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Tag - monnaie-hélicoptère

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jeudi 30 avril 2020

La théorie monétaire moderne et le mythe de la "monnaie-hélicoptère"

« (…) La théorie monétaire moderne (modern monetary theory, MMT) a fait l’objet d’une attention sans précédent maintenant que les responsables de la politique économique adoptent de massives mesures pour combattre la pandémie du Covid-19. En discutant de l’approche du "quoiqu’il en coûte" de la Réserve fédérale, Joe Kernen de CNBC conclut que "nous sommes tous des MMTers à présent". Et dans un récent commentaire, Willem H. Buiter de l’Université de Columbia a affirmé que "l’essentiel de la réponse des Etats-Unis prendra la forme de la monnaie-hélicoptère, une application de la" théorie monétaire moderne "dans laquelle la banque centrale finance la relance budgétaire en achetant de la dette publique émise pour financer des baisses d’impôts ou des hausses de dépenses publiques".

Comme ces remarques le montrent, beaucoup de commentateurs semblent voir la théorie monétaire moderne comme un plan pour faire tourner la presse à imprimer, que se soit pour envoyer de la monnaie aux ménages après approbation du Congrès ou pour fournir des liquidités aux marchés financiers via les actions de la Fed. Avec la récente adoption aux Etats-Unis d’un plan de relance de 2.100 milliards de dollars, nous serions désormais engagés dans ce que Buiter appelle "une expérimentation massive avec l'hétérodoxe" théorie monétaire moderne.

Ces commentateurs se trompent entièrement. La théorie monétaire moderne ne soutient pas l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), ni ne prescrit des "largages d’hélicoptère" pour la simple raison qu’il n’y a pas d’alternative de "monnaie-hélicoptère au financement d’un plan de relance budgétaire. En fait, la théorie monétaire moderne décrit comment un gouvernement qui émet sa propre monnaie dépense, taxe et vend des obligations. Ainsi, la théorie démontre qu’un gouvernement comme celui des Etats-Unis ne fait pas face à des contraintes financières.

Au cours normal des opérations, le Trésor américain (le bras dépensier du gouvernement) et la Fed (la banque du gouvernement) se coordonnent de telle façon que le Trésor puisse dépenser et taxer les montants autorisés. Alors que le Congrès s’approprie les fonds, la Fed s’assure à ce que (…) les émissions obligataires se déroulent sans problème. Cependant, la Fed est aussi la banque des banques, si bien qu’elle prend des mesures pour s’assurer à ce que les dépenses et impôts du Trésor ne perturbent pas le système financier. (Comme les paiements vont et sortent des comptes bancaires privés, il y a toujours un risque que les banques soient à court ou inondées de réserves).

A nouveau, cette analyse est descriptive : elle explique simplement comment le gouvernement opère et comment les 2.100 milliards de dollars seront dépensés. Le Trésor va émettre des obligations et les vendre ensuite via des enchères. La Fed, comme d’habitude, va s’assurer, via ses prêts ou ses propres achats, à ce qu’il y ait une offre de réserves suffisante dans le système pour payer les obligations nouvellement émises. (En effet, la Fed s’est déjà engagée à acheter des obligations avant même que le Congrès ait adopté le plan de relance.) Les primary dealers (les banques et les institutions financières approuvées) qui doivent participer à de telles enchères vont continuer à le faire.

En d’autres termes, tout va se passer de la même façon qu’auparavant, lorsqu’il n’y avait pas de pandémie ou d’urgence nationale. A aucun moment quelqu’un ne va actionner la presse à imprimer ou lancer des "largages d’hélicoptère". La question, alors, est ce que "faire tourner la planche à billets" pourrait signifier dans le contexte du système monétaire moderne. Les commentateurs qui utilisent une telle expression se réfèrent à la Fed créditant les comptes bancaires au nom du Trésor sans nouvelles émissions obligataires, c’est-à-dire sans drainer de réserves du système.

Contrairement à ce que suggèrent les commentateurs, une telle action du gouvernement n’est pas une grosse affaire. Que nous soyons en temps normal ou au milieu d’une crise, les ventes d’obligations du Trésor ne sont pas une opération d’emprunt : en fait, elles sont utilisées pour maintenir les taux d’intérêt. Le fait basique est bien compris quand il touche à la Fed, qui a elle-même déclaré que les achats obligataires constituaient une opération de maintenance du taux d’intérêt. Et parce que la Fed paie désormais des intérêts sur les réserves, ses comptes de réserves peuvent agir comme substitut pour les émissions obligataires, du moins aussi longtemps que la maintenance du taux d’intérêt est concernée. Il peut toujours y avoir de bonnes raisons à ce que le Trésor émette des obligations, telles que la fourniture d’actifs sûrs portant intérêt aux ménages ou aux institutions financières, mais financer les dépenses du Trésor n’en est pas une.

Les prescriptions de la théorie monétaire moderne n’ont rien à voir avec l’envoi de "liquidités" aux ménages ou aux banques. La Fed n’applique pas la théorie monétaire moderne quand elle s’engage dans l’assouplissement quantitatif ou prête des centaines de milliards de dollars aux institutions financières. La théorie monétaire moderne souligne seulement le fait que la Fed ne fait face à aucune contrainte financière sur sa capacité d’acheter des actifs ou à prêter ; elle ne prescrit aucune action particulière dans cette direction et elle est en fait sceptique à propos de telles politiques.

