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Tag - politique monétaire

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vendredi 17 août 2018

Faut-il stabiliser l’activité via la politique monétaire ou la politique budgétaire ?

« L’un des désaccords entre économistes orthodoxes et hétérodoxes porte sur la question quant à savoir si c’est la politique monétaire ou bien la politique budgétaire qui doit être utilisée pour la stabilisation macroéconomique (c’est-à-dire pour contrôler la demande globale de façon à influencer l’inflation et la production). Que fait un bon instrument dans ce contexte ? Comme je l’ai affirmé auparavant, une différence clé entre les orthodoxes et les partisans de la modern money theory (MMT) implique différentes réponses à cette question. Je pense que les questions suivantes sont cruciales : (1) A quelle vitesse les changements de l’instrument (par exemple, les hausses de taux d’intérêt) influencent la demande ? (2) A quelle vitesse l’instrument peut-il être modifié ? Y a-t-il des limites à la vitesse à laquelle il peut être modifié ? (3) A quel point l’impact de l’instrument sur la demande est-il fiable ? En d’autres mots, à quel point l’impact d’un changement de l’instrument sur la demande est-il incertain ? (4) A quel point pouvons-nous être certains que la personne qui détient le contrôle de l’instrument l’utilisera de la façon appropriée ? (5) Est-ce que le changement de l’instrument a des "effets collatéraux" qui sont indésirables ? Si nous appliquons ces questions afin de savoir s’il faut utiliser les taux d’intérêt ou un certain élément de la politique budgétaire, quelle réponse obtiendrions-nous ? Avant de le faire, il est utile de noter que cela revient à savoir quelle est la manière la plus rapide et la plus fiable d’influencer la demande. Ce n’est pas tout à fait la même chose que de se demander comment la demande influence l’inflation (aussi longtemps que nous parlons de l’inflation sous-jacente).

La question (1) est importante parce que de longs délais entre l’instant où l’instrument est changé et l’instant où ce changement influence la demande nuisent à l’élaboration de la politique économique. Que penseriez-vous de votre chauffage central s’il mettait une journée pour chauffer votre appartement lorsque vous avez froid ? C’est peut-être la question la plus intéressante pour un macroéconomiste. Une discussion complète nécessiterait tout un manuel, donc pour éviter cela je vais suggérer que la réponse n’est pas critique pour expliquer pourquoi les orthodoxes préfèrent la politique monétaire à la politique budgétaire.

La question (2) est aussi importante pour des raisons évidentes. Si un instrument ne peut être changé qu’une poignée de fois pas an, c’est comme s’il y avait de très longs délais avant que les effets de l’instrument se fassent ressentir. Sur cette question, la politique monétaire semble avoir un clair avantage dans le contexte des accords institutionnels en vigueur. Une part de cette différence est difficile à changer : il faut du temps pour qu’une bureaucratie prenne une décision. Comme je l’ai noté avec l’expansion budgétaire mise en œuvre par la Chine après la crise, environ la moitié des projets étaient lancés en moins d’un an. (…)

La deuxième partie de la question (2) est clairement négative pour les taux d’intérêts, parce qu’ils ont une borne inférieure. Ce n’est le cas pour les instruments budgétaires : vous pouvez toujours réduire les impôts par exemple. (…) Avoir potentiellement deux instruments différents pour des situations différentes est un autre point en faveur de la politique budgétaire.

La question (3) n’est pas souvent posée, mais elle est absolument cruciale. Imaginez que vous augmentiez la température sur un thermostat qui n’a pas de réglage et qui n’agit pas non plus de la même façon d’une journée à l’autre et même d’une heure à l’autre. Le programme OMT est le clair exemple d’un piètre instrument, parce que les banques centrales ont moins d’idées sur son efficacité que sur celle des variations du taux d’intérêt, en partie en raison du manque de données, mais aussi en raison de possibles non-linéarités.

