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Tag - monnaie-hélicoptère

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mercredi 4 mai 2016

Ben Bernanke et la monnaie-hélicoptère démocratique

« "Le fait qu’aucun gouvernement responsable ne larguera jamais littéralement de la monnaie depuis les airs ne doit pas nous empêcher d’explorer la logique derrière l’expérience de pensée de Friedman, qui voulait montrer (dans des termes certes extrêmes) pourquoi les gouvernements ne doivent jamais avoir à céder face à la déflation."

Cette citation est tirée d’un récent billet de Ben Bernanke (qui, au cas où vous ne le sauriez pas, a eu en charge la politique monétaire des Etats-Unis). (…) Elle exprime une vérité macroéconomique que personne ne doit oublier : les dépressions et la déflation ne sont jamais inévitables et elles résultent toujours de l'échec des responsables de la politique économique à faire ce qu'il faut.

Il y a plusieurs points utiles dans le billet de Bernanke, mais je veux juste me concentrer sur un seul d’entre eux : en fait, Bernanke n’est pas en train de parler de la monnaie-hélicoptère dans son sens traditionnel, mais de ce que j’ai qualifié ailleurs de "monnaie-hélicoptère démocratique" (democratic helicopter money).

Quand la plupart des gens parlent à propos de la monnaie-hélicoptère, ils imaginent (…) une banque centrale envoyant un chèque à "chacun" par la poste ou transmettant une certaine somme de monnaie à chaque individu d’une autre manière. C’est ce que les économistes appellent un "impôt censitaire négatif" (reverse lump sum tax ou reverse poll tax) : le montant que vous recevez est indépendant de votre revenu. C’est donc très différent d’une réduction d’impôt traditionnelle. En pratique, la banque centrale ne peut seulement faire cela qu’avec la coopération des gouvernements. Elle ne voudrait pas prendre la décision de définir ce que "chacun" désigne. (Devons-nous inclure les enfants ou non ? Comment trouvons-nous une personne en particulier ?) Mais une fois que ces détails sont réglés, un système pourrait être mis en place et la banque centrale pourrait s’y appuyer n’importe quand à sa guise.

Bernanke suggère une alternative. La banque centrale fixe tout d’abord de son côté une somme de monnaie nouvellement créée et les autorités budgétaires la dépensent comme elles le désirent. Elles peuvent utiliser toute la monnaie pour construire des ponts ou des écoles plutôt que pour la donner aux individus. Il peut y avoir deux raisons d’émettre de la monnaie-hélicoptère de cette manière. Premièrement, pour certaines raisons, les autorités budgétaires sont réticentes à dépenser si elles ont à financer leurs dépenses en émettant davantage de dette, donc cela peut leur permettre de dépasser cette contrainte (qu’elles se sont imposées à elles-mêmes en temps normal). Deuxièmement, une relance budgétaire financée par voie monétaire peut être plus expansionniste qu’une expansion budgétaire financée par endettement. Laissons de côté ce second avantage, dans la mesure où le premier suffit dans un monde obsédé par la dette publique.

J’ai parlé de quelque chose d’assez similaire par le passé (tout d’abord ici), ce que j’ai appelé la monnaie-hélicoptère démocratique. Cette notion semble appropriée pour le schéma de Bernanke, parce que le gouvernement élu décide de la forme de la relance budgétaire. La différence entre ce dont j’ai parlé par le passé en employant ce terme et l’idée de Bernanke est que, dans mon schéma, les autorités budgétaires et la banque centrale se parlent avant de décider combien de monnaie doit être créée et quelles dépenses elle financera (bien que l’initiative vient toujours de la banque centrale, et ne serait possible que dans une récession où les taux d’intérêt nominaux sont à leur borne inférieure zéro). La raison pour laquelle je pense qu’il serait préférable que les autorités monétaires et budgétaires communiquent entre elles est simplement que cela aiderait la banque centrale à déterminer combien de monnaie elle aurait à créer.

