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Tag - inégalités

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mercredi 17 juin 2015

Le nouvel essor des inégalités

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source : The Economist (2015), d'après l'ouvrage Inequality d'Anthony Atkinson



aller plus loin...

« Les hauts revenus dans le monde et dans l’histoire »

« Un siècle d’inégalités »

mardi 4 février 2014

Démocratie versus inégalités

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« Dans son discours sur l'État de l'Union, le président Obama a promis de se concentrer sur les inégalités économiques au cours des deux dernières années de son mandat. Mais beaucoup doutent de la capacité de la démocratie américaine à renverser leur augmentant. En effet, les inégalités de salaires et de revenus ont continué à augmenter au cours des quatre dernières décennies, que ce soit au cours des périodes d'expansion ou de contraction de l’activité économique. Mais ces tendances ne sont pas spécifiques aux États-Unis. De nombreux pays de l'OCDE ont également connu une augmentation des inégalités salariales au cours des dernières décennies.

Que les écarts entre riches et pauvres se creusent dans des démocraties établies est une chose assez déroutante. Les modèles de la démocratie se fondent sur l'idée que l'électeur médian utilisera son pouvoir démocratique pour redistribuer les ressources au détriment des riches et à son propre bénéfice. Lorsque l'écart entre les riches (ou le revenu moyen) et l'électeur médian (qui est proche de la médiane dans la répartition des revenus) s’accroît, cette tendance à la redistribution devrait être plus forte. En outre, comme Meltzer et Richard l’ont souligné dans leur article séminal, plus une société est démocratique (plus la base électorale est large), plus la redistribution devrait être forte. Il s'agit d'une simple conséquence du fait qu’avec un plus large électorat, élargi vers le bas de la distribution des revenus, l'électeur médian sera plus pauvre et plus favorable à une redistribution au détriment des riches (…).

Malgré la robustesse de ces prédictions, les conclusions empiriques sur le sujet sont décidément bien mitigées. Notre récente étude, réalisée conjointement avec Suresh Naidu et Pascual Restrepo, "Democracy, Redistribution and Inequality", revisite ces questions. Théoriquement, nous expliquons pourquoi la relation entre démocratie, inégalités et redistribution peut être plus complexe et donc plus ténue que ce que l’on a pu suggérer ci-dessus.

Tout d'abord, la démocratie peut être "capturée" ou "contrainte". En particulier, même si la démocratie modifie clairement la répartition du pouvoir de jure dans la société, les inégalités et les politiques ne dépendent pas seulement de la répartition du pouvoir de jure, mais aussi de la répartition du pouvoir de facto. C'est une chose que nous avions déjà affirmée dans notre précédent article "Persistence of Power, Elites and Institutions". Les élites qui voient leur pouvoir de jure s’éroder avec la démocratisation peuvent investir suffisamment dans le pouvoir de facto, par exemple en contrôlant l'application locale de la loi et en mobilisant des acteurs armés non étatiques, en pratiquant le lobbying ou en capturant le système des partis. Cela leur permettra alors de garder leur contrôle du processus politique. Si c'est le cas, nous n’observerons qu’un faible impact de la démocratisation sur la redistribution et sur les inégalités. Même si elle n’est pas capturée, la démocratie peut être contrainte soit par d’autres institutions de jure comme les Constitutions, les partis politiques conservateurs et l’appareil judiciaire, soit de facto par des menaces de coups d’Etat, de fuite des capitaux ou d'évasion fiscale émanant de l'élite.

Deuxièmement, la démocratie peut conduire à des "opportunités de marché accroissant les inégalités" (inequality-increasing market opportunities). Les régimes non démocratiques peuvent exclure une grande partie de la population de professions productives, par exemple, des emplois qualifiés et de l'entrepreneuriat, comme cela a pu être illustré par l'apartheid en Afrique du Sud et peut-être par l'Union soviétique. Dans la mesure où cette population est très hétérogène, la liberté de prendre part à des activités économiques sur le même terrain de jeu que l'ancienne élite peut finalement conduire à un accroissement des inégalités au sein du groupe exclu ou réprimé et par conséquent dans l’ensemble de la société.

