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Tag - grexit

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dimanche 12 juillet 2015

La crise grecque et ses répercussions internationales selon Reinhart



« (…) Mes travaux se sont focalisés sur divers types de crises financières et sur leurs conséquences économiques, notamment la contagion internationale. L’une des principales leçons que j’ai pu tirer de mes analyses est que les crises sévères suivent le même schéma, que ce soit d’un pays à l’autre ou à travers le temps. (…)

La situation en Grèce

Je vais me focaliser sur les multiples possibilités de défauts. Mêle si les événements s’étaient suffisamment arrangés pour que le gouvernement puisse honorer ses engagements vis-à-vis du FMI à la fin du mois de juin, la probabilité d’un défaut au cours de l’été serait restée importante. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles le défaut apparaît probable. Considérons les deux plus importantes.

Premièrement, la perte généralisée de confiance dans la soutenabilité du statu quo a entraîné une exacerbation brutale des arriérés intérieurs (privés et publics). Le secteur privé, inquiet à propos d’une éventuelle sortie de la zone euro et par un nouveau ralentissement de l’activité économique, a davantage fait défaut sur les dettes existantes ; environ la moitié des prêts bancaires sont non performants et leur part s’élève à 75 % si l’on exclut la dette de carte de crédit. Les paiements d’impôts sont retardés ou évités, ce qui aggrave une position budgétaire déjà précaire. Les tentatives de thésaurisation de la part de la population se traduisent également par l’accélération brutale des retraits de dépôts. Une estimation très prudente indiquerait que les dépôts ont chuté d’environ 45 % depuis leur pic en 2009

Avec la contraction rapide des dépôts et la multiplication des prêts non performants, le secteur bancaire est proche de la paralysie. Le gouvernement se finance lui-même en ne payant pas ses factures, ce qui rappelle notamment les événements précédant le défaut russe d’août 1998 et défaut argentin de la fin de l’année 2001. Aussi, les dépôts des administrations publiques dans le secteur bancaire avaient été retirés à plus de 40 % à la fin d’avril.

Deuxièmement, le paiement approximatif de 1,6 milliard d’euros au FMI à la fin du mois de juin n’est seulement qu’une fraction des montants venant à échéance en juillet, août et septembre. Ces derniers représentent respectivement environ 7, 5,6 et 6 milliards d’euros. Ces paiements sont un multiple des liquidités courantes du gouvernement. A présent, la Grèce consacre moins de 2 % de son PIB aux paiements d’intérêt, donc même si un nouveau compromis de la part des créanciers publics retardait de tels paiements, il ne libérerait pas de beaucoup de ressources, notamment pour payer les arriérés intérieurs et des paiements extérieurs sur les dettes venant à échéance.

La contagion européenne

Avant de débuter notre réflexion sur les risques de contagion en cas de défaut grec, nous devons noter l’absence d’élément de "surprise".

Dans mes travaux sur la contagion, j’ai constaté qu’une contagion financière "rapide et furieuse" (fast and furious) n’est généralement possible que lorsque la crise prend les investisseurs et les gouvernements par surprise.

Il n’y a pas de surprise. Parce que le drame grec s’est déroulé sur plusieurs années, l’exposition du secteur privé (qui est à dire, en dehors de la Grèce) a fortement décliné depuis le printemps de l’année 2010. Avant la crise financière, la majorité de la dette grecque était entre les mains de créanciers externes privés (banques et agents non bancaires). De tels liens financiers ont accru les chances de répercussions significatives. Durant les cinq dernières années, les créanciers publics (notamment le FMI et la BCE) ont absorbé les dettes publiques grecques. Donc, l’ampleur d’une éventuelle contagion via les canaux financiers est limitée. L’exposition du côté réel à la Grèce via le commerce n’est pas un nouveau facteur à considérer, dans la mesure où le PIB grec s’est déjà contracté d’environ 25 % depuis le début de la crise, plus rapidement que les importations en provenance du reste de l’Europe. Le risque demeure que les investisseurs perdent leur discernement et s’attaquent à d’autres pays de la périphérie européenne si le défaut grec survenait. La probabilité d’un tel scénario, cependant, est atténuée par le fait qu’une part significative de la dette publique de la périphérie européenne (en particulier du Portugal et de l’Irlande) est aussi entre des mains d’institutions publiques, par le fait que ces pays ont renoué plus rapidement avec la reprise que la Grèce et enfin par le fait que la périphérie européenne recevrait le soutien du centre et du FMI si un tel événement survenait.