Imaginons, par exemple, que vous ayez une autorité budgétaire dans un pays qui désire dépenser la monnaie sur des projets d’investissement public prêts à être lancés et une autorité budgétaire, dans un second pays, qui désire dépenser cette monnaie dans une réduction d’impôt temporaire pour les riches. Ces deux formes de relance n’ont pas le même impact sur la demande et la production. Si les deux économies sont dans la même situation conjoncturelle, alors la banque centrale du pays où les impôts sont réduits aurait à créer plus de monnaie que la banque centrale du second pays en aurait à créer.

Dans certains pays, il est plus facile pour la banque centrale de parler aux autorités budgétaires que dans d’autres. Lorsque c’est difficile de le faire, le schéma proposé par Bernanke apparaît assez attrayant, mais il laisse quelque peu la banque centrale dans l’ombre en ce qui concerne le montant de monnaie qu’elle a à créer. Le gros avantage de la conception traditionnelle de la monnaie-hélicoptère (un chèque envoyé par la poste) est que l’impact de toute création monétaire est plus clair. (Comme il est important de mettre rapidement un terme aux récessions, attendre de voir ce qui se passe n’est pas très approprié.)

Lorsque les banques centrales et les gouvernements communiquent librement l’un avec l’autre (comme au Royaume-Uni par exemple), alors ma version de la monnaie-hélicoptère démocratique devient une option. L’idée selon laquelle la banque centrale perd en indépendance est fallacieux à mon sens. Dans mon scénario, la banque centrale amorce la discussion, dans des circonstances clairement définies. Elle demande simplement au gouvernement comment il dépenserait toute la monnaie nouvellement créée. Elle doit poser cette question en indiquant quelles sont ses estimations des multiplicateurs budgétaires pour diverses options budgétaires. Le gouvernement fait alors un choix et la banque centrale décide alors combien de monnaie créer.

Alors que la monnaie-hélicoptère est peu évoquée parmi les économistes (à l’exception de Bernanke), je pense qu’il y a de bonnes raisons sur le plan de l’économie politique expliquant pourquoi c’est la forme de monnaie-hélicoptère qui sera finalement essayée. Comme je l’ai dit, la monnaie-hélicoptère conventionnelle sous la forme de chèques envoyés par la poste requiert certainement la coopération du gouvernement. Une fois que les gouvernements réalisent ce qui se passe, ils peuvent naturellement se demander pourquoi ils auraient à s’appuyer sur quelque chose de nouveau alors qu’ils pourraient décider de la manière par laquelle ils dépenseraient cette monnaie dans un cadre plus traditionnel. La monnaie-hélicoptère démocratique traditionnelle est au fond une manière de mettre en œuvre une relance budgétaire financée par création monétaire dans un monde où les banques centrales sont indépendantes. (…) »

Simon Wren-Lewis, « Ben Bernanke and democratic helicopter money », in Mainly Macro (blog), 4 mai 2016. Traduit par Martin Anota

samedi 19 mars 2016

Petit examen critique de mon argument contre l’indépendance des banques centrales

« Peut-être qu’il est trop peu conventionnel d’avancer un argument (contre l’indépendance des banques centrales) avec lequel je ne suis pas d’accord (…). Mais la raison pour laquelle je l’ai fait apparaît clairement dans le dernier paragraphe. Le problème auquel il fait écho est crucial et il semble lié à l’indépendance des banques centrales.

L’obsession du déficit dont les gouvernements ont fait preuve depuis 2010 a contribué à freiner la reprise, même aux Etats-Unis. Ce serait tellement bien si nous pouvions considérer cette obsession comme une sorte d’aberration, que l’on ne reverrait plus jamais, mais ce serait malheureusement trop optimiste. La borne inférieure zéro (zero lower bound) soulève un profond problème pour ce que j’appelle le "consensus sur l’assignation" (consensus assignment, qui consiste à laisser la stabilisation à une banque centrale indépendante ciblant l’inflation), mais ajoutez-y l’austérité et vous obtenez de larges coûts macroéconomiques. Les banques centrales indépendantes semblent exclure une politique (l’expansion budgétaire financée par création monétaire) qui pourrait pourtant combatte à la fois la borne inférieure zéro et l’obsession du déficit. (…)