S’il y a un aspect du plan de relance américain qui fait écho à la théorie monétaire moderne, c’est le fait qu’il ne soit pas "réglé". Les partisans de la théorie monétaire moderne ont toujours martelé que nous devons cesser d’attacher de telles chaînes (accroître les impôts ou réduire les dépenses publiques ailleurs) pour financer les dépenses. Abolir de telles conditions pourrait ou non accroître le déficit budgétaire. Mais, indépendamment de ce qui se passera finalement sur le plan budgétaire, la dépense prendra toujours la forme de paiements faits par la Fed au nom du Trésor. Il n’y a ni presse à imprimer, ni recettes fiscales qui soient nécessaires.

Donc, que prescrit la théorie monétaire moderne? En termes de propositions concrètes de politique publique, les économistes de la théorie monétaire moderne soutiennent depuis longtemps l’idée d’un Etat employeur en dernier ressort, c’est-à-dire d’un programme de garantie de l’emploi universel financé au niveau fédéral qui agirait comme un stabilisateur macroéconomique en temps de crise. Les emplois, non la liquidité, est la réponse de la théorie monétaire moderne aux récessions. Elle appelle à passer les paies au Budget fédéral, à faire travailler les bénéficiaires (en répondant à la crise, quand cela peut être fait en sécurité) et à laisser le secteur privé les réembaucher lorsque l’économie amorce sa reprise.

Les partisans de la théorie monétaire moderne ont toujours soutenu que les dépenses publiques ne sont seulement limitées que par la capacité économique disponible. Les Etats-Unis atteignent rarement de telles contraintes de dépenses en temps normal et, dans le cas de l’actuelle crise, la contrainte à laquelle nous faisons face prend la forme d’un massif choc d’offre négatif. Mais c’est largement dû à une inadéquate préparation au désastre. S’il n’y a pas assez de lits d’hôpital pour soigner les patients, un surcroît de dépenses ne va pas aider. Alors que les Etats-Unis sont contraints dans leur réponse à cette crise, une incapacité à financer les dépenses publiques n’en sera jamais la raison. Une fois que nous aurons surmonté la menace immédiate que fait peser la pandémie à notre santé, nous devrons maintenir les dépenses publiques de façon à nous préparer à la prochaine crise, en résistant à tous les appels à restreindre le Budget au motif fallacieux que l’austérité budgétaire est nécessaire pour rembourser la dette publique. »

Yeva Nersisyan et L. Randall Wray, « The myth of "helicopter money" », 20 avril 2020. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « La théorie monétaire moderne sous le scalpel d’un postkeynésien sceptique »

dimanche 24 novembre 2019

La zone euro n’est pas (encore) prête pour la monnaie-hélicoptère

« Avec un menu d’options budgétaires et monétaires dangereusement réduit pour stimuler l’activité dans la zone euro en cas de récession, les responsables de la politique économique et les économistes ont commencé à discuter d’une proposition qui semble à la fois simple et exotique : si la consommation des ménages et l’investissement des entreprises sont trop faibles, pourquoi la banque centrale n’enverrait-elle pas, par exemple, 500 euros à chaque résident de la zone euro ? Les résidents dépenseraient cet argent et l’économie s’en trouverait stimulée.

Cette idée, dite de la "monnaie-hélicoptère" (helicopter money), a un bon pedigree et un nom mémorable. Milton Friedman a introduit le concept et lui a donné son nom, bien qu’il ne conseilla pas de la mettre en pratique. Peter Praet (2016), qui a été membre du conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne (BCE) jusqu’à récemment, a un jour indiqué que" toutes les banques peuvent le faire". Et un récent rapport Blackrock (Bartsch et alii, 2019), avec notamment Stanley Fischer et Philip Hildebrand comme coauteurs, s’est prononcé en faveur d’une version de la monnaie-hélicoptère.

De plus, le concept a un clair attrait politique. Il a été qualifié d’"assouplissement quantitatif pour le peuple" (quantitative easing for the people) (Muellbauer, 2014) : au lieu d’aider les banques ou d’enrichir les détenteurs d’obligations, la banque centrale devrait mieux donner de la monnaie à la population, une façon transparente d’accroître son pouvoir d’achat.

Qu’est-ce que la monnaie-hélicoptère ?


En fait, malgré son nom, la monnaie-hélicoptère n’est pas si exotique que cela. D’un point de vue économique, c’est l’équivalent d’une relance budgétaire combinée à une relance monétaire. On peut la considérer comme une sorte d’expansion budgétaire prenant la forme de transferts de revenus opérés par le gouvernement à la population, financée par les obligations publiques, titres que la banque centrale achèterait en échange de monnaie via une opération d’open market. Pour cette raison, Ben Bernanke (2016) l’a qualifiée de "programme budgétaire financée par création monétaire" (money-financed fiscal program), un nom plus précis, mais moins attrayant, et un nom effrayant pour ceux qui voient tout financement par création monétaire comme une route directe vers l’hyperinflation.

