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Tag - hystérèse

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jeudi 13 juillet 2017

Pourquoi les récessions suivies par l’austérité ont un impact durable sur l’activité

« Les étudiants apprennent tôt que la demande agrégée importe à court terme, mais qu’à long terme la production est déterminée du côté de l’offre. Une meilleure façon de formuler cela est de dire que l’offre s’ajuste à la demande à court terme, mais que la demande s’ajuste à l’offre à long terme. Une partie clé de cette conceptualisation est que l’offre de long terme est indépendante des variations de la demande à court terme (les expansions et les récessions). C’est une conceptualisation simple qui s’est révélée être extrêmement utile par le passé. Regardez juste les données du Royaume-Uni présentées dans ce billet : malgré les chocs pétroliers, la récession provoquée par l’expérience monétariste et la récession provoquée par la crise du système monétaire européen, la production par tête au Royaume-Uni semble être revenue à une tendance sous-jacente de 2,5 % par an après la Seconde Guerre mondiale.

Mais plus maintenant : la production par tête est désormais inférieure de plus de 15 % à cette tendance et, depuis le Brexit, cet écart s’accroît trimestre après trimestre. Dans la plupart des pays développés, il semble que la crise financière mondiale ait changé la tendance sous-jacente de la croissance. Vous trouverez plein d’histoire et d’articles qui essaient d’expliquer cela comme un ralentissement de la croissance de l’offre provoqué par un ralentissement du progrès technique qui daterait d’avant la crise financière et qui serait indépendant de la récession provoquée par celle-ci.

Dans un précédent billet, j’ai observé de récentes preuves empiriques qui suggèrent un récit différent : que la récession qui a suivi la crise financière mondiale semble avoir eu un impact permanent sur la production. Vous pouvez raconter cette histoire de deux façons. Selon la première, aujourd’hui, pour une raison ou une autre, l’offre s’est ajustée à une plus faible demande. Selon la seconde, nous sommes toujours dans une situation où la demande globale est inférieure à l’offre.

Les raisons théoriques expliquant pourquoi l’offre peut s’être ajustée à une demande plus faible ne sont pas difficiles à trouver. (Elles sont souvent regroupées par les économistes sous l’étiquette d’"effets d’hystérèse"). L’offre (en termes de production par tête) dépend du taux d’activité, du montant de capital productif dans l’économie et finalement du progrès technique, qui désigne tout ce qui améliore la façon par laquelle le travail et le capital se combinent au niveau agrégé pour générer la production. Une longue période de faible demande peut décourager les travailleurs. Elle peut aussi freiner l’investissement : un investissement peut être profitable, mais s’il n’y a pas de demande, il ne sera pas financé.

Cependant, le canal la plus évident pour lier une récession à l’offre de plus long terme est via le progrès technique, ce qui fait écho à la vaste littérature regroupée sous le terme de « théorie de la croissance endogène. Cela peut être fait via un modèle AK simple (comme Antonio Fatas le fait ic) ou en utilisant un modèle plus élaboré du progrès technique, comme le font Gianluca Benigno et Luca Fornaro dans leur analyse titrée "Stagnation traps". L’idée fondamentale est que, dans une récession, l’innovation est moins profitable, si bien que les entreprises font moins d’innovations, ce qui entraîne une moindre croissance de la productivité et donc de l’offre. Narayana Kocherlakota a développé cette idée, comme vous pouvez le voir avec l’exemple qu’il donne ici.