Est-ce que les changements sont plus ou moins fiables que les mesures budgétaires ? Le gros avantage des changements de dépenses publiques est que leur impact direct sur la demande est connu, mais comme nous l’avons déjà noté de telles mesures sont lentes à mettre en œuvre. Les changements fiscaux sont plus rapides à faire, mais plusieurs économistes orthodoxes affirmeraient que leur impact n’est pas plus fiable que l’impact des variations du taux d’intérêt. A l’inverse, certains économistes hétérodoxes (en particulier les partisans de la MMT) affirmeraient que les variations du taux d’intérêt sont tellement peu fiables que même le signe de l’impact n’est pas clair.

La question (4) est seulement pertinente si c’est aux banques centrales qu’est délégué le pouvoir de changer les taux d’intérêt. Supposons que nous soyons dans une situation telle que celle du Royaume-Uni, où la banque centrale a le contrôle sur les taux d’intérêt, mais où elle doit suivre un mandat fixé par le gouvernement. Un argument robuste est que, en déléguant cette tâche à une institution indépendante, la politique économique est moins susceptible d’être influencée par des facteurs extérieurs (…), si bien que la politique économique devient plus crédible. (Il y a toute une littérature impliquant des idées similaires.)

Cet avantage pour la politique monétaire découle simplement du fait qu’elle peut être facilement déléguée. Cependant, même si elle n’est pas déléguée, la politique budgétaire a pour désavantage que ses changements sont soit populaires (ce qui est le cas des baisses d’impôts), soit impopulaires (comme c’est dans le cas avec les hausses d’impôts). A l’inverse, les variations du taux d’intérêt impliquent des gains pour certains et des pertes pour d’autres. Cela rend les politiciens réticents à adopter une action budgétaire déflationniste et trop enclins à adopter une action budgétaire inflationniste. Donc, même sans délégation, il semble probable que les variations du taux d’intérêt soient davantage susceptibles d’être utilisées de façon appropriée pour gérer la demande que les mesures budgétaires.

La question (5) peut impliquer plusieurs choses. Dans les modèles basiques des nouveaux keynésiens, le taux d’intérêt réel est le prix qui assure que la demande soit à un niveau d’inflation constante. Par conséquent, les taux d’intérêt nominaux sont l’instrument évident à utiliser. Changer la politique budgétaire, d’un autre côté, crée des distorsions pour la bonne combinaison de biens publics et privés ou pour le lissage fiscal.

Donc les arguments contre la politique budgétaire comme le principal outil de stabilisation en-dehors de la borne inférieure sont les suivants : elle est plus lente à changer et elle ne peut pas être déléguée. Même si la politique monétaire n’était pas déléguée, les politiciens peuvent laisser des problèmes de popularité empêcher une stabilisation budgétaire efficace. Alors que les changements de dépenses publiques ont un certain effet direct, ils sont aussi les plus difficiles à mettre en œuvre rapidement.

Le problème de la borne inférieure est un argument potentiellement robuste que l’on peut avancer contre la politique monétaire. Vous pouvez penser que faire de la politique monétaire l’instrument de stabilisation désigné a fait perdre au gouvernement l’habitude de faire de la stabilisation budgétaire, si bien que lorsque vous vous retrouvez contraint par la borne inférieure et que la stabilisation budgétaire est nécessaire, elle n’est pas utilisée. Les récents événements ne font que confirmer cette inquiétude. Personnellement, je ne pense pas que les macroéconomistes orthodoxes parlent assez de ce problème. (...) »

Simon Wren-Lewis, « Interest rate vs fiscal policy stabilisation », in Mainly Macro (blog), 15 août 2018. Traduit par Martin Anota


Plaidoyer pour les stabilisateurs automatiques


« Simon a offert un bon aperçu sur la question quant à savoir si la politique budgétaire ou la politique monétaire est la plus efficace pour stabiliser la production. Je pense toutefois que ni l’une, ni l’autre n’est en pratique particulièrement bonne et que nous avons plutôt besoin de meilleurs stabilisateurs automatiques.

