« Rendre la société plus équitable et réduire les inégalités de genre sont deux questions qui ont beaucoup retenu l’attention des responsables politiques dans de nombreux pays. On prend de plus en plus conscience que la poursuite de ces deux objectifs n’est pas juste désirable du point de vue de l’équité sociale, mais qu’elle aurait aussi des effets bénéfiques au niveau macroéconomique. Par conséquent, plusieurs analyses se sont penchées sur les liens entre inégalités de revenu et la croissance, aussi bien que l’implication des femmes dans la vie active et ses liens avec l’économie globale. (..)

Inégalités de revenu et inégalités de genre : deux phénomènes avec de profondes répercussions macroéconomiques


Les inégalités de revenu peuvent freiner la croissance économique. La littérature a mis en évidence divers canaux à travers lesquels les inégalités de revenu peuvent affecter la croissance : de fortes inégalités peuvent entraîner un sous-investissement dans le capital physique et dans le capital humain (Galor et Zeira, 1993 ; Galor et Moeav, 2004 ; Aghion et ses coauteurs, 1999) ; elles sont associées à de moindres niveaux de mobilité (Corak, 2013) et elles peuvent déprimer la demande globale (Carvalho et Rezai, 2014). D’un autre côté, les inégalités peuvent aussi stimuler la croissance en incitant les agents à investir et à se lancer dans l’entrepreneuriat (…) (Lazear et Rosen, 1981 ; Barro, 2000). Alors que les effets des inégalités de revenu sur la croissance sont ambigus sur le plan théorique, deux récentes études du FMI ont montré que sur le plan empirique une répartition plus inégale des revenus déprimait la croissance. En particulier, une baisse des inégalités de revenu net est associée de façon robuste à une croissance plus forte et plus soutenable (Ostry, Berg et Tsangarides, 2014). (…) Une hausse de la part du revenu rémunérant les 20 % les plus aisés est associée à une moindre croissance à moyen terme, alors qu’une hausse de la part du revenu rémunérant les 20 % les plus pauvres est associée à une plus forte croissance du PIB (Dabla-Norris et ses coauteurs, 2015). En utilisant des données américaines, van der Weide et Milanovic (2014) montrent que les inégalités de revenu réduisent la croissance du revenu pour les pauvres, mais pas pour les riches.

GRAPHIQUE 1 La relation entre inégalités de genre et PIB par tête

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Les diverses dimensions des inégalités de genre ont aussi de profondes répercussions sur le plan macroéconomique et au niveau du développement. Les inégalités de genre peuvent influencer les situations économiques via divers canaux (Elborgh-Woytek et ses coauteurs, 2013) :

  • En termes de développement. Il y a une association négative entre les inégalités de genre et le PIB par tête, le niveau de compétitivité et les indicateurs de développement humain (WEF, 2014 ; Duflo, 2012 ; cf. graphique 1). Les femmes sont davantage susceptibles que les hommes d’investir une large proportion de leur revenu dans l’éducation de leurs enfants ; l’entrée des femmes dans la vie active et la hausse de leur rémunération peuvent donc se traduire par un surcroît de dépenses dans la scolarité de leurs enfants (Aguirre et ses coauteurs, 2012 ; Miller 2008 ; Rubalcava et ses coauteurs, 2004 ; Thomas, 1990).

  • La croissance économique. Les inégalités de genre en termes de taux d’activité restreignent le réservoir de talents sur le marché du travail. Elles réduisent par là l’efficacité de l’allocation des ressources et elles entraînent des pertes en termes de productivité totale des facteurs et une moindre croissance du PIB (Cuberes et Teignier, 2015 ; Esteve-Volart, 2004). Dans une étude à partir d’un panel de pays, Klasen (1999) montre que 0,4 à 0,9 point de pourcentage des écarts entre les taux de croissance entre l’Asie de l’est, l’Afrique subsaharienne, l’Asie du sud et le Moyen-Orient peuvent s’expliquer par la plus ou moins grande intensité des inégalités de genre dans l’éducation. Le graphique 2 (…) met en lumière qu’un niveau plus élevé d’inégalités de genre (mesurées par l’indice d’inégalité de genre multidimensionnel) est associé à une plus faible croissance économique. Ce constat est cohérent avec le FMI (2015), qui montre que les inégalités de genre sont négativement corrélées avec la croissance, en particulier dans les pays à faible revenu, confirmant ainsi les résultats obtenus par Amin, Kuntchev et Schmidt (2015), qui se basèrent sur un panel de pays.

  • Stabilité macroéconomique. Dans les pays faisant face à un déclin de la population active, accroître le taux d’activité, notamment des femmes, peut directement générer de la croissance en atténuant l’impact d’un déclin de la population active sur le potentiel de croissance et en assurant la stabilité du système de retraite (Steinberg et Nakane, 2012).