Bien sûr, plusieurs macroéconomistes voient le problème, mais les solutions qu’ils proposent ne sont souvent que des palliatifs, comme l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), le ciblage du PIB nominal (NGDP targeting) ou le relèvement de la cible d’inflation (1). Aucune d’entre elles ne résout complètement la difficulté fondamentale créée par la borne inférieure zéro. (Une proposition qui y parvient est l’adoption de taux d’intérêt négatifs, couplée avec l’élimination de la monnaie-papier, une idée sur laquelle je reviendrai.) Par conséquent, même si nous adoptions ces palliatifs, nous regretterons toujours, face à une récession suffisamment forte, de ne plus avoir la possibilité d’entreprendre une relance budgétaire financée par création monétaire.

Je pense aussi qu’il y a un peu de vérité dans l’idée que l’indépendance des banques centrales ait contribué à ce que l’obsession du déficit devienne plus prégnante. (…) Mais ce brin de vérité va à l’encontre d’une réelle difficulté, qui constitue le défaut majeur du puissant argument que j’ai avancé dans un précédent billet. Pour saisir le défaut, posez-vous la question suivante : en l’absence de banques centrales indépendantes, est-ce que nos gouvernements obsédés par le déficit effectivement auraient entrepris une relance budgétaire financée par création monétaire ? Pour répondre à cette question vous devez vous demander pourquoi ils sont obsédés par le déficit. Si c’est par ignorance (…), alors un autre morceau de non-sens macroéconomique qui va main dans la main avec l’obsession du déficit est le démon de la planche à billet (…). Si la raison est stratégique (le désir d’avoir un plus petit Etat) la réponse est évidemment non. On se dit simplement que ce n’est pas possible car cela ouvrirait les portes à l’hyperinflation.

(…) Vous aurez toujours de nombreux économistes du secteur financier vous raconter que vous devez non seulement réduire rapidement la dette publique pour apaiser les marchés, mais aussi que tout gouvernement usant de la planche à billets effraierait davantage les marchés. En effet, est-ce que les gouvernements auraient eu le courage d’entreprendre un assouplissement quantitatif de la même échelle que celui entrepris par les banques centrales indépendantes ?

Comme pour l’idée selon laquelle l’expertise de la macroéconomie doit rester entre les mains des banques centrales, la réponse ici est sûrement de laisser cette expertise se diffuser dans le domaine public en rendant les banques centrales plus ouvertes et de combattre directement les forces que amènent certains dirigeants de banque centrale à appeler régulièrement à l’austérité quand ils ne peuvent pas combattre efficacement la déflation.

Le défaut fondamental avec mon raisonnement contre l’indépendance des banques centrales est que le problème ultime (en l’occurrence, ne pas mettre rapidement un terme aux récessions) tient aux gouvernements. Il n’y aurait pas de problème si les gouvernements pouvaient attendre que la récession soit finie (et les taux d’intérêt soient éloignés de la borne inférieure zéro) avant de s’attaquer à leur déficit, mais la récession n’était pas finie en 2010. Au vu de cet échec de la part des gouvernements, il semble étrange de suggérer que la solution à ce problème soit de redonner aux gouvernements un peu du pouvoir qu’ils ont perdu. Ou, pour le dire autrement, imaginez que le Congrès Républicain soit en charge de la politique monétaire américaine.

Mais si abolir l’indépendance des banques centrales n’est pas la réponse au réel problème que j’ai mis en avant, cela signifie-t-il que nous devons nous satisfaire de ces palliatifs ? Une possibilité que quelques économistes comme Miles Kimball ont développée est d’abolir la monnaie papier telle que nous la connaissons, de manière à ce que les banques centrales puissent fixer des taux d’intérêt négatifs. Une autre possibilité est que le gouvernement (dans ses moments de lucidité) donne aux banques centrales indépendantes le pouvoir d’entreprendre la monnaie-hélicoptère. Toutes les deux sont des solutions efficaces pour le problème de la borne inférieure zéro (…). Toutes les deux peuvent être accusées de mettre en danger la valeur de la monnaie. Mais notons aussi que les deux solutions deviennent plus efficaces si les banques centrales restent indépendantes : les gouvernements peuvent ne jamais avoir le courage de fixer des taux d’intérêt négatif et les banques centrales indépendantes empêchent à ce que les temps de vols des hélicoptères soient liés aux élections.