Les implications pour les Etats-Unis, les marchés de change mondiaux et les pays émergents

Les répercussions qu’aurait un défaut de paiement grec, probablement dans le contexte d’une sortie de la zone euro, sur les Etats-Unis sont susceptibles d’être très limitées en termes d’ampleur. L’exposition financière, qui était déjà initialement faible, n’est pas une source particulière d’inquiétude pour les institutions financières américaines. Le marché grec n’est pas non plus une destination majeure pour les exportations américaines. Prédire les fluctuations exactes de taux de change est un objectif insaisissable pour les économistes, donc prenez mes observations avec une certaine dose de scepticisme. Si un défaut grec enclenche de substantielles turbulences en Europe, nous verrions une fuite vers les titres sûrs, au profit des actifs en dollar américain, notamment les bons du Trésor. Cela a été le schéma “standard” que l’on a pu observer au cours des vagues passées de volatilité mondiale. Si c’est le cas, le dollar américain est susceptible de davantage s’apprécier vis-à-vis de l’euro et de la plupart des autres devises. Dans ce cas, l’appréciation du dollar affecterait tout particulièrement le secteur manufacturier américain, pas de la même façon que les impacts déjà perçus depuis le début de l’année.

En termes de plus larges conséquences, une appréciation du dollar peut compliquer la normalisation de la politique monétaire américaine en désincitant la Fed à retirer son taux directeur de la borne inférieure zéro. En outre, plusieurs pays émergents ayant une dette externe libellée en dollar (qu’elle soit publique ou privée) verraient leur situation s’aggraver avec la poursuite de l’appréciation du dollar, toutes choses égales par ailleurs.

La Grèce est déjà proche de l’autarcie financière. Elle dépend presque entière du soutien fourni par la BCE et de d’autres prêteurs publics. L’écart entre un défaut de jure et un défaut de facto s’est significativement réduit. Par conséquent, la prochaine étape de cette crise peut avoir des conséquences limitées pour l’économie mondiale. »

Carmen M. Reinhart (2015), « Testimony before the Committee on Banking, Housing, and Urban Affairs, Subcommittee on National Security and International Trade and Finance », 25 juin 2015. Traduit par Martin Anota

mercredi 6 mai 2015

La menace d’une sortie de la zone euro est le seul atout du gouvernement grec

« Et voilà un nouveau cycle de négociations entre la Grèce et ses partenaires européens pour chercher une solution de dernière minute avant que le gouvernement grec soit à court de liquidités. On ne sait absolument pas de quel côté aboutiront les négociations. La Grèce ne risque pas d’avoir une large victoire, mais elle peut réussir à obtenir suffisamment de temps s’il y a un accord autour d’un ensemble raisonnable de réformes qui seraient mises en œuvre au cours des prochains mois. Les réformes peuvent être présentées aux Grecs de manière très différente qu’elles sont présentées à Bruxelles.

Ce que la Grèce cherche vraiment dans ces négociations est simple : une restructuration et une réduction de sa dette actuelle qui leur permettrait de survivre au cours des prochaines années avec un (petit) excédent primaire. Ceci signifierait qu’elle ne ferait plus face à une quelconque pression et qu’elle pourrait mettre en œuvre toutes les politiques qu’elle désire sans s’inquiéter de l’obtention de nouveaux prêts aussi longtemps qu’elle génère un excédent primaire, ce qui peut être faisable étant donné l’état actuel du budget. En contrepartie, il va être facile de promettre des réformes (…) (réduire les barrières bureaucratiques, élargir l’assiette fiscale, améliorer l’efficacité gouvernementale…). Bien sûr, quand il s’agira de mettre effectivement en œuvre ces réformes, le soutien peut laisser place à une forte opposition. La Grèce ne veut pas non plus quitter l’euro. Le soutien parmi les électeurs grecs est très élevé et le gouvernement comprend l’incertitude et les risques auxquels la Grèce ferait face si elle abandonnait l’euro.

