« Je pense que c'est durant l’automne de l’année 2009 que j’ai conçu ce que j’ai par la suite appelé le "paradoxe du labeur" (paradox of toil) ; j’ai notamment développé cette notion dans un document de travail de 2010. Il s’agit d’un paradoxe dans la lignée du vieux paradoxe de l’épargne (paradox of thrift), selon lequel si tout le monde désire travailler plus, il y aura moins d’épargne au niveau agrégé.

Le raisonnement était simple : dans une économie où les taux d’intérêt nominaux sont contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound), alors ce qui importe réellement est la demande agrégée, non l’offre agrégée, si bien que vous devez vous focaliser sur les choses susceptibles d’accroître la demande. Si le problème est que les gens n’achètent pas assez de biens et services, il ne sera pas utile d’ajouter des capacités de production supplémentaires, dans la mesure où celles déjà en place risquent de n’être que partiellement exploitées (si un fermier ne peut vendre toute sa production, pourquoi achèterait-il un nouveau tracteur ou embaucherait-il un nouveau salarié ?).

Il y a un autre point, peut-être plus subtile, que l’article soulève, en l’occurrence le paradoxe du titre. Selon lui, si vous accroissez les facteurs de production sous des conditions particulières (par exemple si tout le monde désire travailler plus), alors vous pouvez vous retrouver en fait avec une production d’équilibre bien plus faible, c’est-à-dire qu’il est possible que chacun travaille en fait moins à l’équilibre.

La logique est assez simple à obtenir dans la plupart des modèles monétaires, si bien qu’elle peut s’appliquer assez largement (lorsque j’ai formulé le paradoxe, je n’ai pas cherché à trancher quant à savoir si c’était un bug ou un aspect des modèles des nouveaux keynésiens). A la borne inférieure zéro, le taux d’intérêt réel est trop élevé, dans la mesure où il est supérieur au taux d’intérêt naturel. Les choses qui accroissent l’offre vont tendre à réduire les coûts marginaux des entreprises (par exemple, les salaires dans l’exemple ci-dessus si tout le monde veut travailler plus) et donc entraîner des pressions déflationnistes. Le taux d’intérêt réel va alors avoir tendance à augmenter, ce qui est exactement ce que vous ne voulez pas avoir lorsque le taux d’intérêt naturel est négatif et que la banque centrale ne peut réduire davantage ses taux. Un taux d’intérêt plus élevé réduit l’incitation des personnes à dépenser et à investir. Donc, en fait, vous vous retrouvez dans la situation suivante : tout le monde désire travailler plus, mais il y a moins de travail effectif à l’équilibre. C’est le paradoxe du labeur.

J’ai parlé de plusieurs autres exemples dans mon ancien article qui peuvent avoir un tel effet, notamment une baisse temporaire des prix du pétrole. En regardant le monde aujourd’hui, il est difficile de penser que la récente chute des prix du pétrole ait particulièrement aidé l’économie mondiale. Les gens se sont typiquement focalisés sur la perturbation que ces chutes ont pu entraîner pour les entreprises produisant du pétrole et les banques qui leur ont accordé des prêts. Ces considérations sont sûrement assez importantes.

Le paradoxe du labeur pointe toutefois un problème plus général, à savoir que cette chute des prix du pétrole génère une pression baissière sur l’inflation courante et l’inflation anticipée, ce qui resserre davantage la politique monétaire tout autour du monde en accroissant les taux d’intérêt réels. Il semble que les anticipations d’inflation chutent dans tous les pays industrialisés, du moins selon certains indicateurs. Il est difficile d’imaginer comment toute nouvelle pression déflationniste pourrait aider dans ce contracte. Donc peut-être que la chute actuelle des prix du pétrole se révélera être une assez bonne expérience de laboratoire pour examiner le paradoxe du labeur (même, comme toujours en économie, il y a plein de choses qui se passent en même temps…). »

Gauti Eggertsson, « Oil and the paradox of toil », in Economic Notes (blog), 19 janvier 2016. Traduit par Martin Anota



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