Paul Romer sur la macroéconomie


« C’est ironique de voir que le projet des microfondations, qui devait faire de la macroéconomie une autre application de la microéconomie, a laissé la macroéconomie avec très peu d’amis parmi les autres économistes. La dernière diatribe en date vient de Paul Romer. Oui, elle est injuste et, oui, elle est truffée de passages peu convaincants, mais il ne sera pas ignoré par ceux qui sont en-dehors de la macroéconomie orthodoxe. C’est en partie parce qu’il discute de questions sur lesquelles la macroéconomie moderne est extrêmement vulnérable.

La première vulnérabilité est son traitement des données. Ce que dit Paul sur l’identification montre que la macroéconomie a besoin d’utiliser toutes les informations précises dont elle a à disposition pour paramétrer ses modèles. Pourtant, les modèles microfondés, les seuls modèles que l’on considère comme acceptables dans les revues les plus prestigieuses pour l’analyse théorique comme pour l’analyse empirique, sont normalement plutôt sélectifs en ce qui concerne les données sur lesquelles ils se focalisent. Les preuves empiriques tant micro que macro sont soit ignorées parce qu’elles sont considérées comme gênantes, soit inscrites sur une liste de choses à faire pour de futures recherches. C’est une conséquence inévitable lorsque l’on fait de la cohérence interne un critère d’admissibilité pour qualifier un travail de publiable.

La seconde vulnérabilité est un conservatisme qui découle de sa méthodologie. Le critère des microfondations pris dans sa forme stricte rend certains processus impossibles à modéliser : par exemple, modéliser les prix visqueux où les coûts de menus constituent un paramètre clé. Plutôt, la modélisation DSGE utilise des astuces, comme les contrats de Calvo. Mais qui décide si ces astuces représentent des microfondations acceptables ou bien des éléments ad hoc, voire invraisemblables ? La réponse dépend pour beaucoup des conventions en vigueur parmi les macroéconomistes or, comme toutes les conventions, celles-ci évoluent lentement. A nouveau, c’est un problème qui découle de la méthodologie des microfondations.

Les propos que Romer tient à propos des effets réels de la politique monétaire et de l’insistance que certains portent aux chocs de productivité comme moteurs des cycles d’affaires sonnent datés. (…). Pourtant il fallut beaucoup de temps pour que les modèles de cycles d’affaires réels soient remplacés par les modèles des nouveaux keynésiens et vous verrez toujours des modèles de cycles d’affaires réels. Des éléments issus de la contre-révolution néoclassique des années quatre-vingt persistent toujours dans certains lieux. Il y a quelques années j’ai entendu parler à un séminaire d’une analyse où la crise financière était modélisée comme un large choc négatif de productivité.

C’est seulement dans une discipline qui considère qu’avoir de robustes microfondations constitue la seule manière acceptable de modéliser que des praticiens se sentent peu à l’aise à l’idée d’inclure les prix visqueux au motif que leurs microfondations (les astuces mentionnées ci-dessus) soient problématiques. C’est seulement dans cette discipline que des chercheurs respectés affirment qu’en raison de ces piètres microfondations il vaut mieux ignorer quelque chose comme les prix visqueux quand il s’agit de travailler sur les politiques, un argument qui ferait bien rire si on l’entendait dans une autre discipline scientifique. C’est la seule discipline où l’on débat pour déterminer s’il vaut mieux modéliser ce que l’on peut microfonder plutôt que modéliser ce que l’on voit. D’autres économistes comprennent le problème, mais plusieurs macroéconomistes pensent toujours que tout cela est assez normal. »

Simon Wren-Lewis, « Paul Romer on macroeconomics », in Mainly Macro (blog), 20 septembre 2016. Traduit par Martin Anota



Qu’est-ce qui ne va pas avec le modèle des cycles d’affaires réels ?


« Les modèles DSGE, les modèles que les macroéconomistes orthodoxes utilisent pour modéliser les cycles d’affaires, sont fondés sur le modèle des cycles d’affaires réels. Nous savons (presque) tous que le projet des cycles d’affaires réels a échoué. Donc pourrait-on trouver acceptable d’avoir quelque chose qui se fonderait sur un tel modèle ? Comme le dirait Donald Trump, que se passe-t-il ?