L’équivalence n’est cependant pas totale. Si la monnaie-hélicoptère est entreprise indirectement (avec des obligations émises par le gouvernement pour financer des transferts, puis achetée par la banque centrale), la dette résultante apparaît comme une dette du gouvernement central vis-à-vis de la banque centrale. Cette dernière connaît une hausse de son passif (via la hausse de l’offre de monnaie) et de son actif (les obligations publiques), sans changement dans ses fonds propres. Si elle est entreprise directement (avec la banque centrale transférant directement de la monnaie aux ménages), la dette du gouvernement central reste inchangée. La banque centrale, cependant, connaît alors une hausse de son passif (la hausse de l’offre de monnaie) sans hausse de son actif, ce qui se traduit par une détérioration de ses fonds propres.

La différence entre les deux scénarii n’est pas pertinente d’un point de vue purement économique. Ce qui importe pour l’économie est le changement du bilan consolidé du gouvernement (combinant les bilans du gouvernement central et de la banque centrale) et celui-ci est le même dans les deux cas. Si la hausse de la dette prend la forme d’une hausse du passif du gouvernement central ou une hausse du passif de la banque centrale n’est pas significative. Ce qui importe pour les finances publiques est la valeur actualisée des soldes budgétaires futurs, qui à nouveau ne change pas. Mais cette différence est importante d’un point de vue politique : les banquiers centraux s’inquiètent, à tort ou à raison, à l’idée qu’une baisse des fonds propres de la banque centrale (en particulier s’ils deviennent négatifs) puisse laisser paraître que la banque centrale est mal gérée, chose qui affaiblirait son pouvoir politique et amènerait le gouvernement à remettre en cause l’indépendance de la banque centrale.

Comment la monnaie-hélicoptère fonctionnerait


Supposons que la BCE soit encline à recourir à la monnaie-hélicoptère. Est-ce que ce serait une façon efficace de contrer une récession dans la zone euro d’un point de vue macroéconomique ?

Initialement, les transferts budgétaires financés par la banque centrale peuvent s’avérer bien efficaces, parce qu’ils stimuleraient directement les dépenses de consommation. Et contrairement au gouvernement, qui peut augmenter les impôts après coup, la banque centrale n’aurait aucun moyen d’annuler les transferts qu’elle a financés. Donc, les ménages seraient plus incités à les dépenser (la banque centrale peut décider ex post de compenser leur impact sur son bilan en réduisant la taille de son portefeuille d’obligations souveraines, mais cela n’affecterait pas directement les ménages).

Il y a davantage de questions à propos des conséquences à plus long terme. Supposons, contrairement à la situation actuelle de la zone euro, que le taux directeur soit initialement positif. Alors, si la production ou l’inflation sont trop faibles, la combinaison d’expansions budgétaire et monétaire irait clairement dans la bonne direction, à savoir une hausse de l’activité économique (Galí, 2019). Cependant, ce ne serait peut-être pas la bonne combinaison : la combinaison appropriée pourrait impliquer davantage d’action monétaire ou davantage d’action budgétaire. En effet, certains chiffres nous suggèrent que ce n’est pas la bonne combinaison. Dans la zone euro, le ratio de la monnaie qui ne rapporte pas d’intérêt sur le PIB est de pratiquement 10 %. Ce ratio implique qu’une hausse d’un point de pourcentage du déficit financée par la monnaie budgétaire pour une année se traduirait par une hausse de 10 % de la monnaie, donc finalement par une hausse de 10 % du niveau des prix. Même si l’on supposait que la BCE ait adopté une stratégie de ciblage du niveau des prix, le coût en termes d’inflation d’un tel plan de relance relativement modeste excèderait probablement ce qui serait acceptable étant donné l’actuelle insuffisance du niveau des prix. Pour le dire autrement, étant donné les limites de l’ampleur à laquelle le niveau des prix serait permis de s’accroître, la relance budgétaire associée serait trop faible pour être significative sur le plan macroéconomique.

Si, de façon plus réaliste, le taux directeur est déjà à zéro (ou légèrement en territoire négatif en raison de la borne inférieure effective), comme c’est le cas dans la zone euro, alors il n’y a pas de différence immédiate entre la monnaie et la dette. Toutes les deux rapportent zéro (ou quasiment zéro). Donc, dans ce cas, la monnaie-hélicoptère est-elle simplement l’équivalent d’une expansion budgétaire financée par voie de dette ? Pas vraiment. Cela dépend de ce que les investisseurs pensent qu’il surviendra une fois que les taux d’intérêt redeviendront positifs. Comme l’a observé Narayana Kocherlakota (2016), l’ancien président de la Réserve fédérale de Minneapolis, si les investisseurs s’attendent à ce que la monnaie rapporte des intérêts (comme c’est le cas pour les réserves bancaires aux Etats-Unis), alors il n’y a vraiment pas de différence entre le financement par création monétaire et le financement obligataire : tous les deux rapportent zéro aujourd’hui et tous deux vont rapporter des intérêts dans le futur. Si les investisseurs s’attendent à ce que la monnaie ne rapporte pas d’intérêt à l’avenir, ils s’attendent à ce que le niveau des prix finisse par être plus élevé et donc doivent s’attendre à davantage d’inflation à l’avenir. Pour le dire autrement, si la banque centrale s’engage de façon crédible à ne pas payer d’intérêts sur la monnaie à l’avenir, alors la monnaie-hélicoptère doit mener à une révision à la hausse des anticipations d’inflation, donc réduire les taux réels à long terme aujourd’hui. On peut bien douter de la force empirique de ce canal des anticipations. Mais dans la mesure où il est présent, le même résultat peut être atteint via le forward guidance, c’est-à-dire par l’engagement de la banque centrale à maintenir le taux directeur inchangé jusqu’à ce que le niveau des prix (et pas seulement l’inflation) ait atteint une certaine cible.