GRAPHIQUE 2 La relation entre inégalités de genre et croissance du PIB par tête

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Les deux faces d’une même pièce : comment les inégalités de genre et les inégalités de revenu sont-elles liées ?


Même si les concepts d’inégalités de genre et d’inégalités de revenu ont principalement été traités séparément dans la littérature, ils peuvent interagir via les canaux suivants :

  • Les inégalités de situations économiques. Les inégalités salariales de genre contribuent directement aux inégalités de revenu. En outre, de plus larges écarts dans les taux d’activité entre les hommes et les femmes sont susceptibles de se traduire par des inégalités de rémunérations entre les sexes, ce qui crée ou exacerbe les inégalités de revenu. De plus, les femmes sont davantage susceptibles de travailler dans le secteur informel, dans lequel les rémunérations sont plus faibles, ce qui creuse les écarts de rémunération entre les sexes et exacerbe les inégalités de revenu.

  • Les inégalités des chances. Les inégalités des chances, telles que l’accès inégal à l’éducation, aux services de santé, aux marchés financiers et aux ressources financières aussi bien que les différences dans l’autonomie, sont fortement associées aux inégalités de revenu (Mincer, 1958 ; Becker et Chiswick, 1966; Galor et Zeira, 1993 ; Brunori, Ferreira et Peragine, 2013 ; Murray, Lopez et Alvarado, 2013 ; Castello-Climent et Domenech, 2014). Nous constatons que ces inégalités de chances sont fortement associées aux inégalités de genre en termes de chances. Par conséquent, les différences en termes de situations économiques peuvent aussi se traduire par des conditions inégales en termes de capacité pour les hommes et pour les femmes, comme pour les garçons et les filles. En l’occurrence :

  • L’éducation. Les inégalités de genre dans l’éducation persistent, entraînant de plus fortes inégalités des chances (lorsque les filles et les garçons vont à l’école, les opportunités sont plus égales que si les seuls garçons y vont). Si une partie de la population est exclue des opportunités d’éducation, le revenu futur de cette sous-population sera plus faible que pour le reste de la population, ce qui se traduit par de plus fortes inégalités de revenu.

  • L’accès financière et l’inclusion financière. Les femmes ont toujours, en moyenne, un moindre accès aux services financiers que les hommes, ce qui accroît leurs difficultés pour devenir entrepreneuses ou investir dans l’éducation, exacerbant par là les inégalités des chances et par conséquent réduisant les salaires et autres revenus pour les femmes, si bien que les inégalités de revenu s'en trouvent aggravées.


Notre étude constate que les diverses dimensions des inégalités de genre sont associées aux inégalités de revenu dans le temps et dans l’espace (…). En suivant les arguments ci-dessus, notre analyse empirique examine les effets des différences en termes de situations et de chances pour les hommes et les femmes sur les inégalités de revenu. En prenant en compte les moteurs des inégalités précédemment mis en lumière dans la littérature, nos résultats montrent que les inégalités de genre sont fortement associées aux inégalités de revenu. Ces résultats sont observés pour les pays à tous les niveaux de développement ; cependant les dimensions pertinentes varient selon le niveau de développement. Pour les pays avancés (avec des inégalités de genre qui ont quasiment disparu dans l’éducation et des chances économiques plus égales entre les sexes), les inégalités de revenu proviennent principalement des écarts de genre en termes de taux d’activité. Dans les pays émergents et les pays à faible revenu, les inégalités des chances, en particulier les écarts de genre dans l’éducation, l’autonomie politique et la santé, semblent constituer le principal obstacle à une répartition plus égale des revenus.

Les résultats tirés de cette étude suggèrent qu’une atténuation des inégalités de genre en mettant les hommes et les femmes sur un pied d’égalité sur le plan économique peut aussi aller dans le sens d’une réduction des inégalités globales dans la répartition du revenu. En d’autres termes, en plus d’être un objectif de développement en soi, un déclin des inégalités de genre serait aussi associé à une baisse des inégalités de revenu. En recommandant une égalité des chances et plus de parité entre les genres, notre étude appelle à mettre les hommes et les femmes sur un pied d’égalité en termes de chances et de situations économiques. (…) »

Christian Gonzales, Sonali Jain-Chandra, Kalpana Kochhar, Monique Newiak et Tlek Zeinullayev (2015), « Catalyst for change: Empowering women and tackling income inequality », FMI, staff discussion note, n° 15/20, octobre 2015.



aller plus loin…

« Quels liens entre inégalités de genre et croissance ? »

« Quels liens entre inégalités, redistribution et croissance ? »

« Le creusement des inégalités entrave la croissance »