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Tag - dette publique

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vendredi 7 avril 2023

Les explosions des dépenses publiques au cours de l’Histoire

« (…) L’ampleur du soutien budgétaire à grande échelle pendant la pandémie présente certaines similarités avec les hausses des dépenses publiques observées en temps de guerre, or celles-ci ont été suivies par une inflation soutenue. L’histoire va-t-elle rimer ?

L’impact économique de la pandémie de Covid-19 et les réponses de politique économique à celle-ci ont été comparés à ceux des périodes de guerre (Dell’Ariccia et alii, 2020 ; Hall et Sargent, 2022). Le graphique 1 montre que les explosions des dettes publiques et des dépenses publiques primaires en 2020 constituent l’une des hausses annuelles les plus fortes observées depuis deux siècles.

GRAPHIQUE 1 Dépenses publiques, recettes publiques et dettes publiques

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Durant la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale, plusieurs tactiques ont été utilisées pour gérer les obligations publiques (Eichengreen et alii, 2021) : les banques ont notamment été forcées à acheter des titres publiques et des plafonds ont été imposés aux taux d’intérêt sur les bons du Trésor. Dans les épisodes plus récents, les banques centrales ont acheté des obligations publiques sur les marchés secondaires pour réduire les pressions déflationnistes. Ainsi, elles ont augmenté leur bilan et la part des obligations publiques dans leurs actifs (Ferguson, Schaab et Schularick, 2015 ; Ferguson et alii, 2023). Historiquement, les guerres ont souvent été suivies par une hausse durable de l’inflation (Bonam et Smădu, 2021). Après la Première Guerre mondiale, les prix ont explosé, de plus de 70 % aux Etats-Unis et de plus de 90 % en France, en Italie et au Royaume-Uni (cf. graphique 2).

GRAPHIQUE 2 La hausse du niveau des prix suite aux guerres mondiales (en %)

FMI__hausse_des_prix_inflation_suite_aux_guerres_mondiales.png

En Autriche, en Allemagne, en Hongrie et en Pologne, l’inflation a explosé et s’est muée en hyperinflation au début des années 1920. Elle ne fut stabilisée qu’en mettant un terme au financement des dépenses publiques, tout en équilibrant les Budgets (Sargent, 1982). Durant la Seconde Guerre mondiale, des hausses de prix similaires furent observées. Après le conflit, les prix sont restés élevés dans plusieurs pays, en comparaison avec leur niveau avant la guerre. Le niveau des prix avait augmenté de 50 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et de plus de 200 % en France et en Italie.

GRAPHIQUE Corrélation entre dépenses publiques et inflation

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Certains auteurs ont suggéré que les différences en termes de politique budgétaire durant la pandémie de Covid-19 sont liées aux différences en termes d’inflation (de Soyres, Santacreu et Young, 2022). Comme le montre le graphique 3, une partie des pays, ceux dont les dépenses réelles ont le plus augmenté ces trois dernières années, ont aussi connu une plus forte hausse de l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire de l’inflation une fois exclus les changements des prix de l’énergie et des aliments.

Comme il l’a été noté dans ce chapitre des Perspectives de l'économie mondiale, l’inflation surprise et le rebond de la croissance ont contribué à la réduction de la dette publique en 2021 et en 2022. Une inflation modérée a réduit la dette publique par le passée lorsqu’elle fut combinée à la répression financière, mais celle-ci n’est pas sans avoir des coûts (Esteves et Eichengreen 2022 ; Mauro et Zhou, 2021). »

FMI, « Surges in government spending: A historical perspective », World Economic Outlook, chapitre 4, avril 2023. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Quel rôle joue la répression financière dans la liquidation des dettes publiques ? »

« Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ? »

« Le bilan des banques centrales et l’économie »

mardi 21 décembre 2021

Pourquoi les faibles taux d’intérêt nous obligent à reconsidérer la portée et le rôle de la politique budgétaire

« Au cours de la dernière décennie, il est devenu manifeste que le déclin des taux d’intérêt réels nous force à reconsidérer la portée et le rôle de la politique budgétaire. C’est pourquoi j’ai essayé de le faire dans un livre que je viens de finir. Le livre, intitulé Fiscal Policy Under Low Interest Rates, est désormais disponible sur un site en libre accès des éditions MIT Press où je vous encourage à laisser des commentaires et des suggestions. Je réviserai ce livre à la lumière de ces commentaires au début de l’année prochaine et le livre sera publié à la fin de celle-ci.

Je pense que la meilleure façon de vendre les idées du livre et de vous convaincre de le lire et de potentiellement y contribuer est de le présenter en 45 points. Les voici :

Sur l’évolution des taux d'intérêt


1. Les taux d’intérêt réels sûrs ont régulièrement décliné depuis le milieu des années 1980. Le déclin n’est dû ni à la crise financière mondiale, ni à la crise du Covid-19. Il a été commun à tous les pays développés.

