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Chaque fois qu’une grappe d’innovations radicales émerge, elle entraîne un processus de changement structurel dans le système économique. Dans cette phase, des déséquilibres apparaissent habituellement, puisque le processus de changement structurel lance l’étape de la « destruction créatrice » de Schumpeter. De nouveaux secteurs apparaissent, attirant l’investissement en raison de plus hautes opportunités de profit, tandis que les autres secteurs de l’économie connaissent une profonde transformation pour s’adapter au nouveau contexte économique ou plutôt (si l’on suit Carlota Perez) au paradigme techno-économique émergent. Comme les nouvelles technologies se diffusent progressivement dans le système économique, elles entraînent un profond changement dans la structure productive et organisationnelle d’un nombre toujours plus grand de secteurs économiques. Cela exerce habituellement à son tour de significatifs effets sur les comportements d’investissement de la part des entreprises financières et non financières, sur le marché du travail et sur la répartition des richesses et revenus parmi les différents groupes sociaux, affectant par là les conditions de reproduction du système économique et menant potentiellement à l’instabilité macroéconomique.

Carlota Perez, avec son travail sur les révolutions technologiques et le capital financier, est l’une des rares chercheuses à souligner l’importance du lien entre innovation et finance. Elle s’est focalisée essentiellement sur le rôle joué par le capital financier durant les étapes d’« irruption » et d’« installation » d’un paradigme techno-économique. Fondé sur des données historiques, son travail a identifié un certain nombre de similarités caractérisant les phases majeures du développement. En particulier, son analyse met en lumière la récurrence de « bulles ancrées dans la technologie » durant la phase initiale de chaque phase majeure du développement et elle explique cela comme une conséquence de la manière par laquelle une économie capitaliste assimile une révolution technologique.

Cette ligne de recherche a contribué à son tour à stimuler un courant d’études empiriques qui ont identifié, au niveau microéconomique, d’importants faits stylisés concernant le lien entre innovation et finance (…). En particulier, elles ont démontré que la structure financière des entreprises est propre à affecter leurs stratégies d’investissement. De plus, certaines de ces études (…) suggèrent que les jeunes entreprises innovantes d’aujourd’hui, lorsqu’elles cherchent des ressources financières externes, dépendent de plus en plus des marchés financiers que du crédit bancaire. Ceci signifierait que le rôle de sélection joué par les banquiers dans la théorie originale de Schumpeter a été partiellement délégué aux marchés financiers. Les implications potentielles de ce fait ne sont évidemment pas triviales à la lumière de la logique pécuniaire caractérisant le fonctionnement des marchés financiers et de la récurrence de comportements spéculatifs. De plus, certaines études (…) ont montré que la volatilité des cours boursiers s’accroît durant l’étape initiale caractérisant l’émergence d’un secteur innovant et durant une période de changement technologique radical.

Les arguments précédents semblent confirmer l’actualité et la pertinence de l’analyse schumpetérienne, en focalisant sur les complexes rétroactions entre l’innovation et les dynamiques financières, dans le courant contexte économique. De plus, les résultats de ces études mettent en évidence la nécessité de développer un cadre macroéconomique qui soit cohérent et adapté pour analyser les interactions entre innovation et finance. L’élaboration d’une telle perspective nouvelle est même rendue plus urgente aujourd’hui en raison du rôle nouveau, significatif et incontournable que jouent les marchés financiers dans le fonctionnement de nos systèmes économiques, comme conséquence du processus de financiarisation qui débuta il y a plus de trente ans. Néanmoins un tel cadre est encore à élaborer. »

Alessandro Caiani, Antoine Godin & Stefano Lucarelli, « Innovation and finance: an SFC analysis of great surges of development », Levy Economics Institute, working paper, n° 733, octobre 2012.