Ce que les partenaires européens veulent est beaucoup moins clair. Ils aimeraient être remboursés sur la totalité de la dette grecque qu’ils détiennent, mais ce n’est pas susceptible d’arriver. Certains aimeraient voir la Grèce en-dehors de la zone euro, pour qu’ils n’aient pas à traiter avec cela à nouveau. Qu’importe l’accord qui sera obtenu, il est probable que ce ne soit pas le dernier. Le manque de confiance a atteint des niveaux tels qu’il est désormais évident pour certains que le grexit constitue la meilleure solution à long terme. Mais ils sont effrayés des conséquences, que ce soit à court terme ou à long terme, notamment les coûts en termes de crédibilité de l’appartenance à la zone euro qui résulteraient du départ de la Grèce. Ce que personne ne veut est un accord qui n’offrirait pas une solution permanente au problème. Mais est-ce possible ? Vous voulez que la Grèce s’engage de façon crédible à mettre en œuvre des réformes d’une manière qui puisse garantir un excédent primaire suffisamment large et qui puisse ainsi réduire le risque qu’une crise éclate à l’avenir. Mais l’engagement crédible sur les réformes n’est pas faisable. Les réformes prennent du temps pour être conçues et être mises en œuvre et il y a tellement d’incertitude à propos de la croissance et des taux d’intérêt que l’on ne peut pas exclure la possibilité d’une future crise.

L’intersection entre ce que le gouvernement grec veut et ce que les partenaires européens veulent est pour l’heure un ensemble vide (si l’on écarte toutes les solutions infaisables). Et c’est pourquoi un risque d’échec dans les négociations est réel. La seule chose qui pourrait empêcher l’échec serait que l’Allemagne (et par d’autres) soit incitée à trouver compromis de crainte qu’un défaut souverain de la Grèce et sa sortie de la zone euro génèrent une crise aux conséquences inconnues. Aucun doute que cette peur ait décliné au cours des dernières années, dans la mesure où les marchés continuent d’exiger de faibles taux d’intérêt sur les dettes publiques espagnole et italienne alors même que les négociations se poursuivent. Mais peut-être que les marchés sont confiants parce qu’ils estiment qu’un compromis sera trouvé à la dernière minute (une bonne prédiction étant donné ce que nous avons vu par le passé) ou peut-être parce qu’ils croient que la BCE pourra protéger les autres pays périphériques de la contagion avec peut-être une nouvelle déclaration de Draghi que la BCE fera "tout ce qui sera nécessaire" (whatever it takes).

Mais le pouvoir de la BCE à contenir une sortie potentielle de la zone euro n’est pas infini. Il va dépendre de la manière par laquelle la Grèce abandonne l’euro. Peut-être que la BCE peut contenir une partie du risque économique, mais qu’en est-il du risque politique ? »

Antonio Fatás, « The Greek dra(ch)ma is back? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 3 mai 2015. Traduit par Martin Anota

vendredi 30 janvier 2015

La Grèce, l’UEM et la démocratie

« Un nouveau billet sur la Grèce, et probablement pas le dernier.

Les marchés s’inquiètent de ce qui est en train de se passer et l’on parle de plus en plus d’une sortie de la Grèce (grexit) de la zone euro. Comme je l’ai affirmé dans mes précédents billets, le gouvernement grec ne désire pas sortir de la zone euro, mais cela pourrait être la seule option qu’il pourrait avoir si la BCE refuse de fournir de la liquidité aux banques grecques (…).

Commençons par rappeler (comme je l’ai fait à maintes reprises dans mes billets) que je considère que les politiques économies poursuivies en Europe ont été un désastre, des pays comme la Grèce n’auraient pas dû autant souffrir qu’ils ont eu à la faire. Et je suis convaincu que dans plusieurs de ces pays, l’austérité a entraîné une hausse des ratios dette publique sur PIB et non leur baisse. C’est un réel désastre.