2. Si l’on adopte une perspective de plus long terme, il apparaît que les taux d’intérêt réels sûrs ont en fait eu tendance à décliner depuis le quatorzième siècle. Mais le récent déclin est bien plus prononcé.

3. Le déclin des taux d’intérêt réels sûrs reflète un déclin des taux d’intérêt neutres, c’est-à-dire des taux d’intérêt cohérents avec le plein emploi. Cela reflète une faiblesse chronique de la demande privée, soit de façon équivalente une forte épargne et un faible investissement, avec une forte demande d’actifs sûrs. Alvin Hansen et, plus récemment, Lawrence Summers ont qualifié cette situation de "stagnation séculaire".

4. Comme les banques centrales essayent de maintenir le plein emploi, les taux directeurs qu’elles fixent reflètent le déclin des taux d’intérêt neutres sûrs ; les banques centrales ne sont pas responsables de la faiblesse des taux.

5. Le déclin des taux doit être relié à de profonds facteurs à faible fréquence, à des changements dans l’épargne, l’investissement, le risque et l’aversion au risque des marchés, la liquidité et la préférence pour la liquidité. Plusieurs suspects ont été identifiés. Aucun n’a été déclaré coupable. Peu d’entre eux semblent cependant sur le point de se retourner. On ne peut (et on ne doit pas) en être sûr, mais il semble que la stagnation séculaire devrait durer.

6. Le facteur que je considère comme étant potentiellement sur le point de se retourner est l’investissement. La lutte contre le changement climatique et l’investissement vert vont nécessiter un investissement public plus élevé et cela peut avoir des effets d’entraînement sur l’investissement privé. Selon le mode de financement de l’investissement public et l’ampleur des effets d’entraînement, cela pourrait accroître les taux neutres.

7. La démographie, que ce soit avec la baisse de la fertilité ou la hausse de la longévité, a contribué à déprimer les taux et elle est susceptible de continuer à déprimer les taux à l’avenir.

8. Il n’y a qu’une faible relation entre les taux de croissance et les taux d’intérêt réels. La théorie n’implique pas une forte relation entre eux. Les analyses empiriques suggèrent que le déclin des taux d’intérêt neutres n’est pas dû à une baisse des taux de croissance.

9. Les taux d’intérêt neutres dépendent de la politique budgétaire. Une expansion budgétaire entraîne une plus forte demande globale, des taux d’intérêt neutres plus élevés et, par implication, une hausse des taux d’intérêt. Cela peut en effet se produire dans un futur proche, en particulier aux Etats-Unis, étant donné la forte expansion budgétaire en 2021.

10. Comme les taux d’intérêt neutres ont décliné au cours des trente dernières années, ils ont ce faisant franchi deux seuils : tout d’abord, ils sont devenus plus faibles que les taux de croissance (r* < g), puis souvent ils sont devenus plus faibles que le plus faible taux réel sûr atteignable par la politique monétaire en raison de la faible inflation anticipée et de la borne inférieure effective sur les taux nominaux.

Sur la soutenabilité de la dette publique


11. Le fait que r < g a d’importantes implications pour la dynamique de la dette publique. Pour le dire simplement, il donne davantage de marge de manœuvre budgétaire pour les pays. Ils peuvent connaître un certain déficit primaire tout en maintenant constants leurs ratios d’endettement (le ratio dette publique sur PIB), voire en les réduisant.

12. La soutenabilité de la dette publique est fondamentalement un concept probabiliste. La dette peut être dite soutenable si la probabilité que la dette explose (ou du moins augmente régulièrement) est très faible.

13. La soutenabilité de la dette publique doit être évaluée de deux façons. Etant donné les politiques actuelles, la dette publique est-elle soutenable ? Si elle ne l’est pas, le gouvernement sera-t-il enclin à adopter les politiques qui la rendront soutenable et sera-t-il en mesure de le faire ?

14. La réponse ne peut se réduire à un simple chiffre universel concernant la dette ou le déficit. La réponse à la première question dépend clairement du premier et du second moments des soldes primaires courants et futurs, des taux d’intérêt réels et des taux de croissance. La réponse à la seconde question dépend de la nature et de la crédibilité du gouvernement, de la nature des institutions politiques, du niveau initial de taxation, etc.

15. En raison de la complexité de la réponse, des règles simples comme les 60 % de dette publique et les 3 % de déficit public (en termes de PIB) ou la règle allemande du "schwarze Null" ne vont pas fonctionner. Elles peuvent assurer la soutenabilité de la dette publique, mais au prix de l’adoption d’une politique budgétaire inappropriée, parfois à un coût très élevé en termes de production.