Le second type d’explications est attrayant, en partie parce que le mécanisme qui est censé ramener la demande vers l’offre (en l’occurrence la politique monétaire) a été hors d’action pendant une longue période en raison de la borne inférieure zéro (zero lower bound). (La borne inférieure joue également un rôle important dans le modèle développé par Benigno et Fornaro.) Cependant, pour certains, ce type d’explications semble actuellement exclue dans la mesure où le chômage est proche des niveaux d’avant-crise au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

J’ai trois problèmes différents avec l’idée selon laquelle nous n’aurions plus un problème de demande insuffisante au motif que le chômage serait faible. Le premier, et le plus évident, est que le taux de chômage naturel peut être, pour diverses raisons, considérablement plus faible qu’il ne l’était avant la crise financière mondiale. Le deuxième problème est (…) de faibles salaires réels peuvent avoir encouragé les entreprises à utiliser des techniques plus intensives en travail. Si c’est ce qui s’est passé, cela ne signifie pas que le problème d’insuffisance de la demande ait été écarté, mais juste qu’il est moins manifeste. (Pour ceux qui ont un problème conceptuel avec cela, pensez juste au modèle le plus simple des nouveaux keynésiens, qui suppose un marché qui s’équilibre parfaitement, mais qui présente pourtant une insuffisance de la demande.)

Le troisième problème se focalise sur la nature de tout ralentissement de la productivité provoqué par le manque d’innovations. Une question clé, à laquelle les articles cités ci-dessus ne s’attaquent pas directement, est si nous parlons de la recherche à la frontière ou davantage de la mise en œuvre des innovations (par exemple, copier ce que font les entreprises situées à la frontière.) Il y a certaines preuves empiriques qui suggèrent que le ralentissement de la productivité peut refléter l’absence de cette dernière. C’est très important, parce que si c’est le cas, cela implique que le ralentissement est réversible. J’ai affirmé que les banques centrales doivent prêter davantage d’attention à ce que j’ai appelé le retard d’innovation (c’est-à-dire à l’écart entre les meilleurs techniques et ce que les entreprises emploient effectivement) et au lien que celui-ci entretien avec l’investissement et la demande agrégée.

Tout cela montre qu’on ne manque pas d’idées pour saisir comment une récession sévère et une lente reprise peuvent avoir des effets durables. S’il y a un problème, c’est davantage le fait que la conceptualisation simple dont j’ai parlé au début de ce billet a façonné étroitement la façon par laquelle la plupart des gens pensent. Si l’un des mécanismes dont j’ai parlé est important, alors cela signifie que la folie de l’austérité a eu un impact qui peut durer au moins une décennie plutôt que quelques années. »

Simon Wren-Lewis, « Why recessions followed by austerity can have a persistent impact », in Mainly Macro (blog), 12 juillet 2017. Traduit par Martin Anota



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« L’austérité laisse des cicatrices permanentes sur l’activité »

« L’hystérèse, ou comment la politique budgétaire a retrouvé sa légitimité »

mardi 1 mars 2016

Les arguments en faveur de l'investissement public

« (…) Venons-en aux arguments qui m’amènent à appeler à un surcroît d’investissement public aujourd’hui. Oui, "arguments", au pluriel. Il y a au moins trois raisons qui m’amènent à conclure que nous devons dépenser bien plus dans les infrastructures publiques que nous ne le faisons actuellement.

Le premier argument est que les Etats-Unis ont un sérieux déficit en termes d’infrastructures et qu’il n’a jamais été aussi peu coûteux de combler ce déficit. Les coûts d’emprunt du gouvernement sont à des niveaux historiquement faibles ; les marchés sont en effet en train d’implorer le gouvernement d’emprunter et de dépenser. Donc pourquoi ne pas le faire ? Il est complètement fou que la construction publique (exprimée en % du PIB) ait décliné à des niveaux historiquement faibles, alors même que les taux d’intérêt aient fait de même (…).

