« Le multiplicateur est la taille de toute baisse de la production qui résulte d’une contraction budgétaire (une hausse des impôts ou une baisse des dépenses publiques), toutes deux mesurées dans la même unité. Pourquoi suis-je convaincu que les multiplicateurs qui résultent de baisses temporaires des dépenses publiques dans les conditions actuelles vont être autour de l’unité plutôt qu’autour de zéro ? Ce n’est pas en raison des études empiriques qui essayent de déterminer directement la taille des multiplicateurs. Ne vous méprenez pas : de telles études sont très importantes, notamment les méta-analyses qui rassemblent et synthétisent les nombreuses études individuelles. (…)

Les choses seront plus claires si nous parlons de la hausse des dépenses publiques et prenons comme exemple la construction d’une nouvelle école. Un multiplicateur autour de l’unité signifie que pour chaque école construite le PIB augmente du montant de cette école (un multiplicateur égal exactement à l’unité) plus ou moins quelques dépenses du secteur privé (donc le multiplicateur est autour de l’unité). Si les dépenses du secteur privé chutent nous disons qu’il y a un « effet d’éviction » (…). Le premier point à noter nous nous (…) focalisons ici sur la demande agrégée plutôt que sur l’offre agrégée, ce qui me paraît approprié dans la situation que nous avons récemment connue. Si, à l’inverse, l’économie est au plein emploi, si les agents travaillent déjà autant qu’ils le peuvent, il sera plus logique de partir du principe que le multiplicateur soit nul, parce que l’école sera construite avec une main-d’œuvre qui aurait été sinon utilisée pour construire autre chose. Un multiplicateur nul suggère que l’effet d’éviction joue à plein.

L’activité sera-t-elle stimulée ou évincée ? (…) Parce que la hausse des dépenses publiques est temporaire, tout impact sur le revenu primaire ou les impôts va être relativement négligeable par rapport à l’ensemble des revenus qu’un consommateur gagnera au cours de sa vie. Par conséquent, la consommation agrégée est peut-être susceptible de varier, dans un sens ou dans un autre, mais d’un montant qui sera bien inférieur au coût de l’école. Pour des raisons similaires, les entreprises pensent à long terme lorsqu’elles planifient leur l’investissement, si bien qu’elles ne vont pas accroître leur investissement de beaucoup si les dépenses et le PIB augmentent temporairement. Il y a beaucoup plus de choses à dire ici, mais je veux simplifier l’histoire.

Nous devons alors nous demander si ce raisonnement peut changer si un quelconque prix change suite à la construction d’une école supplémentaire. Les deux prix clés ici sont le taux de change réel et le taux d’intérêt réel. A moyen terme, les taux de change dépendent de la compétitivité et des anticipations relatives aux taux d’intérêt à court terme. Si les dépenses sont temporaires, la compétitivité à moyen terme n’en sera que très peu affectée, si bien que ce qui se passe avec les taux d’intérêt réels est important. S’ils augmentent avec la création d’emplois associée à la construction de la nouvelle école, alors cela peut entraîner une appréciation du taux de change réel. Ceci va réduire la demande pour les biens domestiques et une hausse des taux d’intérêt va aussi décourager directement les dépenses privées. Donc ce qui se passe avec les taux d’intérêt est important.

C’est le second point pour lesquelles les circonstances actuelles se révèlent importantes. Les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure zéro, ce qui suggère qu’ils seraient susceptibles d’y restés collés malgré la hausse de l’emploi générée par notre école supplémentaire. Si la croissance du PIB alimente un peu l’inflation, les taux d’intérêt réels peuvent en définitive diminuer, donc stimuler l’activité. (Les choses sont encore plus claires si nous inversons le signe et considérons un plan d’austérité budgétaire ; les banques centrales vont être incapables de réduire leurs taux d’intérêt pour compenser l’impact de l’austérité.) (…)

Le problème avec les études empiriques qui cherchent à relier les variations de la production aux variations des dépenses publiques, c’est qu’elles font face à de profondes difficultés pour relier les données à des circonstances particulières (…). Par exemple, est-ce que les agents pensaient que les hausses de dépenses publiques observées dans les données étaient temporaires (auquel cas, ils pensaient qu’il y aurait peu des changements négligeables en ce qui concerne les impôts futurs) ou bien permanentes (auquel cas la hausse des dépenses publiques peut évincer une partie de l’activité privée, car les agents anticipent une hausse significative des impôts à l’avenir et réduisent par conséquent leur consommation) ? Quelques études essayent de prendre en compte cela en se focalisant sur les chocs touchant les dépenses, mais ce n’est pas tout à fait la même chose. (La construction d’une nouvelle école va tendre à élever le PIB, que ce soit anticipé ou non.) Même si les agents pensent que les changements dans les dépenses publiques sont temporaires, les choses ne se passeront théoriquement pas de la même manière selon que l’emprunt additionnel sera payé par une réduction des dépenses publiques futures ou par une hausse des impôts.

Jusqu’à récemment les études n’ont pas réellement pris en compte la politique monétaire, alors même que nous avons vu qu’elle était cruciale. Cette récente étude du FMI est une exception ; malheureusement si vous la lisez, vous allez surtout voir à quel point il est difficile de prendre en compte l’orientation de la politique monétaire. Ses auteurs constatent que la politique monétaire a un large impact, ce qui s’accorde heureusement avec l’analyse ci-dessus. Ce que quelques études antérieures ont montré (j’ai souvent fait référence à l’étude réalisée par Jorda et Taylor, mais en voici une autre, ainsi qu’une méta-analyse ici), c’est que les multiplicateurs tendent à être plus larges lorsque les économies sont déprimées. Mais il n’a pas été tranché s’il s’agissait d’une conséquence de la politique monétaire (si les économies sont déprimées la politique monétaire risque peu d’essayer de compenser l’impact de l’expansion budgétaire) ou si c’est lié à quelque chose d’autre (par exemple les multiplicateurs peuvent être plus larges dans une récession parce que davatage de consommateurs sont contraints en termes de crédit). Cette étude du FMI, qui s’appuie sur les seules données américaines et qui prend en compte la politique monétaire, ne trouve pas d’effet additionnel associé à la déprime de l’acticité. Il serait intéressant de voir si ce résultat demeure si l’on utilise d’autres indicateurs de l’orientation de la politique monétaire et les données relatives aux autres pays. »

Simon Wren-Lewis, « Faith in multipliers », in Mainly Macro (blog), 2 juin 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « Multiplicateur budgétaire et politique monétaire »