Cette analyse suggère que l’argumentaire général pour la monnaie-hélicoptère est fragile. Aux Etats-Unis, il y a une certaine marge de manœuvre pour utiliser les politiques monétaire et budgétaire et pour le faire avec la bonne combinaison. Dans la zone euro, où la politique monétaire dispose d’une moindre marge de manœuvre, l’action doit se concentrer sur la politique budgétaire. Qu’elle soit financée par les obligations ou par la création monétaire, cela fait peu de différence économique, à moins que l’on accepte une forte inflation.

Mais il y a quelque chose à prendre en compte concernant la zone euro. La politique budgétaire dans l’union monétaire européenne est fortement contrainte par les règles de l’UE et les règles nationales. En l’occurrence (…), si les règles sont respectées, la marge pour l’expansion budgétaire est extrêmement limitée et risque de ne pas suffire pour combattre une récession. Dans ce contexte, la monnaie-hélicoptère (des transferts directs de la BCE vers la population) peut être interprétée comme une façon de contourner les contraintes budgétaires. La dette apparaît dans le bilan de la BCE et non dans les bilans des gouvernements nationaux. Et, comme la dette de la BCE est une dette jointe, cela permet même aux pays-membres avec de plus fragiles situations budgétaires de participer implicitement et de partager également aux transferts. D’une certaine façon, la monnaie-hélicoptère peut être vue comme un substitut à une capacité budgétaire commune toujours manquante. Sa mise en œuvre, cependant, soulève des défis opérationnels, juridiques et politiques.

La BCE ferait face à d’importants risques et obstacles


Pour des raisons relatives à la gouvernance et des raisons pratiques, la BCE ne peut procéder sans l’approbation des gouvernements nationaux. La BCE manque de la capacité technique et de l’information nécessaires pour opérer les transferts. Elle aurait à s’appuyer sur les Trésors nationaux comme relais ou pour obtenir les informations pertinentes (telles que les identifications individuelles pour les destinataires). Si tous les Etats-membres de la zone euro considéraient les règles budgétaires en vigueur comme contreproductives, ils pourraient donner à la BCE leur bénédiction. M ais certains Etats-membres ne pourraient voir la monnaie-hélicoptère que comme une façon de contourner des règles qu’ils apprécient. Ils l’empêcheraient par des moyens constitutionnels (comme le fit la Cour constitutionnelle allemande pour essayer de bloquer le programme d’achats d’obligations souveraines de la BCE en 2017) ou simplement en refusant de participer à l’organisation des transferts.

Il faudrait également décider de la taille et de la répartition des transferts, entre les pays et au sein des différentes populations nationales. Faudrait-il les faire à destination des individus ou des ménages ? Est-ce que les gens en Allemagne et en Lituanie (un pays dont le PIB par tête est moitié moindre que celui de l’Allemagne) recevraient le même montant ? Si ce n’est pas le cas, qui déciderait ? Si c’est la BCE, elle aurait à faire d’importants choix distributifs, une tâche qui convient mieux aux autorités budgétaires et qui doit être soumise à l’approbation parlementaire.

Ces implications distributionnelles s’ajouteraient aux obstacles juridiques. Le système de l’UE a été construit sur la promesse d’une séparation étanche entre les politiques monétaire et budgétaire. Même si la BCE entreprenait de sa propre initiative un programme de transferts de liquidité de facto vers les ménages et le mettait en œuvre via le système bancaire, il serait certainement attaqué en justice. La Cour constitutionnelle de l’Allemagne et certainement celles d’autres pays définiraient probablement la monnaie-hélicoptère comme un programme de politique économique (et non monétaire) et considéreraient qu’un tel programme doit être de la responsabilité des gouvernements et parlements nationaux.

Finalement, la monnaie-hélicoptère n’est pas sans risques pour la BCE comme institution. Des questions de mandat et d’indépendance ont été mises en avant à propos des implications distributionnelles des mesures non conventionnelles et même standards de la politique monétaire (et en particulier de leur coût pour les "épargnants allemands"). Elles ont aussi été soulevées à propos du plus grand usage des politiques macroprudentielles, certaines d’entre elles ayant d’importantes implications distributionnelles. La monnaie-hélicoptère alimenterait ces controverses et soulèveraient de sérieuses questions à propos de la pertinence de l’indépendance de la banque centrale. Le risque nous semble trop important pour être ignoré.

