« En économie, comme dans d’autres disciplines, il est commun de donner aux modèles, aux théorèmes et aux résultats empiriques le nom de leurs concepteurs. (…) Ou peut-être pas. Ou quelque chose de très différent peut arriver, comme peuvent vous le dire David Ricardo et Irving Fisher.

L’équivalence ricardienne


Beaucoup pensent que David Ricardo (1772-1823) a été à l’origine de l’idée selon laquelle il ne fait aucune différence pour le gouvernement de financer ses dépenses via l’impôt ou l’emprunt dans la mesure où les contribuables, qui anticipent une hausse du fardeau fiscal futur lorsque leur gouvernement s’endette, sont indifférents entre ces deux modes de financement. Pour arriver à une telle conclusion, il faut penser que les contribuables ordinaires réduisent leur consommation aujourd’hui pour se préparer à un plus lourd fardeau fiscal dans les décennies qui viennent. Si c’est vrai, l’efficacité de la politique budgétaire en serait grandement réduite.

Il n’est pas juste d’attribuer cette proposition à Ricardo parce que, même s’il développa la logique qui la sous-tend, il n’était pas convaincu par cette proposition. Selon Ricardo (1817), "On aurait tort de conclure de tout ce que je viens de dire que je regarde le système des emprunts comme le meilleur moyen de fournir aux dépenses extraordinaires de l’État. C’est un système qui tend a nous rendre moins industrieux, à nous aveugler sur notre situation". (…) Brad DeLong et Martha Olney (2006) ont vu juste : "Cette idée des effets à long terme (mais aussi à court terme) de la dette publique et des déficits budgétaires est appelée 'équivalence ricardienne' en référence à David Ricardo, qui ne semble pourtant pas la soutenir ; elle devrait plutôt être appelée 'équivalence barrovienne', en référence à son partisan le plus fervent et le plus habile, le macroéconomiste de Harvard, Robert Barro".

L’effet Fisher


Beaucoup ont attribué à Irving Fisher l’idée selon laquelle les taux d’intérêt réels sont insensibles aux variations de l’inflation et ont pu penser que Fisher considéra une telle insensibilité comme quelque chose de naturel. Par exemple, Okun (1981) déclara : "Comme Fisher le vit, une hausse supplémentaire de 1 point de pourcentage de l’inflation attendue accroit le taux de rendement nominal attendu sur les actifs capitaux réels de 1 point de pourcentage et elle induit une hausse parallèle de 1 point de pourcentage des rendements des obligations et des bons du Trésor pour maintenir les rendements attends à l’équilibre". De plus, en utilisant les données trimestrielles relatives aux Etats-Unis, Feldstein et Eckstein (1970) écrit : "les données confirment donc les deux hypothèses fisheriennes fondamentales : (1) à long terme, le taux d’intérêt réel est (approximativement) insensible au taux d’inflation, mais (2) à court terme, le taux d’intérêt réel chute lorsque le taux d’inflation augmente". Si cela est vrai, cette proposition suggère que la politique monétaire et la politique budgétaire sont moins efficaces qu’on ne le croit, car les taux d’intérêt réels, mais aussi d’autres agrégats macroéconomiques comme l’investissement et l’épargne seraient insensibles aux variations de l’inflation via l’intérêt réel, du moins à court terme.

La relation empirique que l’on appelle effet Fisher porte mal son nom par ce que les propres données de Fisher (1930) sur les taux d’intérêt et les taux d’inflation à New York, Londres, Paris, Berlin, Calcutta et Tokyo entre 1825 et 1927 suggèrent que les taux d’intérêt nominaux ne reflètent pas vraiment les variations de l’inflation, (…) même à long terme. (…) Toutes les données de Fisher montrent que les taux d’intérêt évoluent plus lentement que l’inflation et changent moins que l’inflation. (…) Les données de Fisher suggèrent des cycles d’inflation d’une durée moyenne de six ans, mais les données relatives aux taux d’intérêt ne présentent pas de tels cycles. Cela suggère une faible sensibilité des taux d’intérêt nominaux à l’inflation. L’effet Fisher, selon lequel l’inflation varie de 1 point de pourcentage quand les taux d’intérêt nominaux augmentent de 1 point de pourcentage, porte bien mal son nom en tant que résultat empirique. C’est plutôt une possibilité théorique que les données de Fisher ne soutiennent pas.

(…) Dans les données de Fisher, la déflation était presque aussi commune que l’inflation, ce qui suggère que la déflation contribue à pousser les taux d’intérêt et le fardeau de la dette à la hausse, entraînant alors défiance, ventes en détresse, banqueroutes, paniques bancaires, contraction de la production et des échanges et hausse du chômage. Il peut ne pas y avoir de controverse à propos de l’idée que la déflation pousse les taux d’intérêt réels à la hausse lorsque les taux d’intérêt nominaux refusent d’aller en-deçà de zéro, comme ce fut le cas dans les données de Fisher. Il peut avoir été naturel à cette époque de s’attendre à ce que les taux d’intérêt nominaux ne suivent pas l’inflation, parce que des accélérations d’inflation étaient souvent suivies par une déflation, puisque les anticipations d’inflation étaient bien ancrées par l’étalon-or.

Ces résultats sont cohérents avec ceux de Fisher lui-même. Comme Tobin (1987) et Dimand (1999), parmi d’autres, ont pu le souligner, la théorie des taux d’intérêt de Fisher et sa lecture des données historiques lui suggéraient que les taux d’intérêt réels variaient inversement avec l’inflation et que l’ajustement des taux d’intérêt nominaux à l’inflation prenait beaucoup de temps (Fisher, 1896). Selon Fisher (1930), "lorsque les prix augmentent, le taux d’intérêt tend à être élevé, mais pas aussi élevé qu’il devrait l’être pour compenser la hausse des prix ; et lorsque les prix chutent, le taux d’intérêt tend à être faible, mais pas aussi faible qu’il le devrait pour compenser la chute des prix". Fisher (1930) décrit la relation entre les taux d’intérêt et le taux d’inflation comme suit : "Lorsque le niveau des prix chute, le taux d’intérêt nominal chute légèrement, mais le taux d’intérêt réel augmente grandement, tandis que lorsque le niveau des prix augmente, le taux d’intérêt nominal s’élève un peu, mais le taux d’intérêt nominal chute fortement". (…) »

Thorvaldur Gylfason, Helgi Tomasson et Gylfi Zoega (2016), « Misnomers », in VoxEU.org, 24 mars. Traduit par Martin Anota