Ce sont des questions importantes et complexes. Il ne devrait pas y avoir de tabous qui empêchent à ce que certaines questions soient soulevées entre gens polis. Je pense toujours que les billets de blog sont le meilleur medium que nous ayons pour discuter de ces questions, en espérant qu’il n’y ait pas de distractions comme les disgressions partisanes.

(1) Je vous prie de ne pas vous méprendre lorsque j’utilise le terme de "palliatifs". Le palliatif peut toujours être utile (j’ai déjà affirmé que la politique monétaire devait être guidée par le niveau du PIB nominal), mais il ne résout pas complètement le problème de la borne inférieure zéro. »

Simon Wren-Lewis, « The 'strong case' critically examined », in Mainly Macro (blog), 7 mars 2016. Traduit par Martin Anota

jeudi 3 mars 2016

Deux méprises à propos de la monnaie-hélicoptère

« Dans la mesure où les manuels (qui se contentent de l’indépendance des banques centrales) ne parlent pas de la monnaie-hélicoptère (helicopter money), il est normal que beaucoup se méprennent sur elle. Une première confusion porte sur l’impact de la monnaie-hélicoptère sur les taux d’intérêt nominaux (va-t-elle les accroître ou les réduire ?), comme nous avons pu le voir récemment dans l’échange entre Tony Yates et Paul Krugman. Une deuxième confusion porte sur la relation entre la monnaie-hélicoptère et la politique budgétaire : sont-elles en concurrence l’une avec l’autre pour nous faire sortir des récessions ?

Sur la monnaie-hélicoptère et les taux d’intérêt nominaux, il y a bien sûr l’idée standard et fondamentale que sur un marché vous ne pouvez à la fois contrôler l’offre et le prix (…). Donc si nous voulons penser à propos du marché de la monnaie, vous ne pouvez accroître l’offre de monnaie et accroître son prix (le taux d’intérêt nominal) en même temps.

Mais cette observation ignore ce qui se passe également lorsque vous avez la monnaie-hélicoptère. La monnaie-hélicoptère est en définitive une large relance budgétaire. S’il vous plaît, pas de "mais si l’équivalence ricardienne marche..." : Nous parlons ici de politique à mettre en œuvre dans le monde réel, pas de faire des expériences de pensée, et nous avons toutes les preuves empiriques nécessaires pour dire que l’équivalence ricardienne ne tient pas (pour des raisons qui ne sont pas difficiles à comprendre). Nous ne devons pas se laisser piéger par IS-LM. Nous sommes dans un monde où les banques centrales ciblent l’inflation et où tout ce qui accroît la demande (comme le ferait l’expansion budgétaire) va avoir tendance à stimuler l’inflation, si bien que les autorités vont avoir tendance à accroître les taux d’intérêt nominaux. Toute tentative de dire "oui, mais à court terme..." devient discutable en raison des effets d’anticipation.

Donc c’est vraiment très simple. Soit le taux d’intérêt nominal continue d’être contraint par sa borne inférieure, ce qui signifie que la monnaie-hélicoptère va laisser les taux d’intérêt nominaux inchangés (mais la situation économique s’améliore), soit il n’y a pas de contrainte (ou cette contrainte est déplacée), auquel cas les taux vont augmenter (plus tôt) avec la monnaie-hélicoptère.

La seconde confusion est que la monnaie-hélicoptère, d’une certaine manière, empêche d’entreprendre une politique budgétaire contracyclique. Elle ne le fait pas. Aujourd’hui, par exemple, les gouvernements peuvent et doivent annoncer de larges hausses dans l’investissement public (j’utilise le terme d’investissement dans le sens des économistes, en incluant le capital humain, plutôt que dans le sens de la comptabilité nationale). Cela enlèverait tout besoin immédiat pour la monnaie-hélicoptère. La politique monétaire s’adapte à la politique budgétaire.