Pourrait-il y avoir des circonstances où l’équilibre des risques et profits penche de l’autre côté et où la BCE procéderait à la monnaie-hélicoptère ? Nous croyons que ce n’est pas probable. S’il y avait une profonde récession, cela déclencherait les clauses dérogatoires des règles fiscales, rendant la monnaie-hélicoptère redondante. S’il y avait une légère récession ou une stagnation prolongée, c’est-à-dire des situations qui ne susciteraient pas de réaction budgétaire, il n’est pas probable que la BCE désire franchir le Rubicon. Et s’il n’y a pas de récession, il n’y a pas de besoin manifeste pour la monnaie-hélicoptère. Cela nous amène à être sceptiques à l’idée que nous devrions prochainement voir la monnaie-hélicoptère d’ici peu dans la zone euro. »

Olivier Blanchard & Jean Pisani-Ferry, « The euro area is not (yet) ready for helicopter money », in PIIE, Realtime Economic Issues (blog), 20 novembre 2019. Traduit par Martin Anota

dimanche 4 septembre 2016

Là où se trompent les détracteurs de la monnaie-hélicoptère

« Je suis fatigué de lire continuellement des articles sur la monnaie-hélicoptère qui suivent la structure suivante : 1) La monnaie-hélicoptère s’apparenterait à une relance budgétaire financée par création monétaire. 2) La monnaie-hélicoptère menacerait l’indépendance de la banque centrale. 3) Par conséquent, la monnaie-hélicoptère serait une mauvaise idée.

(…) Ce que leurs auteurs ne semblent jamais se demander, même lorsqu’ils abordent le deuxième point, c’est pourquoi nous avons des banques centrales indépendantes. Et ce qu’ils ne semblent jamais noter, même en établissant la première proposition, c’est que l’idée que les banques centrales sont indépendantes dénie l’éventualité même d’une relance budgétaire financée via création monétaire.

Les banques centrales sont indépendantes pour éviter les problèmes associés à la stabilisation macroéconomique opérée par les politiciens. Mais rendre une banque centrale indépendante signifie qu’une relance budgétaire par création budgétaire n’est plus possible. Elle ne serait possible que s’il y avait une coordination entre la banque centrale et le gouvernement, ce qui nie l’indépendance de la première. Mais les partisans des banques centrales indépendantes disent qu’il n’y a pas de problème, parce que la stabilisation macroéconomique peut être pleinement assurée par les banques centrales en faisant varier les taux d’intérêt, si bien qu’une relance budgétaire par création monétaire n’apparaît pas nécessaire.

Mais malheureusement, lors de la récente récession mondiale, les taux directeurs des banques centrales ont buté sur leur borne inférieure zéro (zero lower bound). La politique monétaire non conventionnelle (par exemple l’assouplissement quantitatif ou quantitative easing) apparaît être un outil de stabilisation conjoncturelle plus incertain et moins fiable que la politique budgétaire. Ce qui signifie que les banques centrales indépendantes ne peuvent assurer efficacement leur mission et que leur indépendance empêche la mise en œuvre d’une relance budgétaire via création monétaire.

Donc, dire qu’il n’y a pas de problème, que les gouvernements peuvent mettre en œuvre une expansion budgétaire financée via émission obligataire, c’est oublier complètement pourquoi les banques centrales indépendantes ont été favorisées en premier lieu. Les politiciens ne sont pas bons lorsqu’il s’agit de stabiliser l’activité économique. Si vous doutez de cela, les effets de l’austérité globale devraient balayer vos doutes.

Donc, démontrer le point (1) n’implique pas que les banques centrales indépendantes n’aient pas besoin d’émettre de la monnaie-hélicoptère. En tirer une telle implication, c’est un peu comme dire que les gouvernements peuvent fixer les taux d’intérêt, donc pourquoi aurions-nous besoin de banques centrales indépendantes ? La plupart des macroéconomistes n’oserait jamais faire cela, donc pourquoi sont-ils heureux d’utiliser cet argument avec la monnaie-hélicoptère ?

Ce qui nous amène à la proposition (2). D’après mon expérience, il faut avouer que la proposition (2) n’est jamais examinée avec la même rigueur que la proposition (1) : il semble qu’évoquer simplement la « dominance budgétaire » (fiscal dominance) suffit pour effrayer tout le monde. La seule circonstance où la proposition (2) serait exacte serait si, suite à la monnaie-hélicoptère et à l’expansion subséquente, la banque centrale constatait qu’elle manquait d’actifs à vendre de façon à maintenir les taux d’intérêt élevés et à empêcher l’inflation de dépasser sa cible. Une solution évidente consiste à ce que le gouvernement recapitalise la banque centrale.

Cela compromet l’indépendance de la banque centrale ? La Banque d’Angleterre pense que non. Elle a obtenu du gouvernement la promesse de la recapitaliser si elle réalisait des pertes avec l’assouplissement quantitatif. Les gens se sont-ils inquiétés que ceci puisse compromettre l’indépendance de la Banque d’Angleterre ? Bien sûr que non : personne ne peut sérieusement imaginer qu’un gouvernement britannique revienne sur cet engagement. Donc pourquoi la monnaie-hélicoptère serait-elle différente ?

Je pourrais le dire d’une autre façon. Imaginons l’ensemble de tous les gouvernements qui refuseraient de recapitaliser une banque centrale indépendante durant un boom, lorsque l’inflation s’accélère : ce seraient des gouvernements de cauchemars pour les banques centrales. Maintenant, imaginons l’ensemble de tous les gouvernements qui, lorsque l’inflation s’accélère lors d’un boom, seraient heureux d’enlever l’indépendance à la banque centrale pour l’empêcher d’accroître les taux. J’estime que les deux ensembles sont identiques. En d’autres termes, la monnaie-hélicoptère ne semble pas du tout compromettre l’indépendance des banques centrales.