Mais ce n’est pas à propos de ça que porteront les négociations. La vérité, c’est que la crise nous a amené à revoir la manière par laquelle nous concevons le partage d’une devise unique, l’expérience même de l’union économique et monétaire (UEM). Par le passé, nous parlions de zones monétaires optimales, de la synchronicité des cycles d’affaires et de l’absence de mécanisme de transferts budgétaires ; nous réalisons maintenant que le vrai problème est comment gérer une crise qui accule les gouvernements au défaut tout en provoquant des paniques bancaires dans les pays-membres (chose que beaucoup pensaient impossible). Le rôle que la BCE joue dans ces circonstances n’est pas le rôle que joue typiquement une banque centrale et on ne peut ignorer les aspects politiques associés aux choix difficiles auxquels elle fait face.

Même s’il est vrai que Syriza a été choisi par les électeurs grecs et qu’il s’agit ainsi d’une victoire de la démocratie, il y a aussi des électeurs dans d’autres pays qui aimeraient enfin se faire entendre par leur gouvernement.

Et voici la question que je pense fondamentale : si les électeurs avaient le choix aujourd’hui, choisiraient-ils d’avoir la monnaie unique au vu des pays-membres actuels ? Que feraient-ils s’ils pouvaient décider de l’adhésion de certains pays ? Il n’y a pas de doute que dans certains pays les électeurs aimeraient une configuration différente de la zone euro. Pas de doute que l’Allemagne serait plus heureuse s’il y avait moins de pays-membres, en particulier s’il n’y avait pas les "fauteurs de trouble".

Et cette décision ne sera pas juste fondée sur des arguments économiques, elle dépendra aussi en partie des émotions générées par la crise, mais aussi des premières déclarations du gouvernement formé par Syriza (en l’occurrence, proposer de reconsidérer les sanctions imposées à la Russie n’aide pas vraiment). Donc si la configuration actuelle ne marche plus, que faire ? Il n’y a pas de processus explicite pour la changer. Les pays peuvent décider d’abandonner l’euro s’ils n’aiment pas ce qu’il s’y passe. Mais certains considéreront les négociations actuelles avec la Grèce comme une opportunité pour changer la liste des membres de la zone euro.

Si l’on peut éviter (le gros de) la contagion, l’Allemagne et Bruxelles détiennent tout le pouvoir dans ces négociations. (…) Mais peut-on éviter la contagion ? La réponse à cette question était clairement négative il y a trois ans. Et c’est pourquoi ce ne fut pas une option. Aujourd’hui je n’en suis pas aussi sûr. Il y a trois ans, l’Espagne ou l’Irlande ou l’Italie faisaient face à des conditions économiques très difficiles qui semblaient similaires à celles de la Grèce. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. La croissance est très lente, mais les déficits sont sous contrôle, les ratios dette publique sur PIB diminuent dans certains pays et les taux d’intérêt sont faibles et ils ne réagissent pas beaucoup aux résultats des élections grecques.

Aujourd'hui, la contagion peut davantage provenir du côté politique. Si les électeurs dans les autres pays décident d’élire des partis similaires à Syriza, nous connaîtrons le même scénario dans quelques mois en Espagne ou en Italie. Mais les électeurs vont-ils le faire s’ils voient que la sortie de l’euro est une possibilité ? Rappelons que ces partis politiques ne veulent pas quitter l’euro. Même s’ils sont critiques quant aux politiques européennes, la plupart des citoyens ne veulent pas quitter l’euro. Je pense qu’une sortie de la Grèce de la zone euro influencerait les événements politiques se déroulant dans les autres pays européens (…). Et cela va limiter la possibilité d’une "contagion politique".

Nous vivons une période intéressante. Je reviendrai sur le sujet. »

Antonio Fatás, « Greece, EMU and democracy », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), janvier 2015. Traduit par Martin Anota