Je le dis pour une raison simple : les récessions sont imprévisibles. En 2000, Prakash Loungani avait étudié les performances passées des prévisions du PIB du secteur privé et concluait que "la capacité à échouer à prédire les récessions est quasi irréprochable", un fait qui continua d’être vérifié par la suite.

La BCE, par exemple, a relevé ses taux en 2007 et en 2008, en oubliant le désastre imminent. La Banque d’Angleterre a fait un peu mieux. En février 2008, son graphique des risques ne donnait qu’une légère probabilité que le PIB chute en glissement annuel en 2008 ou 2009 alors qu’en fait il chuta de 6,1 % dans les 12 mois suivants. Pour cette raison, le taux directeur n’a pas été ramené à 0,5 % avant mars 2009.

Etant donné qu’il faut environ deux ans pour les variations des taux d’intérêt aient leur maximum d’effets sur la production, cela signifie que la politique monétaire réussit mieux à soutenir l’économie après une récession qu’à prévenir en premier lieu cette récession. Et, bien sûr, comme il n’y a pas de preuve empirique que les gouvernements prédisent mieux les récessions que ne le font le secteur privé ou les banques centrales, on peut dire la même chose à propos de la politique budgétaire.

Tout cela me suggère que si nous voulons stabiliser l’activité face aux récessions imprévisibles, nous n’avons pas simplement besoin de politiques monétaire et budgétaire discrétionnaires, mais plutôt de meilleurs stabilisateurs automatiques.

Dans ce contexte, j’ai longtemps été attiré par les propositions de Robert Shiller pour des macro-marchés. Ces derniers permettraient aux gens vulnérables aux récessions (notamment ceux qui ont des emplois exposés à la conjoncture ou avec de petites entreprises) d’acheter une assurance contre un ralentissement de l’activité. Je peux comprendre pourquoi certains peuvent être sceptiques à cette idée : le type de personnes qui s’assureraient contre les récessions seraient le type de personnes qui seraient incapables de payer lorsqu’une récession éclaterait. (…)

Si les marchés d’assurance du secteur privé n’existent pas, la tâche de la stabilisation est mieux réalisée par le gouvernement. Les mesures les plus évidentes incluent une imposition plus progressive (de façon à ce que les chutes du revenu soient partagées avec le gouvernement) et de plus hautes prestations sociales, aussi bien pour les personnes sans emploi que pour ceux qui subissent une baisse de leur temps de travail.

Il y a autre chose. Une autre façon de stabiliser l’économie est de s’assurer qu’il y a moins d’institutions qui propagent le risque, celles qui transforment de légers ralentissements en amples contractions de l’activité. Cela revient à s’assurer que les banques sont fortes et bien capitalisées, c’est-à-dire que les mauvais prêts n’épuisent pas le capital au point d’empêcher le prêt aux autres entreprises. Il est discutable que ce soit actuellement le cas : les ratios de capital des banques britanniques, par exemple, sont toujours inférieurs à ceux recommandés par Admati et Hellwig.

Ce sont des mesures comme celles-ci, plutôt que des mesures discrétionnaires de politique macroéconomique, qui offrent peut-être le meilleur espoir de vraiment stabiliser la production et l’emploi.

(…) Je fais deux remarques plus générales ici. Tout d’abord la stabilité macroéconomique n’est pas qu’une question de politique macroéconomique. Elle tient aussi à la qualité des institutions (la nature de l’Etat-providence, l’ampleur à laquelle les institutions propagent le risque, si nous avons des marchés qui mutualisent les risques, et ainsi de suite). D’autre part, l’incapacité des décideurs de politique économique (et des autres) à prédire les récessions n’est pas un aspect contingent accidentel que nous pourrions ignorer. Un manque de prévision fait partie intégrante de la condition humaine. La politique économique doit être fondée sur ce fait. Bien sûr, cela s’applique à bien plus de choses qu’à la politique macroéconomique. »

Chris Dillow, « For automatic stabilizers », in Stumbling & Mumbling (blog), 16 août 2018. Traduit par Martin Anota

mercredi 23 octobre 2013

Et si le vieillissement démographique réduisait l'efficacité de la politique monétaire ?