Donc, s’il vous plaît, cessez de dire que la monnaie-hélicoptère est équivalente à une relance budgétaire via création monétaire, comme si cela constituait un argument contre la monnaie-hélicoptère, sans même noter que l’indépendance des banques centrales empêche précisément la mise en œuvre d’une relance budgétaire via création monétaire. Cessez de suggérer que la monnaie-hélicoptère menace l’indépendance des banques centrales, sans préciser comment cela peut être le cas. Et, s’il vous plaît, reconnaissez enfin que l’indépendance des banques centrales vise à ne pas dépendre des gouvernements pour faire de la stabilisation macroéconomique. »

Simon Wren-Lewis, « Helicopter Money: missing the point », in Mainly Macro (blog), 20 août 2016. Traduit par Martin Anota

mercredi 8 juin 2016

La monnaie-hélicoptère et la politique budgétaire

« John Kay et Joerg Bibow pensent qu’un supplément de dépenses publiques dans l’investissement public est une bonne idée et que la monnaie-hélicoptère est soit un égarement (selon Bibow), soit une politique budgétaire par subterfuge (selon Kay). Ils ont raison à propos de l’investissement public, mais tort à propos de la monnaie-hélicoptère.

Nous pouvons sans fin débattre pour tenter de trancher si la monnaie-hélicoptère est davantage de nature monétaire ou bien de nature budgétaire. Alors que des tentatives pour distinguer entre les deux permettent quelques fois d’éclairer des points importants (…), c’est en définitive futile. La monnaie-hélicoptère est ce que qu’elle est. Les raisonnements qui cherchent à clarifier les définitions pour ensuite conclure que les banques centrales ne doivent pas recourir à la monnaie-hélicoptère au prétexte qu’elle est de nature budgétaire sont également futiles. Tout mécanisme de distribution de la monnaie-hélicoptère doit être fixée dans le cadre d’un accord avec les gouvernements et la politique monétaire existante a des conséquences budgétaires sur lesquelles les gouvernements n’ont pas de contrôle.

Voilà où Kay et Bibow ont raison. En ce moment précis, même si une récession mondiale n’est pas sur le point de survenir, l’investissement public doit tout de même augmenter aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro. Il n’y a absolument pas de raison imposant que cet investissement public ne puisse être financé via l’émission de dette publique. De plus, si une nouvelle récession éclatait sous peu, accroître l’investissement public en lançant des projets "prêts à démarrer" serait un excellent instrument contracyclique. En effet, il y a un bon argument pour avancer l’investissement public même si la politique monétaire était capable de faire face à la récession par elle-même : vous investiriez au moment précis où le travail est peu cher et où les taux d’intérêt sont bas.

Là où Bibow se trompe, c’est que l’introduction de la monnaie-hélicoptère dans l’arsenal de la banque centrale ne remet aucunement en question les points que nous avons soulevés ci-dessus. La monnaie-hélicoptère n’empêche pas le gouvernement de faire ce qu’il veut avec la politique budgétaire. La politique monétaire s’adapte à l’orientation que le gouvernement prévoit de donner à la politique budgétaire et elle peut le faire parce qu’elle peut agir plus rapidement que les gouvernements.

Cela répond en partie à Kay, mais il suggère aussi que la monnaie-hélicoptère est une manière de permettre aux politiciens de faire de la relance budgétaire en l’appelant autrement. Cela semble ignorer les raisons pour lesquelles la relance budgétaire a laissé place à l’austérité. En 2010, à la fois Osborne et Merkel ont affirmé que nous avions à réduire l’emprunt public immédiatement parce que les marchés l’exigeaient.

La monnaie-hélicoptère est une relance budgétaire sans une quelconque hausse immédiate de l’emprunt public. Par conséquent, elle permet de contourner la contrainte qui, aux dires d’Osborne et de Merkel, empêche toute nouvelle relance budgétaire. Pour le dire autrement, ils n’ont pas dit que la hausse des dépenses publiques ou la réduction des impôts étaient mauvaises en soi, mais juste qu’elles étaient extrêmement imprudentes dans la mesure où elles devaient être financées en accroissant la dette publique. La monnaie-hélicoptère n’est pas financée par un accroissement de la dette publique.

Beaucoup affirment que ces inquiétudes à propos de la dette sont peu fondées et qu’en réalité les politiciens de droite qui appellent à l’adoption de mesures d’austérité instrumentalisent ces inquiétudes pour parvenir à réduire la taille de l’Etat ; c’est ce que j’appelle ici la "supercherie du déficit" (deficit deceit). La monnaie-hélicoptère, en particulier sous sa forme démocratique, leur coupe l’herbe sous les pieds. Si nous pouvons éviter d’aggraver la récession en maintenant les dépenses publiques, financées en partie par la création monétaire le temps que la récession persiste, comment peuvent-ils avancer une objection à cette idée ? Les politiciens qui voulaient s’appuyer sur la supercherie du déficit ne vont pas l’aimer, mais c’est leur problème, pas le nôtre.