Le deuxième argument est un peu moins simple : nous sommes toujours dans une trappe à liquidité (ou proches de celle-ci), c’est-à-dire dans une situation où la réduction des taux d’intérêt aussi ample que possible ne suffit pas pour restaurer le plein emploi. L’analyse standard suggère une situation comme celle-ci :

Paul_Krugman__trappe_a_liquidite.png

Par taux d’intérêt "naturel" je me réfère au taux d’intérêt de court terme fixé par la Fed qui ramènerait l’économie au plein emploi. Dans le sillage d’une crise financière, avec un secteur privé surendetté, il est possible (et c’est ce que l’on observe effectivement) que ce taux d’intérêt devienne négatif pendant une certaine période de temps (et non, la possibilité de fixer les taux d’intérêt à des niveaux légèrement inférieurs à zéro ne change significativement pas le problème). Cela signifie que pendant période de temps étendue la politique monétaire conventionnelle ne peut restaurer le plein emploi ; et même si la politique monétaire non conventionnelle peut être essayée et doit l’être effectivement, il y a une chose que nous savons efficace : c’est l’accroissement des dépenses publiques. Donc il y a un réel argument en faveur d’une hausse des dépenses publiques lorsque nous sommes dans une trappe à liquidité. Ces dépenses seront défaites plus tard, sans heurter l’emploi, parce qu’une fois que nous sommes sorties de la trappe à liquidité, la Fed peut compenser les effets récessifs d’une consolidation budgétaire en retardant le resserrement monétaire qu’elle aurait sinon mis en œuvre. C’est pourquoi Keynes affirma que "c’est lors d’une expansion, et non durant une récession, qu’il faut adopter l’austérité".

Vous pouvez vous interroger avec raison si nous sommes toujours dans de telles conditions, dans la mesure où la Fed a déjà commencé à relever ses taux. Eh bien, elle n’aurait pas dû les relever. Elle ne devrait pas les relever tant qu’elle ne voit pas l’inflation dans le blanc des yeux. Et il suffirait d’un modeste choc pour nous basculer à nouveau le taux d’intérêt naturel dans le territoire négatif. Formulons-le ainsi : l’histoire de risques asymétriques que beaucoup d’entre nous mettons en avant pour rejeter l’idée qu’il faille relever les taux justifie également l’idée que nous considérerions l’investissement public comme une police d’assurance, donnant à l’économie une marge de manœuvre qui se révèlerait cruciale si quelque chose se passait mal. Que dire à propos de la possibilité que le taux d’intérêt naturel reste négatif pendant très longtemps, voire définitivement ? C’est l’hypothèse de la stagnation séculaire. (…) Elle renforce l’idée qu’il faille un surcroît de dépenses publiques.

Enfin, il y a aussi les effets d’hystérèse : l’idée selon laquelle la faiblesse actuelle de la demande globale affaiblisse l’offre plus tard, si bien qu’il est payant de stimuler aujourd’hui l’économie via les dépenses publiques. Il y a maintenant beaucoup de preuves empiriques suggérant que des effets d’hystérèse sont à l’œuvre. Ce qui m’inquiète par contre, c’est que les chiffres de la production potentielle ne soient pas exacts, en l’occurrence qu’ils reflètent davantage le mauvais esprit des institutions internationales plutôt qu’ils ne révèlent ce qui se passe vraiment du côté de l’offre de l’économie réelle. Je reviendrai sur ce point bientôt. Mais c’est une raison supplémentaire pour accroître l’investissement public aujourd’hui et de s’inquiéter un peu moins à propos de la dette que nous pourrions accumuler aujourd’hui à des taux très très faibles.

En conclusion, l’économie orthodoxe la plus standard permet de justifier l’idée qu’il faille davantage de dépenses dans les infrastructures publiques. Et c’est quelque chose que l’on ne dit pas assez souvent. »

Paul Krugman, « The cases for public investment », in The Conscience of a Liberal (blog), 27 février 2016. Traduit par Martin Anota



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« Krugman, Fisher et Minsky »

« C’est le moment de relancer les infrastructures »

« Multiplicateur budgétaire et politique monétaire »

mercredi 11 novembre 2015

Les perspectives d’inflation et de chômage dans les pays avancés selon Larry Summers



« Durant le dernier quart de siècle, il y a eu un consensus en faveur de modèles macroéconomiques qui séparaient les questions du potentiel de croissance et de performance conjoncturelle. Le consensus affecte (et je dirais infecte) la macroéconomie universitaire et de façon plus importante la conduite de la politique monétaire. C’est la prémisse centrale derrière le ciblage d’inflation et les banquiers centraux (sans exception) affirment qu’ils ont la capacité d’affecter ou même de déterminer l’inflation à long terme, mais qu’ils n’ont pas la capacité d’affecter le niveau moyen de production, encore moins son taux de croissance dans le temps, même s’ils peuvent avoir la capacité d’affecter l’amplitude des fluctuations conjoncturelles.