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« Avant la crise financière mondiale, il y avait consensus sur l’objectif principal des politiques monétaires : réguler l’inflation pour stabiliser l’économie. Depuis le milieu des années 90, plusieurs banques centrales autour du monde ont adopté formellement le ciblage d’inflation, avec un certain succès. Cependant, depuis la crise, certains ont accusé le ciblage d’inflation d’être responsable (en partie) de la crise de 2007 en ayant conduit les banques centrales à ignorer les bulles d’actifs. Il en résulte de nouvelles propositions telles que le ciblage du PIB nominal, tandis que certaine banques centrales prennent déjà leur distance avec le ciblage de l’inflation.

Cependant, même si les banques centrales du monde entier ont modifié leur mandat de manière à inclure la stabilité financière, elles n’ont pas cessé de cibler l'inflation. Les banques centrales dominantes dans le monde (dont la Fed), ont officialisé leur objectif d’inflation de 2 % au début 2012 et la Banque du Japon leur a emboîté le pas un an après. En d'autres termes, en dépit de certaines critiques, le ciblage de l'inflation n'est pas mort et pourrait bien se poursuivre. Cela reflète la croyance selon laquelle les banques centrales ont victorieusement vaincu l’inflation grâce au ciblage d'inflation. Cela reflète la prédominance des modèles utilisés par les économistes où l’efficacité de la politique monétaire dépend de la crédibilité de la banque centrale et de sa capacité à agir sur les anticipations.

Cette croyance dans le ciblage de l'inflation est surprenante. Sur le plan empirique, des études récentes ont démontré que la politique monétaire n’a que peu d’effets sur des variables telles que le chômage et l'inflation depuis le milieu des années 1980. L’affaiblissement de l'efficacité de la politique monétaire, mesurée par l'impact de la variation des taux d'intérêt sur le chômage et l'inflation, s’explique par une meilleure anticipation de la production et de l’inflation. L'inflation est généralement moins sensible aux variations du chômage conjoncturel, or les anticipations d’inflation restent bien ancrées sur la cible poursuivie par la banque centrale, y compris pendant les profondes récessions telles que la récente crise financière mondiale. Ainsi, paradoxalement, la capacité de la politique monétaire à influencer les anticipations par les fluctuations du taux d'intérêt a diminué : les changements de taux d'intérêt ont un moindre impact sur l'économie.

Une étude souvent citée par le FMI a montré que l'inflation stagne autour de 2 % au cours des cycles économiques aux États-Unis et ne répond pas aux variations de l'écart de production (output gap). Les prix ont augmenté au même rythme qu’avant la crise mondiale, et ce malgré d'énormes baisses de la production. Cela explique pourquoi la politique monétaire expansionniste, d'une ampleur sans précédent, n'a pas eu un grand impact sur l'inflation ou la production. Cette même étude a identifié deux principales voies pour tenter d'expliquer ce phénomène : (1) la transformation structurelle de l'économie, en particulier le changement institutionnel dans le marché du crédit, et (2) les changements dans la façon dont la politique monétaire affecte les anticipations des agents économiques.

Certains ont affirmé que les changements institutionnels sur le marché du crédit expliquent la moindre efficacité de la politique monétaire. Selon eux, au cours des deux dernières décennies, le cadre régulateur a été affaibli et les marchés du crédit ont été libéralisés. De nouvelles formes de prêt (la titrisation en particulier) ont, en raison des meilleures technologies d’information et de l’amélioration de l’information, permis à un plus large ensemble d’institutions d’offrir du crédit. L’activité du système bancaire parallèle (shadow banking) qui en a résulté a facilité l’accès au crédit et conduit à une expansion du crédit au profit d'agents qui n'y avaient jusqu'alors pas accès, à savoir les agents à faible revenu. En principe, on s’attendait à ce que ces changements accroissent l’efficacité de la politique monétaire. Cependant, il se peut que les canaux de bilan pour les ménages aient en parallèle gagné en importance, si bien que les variations des prix du logement se soient davantage répercutées sur leurs décisions de consommation. Cela signifiait aussi que les chocs transitoires pouvaient être financés via le refinancement de l’immobilier, ce qui réduisait l’importance du canal du crédit et donc la sensibilité de l’activité économique aux changements de politique monétaire.