Finalement, conformément à la "loi de Director" formulée par Stigler, la démocratie peut transférer le pouvoir politique à la classe moyenne et non aux pauvres, auquel cas la redistribution des revenus peut au final augmenter les inégalités car elle risque de s’opérer au seul bénéfice de la classe moyenne.

Donc, la théorie peut ne pas être aussi catégorique l'on aurait pu le penser de prime abord. Mais qu'en est-il des faits ? C'est là que la littérature antérieure se révèle pleine de controverses. Certains ont constaté que la démocratie avait tendance à réduire les inégalités et d’autres non. Nous affirmons que ces questions ne peuvent être facilement résolues avec des régressions transversales (c’est-à-dire en comparant les pays les uns avec les autres) parce que les régimes démocratiques diffèrent significativement des régimes non démocratiques en de nombreuses dimensions. Notre analyse empirique s’appuie sur des régressions sur données de panel (avec des effets fixes) à partir d'un échantillon pour la période d'après-guerre.

Les faits sont intrigants. Premièrement, il y a un effet robuste et quantitativement large de la démocratie sur les recettes fiscales en pourcentage du PIB (et aussi sur les recettes totales du gouvernement en pourcentage du PIB). La démocratie se traduit à long terme par une hausse de 16 % des recettes fiscales en proportion du PIB. Deuxièmement, il y a aussi un impact significatif de la démocratie sur la scolarisation secondaire et sur l’ampleur de la transformation structurelle, par exemple sur la part non agricole de l'emploi ou de la production. Troisièmement, et ce à l'opposé de ces deux premiers résultats, il y a un effet beaucoup plus limité de la démocratie sur les inégalités. La démocratie ne semble pas beaucoup affecter les inégalités. Bien que cela puisse refléter une mauvaise qualité des données relatives aux inégalités, il semble plus probable que cela reflète un manque de corrélation entre démocratie et inégalités. En fait, nous trouvons que la démocratie a des effets hétérogènes sur les inégalités et ce de façon cohérente avec les théories mentionnées ci-dessus, ce qui n’aurait pas été possible si la mauvaise qualité des données relatives aux inégalités compliquait l’obtention d’une quelconque relation empirique. Dans l'ensemble, nos résultats suggèrent que la démocratie opère une réelle redistribution du pouvoir politique au détriment des élites et qu’elle a des répercussions de premier ordre sur la redistribution des revenus et les politiques publiques. Mais l'impact de la démocratie sur les inégalités apparaît plus limité que l'on aurait pu s'y attendre.

Bien que notre travail ne nous donne pas les raisons pour lesquelles il en est ainsi, il existe plusieurs hypothèses plausibles. L'impact limité de la démocratie sur les inégalités peut s’expliquer par le fait que ces dernières sont "induites par le marché" dans le sens où elles sont provoquées par le progrès technique. Mais cela peut également s’expliquer par la loi de Director : les classes moyennes utilisent la démocratie pour orienter la redistribution en leur faveur. Mais la loi de Director ne peut expliquer l'incapacité du système politique des États-Unis à combattre les inégalités, car les classes moyennes ont été largement perdantes avec l’accroissement des inégalités. Se pourrait-il que la démocratie américaine soit capturée ? Cela semble peu probable quand on la regarde du point de vue de nos modèles de démocraties capturées. Mais il y a peut-être d'autres manières de réfléchir à ce problème (…). »

Daron Acemoglu et James Robinson, « Democracy vs. inequality », in Why Nations Fail, 30 janvier 2014. Traduit par M.A.