Il y a un point connexe, en faveur de la monnaie-hélicoptère, que Kay et Bibow ne parviennent pas à voir. L’indépendance des banques centrales via à assurer la délégation de la fonction de stabilisation macroéconomique. Pourtant, cette délégation est pernicieusement incomplète, en raison de la borne inférieure zéro (zero lower bound) sur les taux d’intérêt nominaux. Alors que les économistes ont compris que les gouvernements peuvent, dans une telle situation, venir à la rescousse, soit les politiciens n’ont pas reçu le mémo, soit ils ont démontré qu’on ne peut effectivement leur confier cette tâche de stabilisation en toute confiance. La monnaie-hélicoptère est un bien meilleur instrument que l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), donc pourquoi empêcher les banques centrales d’utiliser l’instrument qui leur est nécessaire pour assurer la tâche qu’on leur a confiée ? »

Simon Wren-Lewis, « Helicopter money and fiscal policy », in Mainly Macro (blog), 30 mai 2016. Traduit par Martin Anota

lundi 9 mai 2016

Les gouvernements peuvent-ils compenser la monnaie-hélicoptère ?

« Nick Rowe a soulevé quelques remarques par rapport à mon dernier billet. Je vais commencer en abordant avec la question de la nature « permanente » ou non de la monnaie-hélicoptère. (Hélas, je ne parviendrai pas à être aussi concis.)

Permanente ou temporaire ?


Imaginez un monde (…) où le ratio monnaie sur prix est toujours le même à long terme. Dans ce monde, il y a une récession à court terme, accompagnée de déflation et les taux d’intérêt nominaux ont atteint leur borne inférieure, que ce soit ou non zéro. La cible d’inflation est de 2%, et la banque centrale ne va jamais laisser l’inflation aller au-dessus de 2 %. Cependant, parce que les taux d’intérêt ont atteint zéro, elle ne peut faire l’inverse et empêcher la déflation par des moyens conventionnels.

Si, dans ce monde, les autorités monétaires consacrent un supplément de monnaie (la monnaie-hélicoptère) pour stimuler l’économie, est-ce que ce supplément de monnaie est permanent ou temporaire ? Pensons à ce qui se passe sans monnaie-hélicoptère. Les prix chutent ou stagnent pendant un moment et ce n’est que lorsque la récession finit que l’inflation revient à 2 %. Maintenons comparons cela à ce qui surviendrait si la banque centrale a recours à la monnaie-hélicoptère et cela fut une réussite pour ramener l’inflation bien plus rapidement vers 2 %. Cela signifie que le niveau des prix va être plus élevé à long terme de façon permanente que si la banque centrale n’avait rien fait. Par conséquent, au moins une partie du supplément de monnaie créée pour mettre rapidement un terme à la récession va être créée de façon permanente relativement à la situation sans création monétaire.

Donc dans la mesure où la monnaie-hélicoptère fonctionne, et stoppe la déflation, cela implique de créer de la monnaie de façon permanente. Cette création permanente de monnaie ne signifie pas que l’inflation doit être supérieure à la cible, mais plutôt que cela empêche l’inflation d’aller durablement sous sa cible. Mais il n’y a absolument aucune raison de limiter la monnaie-hélicoptère au montant par lequel la monnaie va être de façon permanente plus élevée, parce que cela va certainement être insuffisant pour mettre un terme à la déflation. La monnaie devra dépasser son niveau permanent de long terme à court terme. (Les macroéconomistes disent quelques fois qu’au cours d’une récession la demande de monnaie émanant du public augmente ou qu’il y a une demande excessive de monnaie. Pour un non-économiste, bien sûr, cela semble juste stupide.) Il n’y a rien d’erroné dans la création temporaire de monnaie additionnelle pour nous sortir d’une récession. La seule question qui importe ici est si la création temporaire de monnaie ne peut pas être défaite sans que la banque centrale ou les autorités budgétaires fassent quelque chose d’inhabituel (voir ci-dessous).

La monnaie temporaire sera-t-elle dépensée ?


Mais si vous donnez juste un supplément de monnaie temporairement aux gens, ne va-t-il pas être épargné ? C’est une variante de la question de l’équivalence ricardienne et la réponse du monde réel est la même : toutes les preuves empiriques suggèrent qu’une grande partie va être dépensée. Il y a deux raisons principales à cela : certaines personnes sont contraintes en termes de crédit (et la monnaie-hélicoptère est comme un directeur de banque qui dit oui) et d’autres ne savent pas comment la monnaie sera remboursée (elle peut l’être à travers une réduction des dépenses publiques).

Que dire à propos des gouvernements ? Vont-ils essayer de compenser la monnaie-hélicoptère conventionnelle (un chèque envoyé par la poste) en accroissant les impôts ou ne pas accroître les dépenses publiques en conséquence de la "monnaie hélicoptère démocratique" (voir mon précédent billet) ? Nous devons comprendre pourquoi nous avons besoin de la monnaie-hélicoptère en premier lieu. Nous avons besoin de la monnaie-hélicoptère car les gouvernements n’entreprennent pas de plans de relance budgétaire en s’endettant, ce qu’ils devraient pourtant faire dans une récession où les taux d’intérêt butent sur leur borne inférieure. Pour savoir comment les gouvernements vont répondre à la monnaie-hélicoptère, nous devons savoir pourquoi ils ne vont pas entreprendre cette expansion budgétaire.