16. Si, néanmoins, une règle est adoptée, la dynamique de la dette publique suggère qu’elle doit faire du solde primaire minimum requis une fonction du service de la dette, défini comme (rg) fois le ratio de dette, plutôt que du ratio de dette lui-même et permettre des déviations de cette borne si le taux directeur est contraint par la borne inférieure effective.

17. L’investissement public, dans la mesure où il accroît les recettes fiscales futures, peut être en partie financé par la dette sans menacer la soutenabilité de la dette, quelque chose qu’une règle doit prendre en compte. Trop souvent l’application de règles simples a mené à des coupes inefficaces dans l’investissement public.

18. Cela n’implique cependant pas que tout investissement public doit être financé par endettement. Même si l’investissement génère de larges rendements sociaux, s’il ne génère pas assez de recettes fiscales, directement sous la forme d’impôts ou indirectement via les revenus plus élevés associés à une production future plus élevée, il peut alors menacer la soutenabilité de la dette publique.

19. L’approche de l’investissement public doit séparer la décision à propos du niveau d’investissement public de celle de son financement. L’investissement public, par exemple l’investissement vert, doit être mis en œuvre aussi longtemps que le taux social ajusté au risque du rendement dépasse le taux d’emprunt correspondant. Qu’il soit financé par endettement ou par l’impôt, cela doit dépendre de l’ampleur à laquelle il accroît les recettes fiscales futures et des objectifs de stabilisation macroéconomique discutés ci-après.

20. Les fondamentaux suggèrent que les taux d’intérêt sont susceptibles de rester faibles pendant longtemps. Les marchés d’obligations publiques sont, cependant, sujets à des phénomènes d’équilibres multiples, de tâches solaires et d’arrêts soudains au cours desquels le taux d’intérêt peut s’accroître rapidement et fortement. En jouant le rôle d’investisseurs stables et en se montrant prêtes à intervenir si nécessaire, les banques centrales peuvent stopper les mauvais équilibres de tâches solaires.

21. Il est moins certain que les banques centrales puissent maintenir les taux d’intérêt à un faible niveau quand ceux-ci reflètent de mauvais fondamentaux et un risque plus élevé d’insoutenabilité de la dette publique. Dans ce cas, l’achat d’obligations à longue échéance financé par les réserves portant intérêts de la banque centrale est juste un changement dans la composition des passifs du gouvernement consolidé (le gouvernement central plus la banque centrale) et ne change pas, en soi, le risque de défaut. En effet, si les réserves bancaires sont perçues comme plus sûres, les obligations à longue échéance vont être perçues comme plus risquées et, en conséquence de l’assouplissement quantitatif, les investisseurs financiers vont réclamer un spread plus élevé. Les taux longs vont augmenter, pas diminuer.

22. La dette de plus longue échéance permet aux gouvernements de réduire les effets des hausses temporaires des taux d’intérêt réels et d’avoir plus de temps pour s’ajuster aux hausses permanentes. A cet égard, l’achat par les banques centrales d’obligations à longue maturité financé par les réserves bancaires versant intérêts à maturité nulle diminue la maturité et va dans la mauvaise direction.

23. L’achat d’obligations longues financé par les réserves des banques centrales portant intérêts ne génère pas plus d’inflation que l’achat d’obligations à longue maturité contre des actifs à courte maturité par un fonds d’investissement. De tels achats ne sont pas non plus un renflouement des gouvernements par la banque centrale.

24. L’annulation de la dette publique au bilan de la banque centrale n’a pas d’effet sur les passifs du gouvernement consolidé et donc n’augmente pas sa marge de manœuvre budgétaire. C’est au mieux inutile et au pire contreproductif en réduisant l’indépendance perçue de la banque centrale.

Sur la politique budgétaire optimale


25. Sur les coûts de la dette publique en termes de bien-être : toutes choses égales par ailleurs, une dette plus élevée évince du capital et donc est largement perçue par les responsables politiques et le public comme hypothéquant le futur et alourdissant le fardeau sur les générations futures. Le fait que r soit inférieur à g nous amène à reconsidérer cette proposition.

26. Un résultat fondamental en théorie de la croissance est que lorsque r est inférieur à g, alors une hausse de la dette publique peut accroître le bien-être pour toutes les générations. r < g signifie que le produit marginal net du capital est plus faible que l’investissement nécessaire pour que le capital croisse au rythme g. Donc, bien qu’un capital plus faible signifie une production future plus faible, la baisse de l’investissement nécessaire permet une consommation future plus élevée.