aller plus loin…. lire « La démocratie réduit-elle les inégalités ? »

vendredi 14 juin 2013

Evolution des salaires entre 1950 et 2010

« De 1951 à 2010, (…) le salaire net annuel moyen des salariés à temps complet a progressé en rythme annuel de 2,3 % en euros constants. Sur la période allant de 1995 à 2010, le salaire net annuel moyen des salariés à temps complet s'est accru en rythme annuel de 0,6 % en euros constants pour atteindre 25 140 euros en 2010. Le salaire net moyen en équivalent-temps plein (EQTP) a progressé au même rythme annuel pour atteindre 24 520 euros en 2010 ; il est de 26 610 euros en moyenne pour les hommes contre 21 460 euros pour les femmes. Ainsi, en 2010, une salariée gagne en moyenne en EQTP 19,3 % de moins que son homologue masculin. Cet écart était de 21,9 % en 1995 (…). La croissance du salaire net en EQTP est due en partie à l'augmentation moyenne des qualifications (avec une légère baisse du poids des non-qualifiés mais surtout la hausse sensible de l'emploi très qualifié correspondant aux cadres). L'augmentation des salaires s'explique également par le dynamisme du Smic (…).

GRAPHIQUE Évolution du salaire annuel net moyen et du Smic annuel net. Période 1951 à 2010 (en euros constants base 100 en 1951)

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source : INSEE (2013)

Entre 1995 et 2010, les salaires nets moyens en EQTP des employés et des ouvriers suivent une évolution un peu plus favorable que ceux des cadres et des professions intermédiaires. Le salaire moyen des cadres est particulièrement sensible au cycle conjoncturel. (…) Restés stables en début de période, les salaires nets des cadres ont particulièrement progressé de 1998 à 2002 (…). Puis, après les baisses de 2003 et 2004, ils augmentent de nouveau au même rythme jusqu'en 2007 ; ils diminuent ensuite en 2008 et surtout en 2009, au début de la dernière récession. (…) L'évolution du salaire moyen des ouvriers est plus régulière. L'impact des retournements de conjoncture agit surtout sur l'emploi et moins sur les salaires individuels : beaucoup d'emplois d'ouvriers non-qualifiés ont été détruits entre 1995 et 2010, alors que la progression du Smic soutenait les salaires ouvriers. L'évolution des salaires nets moyens des professions intermédiaires est moins favorable (…). La hausse sensible des effectifs des professions intermédiaires s'est traduite par une augmentation du poids des moins de 30 ans et de celui des personnes âgées de 50 ans ou plus. De plus, cette croissance de l'emploi s'est produite dans le tertiaire où les salaires des professions intermédiaires sont un peu plus faibles que ceux de l'industrie. Pour les employés, la croissance du salaire net moyen est plus faible (…). La progression importante des emplois les moins qualifiés a ainsi tiré vers le bas le salaire moyen des employés. Ce recul a été cependant freiné par le dynamisme du Smic. (…)

Le rapport interdécile (D9/D1), qui est une mesure de la dispersion des salaires, a légèrement diminué entre 1995 et 2005, passant de 3,1 à 3. Depuis 2005, il reste stable. Cette baisse de la dispersion des salaires est due à la croissance plus vive du premier décile (D1), entraîné par la hausse du Smic. Ainsi, le ratio D5/D1 (…) se réduit, passant de 1,6 à 1,5. Dans le haut de la distribution, le ratio D9/D5 est stable à 2. »

INSEE, « Séries longues sur les salaires (1950-2010) », INSEE résultats : société, n° 143, juin 2013.

vendredi 7 juin 2013

La part du travail décline partout

« (…) A la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, on considérait que la part du revenu national allant au travail fluctuait un peu d'année en année, mais n'affichait pas une tendance à la hausse ou à la baisse au cours du temps. Mais la stabilité de la part du travail n'est plus vraie. L'Organisation Internationale du Travail examine certaines des données dans le chapitre 5 de son Rapport mondial sur les salaires 2012/13 sur le thème "Salaires et croissance équitable". Ici, je vais vous donner quelques graphiques de fond et puis en tirer quelques réflexions. Le rapport de l’OIT résume certaines des preuves empiriques ainsi :

