidité contagieuses.

La solution ? On ne peut plus continuer à s’appuyer sur le crédit pour soutenir de hauts niveaux d’investissement en Chine. Il existe un ensemble de politiques susceptibles de ramener le niveau d’épargne nationale dans plusieurs économies est-asiatiques à des niveaux plus adéquats avec un niveau d’investissement soutenable. En l’occurrence, une plus grande prise en charge par l’Etat des dépenses de santé et des retraites en Chine, en Corée du Sud et à Taïwan, financé via des impôts sur le revenu progressifs plutôt que par de plus fortes contributions sociales. Et des politiques budgétaires raisonnables (c’est-à-dire prudemment expansionnistes) dans plusieurs pays excédentaires d’Asie. »

Brad Setser, « Asia’s persistent savings glut », in Follow The Money (blog), 25 octobre 2016. Traduit par Martin Anota



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« La fin des déséquilibres globaux ? »

« Pourquoi les déséquilibres globaux se sont-ils résorbés ? »

« L'ajustement des déséquilibres globaux depuis la crise mondiale »

« Les déséquilibres globaux sont-ils à un tournant ? »

dimanche 11 septembre 2016

Les déséquilibres globaux sont de retour

« S’inspirant notamment de la récente étude réalisée par Caballero, Farhi et Gourinchas, la revue The Economist a souligné deux points clés dans son article critiquant l’excédent allemand :

a) Les déséquilibres mondiaux ont de nouveau émergé au cours des dernières années (bien que cela soit plus évident en faisant la somme des excédents des pays excédentaires qu’en faisant la somme des déficits des pays déficitaires) : "… Une ère soutenue de croissance équilibrée n’a pas réussi à se mettre en place (après la crise financière mondiale). En effet, les excédents en Chine et au Japon ont rebondi. Au cours des dernières années, l’Europe a suivi, en passant de l’emprunt à l’épargne."

b) Ces déséquilibres sont l’une des raisons expliquant pourquoi les taux d’intérêt sont faibles à travers le monde : "Une fois que quelques économies se retrouvent piégées dans leur trappe à taux zéro, leurs excédents de compte courant exercent une pression qui menace d’emporter tous les autres."

Il faut déjà préciser quelques petites choses. L’essor de l’excédent asiatique ne s’est pas amorcé juste immédiatement après la crise. Il y a en outre eu une forte hausse de l’excédent asiatique entre 2013 et 2015.

En effet, en 2015, l’excédent combiné de l’Asie de l’est excède significativement celui de l’Europe, ce qui contribue aux difficultés du monde à générer suffisamment de croissance de la demande globale, même avec des taux ultra-faibles. (Pour l’Asie de l’Est, j’ai fait la somme des excédents de la Chine, du Japon et des nouvelles économies industrialisées comme la Corée du sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour. J’ai ajouté les excédents de la Suède, du Danemark et de la Suisse à l’excédent de la zone euro pour établir une bonne comparaison. J’ai laissé de côté la Norvège, parce que ses excédents tiennent au prix du pétrole.)

GRAPHIQUE Soldes du compte courant de l’Europe et de l’Asie de l’est (en milliards de dollars)

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Oui, cela s’explique en partie par le pétrole. Mais les pays exportateurs de pétrole au niveau agrégé ne génèrent pas de larges déficits externes financés par leurs clients à forte épargne (la Russie est en excédent ; les Emirats arables unis sont davantage une exception que la règle). Le FMI estime que le déficit agrégé des principales régions exportatrices de pétrole dans le monde (le Moyen-Orient, l’Afrique du nord, la Russie et l’Asie centrale) à 50-100 milliards de dollars, substantiellement moins que l’excédent combiné d’Europe et d’Asie. Donc tout ne s’explique pas non plus par le pétrole.

La bien malaimée relance par le crédit de la Chine, combinée à la forte hausse des dépenses de tourisme qu’elle annoncée (qu’elle soit vraie ou fausse), devrait pousser l’excédent chinois un peu à la baisse en 2016. Mais la Chine va engranger un excédent de plus de 200 milliards de dollars en 2016, et les excédents en cours en Corée du sud, à Taïwan, Singapour et au Japon vont maintenir l’excédent asiatique à un niveau élevé. Je suis prêt à parier que l’excédent agrégé de l’Asie de l’est excédera toujours cela de l’Europe.