27. Ce résultat, dû à Edmund Phelps et à Milton Friedman et développé plus tard par Peter Diamond, a cependant été trouvé en situation de certitude, auquel cas les taux d’intérêt sont égaux et en l’occurrence égaux au produit marginal net du capital.

28. En présence d’incertitude, il a plusieurs taux, du taux le plus sûr au produit marginal net moyen du capital (typiquement plus élevé). Il est difficile d’évaluer quel taux est pertinent pour déterminer si la dette publique augmente ou diminue le bien-être collectif. La théorie suggère que le taux pertinent dépend de la nature de la fonction de production, de l’existence d’autres perturbations et qu’il se situe quelque part entre le taux sûr et le produit marginal moyen du capital.

29. Empiriquement, il n’est donc pas clair si le taux pertinent est plus élevé ou plus faible que le taux de croissance. Une approche pragmatique consiste à supposer que, toutes choses égales par ailleurs, la dette n'est pas bonne, mais qu’elle n'est pas trop mauvaise. Et plus le taux neutre est faible, moins elle est mauvaise.

30. En ce qui concerne, non plus les coûts, mais les bénéfices de la dette publique et du déficit public, le second seuil est le plus important. En l’absence d’une borne inférieure effective, nous pouvons considérer que la banque centrale fixe le taux directeur à un niveau égal à celui du taux neutre, donc maintient la production à son potentiel. Quand les banques centrales sont contraintes par la borne inférieure effective, le taux directeur ne peut plus être fixé au niveau du taux neutre et la politique monétaire ne peut plus être utilisée pour maintenir la production à son potentiel. Ce rôle revient alors à la politique budgétaire.

31. Les éléments empiriques en ce qui concerne les multiplicateurs budgétaires (c’est-à-dire les effets de diverses dimensions de la politique budgétaire comme les dépenses, les impôts ou le niveau de dette lui-même, sur la production) suggèrent que, la plupart du temps, une expansion budgétaire accroît la demande globale. Et que l’effet est plus fort quand la politique monétaire est à sa borne inférieure effective.

32. Pour discuter de la politique budgétaire optimale, il est utile de commencer avec deux vues extrêmes. La première peut être qualifiée de vue de la "pure finance publique". Elle suppose implicitement que la politique monétaire peut maintenir la production à son potentiel et se elle focalise sur le rôle de la dette publique pour lisser les impôts au gré des variations des dépenses publiques ou pour affecter le bien-être des générations courantes relativement à celui des générations futures.

33. La seconde vue suppose implicitement que la politique monétaire n’est pas utilisée ou ne peut pas l’être et que la principale tâche de la politique budgétaire est d’assurer la stabilisation macroéconomique. Cette vue est connue sous le nom de vue de la "finance fonctionnelle", comme l’a ainsi baptisée Abba Lerner. Dans ce cas, la politique budgétaire doit compenser les fluctuations de la demande privée de façon à maintenir la production à son potentiel. Si la demande privée est chroniquement faible, alors le gouvernement doit générer des déficits durables.

34. Cela suggère la caractérisation suivante de la politique budgétaire optimale, en lien avec les deux seuils pour le taux neutre. Premièrement, plus le taux d’intérêt est faible relativement au taux de croissance, plus les coûts budgétaires et en termes de bien-être de la dette publique sont faibles. Deuxièmement, plus le taux d’intérêt est proche de la borne inférieure effective, moins la politique monétaire dispose de marge pour stabiliser la production, plus l’usage de la politique budgétaire pour la stabilisation macroéconomique s’avère nécessaire.

35. La stabilisation de la production se justifie surtout lorsque la borne inférieure effective est strictement contraignante. Mais elle reste justifiée même lorsque la borne inférieure zéro est potentiellement contraignante, laissant une faible marge de manœuvre à la politique monétaire pour réagir à une baisse de la demande privée.

36. Pour le dire autrement : plus la demande privée et donc le taux neutre sont faibles, plus les coûts des déficits publics et de la dette publique seront faibles et plus leurs bénéfices seront élevés.

37. Pour le dire encore autrement : plus la demande privée, et donc le taux neutre, est faible, plus le poids sur la finance fonctionnelle sera élevé et plus le poids sur la pure finance publique sera faible.

38. J’interprète la théorie monétaire moderne (modern monetary theory ou MMT) comme donnant tout le poids à la finance fonctionnelle, sur l’usage de la politique budgétaire plutôt que de la politique monétaire pour maintenir la production à son potentiel. Ce faisant, elle se révèle être une vue trop extrême.

39. La politique budgétaire affecte le taux neutre. On peut alors considérer la politique budgétaire optimale comme fixant le taux neutre à un niveau suffisamment élevé pour que la politique monétaire ait assez de marge de manœuvre pour stimuler la production contre des chocs de demande négatifs, mais suffisamment faible pour que les coûts budgétaires et en bien-être de la dette publique restent limités.