"L'OCDE a observé, par exemple, qu'au cours de la période allant de 1990 à 2009, la part de la rémunération du travail dans le revenu national a baissé dans 26 des 30 pays avancés pour lesquels des données étaient disponibles et elle a calculé que la part médiane du travail dans le revenu national dans l’ensemble de ces pays a considérablement diminué, passant de 66,1 % à 61,7 %... Au-delà des économies avancées, le Rapport mondial sur le travail de 2011 avait constaté que la baisse de la part du travail dans le revenu était encore plus marquée dans de nombreux pays émergents et en développement, avec des baisses considérables en Asie et en Afrique du Nord et une plus grande stabilité, mais tout de même une baisse, des parts des salaires en Amérique latine. D’autres études soulignent aussi le caractère apparemment mondial de cette tendance, en laissant entendre que la proportion du revenu consacrée à la rémunération du travail est en baisse dans le monde entier. " Voici la part du travail dans le revenu aux États-Unis, en Allemagne et au Japon. Par exemple, la part du travail dans le revenu revenu aux Etats-Unis (représentée par les triangles) tourne autour de 68-70 % du PIB dans les années soixante-dix et elle est proche de l'extrémité inférieure de cette fourchette au milieu des années 1980, avant de diminuer.

GRAPHIQUE 1 Parts du travail ajustées dans le revenu au sein des économies développées, en Allemagne, aux États-Unis et au Japon, 1970-2010

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source : OIT (2013)

Voici une figure montrant les évolutions pour plusieurs groupes de pays émergents et en développement. La plus longue série chronologique, illustrée par les diamants bleus sombres, est une moyenne pour le Mexique, la Corée du Sud et la Turquie.

GRAPHIQUE 2 Parts du travail ajustées dans le revenu dans les économies en développement et les économies émergentes, 1970-2007

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source : OIT (2013)

Et que dire de la Chine? La part du travail est en baisse là aussi.

GRAPHIQUE 3 Part du travail non ajustée dans le revenu en Chine, 1992-2008

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source : OIT (2013)

L’une des conséquences de la baisse de la part du travail, c'est que la croissance de la productivité augmente certes la taille des économies, mais le montant allant au travail n’augmente pas. Voici un chiffre indiquant la divergence de la production et des revenus du travail qui a commencé en 1999 pour les économies développées. Les résultats présentés ici sont pondérées avec la taille de l'économie, de sorte que le graphique reflète en grande partie l'expérience des trois plus grandes économies développées : les Etats-Unis, le Japon et l'Allemagne.

GRAPHIQUE 4 Productivité et rémunération horaires aux États-Unis, T1 1947-T1 2012

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source : OIT (2013)

Que peut-on dire à propos de ce déclin de la part du travail ?

1) Quand une tendance soit commune à de nombreux pays, il semble probable que la cause soit également quelque chose de commun à tous ces pays. En cherchant une "cause" basée sur une certaine politique mise en œuvre par les républicains ou les démocrates aux États-Unis manque presque certainement le point. La même chose est vraie lorsque l’on recherche une "cause" du côté des politiques les plus courantes en Europe ou en Chine.