Il est compréhensible, étant donné l’expérience des années soixante-dix, que ce consensus se soit formé. (…) Le monde allait alors mal (…), il connaissait une forte inflation avec peu de bénéfices économiques et un coût considérable. Cette situation accrédita les théories de la neutralité monétaire et, avec un certain retard, l’idée selon laquelle les questions de cohérence dynamique sont cruciales lorsque l’on réfléchit à propos de l’inflation. Ce qui émergea par la suite autour du monde fut un consensus (pour ne pas dire une obsession) autour de l’idée que les banques centrales doivent être indépendantes et que la politique doit être guidée par les règles et non soumise à la discrétion des autorités.

La thèse que je compte développer ici est que le pendule est allé trop loin au regard de la neutralité monétaire, l’indépendance de la banque centrale et les dangers de la discrétion. Même si les politiques monétaires ne déterminent pas les dynamiques à long terme, elles peuvent avoir (et dans certains cas, elles ont) des effets significatifs sur les niveaux moyens de production au cours de périodes longues de plusieurs décennies. De plus, l’échec à intégrer la conduite même de la politique monétaire avec d’autres domaines de politique économiques a eu de profondes répercussions pernicieuses. Et le monde est trop imprévisible pour que de simples règles constituent des guides infaillibles pour la politique monétaire.

(…) Il est approprié en politique macroéconomique (et en particulier en ce qui concerne la politique monétaire) de se focaliser sur deux courants de la théorie économique, en l’occurrence celui associé à l’hystérèse (hystérésis) et celui associé à la stagnation séculaire. Tous deux font référence (…) à des chocs susceptibles d’avoir des effets adverses durables sur la performance économique.

Avant que je développe ces deux idées, notons à quel point la période actuelle est singulière. Ni aux Etats-Unis, ni en Europe, ni au Japon, les marchés n’anticipent pas une inflation égale à la cible de 2 % au cours de la prochaine décennie. En moyenne, dans le monde industrialisé, les marchés estiment que le taux d’intérêt réel au cours de la prochaine décennie sera nul. Il est intéressant de souligner que ce sont des prévisions par le marché, qui considèrent que des actions seront entreprises si les choses tournent mal. Donc si on leur demandait "quelles sont vos prévisions d’inflation et de taux d’intérêt réels conditionnelles à la trajectoire de la politique monétaire qui est actuellement annoncée ?", les marchés répondraient qu’ils s’attendent à ce que l’inflation et les taux d’intérêt réels soient encore plus faibles. Vous devez garder en tête ces réalités lorsque vous considérez l’éventualité des effets d’hystérèse et de la stagnation séculaire. (…)

Je comprends que (…) certains puissent penser qu’il n’est pas certain que l’existence d’effets d’hystérèse soit prouvée. Ce n’est pas ma lecture des événements et des données empiriques, mais je comprends qu’on puisse aboutir logiquement à une telle lecture. Ce que je ne comprends pas par contre, c’est que l’on puisse accepter l’idée qu’il y ait d’importants effets d’hystérèse et que l’on refuse en même temps d’admettre qu’ils aient de larges implications pour la conduite de la politique monétaire. Je ne comprends pas comment certains acceptent qu’il y ait d’importants effets d’hystérèse, mais ne parviennent pas à comprendre qu’il faille assouplir les politiques économiques le plus agressivement possible pour contenir les récessions lorsqu’elles commencent (et ce, même au risque de provoquer de l’inflation).

