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Tag - microcrédit

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dimanche 6 avril 2014

Le statut de la microfinance

INDIA-MICROFINANCE/

« Les Nations Unies ont déclaré que 2005 était l'Année internationale du microcrédit. En 2006, le Prix Nobel de la Paix a été attribué à Mohammad Yunus et à la Grameen Bank du Bangladesh. Mais plus récemment, le gouvernement du Bangladesh a fait pression sur Yunus de la Grameen Bank, il a tenté de le poursuivre pour fraude fiscale à partir de ce qui ressemble à des preuves fragiles et il a proposé le démantèlement de la Grameen en 19 banques distinctes. Un scandale a éclaté en Inde, où un prêteur de microfinance basé dans l'Andhra Pradesh a été accusé d’avoir conduit plus de 50 emprunteurs au suicide en les menaçant lorsqu’ils ne pouvaient pas rembourser leurs petits prêts dans les délais. David Roodman trie les éléments de preuve sur l'état actuel de la microfinance dans "Armageddon or Adolescence? Making Sense of Microfinance’s Recent Travails" paru comme document de travail pour le Center for Global Development Policy Paper en janvier 2014.

Le premier fait à reconnaître est que la microfinance s’est beaucoup développée, représentant près de 80 milliards de dollars et qu’elle est fortement présente dans le monde entier. Le nombre de microprêts en circulation a dépassé 90 millions en 2010, avant de diminuer en 2011 suite à la vaste crise économique dans l'économie mondiale et du fait que la microfinance s’est asséchée dans plusieurs régions et pays.

Roodman explore dans le détail sur la situation financière des institutions de microfinance. Petite histoire : elles sont souvent en mesure de lever des capitaux à très bon marché, à travers des donateurs out des emprunts faits sous les taux du marché. Cependant, à quelques exceptions notables comme les institutions de microfinance en Andhra Pradesh , ils sont alors en mesure de fonctionner de façon assez autonome, avec des remboursements de prêts antérieurs finançant de nouveaux prêts. En outre, un certain nombre d'institutions de microfinance ne se contentent plus d’octroyer des prêts et elles commencent à fournir une gamme complète de services financiers aux personnes à revenu faible et instable, y compris en mettant en place des dépôts bancaires et en facilitant les transferts d'argent nationaux et internationaux.

Roodman examine également les preuves qui suggèrent que les avantages de la microfinance ont été mal compris et erronées. La croyance commune est que la microfinance aide les gens à faible revenu à démarrer des entreprises qui peuvent ensuite les faire sortir de la pauvreté. Mais les meilleures et plus récentes études économiques montrent que si la microfinance aide à démarrer des entreprises, l'effet sur la pauvreté pour ceux qui reçoivent les petits prêts est négligeable. Bien sûr, les futures études peuvent parvenir à des résultats différents. Mais pour l'instant, les plus grands avantages de la microfinance semblent être qu'elle permette à ceux ayant un très faible revenu d'avoir plus de contrôle sur leur vie. Ils peuvent emprunter pour acheter un bien durable. Ils peuvent avoir un endroit où leurs économies sont en sécurité et où ils peuvent transférer de l'argent. En outre, d'un point de vue social, les institutions de microfinance développent les capacités d'organisation et de gestion pour fonctionner comme les banques classiques.
Le secteur de la microfinance est devenu assez grand pour attirer aussi des capitaux du secteur privé. En un sens, être capable de puiser dans les marchés financiers du secteur privé est un signe de la force et de la viabilité du secteur de la microfinance. Mais il entraîne inévitablement des controverses lorsque certaines personnes ou organisations réussissent lorsqu’elles fournissent des biens et des services aux pauvres. Et dans certains cas, les établissements en expansion dans la microfinance peuvent profiter de l'absence de réglementation et de protection des consommateurs dans ces pays et le manque de sophistication d'un certain nombre de leurs emprunteurs pour agir de manière prédatrice et sans scrupules. Roodman résume certaines des leçons clés pour l'état actuel de la microfinance dans cette façon :

"Dans le mouvement de l'histoire, les pays qui sont riches aujourd'hui ont eu le plus de temps d’apprendre de dures leçons (et parfois de les oublier). Dans ces pays, le système de prêt comprend des acteurs tels que les prêteurs de détail ; les investisseurs ; des bureaux d’information sur le crédit ; et des organismes de réglementation qui limitent et contrôlent les différents aspects des produits de crédit (…). Pour les établissements qui acceptent des dépôts, les régulateurs supplémentaires interviennent pour assurer ces dépôts ou veiller à ce que dans des circonstances ordinaires le capital soit suffisant pour absorber les pertes et pour répondre aux demandes de retrait. Une vérité souvent négligée avec l'excitation autour de la microfinance comme modèle de services de détail, c'est qu'il ne fait pas exception à cette nécessité d’avoir des institutions accompagnatrices. Le besoin est même plus grand lorsque l’on cible des pauvres...

