« Les récessions peuvent provoquer des perturbations majeures sur les trajectoires sur le marché du travail. Les travailleurs peuvent connaître des périodes de chômage, se décourager dans leur recherche d’un nouvel emploi ou se sentir obligés d’accepter des emplois de faible qualité. Les travailleurs qui se retrouvent piégés dans des emplois de moindre qualité pendant une longue période de temps sont souvent incapables d’acquérir les compétences au travail qui pourraient les aider à accéder à de meilleures opportunités. Ces perturbations peuvent avoir des conséquences négatives à long terme sur les travailleurs, en laissant une "cicatrice" (scar) sur leurs trajectoires d’emploi futures. De tels effets cicatrice persistent même après que les conditions macroéconomiques se soient améliorées de nouveau.

Les effets cicatrice peuvent toucher des travailleurs de tous les âges, notamment des travailleurs d’âge intermédiaire. Cependant, les effets spécifiques tendent à dépendre du niveau de revenu d’un pays, avec les travailleurs dans les pays à haut revenu davantage susceptibles de quitter la vie active et les travailleurs ailleurs ayant à accepter des emplois de faible qualité. Par exemple, Yagan (2019) a constaté que les individus dans les zones aux Etats-Unis qui ont été les plus sévèrement touchées par la crise financière mondiale de 2007-2008 ont eu de moindres taux d’emploi à long terme, en particulier s’ils étaient adultes ou des travailleurs à bas salaire. Cet effet fut largement dû à des travailleurs découragés quittant le marché du travail. A l’inverse, une crise économique majeure en Indonésie à la fin des années 1990 n’a pas entraîné de pertes d’emploi à grande échelle. Par contre, il y a eu une forte baisse des salaires et une réallocation des travailleurs vers l’emploi indépendant et, parmi les femmes tout particulièrement, vers le travail familial (Smith et alii, 2002).

Les effets cicatrice se manifestent tout particulièrement s’ils surviennent aux étapes clés dans la vie d’une personne, par exemple la transition de l’école ou l’université vers le travail (Matsumoto et Elder, 2010). Durant une récession, cela peut prendre plus de temps pour les jeunes de sécuriser un premier emploi ou bien ils peuvent avoir à accepter un premier emploi pour lequel ils sont surqualifiés. En outre, les crises économiques tendent à affecter les jeunes gens déjà les plus désavantagés, notamment ceux disposant du moindre niveau de diplôme (Scarpetta, Sonnet et Manfredi, 2010). Dans le contexte de la crise de la Covid-19, les perturbations touchant les jeunes ont été sévères. De mauvaises premières expériences sur le marché du travail de ce genre peuvent avoir des ramifications qui s’exercent tout le long de leur vie professionnelle.

Par exemple, Cruces, Ham et Viollaz (2002) ont suivi plusieurs cohortes de jeunes travailleurs brésiliens au cours du temps, en se focalisant sur ceux qui ont connu du chômage ou une activité informelle au début de leur vie active. Au début de l’âge adulte, les jeunes travailleurs ont été davantage susceptibles d’être chômeurs ou d’avoir travaillé dans le secteur informel et d’avoir eu des salaires moyens plus faibles. Ces effets ont en tendance à être plus élevés pour les individus avec un faible niveau de qualification formelle. Les effets cicatrice importent aussi dans les pays à haut revenu. Les individus qui obtinrent leur diplôme du supérieur aux Etats-Unis au temps de la crise financière mondiale de 2007-2008 ont par la suite eu de moindres salaires (un effet qui disparut dix ans après) et les probabilités d’emploi (un effet qui persista avec le temps) (Rothstein, 2020). La crise financière asiatique de 1997-1998 provoqua un déclin à long terme des taux d’emploi et des rémunérations parmi les hommes en Corée du Sud ; les femmes, d’un autre côté, connurent une détérioration de leur situation sur le marché du travail immédiatement après la récession, qui les poussa à avoir des enfants (Choi, Choi et Son, 2020). Finalement, une étude de 19 pays à haut revenu et revenu intermédiaire conclut qu’entrer sur le marché du travail durant une récession mène à de moindres qualifications cognitives dans la vie plus tard, en particulier parmi les individus de milieu populaire. C’est parce que les jeunes travailleurs rejoignirent les entreprises dans lesquelles le développement des compétences ne jouait pas un grand rôle (Arellano-Bover). »

OIT, « Scarring effects of crises on workers’ labour market outcomes », World Employment and Social Outlook: Trends 2021. Traduit par Martin Anota



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