Lorsque les gens me demandent ce que l’on doit faire, s’il faut s’appuyer sur la monnaie-hélicoptère ou bien sur l’expansion budgétaire, je suis tenté de dire que j’aimerais avoir le choix ! Si j’avais le choix aujourd’hui, j’entreprendrais un supplément d’investissement public plutôt qu’une émission de monnaie-hélicoptère, parce que les arguments en faveur de l’investissement sont sur plusieurs plans (et dans plusieurs pays) très robustes, les taux d’intérêt sont faibles et l’investissement améliore l’offre aussi bien que la demande. Dans toute autre sévère récession qui pourrait survenir à l’avenir, au cours de laquelle le taux d’intérêt est susceptible d’être contraint par sa borne inférieure (1), je conseillerais d’accroître l’investissement public.

Cependant, je ne vois pas cela comme une concurrence (entre l’action budgétaire contracyclique et la monnaie-hélicoptère) pour deux raisons. Premièrement, l’une des leçons de la Grande Récession, c’est que nous ne pouvons compter sur les gouvernements pour faire ce qu’il faut avec le Budget, donc la monnaie-hélicoptère apparaît dans ce sens comme une politique d’assurance. Si les gouvernements dépensent plus ou taxent moins lorsque nous approchons de la borne inférieure zéro, cette politique d’assurance peut finalement ne pas se révéler nécessaire (2). Deuxièmement, même si les gouvernements sont enclins à faire les choses qu’il faut faire, les bons projets peuvent manquer (3) ou bien l’information peut arriver avec retard, si bien que les gouvernements n’en font pas assez, auquel cas les banques centrales peuvent prendre très rapidement le relai avec la monnaie-hélicoptère. Pour le dire autrement, la monnaie-hélicoptère doit être considérée comme une alternative à l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) plutôt qu’à la relance budgétaire.

(1) En raison des délais de mise en œuvre, la réponse budgétaire face à une sévère récession ne doit pas attendre que les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure. Si cette réponse budgétaire passe par l’investissement (tel que le conçoivent les économistes plutôt que comme il est défini par la comptabilité nationale), alors il n’y a pas de grande pertes si la sévère récession ne survient pas, parce qu’il est sage d’investir lorsque les taux d’intérêts réels et les salaires réels sont faibles.

(2) Dans la proposition que nous avons avancée, Portes et moi-même (2015), la banque centrale pourrait directement indiquer au gouvernement la probabilité que la borne inférieure soit atteinte.

(3) Je pense que l’argument selon lequel le montant d’investissement public ne peut s’ajuster pour équilibrer les conditions macroéconomiques est souvent surestimé. Je ne parle pas de rajouter une ligne de train supplémentaire (…), je parle d’améliorer nos défenses face aux crues, de réparer les écoles et les routes, etc. »

Simon Wren-Lewis, « Two related confusions about helicopter money », in Mainly Macro (blog), 1er mars 2016. Traduit par Martin Anota

samedi 24 octobre 2015

Les banquiers centraux et leur peur irrationnelle

« Mervyn King a dit un jour : "Les banques centrales sont souvent accusées d’être obsédés par l’inflation. Ce sont de fausses accusations. Si elles sont obsédées par quelque chose, c’est bien par la politique budgétaire".

En tant qu’universitaire devenu banquier central, King sait de quoi il parle. Ce que les banquiers centraux craignent, c’est quelque chose que l’on appelle "dominance budgétaire" (fiscal dominance) : le fait qu’ils soient forcés de monétiser la dette publique et qu’elle perde de ce fait le contrôle de l’inflation.