"La microfinance a connu une croissance depuis 35 ans et elle atteint maintenant plus de 100 millions de personnes, qui ne peuvent pas tous se tromper dans leurs jugements sur l'utilité de la microfinance. De plus, la plupart d'entre eux sont desservis par les institutions qui sont presque ou complètement auto-suffisantes en termes financiers ; ces institutions de microfinance ne dépendent pas fortement des subventions extérieures… En raison des vicissitudes de la pauvreté, les pauvres ont plus besoin de services financiers que les riches. Leurs options financières seront toujours moindres (c’est l’une des caractéristiques d'être pauvre) et la microfinance offre des options supplémentaires avec des forces et faiblesses distinctes.

"Le secteur de la microfinance a démontré sa capacité à construire des institutions durables pour offrir sur une grande échelle une variété de services intrinsèquement utiles. Néanmoins les récents déboires sont des signes que quelque chose ne va pas dans l'industrie. Ce qui ne va pas, c’est ironiquement ce qui allait autrefois dans le secteur : il a largement contourné les gouvernements en faveur d'une approche expérimentale, allant vers le haut (bottom-up) pour construire des institutions. Le secteur est devenu si bon à créer des institutions et à injecter des fonds en leur sein qu’il oubliait souvent qu'un système financier durable se compose de d’autres acteurs que les institutions de détail et de leurs investisseurs. La focalisation étroite est devenue un problème grandissant au fur et à mesure que la microfinance se développait… Pour devenir mature, le secteur et ses partisans devraient reconnaître le déséquilibre qu'il a créé. Lorsque cela est possible, ils devraient renforcer les institutions de modération comme les bureaux de crédit et les régulateurs. En acceptant de telles institutions, ils devront peut-être investir moins. Dans le financement de la microfinance, moins c'est parfois plus." »

Timothy Taylor, « The status of microfinance », in Conversable Economist (blog), 29 janvier 2014. Traduit par Martin Anota.

mercredi 12 février 2014

Que se passe-t-il avec Muhammad Yunus et la Grameen Bank ?

yunusnew

« En 2006, le Prix Nobel de la paix a été décerné à Muhammad Yunus et à la Grameen Bank "pour leurs efforts visant à créer un développement économique et social par le bas". À quelques exceptions près, comme le prix décerné à Norman Borlaug pour ses travaux sur la "révolution verte" en 1970, le prix est généralement attribué aux efforts impliquant les droits humains, la démocratie, les affaires internationales et la paix. Je ne suis pas le seul économiste à apprécier que l’on reconnaisse que les améliorations apportées à la vie économique sont susceptibles de contribuer à la paix.

Mais qu’en est-il aujourd’hui du professeur Yunus et de la Grameen Bank ? Sophie Chevardnadze a récemment interviewé le professeur Yunus pour le World Public Forum. Pour avoir une idée générale de l’entretien, il suffit d’en lire le titre : "Bangladesh Govt Destroying System That Saved Millions from Poverty".

Je ne suis pas de près ces questions. Je ne savais pas que le gouvernement bangladais avait obligé Yunus à quitter la tête de la Grameen Bank en 2010 au motif qu’il avait dépassé l'âge de la retraite obligatoire à 60 ans qui est imposé dans le secteur public. C'était étrange pour au moins deux raisons. La première est que la Grameen n'est pas une banque publique, donc il n'était pas clair que l'âge de départ à la retraite pour le secteur public s’applique. La seconde est que Yunus avait eu 60 ans en l'an 2000. Yunus ajoute : "comme je l'ai dit, c’est très douloureux car cela a été fait d’une manière totalement inconsidérée, parce que nous n’étions pas une banque publique. Le gouvernement a appliqué la réglementation relative aux banques publiques à la Grameen Bank, disant que nous ne suivions pas les règles relatives aux départs à la retraite à la Banque Grameen. Nous avons dit que c’était une banque appartenant à des femmes pauvres. Nous avons nos propres règles, la loi nous permet cela, alors cette limitation d’âge ne s'applique pas à la Grameen Bank et notre conseil d'administration a été très clair à ce sujet. Mais en tout cas, on m'a demandé de démissionner, alors j'ai démissionné et j’ai quitté la banque".