40. Retournons à la soutenabilité de la dette publique. Une demande privée chroniquement faible peut maintenir les banques centrales à la borne inférieure effective et amener les gouvernements à générer des déficits si larges que les ratios d’endettement augmentent régulièrement, suscitant des craintes quand à la soutenabilité de la dette. Cela pose la question de savoir s’il y a des alternatives aux déficits publics pour soutenir la demande globale.

41. Une approche consiste à relâcher la borne inférieure effective, soit en accroissant la cible d’inflation et par implication les taux d’inflation et d’intérêt nominaux moyens, donnant plus de marge de manœuvre à la politique monétaire pour réduire les taux nominaux si nécessaire ou, comme l’a suggéré Kenneth Rogoff, en faisant disparaître la monnaie fiduciaire, ce qui semble difficile à atteindre, du moins dans un futur proche.

42. Une autre approche consiste à travailler sur les facteurs qui déterminent le taux neutre, en particulier si certains de ces facteurs représentent des perturbations qui doivent être éliminées pour des raisons indépendantes de leurs effets sur la demande privée et la politique budgétaire. Par exemple, étendre l’assurance sociale peut réduire l’épargne de précaution et accroître le taux neutre sans accroître les déficits.

Sur la politique budgétaire en pratique : trois applications


43. Le passage de la stabilisation de la production à la réduction de la dette publique dans le sillage de la crise financière mondiale en Europe a été trop fort et trop coûteux, reflétant une surestimation des coûts de la dette publique et une sous-estimation des effets adverses de la politique budgétaire restrictive sur la demande globale et la production.

44. Face à un cas de stagnation séculaire, le Japon a connu d’amples déficits publics pendant trois décennies et ses ratios d’endettement public ont atteint des niveaux très élevés, tandis que la Banque du Japon est restée à la borne inférieure effective. Cette stratégie (si cela en fut une) a-t-elle été la bonne ? La réponse est oui, mais lorsque l’on se tourne vers l’avenir les ratios élevés de dette publique posent la question de la soutenabilité de la dette publique. La priorité est de trouver d’autres façons de stimuler la demande.

45. Pour stimuler la reprise de l’économie américaine suite aux chocs initiaux du Covid-19, l’administration Biden s’est embarquée en 2021 dans une expansion budgétaire majeure. La stratégie (à nouveau, si c’en fut effectivement une) consistait pour la politique budgétaire à accroître la demande globale et donc à accroître le taux neutre et pour la politique monétaire de retarder l’ajustement du taux directeur au taux neutre et de générer une inflation temporaire. L’inflation s’est révélée être plus élevée qu’anticipée. L’expansion budgétaire a-t-elle été trop forte ? La stratégie a-t-elle été erronée ? »

Olivier Blanchard, « Why low interest rates force us to revisit the scope and role of fiscal policy: 45 takeaways », PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 21 décembre 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Larry Summers et la stagnation séculaire »

« Faut-il s'inquiéter de la dette publique lorsque les taux d’intérêt sont faibles ? »

« r < g : peut-on vraiment ne pas se soucier de la dette publique ? »

« Une stagnation supra-séculaire ? »

mardi 14 avril 2020

Certains mythes à propos de la dette publique et de la façon par laquelle elle est financée

« Le fait que la Banque d’Angleterre ait temporairement éliminé la limite sur le Ways and Means Facility a suscité de nombreuses réactions vendredi dernier (le 9 avril). Cela signifie effectivement que la Banque d’Angleterre peut créditer le gouvernement avec autant de monnaie que nécessaire dans la crise actuelle. Le fait que cela provoque tant de réactions illustre à quel point il y a des mythes très répandus à propos de la dette publique. En voici trois.

1. Cela ne change rien de savoir que sommes au milieu d’une crise économique, comme une récession ou une pandémie : nous devons nous inquiéter de ce qui se passe du côté de la dette publique.

C’est faux pour tout pays qui possède sa propre monnaie, comme le Royaume-Uni. Dans une crise, vous devez vous inquiéter de la seule lutte contre la crise. La dette publique est ce qui permet au gouvernement de mettre en œuvre toutes les ressources budgétaires pour lutter contre la crise. S’inquiéter de la dette publique, c’est comme s’inquiéter à l’idée qu’un camion de pompier utilisé pour éteindre un incendie puisse user trop d’eau.

2. D’accord, mais nous devrons nous inquiéter de la dette publique lorsque la production cessera de chuter (ou, dans le cas d’une pandémie, lorsque le confinement sera relâché).