Selon un autre argument souvent avancé, les banques centrales ont, grâce à leur forte crédibilité, de plus en plus exécuté des "opérations de communication" (open mouth operations) leur permettant de gérer les anticipations sans avoir à faire autant varier les taux d'intérêt que par le passé. Par conséquent, lorsque les agents anticipent que la politique monétaire va réagir fortement aux déviations de la production réelle par rapport à son niveau potentiel ou aux déviations de l’inflation par rapport à sa cible, cela conduit à une plus grande stabilité des anticipations de revenus et d'inflation, et, par conséquent, à une plus grande stabilité des dépenses réelles et de l’inflation. Ceci signifie que les fluctuations des taux d'intérêt auront paradoxalement un effet plus faible sur l’économie.

Sans nier l'importance de ces facteurs, nous développons une nouvelle explication que les analyses ont jusqu'ici largement ignorée. Nous affirmons que la politique monétaire a de moindres effets sur l'économie en raison de l'évolution démographique. Les profils démographiques varient considérablement selon les pays : certains pays vieillissent plus rapidement que d'autres (Allemagne, Japon), mais aucune partie du monde ne reste épargnée par ce phénomène. Avec des taux de fécondité en chute libre dans le monde entier, souvent en dessous du taux de remplacement, y compris dans les pays à faible revenu, le monde traverse un changement démographique sans précédent, menant à un vieillissement rapide de la population mondiale. Les personnes âgées ont longtemps représenté une faible part de la population, mais les percées technologiques et les mutations sociales de ces deux derniers siècles ont transformé cette structure démographique. Sur la base de l'hypothèse du cycle de vie, nous nous attendrions à ce que les sociétés les plus vieillissantes aient généralement une grande proportion de ménages qui soient créanciers et soient donc moins sensibles aux variations de taux d'intérêt. En revanche, les sociétés les plus jeunes devraient normalement avoir une plus grande part d’agents qui sont débiteurs et donc plus sensibles à la politique monétaire. (…) C’est un autre facteur expliquant la moindre efficacité de la politique monétaire.

(…) Les sociétés dominées par des jeunes ménages auraient tendance à être plus sensibles aux variations des taux d'intérêt que les sociétés vieillissantes. La politique monétaire peut donc devenir moins efficace dans une société vieillissante, ce qui implique que la politique monétaire devra opérer différemment (...). Les futures recherches devraient tenter d'évaluer l'impact du vieillissement sur la politique optimale de manière plus approfondie, mais voici quelques conjectures :

  • Les changements dans la conduite optimale de la politique monétaire : Dans une société connaissant une évolution démographique, de nouveaux arbitrages pourraient surgir. Tout d'abord, la préférence relative de l'inflation par rapport à la stabilisation de la production est susceptibles de changer, car ce sont les ménages les plus âgés qui détiennent le plus d’actifs et qui ont, par conséquent, plus à perdre d'une inflation inattendue. En outre, la plus forte aversion face à l'inflation peut, ceteris paribus, conduire à une cible d’inflation optimale qui soit plus faible. Dans un même temps, la baisse des taux d'intérêts réels, considérée comme une conséquence importante du vieillissement, est alors susceptible d’œuvrer dans la direction opposée. Les banques centrales du monde entier vont donc avoir à prendre en compte ces arbitrages et ajuster leurs politiques en conséquence.

