« La grande controverse depuis le début de la Grande Récession porte sur la politique budgétaire : les dépenses publiques, les impôts et le déficit budgétaire pourraient être trop importants. A l’inverse, la politique monétaire n’a pas fait les gros titres. C’est compréhensible : alors que la politique budgétaire est passée de la relance budgétaire en 2009 à l’austérité budgétaire en 2010, une fois que la récession devint claire (à certains plus tôt que d’autres), la politique monétaire au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Japon ne peut que sembler expansionniste, puisque ses taux d’intérêt sont restés à des niveaux historiquement faibles. La BCE est l’exception, puisqu’elle a relevé ses taux d’intérêt juste avant la seconde récession de la zone euro.

Toutefois, regardez un peu plus les choses en détails et vous constaterez quelque chose de plus inquiétant. La plupart des gens qui se basent sur l’économie plutôt que sur le politique considéreraient la reprise consécutive à la Grande Récession comme décevante. Nous avons des raisons tout à fait justifiées d’être déçus au Royaume-Uni, mais plusieurs économistes pensent que les Etats-Unis et le Japon auraient pu également réduire le chômage plus amplement et plus rapidement. Plus inquiétant encore, la récession et la lente reprise peuvent avoir rendu les dommages permanents. (Voir, sur ce point, la récente étude réalisée par Antonio Fatás et Larry Summers.) Au Royaume-Uni, en particulier, nous semblons avoir perdu de façon permanente (…) 15 % de revenu durant la récession. Ce genre de pertes réalisées en l’espace de sept ans est totalement sans précédents en temps de paix.

Il y a des mécanismes bien connus par lesquels les pertes en production de court terme peuvent entraîner une baisse permanente de la capacité de production et ils sont connus parmi les économistes sous le terme d’"effets d’hystérèse" (hystérésis). Ils incluent la perte en qualifications des chômeurs, le ralentissement de l’accumulation du capital et la moindre transmission du progrès technique via la modernisation du capital. (…) Ils impliquent tous des coûts réels en termes de production perdue. L’un des mécanismes qui m’inquiète tout particulièrement est la manière par laquelle les anticipations à propos de la production tendancielle sont revues à la baisse, ce qui peut être autoréalisateur dans certains cas.

Les gens dont le boulot est de s’assurer que les récessions soient de courte durée et que les effets d’hystérèse ne soient pas à l’œuvre travaillent dans les banques centrales. Pourtant, si vous demandez aux responsables de la politique monétaire ce qu’ils pensent à propos des sept dernières années, ils n’afficheront aucune honte. Ils ne vont pas dire que ça a été un désastre, mais ajouter "que pouvions-nous faire de plus ?" Ils ne vont pas dire que, avec des taux d’intérêt proches de zéro, ils étaient impuissants en raison de la faible efficacité des politiques non conventionnelles comme l’assouplissement quantitatif ou de la mauvaise orientation de la politique budgétaire. En fait, ils vont probablement dire que ces sept dernières années n’ont pas été si mauvaises que ça globalement. Cette vision des choses semble à la fois étrange et inquiétante.

La raison est simple. Soit les autorités monétaires considèrent que leur cible principale est l’inflation, soit on va leur dire explicitement que l’inflation doit être leur cible principale. Alors qu’elle est aujourd’hui inférieure à sa cible, l’inflation fut au-dessus de sa cible en 2011 et en 2012, donc en moyenne, peut-être que les performances passées ne sont pas si mauvaises que ça. Donc, par rapport à ce qu’on leur a demandé de faire, les autorités monétaires n’ont pas être honteuses.

Au Royaume-Uni, nous pouvons le dire de façon plus frappante. Imaginez que quelqu’un en 2011 ait découvert un nouvel instrument magique de politique économique qui garantisse de stimuler l’économie et que la Banque d’Angleterre s’en retrouve dotée. Elle ne l’aurait probablement pas utilisé. Pendant quatre mois en 2011, trois membres du comité de politique monétaire votèrent pour un relèvement des taux. Nous étions à deux voix de suivre la course désastreuse de la BCE. Ce n’est pas parce que nous sommes passés à deux doigts de cette catastrophe que nous devons faire comme si elle n’aurait pas pu avoir lieu.

Tout cela nous amène à ce que les économistes ont appelé la "divine coïncidence". C’est l’idée selon laquelle nous n’avons pas besoin de cibler simultanément la production et l’inflation. Lorsque vous vous assurez que l’inflation est à sa cible (…), cela va par là même stabiliser la production. Alors que la Réserve fédérale a un double mandat (essentiellement l’inflation et la production), les banques centrales qui n’ont obtenu leur indépendance qu’après (comme la Banque d’Angleterre) ont comme objectif principal la lutte contre l’inflation. L’une des principales raisons qui expliquent cela fut la croyance partagée par beaucoup avant la Grande Récession que la divine coïncidence tiendrait. Ciblez l’inflation et la production suivra toute seule !

L’idée de la coïncidence divine n’a pas eu une bonne récession ! Comme je l’ai expliqué dans l’un de mes meilleurs billets, si la divine coïncidence fonctionnait, une banque centrale dans un univers parallèle qui ciblerait l’écart de production plutôt que l’inflation aurait des sept dernières années la même image qu’en ont les banquiers centraux qui ciblent l’inflation. Pourtant, comme je l’ai expliqué ici et au-dessus, ils se sentiraient en fait honteux et frustrés. Nous savons qu’il y a de bonnes raisons empiriques expliquant pourquoi la divine coïncidence ne tient pas lorsque l’inflation st faible : la résistance aux réductions des salaires nominaux va signifier que les autorités monétaires ciblant l’inflation dans une récession vont surréagir à des chocs positifs d’inflation comme les chocs pétroliers, et sous-réagir à une inflation inférieure à la cible. Ajoutez-y l’hystérèse et vous obtenez des dommages permanents.

Donc une leçon à tirer de ces sept dernières années doit être que c’est une erreur de se reposer sur la divine coïncidence. Une priorité de la banque centrale est de mettre un terme rapidement aux récessions et lui donner un seul objectif primaire d’inflation peut la détourner de ça. Une amélioration évidente est de donner un double mandat à la banque centrale, bien que la meilleure manière de le spécifier ne soit pas claire. Une autre possibilité est de combiner la production et l’inflation dans une seule cible, et encore une autre est d’élever la cible d’inflation à un niveau où la divine coïncidence serait toujours valide. (...) »

Simon Wren-Lewis, « The last 7 years are an argument against inflation targeting », in Mainly Macro (blog), 22 octobre 2015. Traduit par Martin Anota



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