C’est à nouveau erroné. Ce fut l’erreur que certaines grandes économies ont commise après la crise financière mondiale de 2008. En s’inquiétant à propos de la dette publique, elles ont soit freiné, soit tué, soit inversé la reprise. Parce que le gouvernement peut demander à la banque centrale d’acheter sa dette (ou de continuer à créer de la monnaie), il n’y a pas besoin de s’inquiéter à propos de la dette publique tant que l’économie n’a pas achevé sa reprise suite à la crise. Ce sera également vrai lors de la reprise qui suivra la pandémie.

3. Quand le gouvernement commence à financer son déficit en imprimant de la monnaie plutôt qu’en émettant de la dette, l’inflation rampante est juste au coin de la rue.

Beaucoup ont pensé cela après la crise financière mondiale, quand les banques centrales ont commencé à acheter de la dette publique via leurs programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing), parce qu’elles achetaient des titres publics en imprimant de la monnaie. Les événements subséquents ont montré que ceux qui pensaient que l’inflation était inévitable avaient complètement tort, comme beaucoup d’entre nous le disaient déjà à l’époque. S’ils se sont trompés, c’est parce que les taux d’intérêt butaient sur leur borne inférieure et qu’à la borne inférieure cela n’importe pas vraiment de savoir comment la dette publique est financée. La raison est intuitive : quand les taux d’intérêt sont nuls, vous êtes indifférents entre la liquidité et la dette de court terme. Donc, pourquoi imprimer de la monnaie plutôt que de s’endetter provoquerait de l’inflation quand les taux sont à zéro ? Il n’y a aucune raison. (...)

Pourquoi le gouvernement préfère-t-il emprunter plutôt que de créer de la monnaie pour couvrir ses déficits ? Après tout, cela aussi coûte de l’argent. Même quand les taux d’intérêt de court terme sont nuls, les taux d’intérêt sur la dette publique à long terme sont plus élevés, pour compenser le fait d’avoir de l’argent bloqué ou pour le risque en capital lorsque les titres seront vendus plus tard. Dire que le financement des déficits publics par création monétaire crée de l’inflation est trop banal, parce que cela suppose un simple lien entre les prix et la monnaie créée par la banque centrale, un lien qui n’a pas été vérifié lors des récessions.

Une meilleure réponse est celle que donna Keynes. Dans une récession, vous pouvez créer beaucoup de monnaie, parce qu’elle sera certainement détenue par des banques ou investisseurs financiers frileux. Mais en dehors d’une récession, les investisseurs financiers et les banques vont désirer se débarrasser de cette monnaie, ce qui va pousser les taux d’intérêt à la baisse dans l’économie, encourageant un endettement excessif et décourageant l’épargne. Cette demande excessive va créer de l’inflation. Les banques centrales sont seulement capables de contrôler le niveau général des taux d’intérêt dans l’économie en restreignant le montant de monnaie qu’elles créent, ce qui explique pourquoi les déficits publics sont largement financés en émettant de la dette.

Si nous ne devons pas nous inquiéter à propos de la dette publique durant les crises ou dans la mesure où les crises finissent par s’arrêter, devons-nous nous en inquiéter tout court ? C’est une bonne question, qui ne peut être répondue qu’en regardant pourquoi avoir de hauts niveaux de dette publique peut être mauvais. Donc, regardons trois mythes ou mauvaises compréhensions à propos de la dette publique.

1. Une dette élevée accroît le risque de crise financière.

La vision générale en ce moment est qu’il y a une pénurie d’actifs sûrs dans le monde et la preuve la plus manifeste d’une telle pénurie est la faiblesse des taux d’intérêt sur la dette publique. Comme pour les paniques de marché de court terme, nous avons vu que pour un pays qui bat sa propre monnaie cela n’est pas un problème.

2. La dette publique est un fardeau pour les générations futures

L’idée ici est que le service de la dette doit être assuré (les intérêts doivent être payés) et que cela ne peut être fait qu’en accroissant les impôts. Mais le niveau des intérêts sur la dette dépend des taux d’intérêt, donc quand ces derniers sont faibles, la dette publique peut être plus élevée avec le même "fardeau". L’autre chose à dire (qui devrait être évidente, mais qui est souvent ignorée) est que laisser une récession s’aggraver peut provoquer des dommages permanents pour les générations futures. Tout comme l’inaction face au changement climatique. (...)

3. La dette publique évince l’investissement

C’est manifestement une erreur dans une ère de faibles taux d’intérêt réels. La dette publique évince le capital privé dans les modèles à générations imbriquées en accroissant les taux d’intérêt. Donc, si les taux d’intérêt sont suffisamment faibles pour financer tout investissement décent, il ne peut pas y avoir d’effet d’éviction significatif.

