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« (…) La productivité du travail aux Etats-Unis a bondi pour atteindre une moyenne annuelle de 3,1 % entre 1996 et 2004, soit près du double du taux du précédent quart de siècle ; les données empiriques suggèrent que les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont constitué un important moteur de ces gains de productivité et ces derniers ont bénéficié à la fois à l’industrie et aux services (…). Mais cela a fait long feu. La Grande Récession en 2008 et 2009 et la faible reprise de l’activité économique par la suite, aussi bien que la réduction spectaculaire des niveaux d'emploi, rendent difficile de tirer des conclusions significatives à partir des fluctuations des taux de croissance de la productivité de ces dernières années (la croissance de la productivité du travail s'est fortement accélérée en 2009 et 2010, puis s'est effondrée en 2011), mais dans l'ensemble, la productivité du travail s’est élevée en moyenne à un médiocre 1,6 % depuis 2005.

Les sceptiques affirment que la technologie a épuisé son potentiel d’accélération de la croissance, que l'innovation touche essentiellement les médias sociaux, le divertissement et les jeux stupides, sans être capable de stimuler le niveau de vie. Dans un article provocateur, Robert Gordon (2012) a récemment affirmé que les récentes vagues d'innovations technologiques ne sont tout simplement pas aussi transformatrices que celles qui ont émergé lors la révolution industrielle. Martin Wolf du Financial Times a commenté: "l’âge moderne de l'information est pleine de bruit et de fureur sans grande signification".

Ce scepticisme est peut-être prématuré. Dans un rapport récent (Annunziata et Evans 2012), mon co-auteur Peter Evans et moi avons examiné la possibilité d'accroître la productivité de l’"internet industrielle", un réseau qui relie les machines intelligentes, les analyses logicielles et les personnes. La baisse du coût d'instrumentation rend peu à peu possible une utilisation beaucoup plus large de capteurs dans les machines allant des moteurs d'avions aux turbines de production d'électricité en passant par les dispositifs médicaux. Les analyses logicielles peuvent exploiter ensuite l'énorme quantité de données qui est alors générée afin d'optimiser les performances des machines individuelles, des flottes et des réseaux. Cela signifie, par exemple, avoir un meilleur aperçu de la performance d'un moteur à réaction et être capable d'anticiper les défaillances mécaniques de façon à ce que la maintenance puisse être effectuée d'une manière préventive, en minimisant les retards qui surviennent lorsque le problème apparaît peu avant le décollage. Cela signifie être capable de suivre la localisation exacte des dispositifs médicaux dans un hôpital et de savoir si elles sont alors utilisées ou non, de sorte que l'admission des patients et les procédures médicales puissent être programmées de manière plus efficace, ce qui donnerait de meilleurs résultats sanitaires à de plus nombreux patients et à moindre coût.

Les bénéfices potentiels sont importants. Un simple gain de 1% dans l’efficacité du carburant sur quinze ans se traduirait par des économies de 30 milliards de dollars dans l'aviation et de 66 milliards de dollars dans le secteur de la production d'électricité, tandis qu'un gain d'efficacité de 1 % générerait des économies de 63 milliards de dollars dans le secteur de la santé et de 27 milliards de dollars dans l'industrie ferroviaire. Notre étude se concentre sur les secteurs dans lesquels General Electric a une forte présence, parce que ce sont les secteurs que nous connaissons le mieux et où nous voyons ces gains se matérialiser. Mais l'internet industriel a le potentiel d'avoir un impact sur un plus large éventail d'industries et de services.

Au fur et à mesure que l’internet industriel se diffuse, cela pourrait avoir un impact majeur sur la croissance économique. Prévoir l’évolution de la productivité est un exercice extrêmement difficile. Mais en regardant les potentiels gains d’efficacité dans différents secteurs, nous pensons qu'il n'est pas déraisonnable d’affirmer que l'impact de l'internet industriel pourrait être comparable à celui de la première vague de la révolution Internet. Aux États-Unis, si l'internet industriel pouvait accélérer la croissance annuelle de la productivité du travail de 1 à 1,5 point de pourcentage, la ramenant à ses précédents sommets, il pourrait donner une impulsion cruciale à la croissance économique américaine. Et les bénéfices ne seraient pas limités aux États-Unis. En fait, les pays émergents, où l'investissement est susceptible d'augmenter à un rythme rapide dans les années à venir, ont l’opportunité d’être les premiers à adopter les nouvelles technologies. Compte tenu de la plus grande part des marchés émergents dans l'économie mondiale, cela amplifierait rapidement l'impact sur l'économie mondiale.

Les technologies sous-jacentes à l'internet industriel ont été en gestation pendant un certain temps. Pourquoi s’exciter à ce sujet maintenant ? Le coût d'instrumentation est à la baisse, ce qui rend économiquement viable une plus large utilisation de capteurs, et entre en interaction avec l'impact du cloud computing, qui nous permet de recueillir et d'analyser des quantités beaucoup plus importantes de données à moindre coût. Cela crée une tendance à la déflation des coûts comparable à celle qui a stimulé la rapide adoption des TIC dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix. La révolution mobile va accentuer cet effet, ce qui rend le partage d'informations et l'optimisation décentralisée plus facile et plus abordable. Les technologies de l'internet internet est sur le point de s'accélérer. (…)

Chaque vague d'innovation soulève fait craindre qu'une hausse de la productivité se traduise à une diminution du nombre d’emplois. Dans le contexte actuel de chômage élevé, cette préoccupation est particulièrement aiguë. Comme par le passé, l'innovation technologique va rendre certains emplois redondants, mais il faudra en créer de nouveaux et, si l'impact sur la croissance mondiale est aussi fort que nous le croyons, il va certainement créer au final plus d'emplois au niveau net. Mais le système éducatif va devoir assurer que l'offre de qualifications soit en phase avec l'évolution de la demande. (…)

La révolution industrielle s'est déroulée en vagues sur une très longue période de temps. La révolution Internet suit une évolution similaire et nous pensons que la prochaine vague, qui sera la plus puissante et la plus perturbante, débute aujourd'hui. Les gains d'efficacité qui sont à la portée des différents secteurs industriels suggèrent que l'impact de l'internet industriel sur la croissance de la productivité et du PIB est potentiellement massif. En 1987, Robert Solow fit le célèbre aphorisme : "vous pouvez voir l'ère informatique partout sauf dans les statistiques de la productivité". Dix ans plus tard, la croissance de la productivité s’accéléra fortement. Le scepticisme largement répandu aujourd'hui pourrait s'avérer tout aussi prématuré. »

Marco Annunziata, « The next productivity revolution: The ‘industrial internet’ », in VoxEU.org, 7 décembre 2012.

aller plus loin... « La croissance américaine est-elle épuisée ? »