Avant de forcer Yunus à quitter la Grameen, le Premier ministre du Bangladesh a proposé de séparer la Grameen en dix-neuf banques différentes. Voici la réaction de Yunus : "eh bien, il y a des raisons politiques derrière tout ça (…). En divisant et en fractionnant la Grameen Bank en dix-neuf pièces, vous allez détruire la banque. Si quelqu'un veut détruire la banque, c'est la meilleure façon de le faire : coupez-la, hachez-la et ce sera fini. Cette idée a été rejetée par le gouvernement car il n'est pas en faveur de hacher le tout, il préférerait faire autre chose. Mais en tout cas, derrière tout le reste il semble qu'il y ait une tentative de prise de contrôle de la Grameen Bank. Et la loi avec laquelle nous avons débuté est très claire en suggérant que la banque doit être guidée par son propre conseil d'administration. Un conseil d'administration est l'organe de décision ultime. Mais le gouvernement actuel n’est pas comme ça, alors ils veulent intervenir dans les activités de la Grameen Bank et c'est pourquoi toutes ces dix-neuf pièces, les mécanismes de contrôle et la modification de la loi (pour s'immiscer dans la banque), toutes ces choses ont été avancées. Ça ne semble pas être très favorable à la banque elle-même (…) et personne au monde ne dira qu'il est dans l'intérêt de la banque ou des pauvres. Je suis très inquiet à ce sujet et j'essaie d'attirer l'attention de tout le monde, de toute personne saine d'esprit et je leur dis, regardez, vous devez arrêter ça, c'est une grande institution, elle apporte beaucoup de bien aux gens, en particulier aux familles pauvres et aux femmes pauvres dans le monde. Cela a tant contribué pour émanciper les femmes au Bangladesh et c’est devenu un phénomène mondial, apportant la même chose dans beaucoup de pays. Dans chaque pays, même en Russie, il y a des programmes de microcrédit. Donc, aujourd'hui, revenir sur l’idée originelle de la Grameen Banque et lui nuire, ce serait vraiment douloureux et inacceptable".

Le gouvernement du Bangladesh est en train d’enquêter sur Yunus pour évasion fiscale et pour avoir reçu des exonérations fiscales tout en travaillant plus longtemps que l'âge du départ à la retraite pour ce qui est maintenant considérée comme une banque publique. Yunus a déclaré : "Toutes les allégations que vous avez énumérées ont été rejetées. Nous avons envoyé toutes les informations au public pour s'assurer qu'il comprenne que tout est sans fondement, qu’il n'y a aucune raison à tout ça. Par exemple, en ce qui concerne l’évasion fiscale, il fut décidé à la réunion ministérielle que les informations fiscales me concernant devaient être examinées par les autorités fiscales et qu’un rapport devait être soumis au Conseil des ministres. Ils l'ont fait, ils ont dit qu’ils ont enquêté sur chaque détail, que le professeur Yunus a des déclarations fiscales et qu’il a tout fait correctement, nous n’avons pas de problème, nous n’avons pas oublié de donner un seul penny aux impôts, donc nous n’avons pas de problème avec ça. Mais le cabinet n’a pas été satisfait de ce rapport, ils ont continué l’enquête afin de trouver quelque chose d'autre".