Il y a quelque chose de très important et de très pertinent pour les débats actuels de politique économique. En raison des effets d’hystérèse, une inflation inférieure à sa cible est bien plus coûteuse qu’une inflation supérieure à sa cible. Une inflation supérieure à sa cible génère les perturbations associées à une inflation excessive, mais elle peut inciter les entreprises à accroître leurs capacités de production. Une inflation inférieure à sa cible, par contre, provoque les perturbations associées à une inflation trop basse, plus des pertes en production permanentes ou semi-permanentes que l’on peut éviter en faisant ce qui est nécessaire pour ramener l’inflation à sa cible.

Pour conclure sur ce point, je voudrais noter qu’il y a quelques années, Brad DeLong et moi avons écrit un papier à propos de la politique budgétaire et des implications pour la politique budgétaire. Nous définissions dans cet article un paramètre que nous avons appelé η. C’est finalement la réponse à la question "si la production diminue de 1 % au cours d’une année donnée, de combien la production potentielle sera réduite par conséquent ?". Nous avons conclu que si vous avez des effets d’hystérèse de l’ordre de 0,1 (ce qui signifie qu’une baisse de 1 % de la production se traduirait par une baisse de 0,1 % de la production potentielle), ils auraient de profonds effets pour notamment savoir si la politique budgétaire s’autofinance.

Si vous prenez les estimations empiriques d’Olivier Blanchard et de moi-même ou celles de Jordi Gali sérieusement, elles suggèrent des paramètres η qui sont 10 fois plus importants. Je ne serai pas surpris du tout si de nouvelles études révisaient à la baisse nos estimations des effets d’hystérèse. Mais je serais très surpris si nos estimations étaient tellement révisées à la baisse qu’elles n’auraient plus de profondes implications.

Cela m’amène à la question, étroitement reliée, mais aussi clairement distincte, de la stagnation séculaire. La stagnation séculaire et l’hystérèse ont évidemment des chances de se renforcer l’une l’autre. Si une économie stagne pour une raison ou une autre, cela peut entraîner des effets d’hystérèse. La perspective d’une croissance plus lente entretient alors la stagnation. Dans un sens, une sorte de loi de Say inversée est en vigueur : le manque de demande crée un manque d’offre. A cet égard, il est utile de noter, comme le graphique l’illustre, que les écarts de production (output gaps) se sont réduits depuis 2009, non pas grâce à une hausse de la production, mais à cause d’une dégradation de la production potentielle.

GRAPHIQUE PIB effectif et PIB potentiel des Etats-Unis (en milliers de milliards de dollars 2013)

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La thèse de la stagnation séculaire est essentiellement ceci : en raison d’un excès chronique (…) d’épargne par rapport à l’investissement, la croissance aura tendance à être lente et les taux d’intérêts réels auront tendance à être faibles et, en l’occurrence, tellement faibles que les taux d’intérêt risquent d’être contraints à un niveau supérieur à celui nécessaire pour qu’il y ait un équilibre de plein emploi. Ou (…) les taux sont tellement faibles qu’ils suscitent des inquiétudes quant à la stabilité financière, parce que de faibles taux d’intérêt sont susceptibles de stimuler la prise de risque et de favoriser divers autres facteurs contribuant aux bulles financières.

Du point de vue de la théorie de la stagnation séculaire, beaucoup de ce dont les gens s’inquiètent à propos dans la politique monétaire est endogène plutôt qu’exogène (notamment les taux zéro, les conditions qui donnent lieu à des taux de long terme négatifs et les décisions pour accroître les bilans). Ce ne sont pas des actes exogènes. Ce sont des réponses nécessaires au chômage et aux pressions déflationnistes qui trouvent leur source dans l’excès de l’épargne sur l’investissement.

(…) La meilleure manière d’aider la banque centrale va dépendre des circonstances. En Europe, il semble à moi que la réforme structurelle semble être un remède à la stagnation séculaire. Outre les vertus traditionnelles de la réforme structurelle, elle est susceptible de créer (…) des opportunités d’investissement attractives qui vont élever les taux d’intérêt réel d’équilibre et permettre de revenir au plein emploi à des taux d’intérêt qui sont propices à la stabilité financière. Il est en outre justifié de recourir à l’expansion budgétaire là où il existe une marge de manœuvre, en particulier dans les pays qui génèrent de larges excédents de comptes courants.