Donc, pour résumer, dans une ère de très faibles taux d’intérêt, la dette publique peut être assurément bien plus élevée. Le raisonnement en faveur de la réduction de la dette publique (relativement au PIB) suite à la pandémie peine à convaincre et, pour convaincre, il faudrait qu’il prenne en compte ce qui pousse les taux d’intérêt réels à être si faibles (la stagnation séculaire), ainsi que toute la littérature sur les pénuries d’actifs sûrs. En particulier, comme Olivier Blanchard l’a souligné, si les taux d’intérêt réels sur la dette publique sont inférieurs au taux de croissance, les hausses de la dette publique provoquées par les récessions vont graduellement se défaire d’elles-mêmes.

Je vais cependant finir par un dernier mythe. En l’occurrence :

4. Les déficits n’importent pas aussi longtemps qu’ils ne créent pas d’inflation excessive

C’est erroné quand les banques centrales indépendantes contrôlent les taux d’intérêt, parce que les banques centrales vont faire varier les taux d’intérêt pour contrôler l’inflation. Les banques centrales indépendantes ont été très efficaces pour ramener l’inflation à de faibles niveaux, ce qui explique pourquoi le gouvernement ou l’opposition ne les abandonnera pas de si tôt. Dans cette situation, les déficits qui sont trop larges ou trop petits vont entraîner des changements des taux d’intérêt plutôt que de l’inflation. (…)

Une fois que les récessions (qu’importe leur origine) sont finies, alors il fait sens d’avoir des cibles pour le déficit public (en excluant l’investissement) relativement au PIB. Ce que cette cible doit être va dépendre de ce que l’on perçoit être le ratio dette publique sur PIB idéal. (Pour plus de détails, voir ici.) Ces cibles sont là non pas parce que des déficits élevés vont sonner la fin du monde, loin de là. En fait, c’est un dispositif visant à discipliner les gouvernements. Par le passé, on pensait qu’il fallait empêcher les gouvernements de gauche de dépenser de trop, mais au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, le problème le plus probable est le fait que les gouvernements de droite taxent trop peu.

Ce qui nous amène à pourquoi tant de personnes pensant que la dette publique et les déficits budgétaires sont bien plus importants qu’ils ne le sont en fait. Par le passé, une inquiétude excessive à propos des déficits a été perçue par beaucoup comme une façon essentielle de maintenir la pression sur les dépenses du gouvernement quand un gouvernement de gauche est au pouvoir, ou même comme une façon de réduire la taille de l’Etat quand un gouvernement de droite est au pouvoir. Il est ironique que dans une ère où il est impérieux de réduire le changement climatique, l’importance des cibles de déficit puisse être d’empêcher les gouvernements de droite de réduire les impôts. »

Simon Wren-Lewis, « Some myths about government debt and how it is financed », in Mainly Macro (blog), 14 avril 2020. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Faut-il s’inquiéter de la hausse de la dette publique ? »

« Faut-il s'inquiéter de la dette publique lorsque les taux d’intérêt sont faibles ? »

« Pourquoi les gouvernements empruntent-ils ? »

jeudi 19 mai 2016

Les dettes publiques n'ont pas encore retrouvé leur niveau au sortir des guerres mondiales

GRAPHIQUE Dette publique (en % du PIB)

The_Economist__dette_publique_Etats-Unis_France_Allemagne_Japon_Grande-Bretagne__Martin_Anota_.png

source : The Economist (2016)

lundi 8 juin 2015

A propos de la dernière étude du FMI sur la dette publique

« Cette étude des économistes du FMI Jonathan Ostry, Atish Ghosh et Raphael Espinoza a eu beaucoup d’échos dans les médias. Je veux en parler parce qu’elle fait quelque chose d’assez rare : au lieu de se focaliser sur les questions de court terme associées à l’austérité, elle se penche sur la politique d’endettement optimale à long terme. Elle utilise aussi la théorie sur laquelle je me suis appuyé dans plusieurs de mes propres travaux.

Le principal résultat que beaucoup vont trouver surprenant est que les pays présentant ce que le FMI appelle "une marge de manœuvre budgétaire" n’ont pas du tout besoin de réduire la dette publique et, par conséquent, ils n'ont pas à entreprendre de consolidation budgétaire pour détruire la dette publique, ni aujourd’hui, ni même demain. Un Etat dispose d’une marge de manœuvre budgétaire lorsque les marchés apprécient acheter de sa dette publique et qu’il ne connaît pas une hausse de la prime de défaut qui accroîtrait le montant des intérêts (et n’est pas susceptible d’en connaître). L’étude suggère que la plupart des pays, notamment le Royaume-Uni, disposent de cette marge de manœuvre budgétaire.