(…) Je ne sais absolument des finances personnelles de Muhammad Yunus. Mais on dirait que le gouvernement actuel du Bangladesh considère Yunus et la Grameen Bank comme une force à asservir. Yunus décrit la Grameen ainsi : "nous travaillons dans tout le Bangladesh. Chaque village au Bangladesh a accès à un programme de microcrédit bancaire, si bien que nous avons des emprunteurs dans tout le pays, nous avons 8,5 millions d'emprunteurs et 97 % d’entre eux sont des femmes. Elles sont toutes reliées au sein de notre système. Je dois dire que la banque est aux mains de l’emprunteuse, donc l’emprunteuse n'est pas quelqu'un de l'extérieur, mais quelqu’un qui possède la banque ; elle est à la fois la débitrice et la propriétaire et elle envoie un représentant pour siéger au sein du conseil d’administration, qu’importe si la personne qui prend la décision est sa représentante ou une emprunteuse comme elle. Donc, ça n’a pas grand-chose à voir avec les grandes banques où quelqu'un vient et vous donne un prêt, où ils ne vous connaissent pas et où vous ne les connaissez pas, ce n'est pas comme ça. C’est une sorte de truc de famille. C’est la famille de 8,5 millions de femmes. Donc nous sommes comme une sorte d’organisation qui travaille avec elles et pour elles."

Pour un aperçu académique sur la question de la microfinance, un point de départ utile est l’article "Microfinance Meets the Market". Robert Cull, Asli Demirgüç-Kunt et Jonathan Morduch dans l’édition d'hiver 2009 du Journal of Economic Perspectives. (…) Les auteurs soulignent (…) qu'il y a une énorme controverse entre, d’une part, Yunus et ceux qui pensent que le microcrédit devrait avoir pour mission sociale d'aider les pauvres et, d’autre part, les banques commerciales qui commencent à entrer dans l'activité de microfinance. En voici un extrait :

"Nous estimons qu’entre 40 à 80 % des populations dans la plupart des pays en développement n'ont pas accès aux services bancaires du secteur formel. Tout le monde convient que l'accès à des services financiers fiables pourrait aider des centaines de millions, voire des milliards, de personnes à faible revenu qui n’ont actuellement pas accès aux banques ou qui sont à la merci des prêteurs sans scrupules. Muhammad Yunus et la Grameen Bank ont ouvert la voie en montrant qu’avec l'appui de donateurs un large éventail de clients pauvres et très pauvres sont bancarisables : ils peuvent emprunter et épargner de façon régulière et payer des frais importants…

"La microfinance va sans aucun doute continuer à se développer et faire partie du courant dominant en finance. L’expérience jusqu’à ce jour suggère cependant que le profil de banques commerciales ayant des activités de microfinance dans les communautés à faible revenu diffère de celui des institutions de microfinance à but non lucratif gérées par des organisations non gouvernementales. Les banques commerciales de microfinance sont plus susceptibles d'avoir un statut à but lucratif et à avoir une méthode individuelle de prêt, à accorder des prêts plus importants, à avoir moins de femmes comme clients, à réduire les coûts par dollar prêté, à augmenter les coûts par emprunteur et à présenter une meilleure rentabilité. Les organisations non gouvernementales de microfinance sont plus susceptibles d’être à but non lucratif, à employer une méthode de prêt collectif, à accorder des prêts moins importants, à servir plus de femmes, a utilisé plus lourdement les subventions, à avoir des coûts plus élevés par dollar prêté et à être moins rentable...

"Originellement, le microcrédit était axé sur le financement des petites entreprises contraintes en termes de capital. Plusieurs décennies d'expérience ont montré que la demande de prêts s'étend bien au-delà des entrepreneurs. Même les clients avec de petites entreprises demandent souvent des prêts pour d'autres besoins, comme payer les frais de scolarité ou faire face à des urgences de santé… La moitié des prêts qui ont été récemment demandés par les ménages pauvres en Indonésie ont été utilisés à des fins autres qu’au fonctionnement de l’entreprise… A l’avenir, il y aura probablement de nouveaux produits de crédit à des fins générales, de nouveaux produits d'épargne et de meilleures façons de réduire les risques. Les ménages pauvres et à faible revenu consacrent généralement beaucoup d'énergie à jongler avec des vies financières complexes. Améliorer leurs capabilités financières de base peut leur être grandement bénéfique, même si cela ne conduit pas à une réduction drastique de la pauvreté ou à une accélération de la croissance économique au niveau national." »

Timothy Taylor, « What's up with Muhammad Yunus and Grameen Bank? », in Conversable Economist (blog), 15 janvier 2014. Traduit par M.A.