Aux Etats-Unis, il y a aussi une marge substantielle pour la réforme structurelle mais, selon moi, les plus graves déficiences concernent le manque d’investissements publics. C’est indéfendable (sur les terrains de la microéconomie, de la macroéconomie ou du sens commun) à un moment où les coûts du capital sont historiquement faibles et où le non-emploi dans la construction est substantiel, la part de l’investissement public est à un niveau historiquement faible. Et quelqu’un qui passe par l’aéroport John F. Kennedy sait de quoi je parle. (…)

Une dernière remarque. Certains parmi vous savent que j’ai eu quelques échanges musclés, par billets de blog interposés, avec Ben Bernanke, échanges au cours desquels j’ai pu apparaître comme l’avocat de la théorie de stagnation séculaire et Ben l’avocat de la théorie de la surabondance d’épargne (savings glut). Pourtant, stagnation séculaire et surabondance d’épargne sont les deux faces de la même pièce. Elles reposent sur la même idée, celle d’un excès d’épargne.

Ben a noté avec pertinence qu’une stagnation séculaire qui n’aurait pas été traitée dans une économie est contagieuse : si une économie connaît un excès d’épargne sur l’investissement, les taux d’intérêt domestiques vont diminuer, ce qui génère des excédents de compte courant et entraîne une sortie de capitaux, qui entraîne alors une dépréciation de la devise et à l’appréciation de devises dans le reste du monde, et par conséquent à répartir la faible demande et les faibles taux d’intérêt ailleurs dans le monde. La stagnation séculaire est une maladie contagieuse. Ceux qui en souffrent ont l’obligation d’y remédier. Ceux qui sont exposés au risque de contagion sont dans leur droit lorsqu’ils encouragent ceux qui en sont malades d’en venir à bout.

Ce n’est pas un appel pour un nouvel assouplissement de la politique monétaire européenne. Une politique monétaire européenne plus accommodante peut peut-être améliorer la situation en Europe, mais elle accroîtrait, via le mécanisme que j’ai décrit, l’ampleur de la contagion. J’appelle de toute urgence à ce que d’autres actions soient entreprises en Europe afin d’accroître les taux d’intérêt réels d’équilibre et de stimuler la croissance économique. »

Lawrence H. Summers, « Current perspectives on inflation and unemployment in the euro area and advanced economies », discours prononcé à la conférence de la BCE à Sintra, au Portugal, 22 mai 2015. Traduit par Martin Anota



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« Larry Summers et la stagnation séculaire »

« Les pays avancés font-ils face à une stagnation séculaire ? »

« Bernanke, Summers et la stagnation séculaire »

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vendredi 16 octobre 2015

La croissance économique n’est pas exogène !

« Dans les pages du Financial Times, Kenneth Rogoff affirme que l’économie mondiale souffre davantage d’un surplomb de dette (debt hangover) que d’une insuffisance de la demande globale. Ce n’est pas contradictoire avec les raisonnements théoriques et les analyses empiriques existantes : les crises financières tendent à être plus persistantes que les crises normales. Cependant c’est toujours une question ouverte de savoir si c’est la raison fondamentale expliquant pourquoi la croissance économique a été si anémique ou si d’autres facteurs (comme l’insuffisance de la demande globale, la stagnation séculaire…) importent autant, voire même plus.

Dans cet article, Rogoff considère que c’est une mauvaise idée d’utiliser des politiques de stimulation de la demande pour faire face à la dette, la cause ultime de la crise. Dans la mesure où les dépenses publiques continuent d’augmenter (il estime que les dépenses publiques en France représentent de 57 % de son PIB), il considère qu’il est peu crédible d’appeler à un surcroît de dépenses publiques.

