« De récentes études ont identifié divers facteurs susceptibles de façonner la façon par laquelle les consolidations budgétaires affectent l’économie. Cette note se focalise sur divers de ces déterminants. En l’occurrence, elle discute de la façon par laquelle la composition de la consolidation budgétaire, la position dans le cycle d’affaires, le niveau de l’endettement privé et le degré de tensions budgétaires influencent les répercussions de l’austérité. Il est nécessaire que les autorités prennent en compte sérieusement ces facteurs lorsqu’elles doivent décider du type et du calendrier des plans d’austérité.

L’expérience grecque

Depuis janvier 2018, Mário Centeno est le nouveau président de l’Eurogroupe. Durant son mandat, il devra notamment se pencher sur le problème que représentent les niveaux élevés de dette publique des pays d’Europe du sud. Par exemple, à la première réunion des ministres des Finances présidée par Centeno le 22 janvier, l’Eurogroupe est parvenu à un accord politique sur une nouvelle aide accordée à la Grèce.

Il y a des désaccords parmi les experts et les politiciens sur la façon par laquelle la crise grecque doit être traitée. Alors que les représentants des pays du nord de l’Europe plaident typiquement en faveur d’une poursuite de l’austérité, ceux du sud de l’Europe appellent au contraire pour un ralentissement des consolidations budgétaires. Le FMI propose aussi un fort allègement de la dette publique grecque. Même parmi le probable prochain gouvernement allemand, il n’y aura pas de consensus sur la réponse appropriée à apportée à la question grecque.

GRAPHIQUE Solde primaire (en %), dette publique (en %) et PIB (en indices, base 100 en 2007) de la Grèce

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Le graphique montre l’évolution des mesures d’austérité budgétaire, le PIB et l’endettement public pour la Grèce. En 2008-2009, la crise financière mondiale a provoqué une sévère récession économique. Avec la baisse subséquente des recettes publiques et l’accroissement des dépenses publiques liées aux plans de relance et de sauvetage, le déficit public s’est fortement creusé et avec lui la dette souveraine. De façon à stabiliser les finances publiques, des mesures de consolidation budgétaire ont été adoptées à grande échelle. Avec ces mesures, le déficit public de 12 % a laissé plus à un léger excédent deux ans après. Entre 2010 et 2013, la période où l’austérité a été la plus forte, l’économie a connu une autre contraction. En 2017, le PIB est toujours bien inférieur à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage est toujours supérieur à 20 % et la dette gouvernementale représente presque 180 % du PIB. La situation économique de la Grèce nous amène naturellement à nous demander dans quelles circonstances l’austérité peut se révéler néfaste à l’économie. (…)

La composition du plan d’austérité

Plusieurs travaux constatent que l’impact d’une consolidation budgétaire sur l’économie dépend de sa composition. Ces études montrent que les consolidations privilégiant les hausses d’impôts s’accompagnent de contractions de l’activité économique bien plus sévères. Il y a deux explications. Premièrement, Guajardo et ses coauteurs (2014) affirment que l’activité est moins affectée par les ajustements budgétaires privilégiant les baisses de dépenses publiques du fait que les banques centrales ont davantage tendance à réduire leurs taux d’intérêt dans de telles situations, si bien que l’assouplissement monétaire compense alors en partie les effets négatifs des consolidations budgétaires. Deuxièmement, en se fondant sur un modèle DSGE nouveau keynésien, Alesina et ses coauteurs (2017) suggèrent que la forte persistance des plans d’austérité contribue à expliquer pourquoi les baisses de dépenses publiques n’ont pas le même impact sur l’activité que les hausses d’impôts.

La position dans le cycle d’affaires

Jordà et Taylor (2016) ont cherché à savoir si l’impact des mesures d’austérité variait selon la position dans le cycle économique. En l’occurrence, ils constatent de forts effets asymétriques selon que l’économie est en expansion ou connaît une contraction. Tandis que les consolidations mises en œuvre durant les périodes d’expansion n’induisent qu’un léger recul de l’activité économique, les conséquences négatives sur l’activité sont amplifiées durant les périodes de faiblesse économique. Rendahl (2016) et Michaillat (2014) proposent différents modèles théoriques qui reproduisent ces constats empiriques. La principale conclusion de ces deux modèles est qu’en période de chômage élevé il existe un montant élevé de ressources non utilisées dans l’économie. Une réduction de la demande globale provoquée par la baisse des dépenses publiques ou par un accroissement des impôts déprime alors davantage la situation sur le marché du travail. Par conséquent, une consolidation budgétaire déprime la demande privée bien plus fortement lorsqu’elle est mise en œuvre durant les périodes de faiblesse économique que lorsqu’elle est mise en œuvre au plein emploi.