2) Les causes sont encore obscures, mais l’on peut certainement exclure l’idée que d’une cause réponse. Le déclin de la part de la main-d'œuvre n'est pas provoqué par une réallocation de main-d'œuvre vers des secteurs plus intensifs en capital, parce que la baisse tendancielle de la part du travail s’observe dans tous les secteurs. La difficulté est que les autres explications possibles sont interdépendantes et difficiles à démêler. Elles comprennent les changements technologiques, la mondialisation, l’essor des marchés financiers, les défaillances des institutions du marché du travail et une baisse du pouvoir de négociation des travailleurs. Mais après tout, les changements technologiques dans les technologies de l'information et de la communication ont alimenté la mondialisation, ainsi qu'une partie de ce qui a conduit à un essor du secteur financier. La mondialisation est une partie de ce qui a réduit le pouvoir de négociation des travailleurs. Le rapport du BIT offre des preuves empiriques soutenant l’idée que l’essor du secteur financier est une part importante de la réponse. Voici un billet d’il y a quelques semaines sur la croissance du secteur financier américain.

3) Le revers de la médaille d'une part plus faible du revenu national allant au travail est une plus grande part du revenu allant au capital. Le rapport du BIT fait valoir que dans de nombreux pays, cette tendance semble impliquer des versements de dividendes de plus en plus importants.

4) Bien que la compréhension des causes soit utile, les politiques n'ont pas toujours à s'attaquer aux causes profondes. Quand quelqu'un est frappé par une voiture, vous ne pouvez pas inverser la cause, mais vous pouvez toujours faire face aux conséquences. Cependant, il est bon de rappeler que la part décroissante des revenus du travail se passe partout dans le monde, dans des pays ayant de très différentes politiques et institutions économiques. Par exemple, les institutions européennes du marché du travail sont souvent considérées comme étant plus favorable aux travailleurs, mais elles n'ont pas empêché une baisse de la part du travail dans le revenu.

5) Il est important de rappeler que la décroissance de la part des revenus du travail n’est pas la même chose qu’un accroissement des inégalités salariales. La part du revenu allant au travail dans son ensemble est en baisse et aussi une part toujours plus grande des revenus du travail va à ceux disposant des plus hauts niveaux de revenus. Ces deux tendances signifient que ceux ayant des revenus faibles ou moyens traversent des temps difficiles. »

Timothy Taylor, « Labor's falling share, everywhere », in Conversable Economist (blog), 7 juin 2013.

Aller plus loin… lire « Les hauts revenus dans le monde et dans l’histoire » et « Mondialisation versus technologie »

dimanche 3 février 2013

Des verres à moitié pleins ?

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« Juste au cas où vous seriez tenté de laisser tomber le "lugubre" de la "science lugubre", sachez que le professeur Robert Gordon de la Northwestern University fait de son mieux pour vous en dissuader. (…) Dans un récent article du Wall Street Journal, il répète ce qu’il dit depuis quelques temps déjà :

"La croissance du siècle passé ne s’est pas bâtie sur une manne tombée du ciel. Elle a en grande partie résulté d'un ensemble remarquable d'inventions qui sont apparues entre 1875 et 1900... Ce laps de temps limité a vu l'introduction de l'eau courante et de la plomberie intérieure, le plus grand événement dans l'histoire de la libération des femmes, car les femmes n’ont plus eu à porter littéralement des tonnes d'eau chaque année. Le téléphone, le phonographe, le cinéma et la radio sont également apparus. La période qui suit la Seconde Guerre mondiale a vu une autre grande poussée d’invention, avec le développement de la télévision, de l’air conditionné, de l'avion à réaction et du réseau d'autoroutes... L'innovation se poursuit aujourd'hui, et beaucoup de ceux qui développent et financent les nouvelles technologies sont incrédules lorsque je suggère que l'ère des changements vraiment importants de notre niveau de vie est désormais révolue…"

Gordon poursuit en expliquant pourquoi il pense que les développements (…), tels que les progrès dans les soins de santé, les bonds dans les technologies de production énergétique et l’impression 3D, n’amélioreront pas autant le sort du citoyen moyen que ne l’ont fait les innovations de la fin du dix-neuvième siècle. Pour paraphraser, les inventions de votre arrière--grand-père battent les vôtres. (…) Les maladies contemporaines que souligne Gordon feraient froncer les sourcils des économistes de la croissance les plus optimistes. (…)

"Les inégalités vont continuer à croître en Amérique, tirées en aval par de mauvaises performances scolaires et en amont par les gains que retire les plus aisés de la mondialisation, comme les PDG américains récoltent les bénéfices des ventes de leurs multinationales dans les pays émergents. De 1993 à 2008, le taux de croissance des revenus parmi les 99 % salariés les moins rémunérés était de 0,5 point plus faible que le taux de croissance globale de l'économie."