C’est l’une des nouvelles différences marquantes entre les déséquilibres que l’économie globale a connus avant la crise et les déséquilibres qu’elle connaît depuis. Les amples déséquilibres mondiaux que nous avons connus avant la crise financière mondiale s’expliquaient par la combinaison de larges excédents en Asie et dans les grands pays exportateurs de matières premières, c’est-à-dire par une étrange combinaison, si vous pensez que les excédents (les déficits) dans les pays exportateurs de pétrole et les déficits (les excédents) dans les pays importateurs de pétrole devraient s’annuler. Et dans les deux cas, dans les pays exportateurs de pétrole et en Asie, ces excédents s’expliquent en grande partie par les capitaux publics (en l’occurrence, des gouvernements et des banques centrales). Les flux de capitaux privés nets voulaient aller dans les économies asiatiques à forte croissance et non s’en retirer. L’énigme est dans un sens : pourquoi les Etats-Unis ont-ils attiré de larges afflux de capitaux, alors même qu’ils présentaient une plus faible croissance économique et souvent de plus faibles taux d’intérêt que la plupart des grandes économies présentant un excédent ?

Les excédents d’aujourd’hui, à l’inverse, sont essentiellement dans les pays avec des taux d’intérêt négatifs ou faibles et donc les flux qui alimentent les déséquilibres aujourd’hui sont principalement privés. La zone euro, le Danemark, la Suède, la Suisse et le Japon ont tous des taux d’intérêt négatifs. Les taux d’intérêt ne butent pas sur leur borne inférieure zéro en Chine, si bien que cette dernière est dans ce sens l’exception. Pourtant, aussi longtemps que sa devise va à la baisse, il y a une incitation pour les fonds privés de s’en aller. La Corée du sud est une autre exception, je pense, comme elle maintient des taux d’intérêt positifs. Mais elle est en train de réduire ses taux et elle soutient aussi son excédent en partie via des interventions sur le marché des changes.

La meilleure chose pour le monde, comme George Magnus a par exemple pu le noter, serait un essor de la demande interne dans l’un des principaux pays en excédent qui viendrait en aide à l’économie mondiale et contribuerait à pousser les taux d’intérêt mondiaux à la hausse. Dans le modèle développé par Caballero, Farhi et Gourinchas, l’expansion monétaire par une économie en excédent confrontée à la borne inférieure zéro risque va amener celle-ci à exporter sa trappe à liquidité et à pousser les autres pays dans des trappes à liquidité. L’expansion budgétaire, à l’inverse, a de positifs effets de débordement.

Mais pour l’instant, cela ne semble pas se produire, malgré quelques signes plutôt encourageants du côté du G20. Pas en Allemagne. Et pas dans la plupart des pays clés en Asie, sauf peut-être à l’exception du Japon.

Et l’un des risques les plus évidents auxquels l’économie mondiale fait face est que la croissance de la demande dans l’un des principaux pays excédentaires peut s’écrouler. Le niveau d’investissement inhabituellement élevé de la Chine au cours des sept dernières années n’est pas venu à bout de l’excédent externe de la Chine, comme le niveau d’épargne nationale restait exceptionnellement élevé. Un niveau d’investissement plus faible signifierait (s’il n’y a pas d’autres changements en Chine réduisant son niveau élevé d’épargne nationale) moins de demande domestique et plus d’épargne de disponible en Chine qui nécessiterait d’être exportée dans le reste du monde.

Peut-être qu’une nouvelle hausse de l’excédent chinois serait compensée par une chute de l’excédent de l’Europe ou des nouvelles économies industrialisées d’Asie. Mais, là encore, peut-être pas. »

Brad Setser, « Imbalances are back, In Asia and globally », in Follow The Money (blog), 6 septembre 2016. Traduit par Martin Anota



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