Beaucoup vont trouver ce message surprenant, en particulier venant du FMI, parce que nous entendons souvent qu’une dette publique élevée est une mauvaise chose et qu’elle impose un fardeau sur les générations futures. Cependant le raisonnement utilisé est parfaitement standard dans la littérature. Pour le dire très simplement, une dette élevée impose un fardeau, parce que les impôts supplémentaires pour assurer le service de la dette génèrent des distorsions ; par exemple, les impôts sur le revenu empêchent les gens de travailler autant qu’ils le voudraient. Mais réduire la dette publique signifie aussi imposer un fardeau : les impôts sont relevés pour réduire la dette. Les comparaisons entre les ménages et les gouvernements sont trompeuses : si les individus ne vivent pas éternellement et doivent finir par rembourser leur dette, ce n’est pas le cas de l’Etat, qui peut agir comme s’il va exister indéfiniment. Nous faisons face par conséquent à un arbitrage : est-il utile d’accroitre les impôts aujourd’hui pour payer moins d’impôts à l’avenir ? (Conceptuellement, nous pouvons faire le même raisonnement avec la réduction des dépenses publiques.)

La réponse à la question dépend de deux variables clés : le taux d’intérêt réel et le taux d’actualisation : le taux auquel nous actualisons l’utilité dans le futur par rapport à l’utilité d’aujourd’hui. Dans le modèle standard utilisé par la plupart des macroéconomistes et par cette étude du FMI, ces deux variables sont égales à long terme. Si c’est le cas, alors accroître les impôts aujourd’hui pour réduire la dette et les impôts demain constitue un coût net et il est préférable de laisser la dette là où elle est. (…)

Donc supposons que l’économie subisse un "choc" de dette publique positif, provoqué par une crise financière par exemple. La politique optimale est de laisser la dette plus élevée, si les marchés apprécient d’acheter de la dette publique (c’est-à-dire s’il n’y a pas de prime de défaut additionnelle). Les coûts associés à une réduction de la dette excédent les bénéfices. Cela signifie par exemple pour le Royaume-Uni que nous ne devons pas rechercher un déficit nul, mais laisser le déficit public à environ 3 % du PIB, ce qui laisserait constant le ratio dette publique sur PIB.

Suis-je d’accord avec cette idée ? Oui et non.

Non, parce que je pense qu’il y a de bonnes raisons nous amenant à penser que le taux d’intérêt réel sur la dette est normalement un peu plus élevé que le taux d’actualisation pertinent pour le bien-être social, bien que j’admette que cette hypothèse soit aujourd’hui soumise à un véritable test (cf. le débat sur la stagnation séculaire). Si le taux d’intérêt réel de long terme excède effectivement le taux d’actualisation, il devient optimal de chercher à réduire la dette au cours du temps.

Oui, parce que même dans la situation que je considère être la plus réaliste, la dette diminue très lentement. Comme certains collègues et moi-même le montrons dans cette étude, nous pouvons parler d’une réduction de dette s’étalant sur plus d’un siècle. Donc, en ce qui concerne les débats de politique économique d’aujourd’hui, le modèle standard que j’ai utilisé dans cette étude peut être un point de départ utile.

L’étude du FMI (…) se penche sur un argument souvent avancé pour défendre l’idée d’une réduction rapide de la dette publique au Royaume-Uni : nous devons nous constituer une marge de manœuvre avant la prochaine crise. Dans les pages 12 et 13, l’étude procède à une petite analyse coûts-avantages pour montrer pourquoi cet argument est probablement erroné. L’étude n’affirme pas que la dette ne doive jamais être réduite dans les pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire. Si des opportunités se présentent pour réduire la dette publique sans subir de significatives distorsions, elles doivent être saisies. (…)

En ce qui concerne les débats actuels de politique économique, le message adressé aux politiciens est clair et il m’apparaît assez robuste. Les chocs qu’ont constitué la crise financière mondiale et la Grande Récession entraînèrent une forte hausse des dettes publiques dans presque tous les pays de l’OCDE. Nous ne devons pas nous précipiter pour essayer de ramener le ratio dette sur PIB à son niveau d’avant-crise. Cela signifie que nous pouvons certainement nous permettre d’attendre jusqu’à ce que les taux d’intérêt commencent à s’élever, puisque la politique monétaire pourra alors compenser l’impact de toute consolidation budgétaire sur l’activité. L’argument en faveur d’une réduction immédiate de la dette publique n’a aucun fondement dans la théorie macroéconomique standard. »

Simon Wren-Lewis, « The latest IMF paper on debt », in Mainly Macro (blog), 6 juin 2015. Traduit par Martin Anota



Aller plus loin… lire « Quand les gouvernements doivent-ils réduire leur dette ? »

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