L’endettement privé

En plus de la position dans le cycle économique, Klein (2017) constate que les coûts de l’austérité dépendent crucialement du niveau d’endettement privé. En l’occurrence, les consolidations budgétaires entraînent des contractions sévères lorsqu’elles sont mises en œuvres dans un contexte de fort endettement privé. Inversement, les consolidations budgétaires n’ont pas d’effet significatif sur l’activité économique quand le secteur privé est peu endetté. Qu’est-ce qui peut expliquer ces résultats ? Les données empiriques suggèrent que le degré de frictions financières dans le secteur privé est principalement déterminé par le niveau excessif de dette privée (comme le suggèrent par exemple Eggertsson et Krugman, 2012, ou encore Guerrieri et Iacoviello, 2017). Quand l’endettement privé est faible, les contraintes en termes de collatéral sont souvent lâches, tandis qu’elles se font sentir quand les ménages et les entreprises sont très endettés. Typiquement, l’impact des chocs de demande est amplifié quand les contraintes en termes de collatéral se font sentir. Donc, étant donné qu’un contexte de fort endettement privé coïncide avec les périodes où les contraintes en termes de collatéral se font sentir, une réduction des dépenses publiques entraîne un plus fort déclin de l’activité économique que lorsque l’endettement privé est faible, c’est-à-dire que les contraintes sont lâches. Engler et Klein (2017) discutent des interrelations entre endettement privé, consolidations budgétaires et faible croissance économique pour les pays du sud de l’Europe.

Dans une étude connexe, Klein et Winkler (2017) constatent aussi que les conséquences distributionnelles des consolidations budgétaires sont amplifiées quand l’endettement privé est élevé. L’austérité mène à une hausse forte et durable des inégalités de revenu durant les périodes où l’endettement privé est excessif. A l’inverse, il n’y a pas d’effets distributifs discernables quand le secteur privé est peu endetté. Ce constat peut trouver une explication dans ce qu’on appelle le canal de l’hétérogénéité des rémunérations. Dans la mesure où les ménages à faible revenu sont les plus exposés aux pertes d’emploi, ce canal implique que les rémunérations du travail en bas de la répartition peuvent s’en trouver disproportionnellement affectées. En effet, Klein et Winkler (2017) montrent que les consolidations budgétaires mènent à un déclin significatif de l’emploi agrégé dans les pays où le secteur privé est très endetté, tandis que l’emploi en est peu affecté quand la dette privée est faible.

Le risque de défaut souverain

Un dernier déterminant qui s’avère important pour les effets des consolidations budgétaires est le degré de risque de défaut souverain. Born et ses coauteurs (2015) constatent que les consolidations budgétaires qui sont mises en œuvre lorsque le risque de défaut souverain est élevé provoquent une forte chute du PIB, du moins à court terme. En outre, ils montrent que la prime de défaut elle-même s’accroît quand les mesures d’austérité sont entreprises dans des périodes de tensions budgétaires élevées. Les deux effets sont bien plus faibles quand les tensions budgétaires sont faibles. Les auteurs expliquent ce constat par un comportement rationnel des investisseurs financiers. Si les turbulences budgétaires sont déjà fortes et si une consolidation budgétaire rend le défaut encore plus probable en raison de son impact la production, les épargnants exigent une prime de défaut encore plus élevée. Donc, le plan d’austérité peut provoquer un cercle vicieux où interagissent fortes tensions budgétaires, faible croissance économique et accroissement du fardeau de dette publique.

Conclusion

La littérature florissante de ces dernières années sur les consolidations budgétaires a décelé divers facteurs susceptibles de profondément influencer l’impact des mesures d’austérité sur l’activité. En l’occurrence, les répercussions des consolidations budgétaires dépendent fortement de la composition du plan d’austérité, de la position dans le cycle économique, de la position dans le cycle de l’endettement privé et du risque de défaut souverain. Les décideurs politiques doivent tenir compte de ces facteurs lorsqu’ils envisagent de mener des programmes de consolidation budgétaire. »

Mathias Klein, « What determines the costs of fiscal consolidations? », in DIW Roundup, 19 février 2018. Traduit par Martin Anota