Ce sont là des préoccupations justifiées, bien sûr, mais il y a une chance pour que certains des "vents contraires" dont parle Gordon sont en fait le signal que quelque chose de vraiment grand se prépare. En fait, les vents contraires de Gordon me rappellent ce passage, extrait d'un article des économistes Jeremy Greenwood et Mehmet Yorukoglu publié il y a 15 ans :

"Nous racontons ici une petite histoire qui fait le lien entre le rythme du progrès technologique, les inégalités de revenu et la croissance de la productivité. L'idée est la suivante. Imaginez qu’il y ait un bond dans l'état de la technologie et que ce bond soit incarné dans les nouvelles machines, telles que les technologies de l'information. Supposons que l'adoption de ces nouvelles technologies implique un coût important en termes d'apprentissage et que la main-d'œuvre qualifiée dispose d'un avantage dans l'apprentissage. Alors, les avancées technologiques seront associées à une augmentation de la demande de compétences nécessaires pour les mettre en œuvre. C'est pourquoi la prime de qualification (skill premium) va augmenter et les inégalités de revenus se creuser. Dans les premières phases, les nouvelles technologies ne peuvent pas être exploitées de manière efficace en raison d'un manque d'expérience. La croissance de la productivité peut sembler décrocher, puisque l'économie entreprend un investissement (non mesuré) dans les connaissances qui sont nécessaires pour exploiter tout le potentiel des nouvelles technologies. La coïncidence du rapide changement technologique, de l’élévation des inégalités et du ralentissement de la croissance de la productivité n'est pas sans précédents dans l'histoire économique."

Greenwood et Yorukoglu poursuivent en évaluant de façon détaillée comment les prix des biens durables, les inégalités et la productivité se comportèrent effectivement lors des première et deuxième révolutions industrielles. Ils concluent que les technologies révolutionnaires ont, au cours de l'histoire, été initialement associées à la baisse du prix des capitaux, aux inégalités croissantes et au déclin de la productivité. Voici un graphique représentatif, dépeignant la période (riche en avancées technologiques) qui mena à l'âge d'or de Gordon :

GRAPHIQUE La période qui précède la Guerre de Sécession aux États-Unis ((/public/altig1.jpg source : Jeremy Greenwood et Mehmet Yorukoglu, "1974", Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, 46, 1997

Greenwood et Yorukoglu concluent leur étude en posant cette épineuse question :

"Une chute des prix pour les nouvelles technologies, un regain des inégalités salariales et un affaissement dans la progression de la productivité du travail - tout cela pourrait-il marquer l'aube d'une révolution industrielle ? Tout comme la machine à vapeur a secoué l’Angleterre du dix-huitième siècle et l'électricité bouleversé l'Amérique du dix-neuvième siècle, les technologies de l'information bousculent-elles aujourd’hui l'économie contemporaine ?"

Je ne sais pas (et personne ne sait) si la possibilité d’une noirceur avant l'aube que décrivent Greenwood et Yorukoglu est une image qui convient pour décrire la situation où les Etats-Unis (et l’économie mondiale) se trouvent aujourd'hui. Mais je suis prêt à parier que certains commentateurs avaient en 1870 le même discours que nous tient aujourd’hui le professeur Gordon. »

Dave Altig, « Half-full glasses », in macroblog, 1er février 2013.

aller plus loin... lire « La croissance américaine est-elle épuisée ? »

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