Je crois que cette peur est un facteur clé expliquant pourquoi les banques centrales sont réticentes à considérer sérieusement l’idée de la monnaie-hélicoptère. Créer de la monnaie n’est pourtant plus un tabou : avec l’assouplissement quantitatif, de larges montants de monnaie ont été créés. Mais cette monnaie sert à acheter des actifs financiers, qui peuvent être ensuite revendus pour sortir de circulation la monnaie qui a été créée. Avec la monnaie-hélicoptère, la banque centrale crée de la monnaie pour la donner à la population. Si cette monnaie doit être retirée une fois la récession arrivée à son terme, de façon à garder l’inflation sous contrôle, la banque centrale peut manquer d’actifs pour y parvenir. On pourrait parler ici d’insolvabilité politique (policy insolvency). (1)

Il y a une manière simple de faire face à ce problème (2). Le gouvernement s’engage à toujours fournir des actifs dont la banque centrale aurait besoin pour garder l’inflation sous contrôle. Si, après quelques doses de monnaie-hélicoptère, la banque centrale doit être refinancée et l’est effectivement de cette manière, alors la monnaie-hélicoptère s’apparente à une relance budgétaire financée par émission d’obligations, mais où l’émission obligataire est retardée. Selon moi, ce retard peut être crucial pour surmonter le fétichisme du déficit qui s’est révélé être si prospère politiquement au cours des cinq dernières années, aussi bien que pour donner aux banques centrales un instrument de politique monétaire non conventionnel qui soit plus efficace que l’assouplissement quantitatif (3). Mais les banques centrales ne veulent pas aller aussi loin, en partie parce qu’elles craignent que les gouvernements reviennent sur leur engagement à les renflouer si nécessaire.

Cette crainte est irrationnelle pour deux raisons. Premièrement, les banques centrales font déjà face à la possibilité de faire tellement de pertes avec l’assouplissement quantitatif qu’elles aient à réclamer un refinancement auprès du gouvernement. La Banque d’Angleterre a exigé et obtenu un engagement de la part du gouvernement qu’il couvrirait ces pertes si nécessaire. Il n’y a pas de différence conceptuelle ente cela et défaire une émission de monnaie-hélicoptère, si ce n’est les probabilités.

La deuxième raison est plus fondamentale Dans notre monde moderne, où l’on a bien compris dans les grandes économies que les taux d’intérêt doivent augmenter lors d’un boom pour contrôler l’inflation, il est difficile d’imaginer un gouvernement qui rendrait sa banque centrale impuissante en refusant de lui fournir des actifs. Si un tel gouvernement existait, il y aurait longtemps qu’il aurait mis un terme à l’indépendance de la banque centrale, car il voudrait l’empêcher de relever les taux d’intérêt avec les actifs qu’elle possède déjà. Avec le gouvernement de cauchemar pour les banques centrales, la banque centrale perdrait son indépendance avant qu’elle se plaigne que le gouvernement revint sur son précédent engagement pour défaire la monnaie-hélicoptère.

La peur de la dominance budgétaire n’est en elle-même pas irrationnelle, bien qu’elle semble peu fondée dans une démocratie moderne. Ce qui est irrationnel est de penser que la dominance budgétaire serait plus probable si nous utilisions la monnaie-hélicoptère lors d’une récession. (4)

J’ai aussi affirmé que cette peur irrationnelle a déjà été coûteuse. J’ai déjà expliqué comment l’adoption généralisée de l’austérité au début de la reprise constitue un échec de la part des politiciens à suivre la macroéconomie de base. Ici les banques centrales deviennent un intermédiaire politique entre l’université et les politiciens : elles savent à quel point l’austérité est coûteuse lorsque les taux d’intérêt nominaux sont à leur borne inférieure zéro. Mais ce que les politiciens entendirent de la part des banquiers centraux séniors ne fut par un avertissement à propos des dangers associés à l’austérité, mais des encouragements à la poursuivre. Une peur irrationnelle des déficits budgétaires peut expliquer pourquoi les banques centrales ont passé sous silence la vérité.