Le modèle de cycles d’affaires réels de base contient une fonction de production reliant la production au capital (possédé par les individus) et au travail plus un élément stochastique représentant le progrès technique, une identité reliant l’investissement et le capital, une identité du revenu national posant la production comme la somme de la consommation et de l’investissement, les conditions de productivité marginale (découlant de la maximisation du profit par des entreprises représentatives en environnement parfaitement concurrentiel) donnant le salaire réel et le taux d’intérêt réel et le problème d’optimisation du consommateur représentatif pour la consommation, l’offre de travail et le capital.

Quel est le gros problème avec ce modèle ? (…) Ignorons le capital, parce que dans le modèle canonique des nouveaux keynésiens le capital n’apparaît pas. Si vous dites que c’est le rôle proéminent conféré aux chocs associés au progrès technique, je vous dirais que je suis d’accord pour dire que c’est un gros problème : toutes les équations comportementales doivent contenir des événements stochastiques qui peuvent aussi générer un choc dans cette économie, mais les modèles des nouveaux keynésiens le font à divers degrés. Si vous dites que c’est l’hypothèse d’équilibrage du marché du travail, je vous dirais que c’est aussi un gros problème. Cependant, à mes yeux, rien de tout cela ne constitue le plus grand problème avec le modèle des cycles d’affaires réels. Le plus gros problème, c’est l’hypothèse d’ajustement continu des marchés des biens et services, autrement dit l’hypothèse de prix pleinement flexibles. C’est l’hypothèse qui amène à conclure que la politique monétaire n’a pas d’impact sur les variables réelles. Maintenant, un modélisateur de cycles d’affaires réels pourrait répondre : comment le savez-vous ? Sûrement qu’il fait sens de voir si un modèle qui suppose une flexibilité des prix peut générer quelque chose comme des cycles d’affaires ?

La réponse à cette question est non, il ne le fait pas. Il ne le fait pas parce que nous savons qu’il ne le peut pas pour une simple raison : le chômage lors d’une récession est involontaire et ce modèle ne peut générer de chômage involontaire, mais seulement des variations volontaires de l’offre de travail, en conséquence des variations à court terme du salaire réel. Une fois que vous acceptez le fait que le chômage lors des récessions est involontaire (et les preuves empiriques en faveur d’une telle idée sont très robustes), vous comprenez pourquoi le projet des cycles d’affaires réels ne marche pas.

Donc pourquoi les modèles de cycles d’affaires réels n’ont-ils jamais décollé ? Parce que la révolution des nouveaux classiques a prétendu que toutes les choses que nous connaissions avant elle devaient être écartées au motif qu’elles ne s’appuyaient pas sur la bonne méthodologie. Mais aussi parce que la bonne méthodologie, en l'occurrence la méthodologie des microfondations, permit au chercheur de sélectionner quelles preuves empiriques (micro ou macro) étaient admissibles. Cela, à son tour, explique pourquoi la méthodologie des microfondations s’est retrouvée au centre de toute critique de la macroéconomie moderne. Je laisse sous silence pourquoi les modélisateurs de cycles d’affaires réels ont écarté les preuves empiriques montrant que le chômage est involontaire.

Le modèle des nouveaux keynésiens, bien qu’il n’ait peut-être ajouté qu’une seule équation au modèle des cycles d’affaires réels, a réussi à corriger sa principale faille : son échec à reconnaître le savoir prérévolutionnaire à propos de ce qui provoque les cycles d’affaires et de ce que vous devez faire pour les combattre. Dans ce sens, le fossé qu’il a creusé avec l’héritage qu’il tire de la théorie des cycles d’affaires réels a été profond. Est-ce que l’analyse des nouveaux keynésiens est toujours entravée par sa filiation avec la théorie des cycles d’affaires réels ? La réponse est complexe (voir par exemple ici) et elle tient à la fois du oui et du non. Mais à nouveau, je serais plutôt enclin à affirmer que ce qui entrave davantage les avancées de la macroéconomie moderne est sa dépendance à une méthodologie très particulière.

Un dernier point. Beaucoup de personnes en dehors de la macroéconomie orthodoxe aiment décrire la modélisation DSGE comme une stratégie de recherche dégénérative. Je pense que c’est une affirmation très difficile à étayer et qu’elle n’est pas convaincante aux yeux des économistes orthodoxes. Ce que j’affirme par contre, (…) c’est qu’il n’y a pas de bonne raison justifiant pourquoi la modélisation des microfondations devrait être la seule stratégie de recherche employée par les économistes universitaires. Je mets au défi quiconque de mettre en doute cette idée. »

Simon Wren-Lewis, « What is so bad about the RBC model? », in Mainly Macro (blog), 20 août 2016. Traduit par Martin Anota