samedi 1 décembre 2012

Microcrédit, pauvreté et scolarité

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« La majorité des pauvres dans le monde n’a qu’un accès limité (…) aux sources formelles de crédit. Ils dépendent des sources informelles de crédit telles que les prêteurs sur gages (moneylenders) qui sont peu fiables et relativement coûteux (…) ou encore les réseaux de famille et d’amis. Un tel rationnement du crédit contraint l’entrepreneuriat et la croissance économique, ce qui maintient la population dans la pauvreté. L'introduction de la microfinance, mise au point par la Grameen Bank du Bangladesh, a cherché à offrir une solution durable à ce problème et a conduit à la multiplication des institutions de microfinance (IMF) qui trouvent généralement leurs fonds auprès des organisations internationales. Le modèle d'origine était de proposer des prêts à responsabilité conjointe à des groupes de personnes (souvent des femmes) dénuées de collatéral ; plus récemment, se sont développés les petits prêts à responsabilité individuelle en échange de collatéraux ou garanties offerts par des tiers. L’enjeu théorique et politique est de savoir si la disponibilité des fonds pour les plus démunis est susceptible de conduire à une réduction de la pauvreté et de promouvoir la croissance économique.

Notre étude répond à cet enjeu en analysant les résultats d'une expérience où des prêts furent accordés de façon aléatoire à un sous-ensemble de candidats considérés comme trop risqués et "non fiables" pour recevoir des prêts d'une IMF bien établie en Bosnie. Notre groupe est plus pauvre et généralement plus désavantagé que les emprunteurs habituels. (…) Ils ont demandé un prêt à l’IMF en croyant disposer d’une opportunité d'investissement rentable, mais celle-ci a refusé de lui en accorder. C'est précisément le groupe que nous devons analyser si nous voulons comprendre si l’allégement des contraintes de liquidité peut être un outil efficace pour lutter contre la pauvreté. (...)

Les prêts ont stimulé l’activité entrepreneuriale et l'emploi indépendant. Cela ne s’est toutefois pas traduit par une augmentation des profits ou des revenus des ménages au cours des 14 mois de notre période d'observation. (…) Ceux qui n’avaient pas d'épargne (surtout les moins éduqués) ont réduit leur consommation, tandis que ceux qui possédaient déjà auparavant une activité et de l’épargne ont puisé dans leurs fonds propres. (…) Les prêts sont en soi insuffisants pour démarrer ou développer une activité entrepreneuriale. Il semble que les ménages, en anticipation des rendements futurs, aient utilisé leurs propres ressources pour compléter le prêt afin d'atteindre un montant de fonds qui soit suffisant pour investir (…).

Les prêts ont mené à une forte baisse de la scolarisation et à une augmentation de l'offre de travail des enfants âgés de 16 à 19,5 ans. Toutefois, l'offre de travail et la scolarisation des enfants de moins de 16 n’ont pas été affectés. L'accroissement de l’offre de travail des 16-19 ans peut apparaître en premier lieu surprenant si l'on considère que le prêt a atténué une contrainte de liquidité et permis ainsi aux enfants de s’impliquer davantage dans leur scolarité.

Cependant, l'autre force en jeu est la nouvelle opportunité pour démarrer ou développer une entreprise. S’il ne dispose pas suffisamment de liquidités, le ménage devra trouver des ressources ailleurs (…). Les enfants peuvent plus facilement attendre leur salaire (…) ou être payés en nature. La main-d'œuvre interne peut aussi être moins chère que d'embaucher quelqu'un sur le marché externe en raison des coûts de réglementation et de supervision. Il y a donc à la fois un effet-prix et un effet-liquidité en faveur du travail interne et en défaveur de la scolarisation. L'inefficacité peut être plus forte si les parents, qui sont la source de financement de l'éducation, se soucient plus de leur utilité que de leur enfant et donc sous-estiment les bénéfices futurs de l'éducation (…). Dans ce cas, une conséquence involontaire du microprêt est d'aggraver le sort des enfants, tout en transférant des ressources aux parents. D'autre part, l'inefficacité est atténuée si seuls les enfants ayant un faible rendement d’éducation sont retirés de l'école (…). Cependant, l'effet est assez large et, selon toute vraisemblance, on peut s'attendre à ce que les rendements futurs de l'éducation soient assez élevés pour beaucoup de ces enfants dans une économie à fort potentiel de croissance et de rattrapage sur le reste de l'Europe. »

Britta Augsburg, Ralph De Haas, Heike Harmgart & Costas Meghir, « Microfinance, poverty and education », NBER working paper, n° 18538, novembre 2012.