Les banques centrales vainquirent une grosse barrière psychologique lorsqu’elles entreprirent l’assouplissement quantitatif. Ce fut la première, et peut-être plus importante, étape pour mettre un terme à leur peur primitive de dominance budgétaire. Elles ont désormais besoin de compléter le processus, donc nous pouvons commencer à avoir des discussions rationnelles à propos des alternatives à l’assouplissement quantitatif.

(1) Une banque centrale ne peut pas être insolvable, comme ce billet (en anglais) l’explique.

(2) Personne à ma connaissance n’a proposé de donner à la banque centrale le pouvoir légal de collecter un impôt censitaire.

(3) Le fétichisme du déficit est avant tout une inquiétude à propos des déficits à court terme. Les politiciens semblent ravis de prendre des mesures qui réduisent le déficit à court terme, même si la dette devient plus élevée à plus long terme. En effet, l’analyse présentée par DeLong et Summers suggère que les effets d’hystérèse (hystérésis) sont moindres avant que l’austérité soit adoptée et élève les niveaux de dette publique sur PIB à long terme. Nous savons aussi que le fétichisme du déficit est spécifique aux hausses de dette provoquées par les récessions : à plus long terme, le biais déficitaire implique une hausse plutôt qu’une baisse des niveaux de dette publique. Donc toute forme de relance budgétaire qui évita une hausse de la dette à court terme, mais pas à long terme, éviterait le fétichisme du déficit. C’est ce que la relance budgétaire financée par émission monétaire, c’est-à-dire la monnaie-hélicoptère, c’est-à-dire encore l’assouplissement quantitatif pour le peuple, peut faire.

(4) Pourquoi suis-je confiant qu’un gouvernement ne peut pas être si obsédé avec la dette qu’il puisse revenu sur son engagement ? Parce que le fétichisme de déficit n’est politiquement attractif que dans une récession, lorsque les individus réduisent eux-mêmes leur endettement et pensent par conséquent que le gouvernement doit faire de même. Ceci ne va pas s’appliquer lorsque la reprise a pris place et que l’inflation menace de dépasser sa cible. »

Simon Wren-Lewis, « Central bankers and their irrational fear », in Mainly Macro (blog), 21 octobre 2015. Traduit par Martin Anota

mardi 22 septembre 2015

Haldane et les alternatives à l’assouplissement quantitatif

« Andrew Haldane, l’économiste en chef à la Banque d’Angleterre, a récemment offert une intervention bien documentée et réfléchie. Il s’est principalement penché sur le problème de la borne inférieure zéro (zero lower bound). Il a expliqué pourquoi nous pouvons nous retrouver dans une telle situation bien plus souvent que nous ne le voudrions et pourquoi l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) n’est pas un instrument très efficace pour régler ce problème. Citons un passage de son intervention :

"L’efficacité de l’assouplissement quantitative comme instrument monétaire semble dépendre de l’état de l’économie et elle est donc incertaine, du moins relativement aux taux d’intérêt. Cette incertitude n’est pas juste la conséquence de preuves plus limitées concernant l’assouplissement quantitatif que concernant les taux d’intérêt. En fait, c’est un aspect intrinsèque du mécanisme de transmission de l’assouplissement quantitatif."

Dans le passé, j’ai souligné le manque de preuves empiriques simplement parce que c’est évident. Mais comme Haldane le montre, les problèmes sont plus fondamentaux que ça. Certaines personnes affirment que nous pouvons toujours obtenir le résultat que nous voulons avec suffisamment d’assouplissement quantitatif. Pourtant si la banque centrale et la population ne savent jamais quelle sera l’efficacité d’un montant donné d’assouplissement quantitatif, alors les retards rendent cet instrument peu efficace. Il est rafraichissant de voir un membre sénior de la banque centrale faire ses limites.

Haldane considère deux manières alternatives de régler le problème de la borne inférieure zéro ou de l’éviter : l’adoption d’une cible d’inflation plus élevée et le débarras de liquidité, afin que les taux d’intérêt puissent s’enfoncer en territoire négatif. Le premier réduit évidemment le bien-être, mais comme Eric Lonergan le suggère le second est susceptible de le réduire également. (Voir aussi Tony Yates.) Mais ce qui est réellement étrange à propos de la présentation de Haldane est ce dont il ne parle pas.