  • Une politique monétaire plus agressive est nécessaire : Si la politique monétaire est moins efficace dans une société vieillissante, une plus grande variation des taux directeur sera nécessaire pour agir sur l'économie que dans une société jeune. Cela implique que les variations traditionnelles de 25 points de base, qui ont été la norme dans les précédentes décennies, pourraient être amplifiées. La politique monétaire devra devenir plus "activiste" dans les sociétés vieillissantes, avec une variation plus importante des taux d'intérêt.

  • L'importance croissante d'autres outils de politique monétaire pour stabiliser l'économie : La politique monétaire est un instrument clé des décideurs politique et s'est avérée être une arme puissante au cours de la crise mondiale. Si les sociétés vieillissantes expliquent la perte d’efficacité des politiques monétaires, la stabilisation de l'économie et du système financier devra être prise davantage en charge par d'autres outils de politique économique, notamment la politique budgétaire et la politique macroprudentielle.

  • La politique monétaire dans le contexte des pays à faible revenu : nous avons mis l'accent sur les économies avancées, qui seront les premières à passer par l'évolution démographique. Cependant, les économies émergentes et les pays à faible revenu vont elles aussi connaitre cette évolution démographique, si bien que l'impact est susceptible d'être différent que celui observé dans les économies avancées, car la richesse n'est pas aussi biaisée vers les générations plus âgées. Les pays émergents et à faible revenu sont dans une situation particulière, car ils vont connaitre une transition démographique sans avoir rattrapé le niveau de richesse des économies avancées. Comme les personnes âgées sont souvent pauvres dans les pays émergents et à faible revenu et soutenues par des actifs de la famille, certains des facteurs dont nous avons parlé (tels que la domination croissante de l'effet de richesse sur le canal du crédit) sont susceptibles d'être moins importants, ce qui implique que l’efficacité de la politique monétaire peut ne pas s’affaiblir autant que dans les économies avancées ou qu’elle se manifestera de d’autres manières. »


Patrick Imam, « Shock from graying: Is the demographic shift weakening monetary policy effectiveness », FMI, working paper, n° 13/191, septembre. Traduit par Camille C.


aller plus loin... lire « La mort du ciblage d'inflation » et « Pourquoi l'inflation est-elle si faible et stable ? »

samedi 21 septembre 2013

Faire un cours sur l’inflation, c’est amusant (mais dangereux...)

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« Faire un cours sur l’inflation est amusant. La plupart des élèves qui n’avaient jusqu’alors jamais étudié la macroéconomie sont surpris quand vous leur montrez la corrélation entre l’inflation et la croissance de la masse monétaire dans un grand échantillon de pays. Vous pouvez alors leur donner des données chiffrées sur les pays qui ont connu une hyperinflation et en profiter pour leur montrer quelques billets avec beaucoup de zéros (merci le Zimbabwe !). Les élèves adorent ça.

L’idée que l’inflation soit (principalement) un phénomène monétaire est nouveau pour de nombreux élèves et passer en revue l’histoire de l’inflation et des politiques monétaires est un exercice très gratifiant pour un professeur.

Mais il y a un problème avec la façon dont nous présentons l’inflation dans nos cours : dans de nombreux pays l’inflation a été maîtrisée depuis plusieurs décennies. Et ce contrôle de l'inflation ne vient pas du fait que les politiques monétaires aient été ancrées à (…) l’or, mais repose plutôt sur les actions et de la crédibilité de la banque centrale. Voici un joli graphique tiré d’une récente étude de Jan Groen et Menno Middeldorp qui mesure les anticipations de l'inflation aux Etats-Unis depuis 1970.

GRAPHIQUE Anticipations de taux d’inflation depuis janvier 1970 (en %)

Fatas_hyperinflation.png

source : Fatás (2013)

A partir du début des années 90, la courbe devient plate. Il y a vraiment peu à dire sur le niveau ou la volatilité de l’inflation. Dans ce contexte, l’inflation est presque constante et il n’y a pas de corrélation entre l’inflation et la masse monétaire. Mais nous avons laissé ce constat de côté durant les cinq derrières minutes du cours, puisqu’il était si amusant de parler de l’Allemagne en 1923, de la Hongrie en 1946 et du Zimbabwe en 2008.