Mais son raisonnement néglige un point crucial. Le ratio dette publique sur PIB et le ratio dépenses publiques sur PIB dépendent tous les deux du PIB, or la croissance du PIB ne peut être considérée comme exogène. Il n’est pas raisonnable de supposer que la trajectoire du PIB soit indépendante de l’orientation conjoncturelle de l’économie. Malheureusement, c’est bien l’hypothèse que font beaucoup d’économistes lorsqu’ils parlent de la crise. Une crise est perçue comme étant une déviation temporaire de la production vis-à-vis de sa trajectoire tendancielle, mais cette dernière est supposée être déterminée par autre chose (l’innovation, les réformes structurelles, etc.). Mais un tel raisonnement va à l’encontre des preuves empiriques dont nous disposons par rapport à la manière par laquelle l’investissement et même les dépenses en recherche-développement se comportent durant une crise. Si la croissance est interrompue durant une crise, la production ne va jamais retourner à sa tendance. Le niveau du PIB dépend de son histoire ; il y a ce que les économistes appellent des effets d’hystérèse (hystérésis). Dans ce monde, réduire la sévérité d’une crise ou réduire la période de reprise se traduit par d’énormes bénéfices parce que cela accroît le PIB à long terme.

(Pour être juste avec les économistes, nous avons tous conscience qu’il y a des dynamiques persistantes du PIB, mais au niveau théorique, nous avons tendance à l’expliquer avec des modèles où la nature stochastique de la tendance est responsable de la crise elle-même au lieu de supposer que d’autres facteurs peuvent provoquer la crise et que la tendance réagisse à ces dernières.)

Dans une récente étude, Olivier Blanchard, Eugenio Cerutti and Larry Summers montrent que la persistance et les effets de long terme sur le PIB sont consubstantiels de toute crise, et ce qu’importe sa cause. Même les crises provoquées par un resserrement de la politique monétaire peuvent avoir des effets permanents sur la trajectoire tendancielle du PIB. Leur article conclut que dans ce scénario, les politiques monétaire et budgétaire doivent être plus agressives étant donné que les récessions ont des coûts permanents.

En poursuivant le même raisonnement, je suis en train de réaliser une étude avec Larry Summers où nous cherchons à déterminer dans quelle mesure les consolidations budgétaires ont pu générer une persistance et avoir des effets permanents sur le PIB au cours de la Grande Récession. Nos preuves empiriques soutiennent cette hypothèse : les pays qui ont mis en œuvre les plus fortes consolidations budgétaires ont connu une baisse permanente du PIB. (Et c’est également vrai si nous prenons en compte la possibilité d’une causalité inverse, c’est-à-dire la possibilité que ce soit les gouvernements qui s’attendaient aux plus fortes chutes de la tendance qui mirent en œuvre les politiques les plus restrictives.)

Alors que nous reconnaissons qu’il y a toujours de l’incertitude lorsque nous estimons ce type de dynamiques macroéconomiques en utilisant un épisode historique particulier, la taille des effets que nous constatons est tellement importante qu’ils ne peuvent être facilement ignorés comme hypothèse valide. En fait, en utilisant nos estimations, nous calibrons le modèle d’un récent article de Larry Summers et Brad DeLong pour montrer que les contractions budgétaires en Europe furent très probablement contre-productives. En d’autres termes, la chute (permanente) du PIB qui en résultat entraîna une hausse des ratios dette publique sur PIB, alors que l’objectif officiel de la consolidation budgétaire est bien de réduire ces ratios.

Les preuves empiriques tirées de ces études suggèrent que les décideurs de politique économique ne peuvent ignorer la possibilité que les crises et que les actions monétaires et budgétaires aient des effets permanents sur le PIB. Une fois que nous regardons le monde de cette manière, nous comprenons que ce qui peut apparaître comme un bon conseil de politique économique peut finir par produire le résultat opposé à celui recherché. »

Antonio Fatás, « GDP growth is not exogenous », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 15 octobre 2015. Traduit par Martin Anota



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