Ce qu’il omet tout d’abord, c’est d’évoquer la possibilité qu’il soit plus efficace de cibler autre chose que l’inflation. Ce qu’il omet aussi, c’est de parler de la monnaie-hélicoptère. Il y a quelques contradictions fondamentales dans les idées que la Banque d’Angleterre se fait de la monnaie-hélicoptère, mais dans la mesure où les banquiers centraux se parlent entre eux je soupçonne qu’ils en parlent en cachette. Un argument est que la monnaie-hélicoptère va quelque peu réduire la confiance dans la devise, mais la banque centrale semble bien contente de chercher à se débarrasser de la liquidité et d’imposer des taux d’intérêt négatifs sur la monnaie comme si tout cela n’était qu’une simple question technique. (…) Un autre argument est que la monnaie-hélicoptère va menacer l’indépendance de la banque centrale parce qu’elle va avoir besoin du gouvernement pour la recapitaliser (si la recapitalisation se révèle nécessaire), alors même que la Banque d’Angleterre a obtenu la garantie du gouvernement qu’elle sera recapitalisée si nécessaire. Tout aussi étrange est l’argument selon lequel l’indépendance de la banque centrale sera menacée lorsque la banque centrale émettra de la monnaie-hélicoptère parce que les gouvernements vont désirer la monnaie pour eux-mêmes, comme si les politiciens n’avaient pas noté le montant de monnaie créé à travers l’assouplissement quantitatif. Après tout, la proposition de Jeremy Corbyn fut une réponse à la réalité de l’assouplissement quantitatif et non à la possibilité de la monnaie-hélicoptère.

L’argument réellement ironique est que la monnaie-hélicoptère ressemble de trop à la politique budgétaire et qu’il doit y avoir un contrôle démocratique sur la politique budgétaire. C’est ce que les banquiers centraux veulent dire lorsqu’ils parlent d’un brouillage de la ligne de démarcation entre politiques monétaire et budgétaire. L’argument est ironique car je suis sûr que si vous demandiez aujourd’hui à la plupart des gens ce qu’ils préfèreraient (entre avoir 4 % d’inflation en moyenne ou recevoir occasionnellement un chèque de la part de la banque centrale) leur réponse sera évidente. Donc nous excluons la monnaie-hélicoptère parce qu’elle est non démocratique, mais nous excluons un débat sur la monnaie-hélicoptère parce que les gens ordinaires pourraient en aimer l’idée.

Il y a aussi un peu d’hypocrisie. On entend souvent dire que la monnaie-hélicoptère ne serait pas nécessaire au motif qu’elle aurait un impact très similaire à celui de la politique budgétaire conventionnelle. C’est vrai, mais ceux qui avancent un tel argument passent sous silence le fait que les gouvernements autour du monde ont embrassé l’austérité budgétaire à cause des craintes suscitées par leur endettement. Ce n’est pas comme si la possibilité de la monnaie-hélicoptère restreignait les capacités de gouvernements d’une quelconque manière. Si les gouvernements optaient pour la relance budgétaire dans une récession, la monnaie-hélicoptère ne serait pas aussi nécessaire qu’aujourd’hui et les banques centrales n’auraient pas à y recourir.

Donc c’est une bonne chose que certaines personnes à la banque centrale pensent à propos d’alternatives à l’assouplissement quantitatif ; ce dernier est un instrument peu efficace, avec des répercussions négatives et potentiellement permanentes sur la distribution. C’est une honte que la banque centrale n’ait même pas fait savoir qu’il existe une solution simple et sans coûts à ce problème. Je suis favorable à l’indépendance de la banque centrale, mais cette indépendance lui impose l’obligation de ne pas exclure de parler de d’autres options politiques au seul motif quelles amèneraient à briser certains tabous. »

Simon Wren-Lewis, « Haldane on alternatives to QE, and what he missed out », in Mainly Macro (blog), 20 septembre 2015. Traduit par Martin Anota

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