La crainte réelle d’une dette publique excessive


Supposons que les gouvernements soient convaincus que toute dépense additionnelle financée par emprunt est exclue en raison des craintes à propos du montant d’emprunt public. Leurs craintes à propos de l’emprunt sont authentiques et elles agissent comme une contrainte les empêchant de faire ce qu’ils auraient fait sinon. Donc ce qui se passe si la banque centrale émet de la monnaie-hélicoptère conventionnelle ou dit au gouvernement qu’il peut dépenser plus (ou réduire les impôts) sans avoir à emprunter à court terme. Les banques centrales repoussent la contrainte que les gouvernements ont (presque certainement) imaginée. Il n’y a par conséquent aucune raison justifiant pourquoi les gouvernements doivent soit chercher à compenser la monnaie-hélicoptère conventionnelle, soit ne pas dépenser la monnaie-hélicoptère démocratique.

Mais si la monnaie-hélicoptère est temporaire, l’endettement va devoir s’accroître à un certain moment. Il est facile de se perdre dans le détail institutionnel des diverse façons par lesquelles cela peut survenir, donc contentons-nous d’en prendre une seule. Une fois que la récession est finie, la banque centrale s’inquiète qu’il y ait trop de monnaie en circulation et elle n’a pas assez d’actifs financiers pour éponger l’excès. Elle demande au gouvernement de la recapitaliser, ce qui signifie juste que le gouvernement donne à la banque centrale certains actifs financiers sous la forme de dette gouvernementale. Cela signifie un surcroît d’endettement public.

Est-ce que le gouvernement va s’en inquiéter et par conséquent essayer de réduire son endettement pour compenser la monnaie-hélicoptère ? Je suggérerai que le gouvernement va presque certainement ne pas faire cela. La raison est que les gouvernements sont eux-mêmes convaincus que le problème n’est pas la position de long terme des finances publiques, mais le niveau de dette publique et le déficit public aujourd’hui. Comment est-ce que je sais cela ? Parce que si le problème était la position de long terme des finances publiques, les gouvernements dépenseraient aujourd’hui pour mettre un terme rapidement à la récession et réduire ensuite le déficit public une fois que les taux d’intérêt soient loin de leur borne inférieure. Cela est la combinaison de politiques économiques intertemporelle optimale. Le fait qu’ils ne fassent pas cela suggère que certains imaginent une contrainte à court terme.

Vous pouvez aussi regarder ce que les gouvernements embrassant l’austérité budgétaire font. Ils sont assez heureux de réduire les déficits à travers la privatisation, ce qui accroît presque sûrement les déficits futurs. Ils utilisent tous les moyens budgétaires qui déplacent simplement les revenus vers le court terme ou déplacent les dépenses dans le long terme. En d’autres termes, les plans de relance budgétaire s’opèrent sous une contrainte de déficit à court terme et la monnaie-hélicoptère démocratique relâche cette contrainte.

Utiliser les craintes suscitées par la dette publique pour réduire la taille de l’Etat


Supposons que les gouvernements ne croient pas vraiment que leur propre endettement doit être réduit aujourd’hui, mais qu’ils utilisent l’anxiété du public à propos de la dette publique (…) comme occasion pour réduire les dépenses publiques. L’endettement à court terme n’est pas réellement une contrainte, mais les gouvernements prétendent juste que ça l’est pour parvenir à réduire la taille de l’Etat. Un tel gouvernement utiliserait presque certainement toute monnaie-hélicoptère démocratique pour réduire les impôts, donc la distinction entre monnaie-hélicoptère conventionnelle et monnaie-hélicoptère démocratique n’est pas centrale. Ce gouvernement utiliserait-il la monnaie-hélicoptère comme occasion pour réduire les dépenses publiques encore plus, ce qui annulerait alors les bénéfices de la monnaie-hélicoptère ?

Le grand avantage qu’une banque centrale a est la vitesse. Ça prend du temps de mettre en place un plan de relance budgétaire, mais la monnaie peut être immédiatement créée. Donc si le gouvernement projette de réduire davantage les dépenses suite à l’émission de monnaie-hélicoptère, la banque centrale peut juste compenser l’impact de ces réductions de dépenses additionnelles sur la demande. Si vous pensez qu’un tel jeu ne peut continuer indéfiniment vous avez raison, mais il n’a pas à continuer. Une fois que la récession est finie, la politique monétaire peut compenser l’impact des réductions des dépenses publiques sur la demande en utilisant les taux d’intérêt d’une manière normale.

Dans cette situation, la banque centrale et le gouvernement sont satisfaits. La banque centrale, en utilisant la monnaie-hélicoptère dans des montants potentiellement illimités, peut mettre un terme rapidement à la récession. Le gouvernement qui désire utiliser le déficit comme occasion pour réduire les dépenses publiques a réussi à le faire, peut-être plus qu’ils ne le croyaient possible. Cela peut vous fâcher parce que vous ne voulez pas d’un plus petit Etat (…), mais je préférerais personnellement cela à une récession prolongée à chaque fois. »

Simon Wren-Lewis, « Can governments offset helicopter money », in Mainly Macro (blog), 5 mai 2016. Traduit par Martin Anota

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