Donc, vue la façon dont nous enseignons l’inflation, il n’est pas surprenant qu’au cours des 5 dernières années certains aient craint une accélération de l'inflation, voire l’apparition de l’hyperinflation, comme les bilans des banques centrale ont augmenté très rapidement. (Bien sûr, il y a là l’erreur que beaucoup font de ne pas comprendre la différence entre la monnaie banque centrale et la masse monétaire, mais je garde ce sujet pour un autre article.)

La prochaine fois que je ferai un cours de macroéconomie, je passerai moins de temps à parler de l’inflation et lorsque j’en parlerai, je ne montrerai pas les billets de cent mille milliards de dollars du Zimbabwe. A la place, je passerai plus de temps sur l’incroyable stabilité de l’inflation dans de nombreux pays. Et j’utiliserai le temps qui reste pour parler des longues périodes de récessions et de reprises. »

Antonio Fatás, « Teaching about inflation is fun (but dangerous) », in Antonio Fatás on The Global Economy (blog), 22 août 2013. Traduit par Camille C.


aller plus loin... lire « Comment expliquer la désinflation mondiale ? » et « Pourquoi l'inflation est-elle si faible et stable ? »

dimanche 21 juillet 2013

Chômage, écart de production et flexibilité salariale

« Ce billet porte sur l'impact de la flexibilité des salaires nominaux et réels sur l’emploi et sur l’output gap. (…) J'essaie de rendre l'analyse aussi accessible que possible aux non-économistes.

Commençons avec une économie où l’output gap est égal à zéro et où il n’y a pas de chômage involontaire. Tout dans cette économie va très bien, (…) elle est efficiente. Ensuite, une crise survient et conduit les consommateurs à moins dépenser et à davantage épargner, si bien que la demande globale s’effondre. Normalement, dans une telle situation, la banque centrale réduit suffisamment les taux d'intérêt nominaux et réels pour restaurer la demande globale. Une fois que c’est le cas, appelez tout dans cette économie comme "naturel", de sorte que le taux d'intérêt réel qui restaure la demande est qualifié de "taux d'intérêt naturel". Le niveau naturel de la production peut ne pas être le même que le niveau d'avant-crise, notamment parce que le nouveau taux d'intérêt naturel peut avoir des effets sur les comportements de travail. Cependant, le niveau naturel est le niveau de production que les autorités publiques devraient viser. Durant la Grande Récession, ce mécanisme n'a pas fonctionné, parce que les taux d'intérêt nominaux ont atteint zéro et peut-être aussi parce que la politique monétaire a plafonné les anticipations d'inflation. Par conséquent, les taux d'intérêt réels demeurent au-dessus du niveau naturel. En outre, la politique budgétaire est entre les mains de personnes qui ne savent rien de la macroéconomie, il n'y a pas d'aide à obtenir de ce côté-là. Mais les autorités monétaires pensent encore qu’elles peuvent faire quelque chose de "non conventionnel", alors elles veulent savoir ce qu'il faut viser. La réponse est que, aussi longtemps que ce qu'ils font ne fausse pas sérieusement l'économie, ils devraient essayer d'atteindre le niveau de production naturel, parce que cela rend l’économie efficiente.

La différence entre le niveau actuel de la production et l’hypothétique niveau naturel est appelé "écart de production" (output gap). On définit traditionnellement l'écart de production comme la différence entre la production réelle et le "potentiel productif", ce dernier correspondant au montant de production qui serait obtenu si tous les facteurs de production étaient pleinement utilisés. C'est souvent de cette manière que l'écart de production est mesuré en pratique, bien que les problèmes de mesure peuvent s’avérer importants, comme le note Paul Krugman. Le problème au niveau conceptuel, c'est que cette approche néglige les considérations d'optimalité, donc la macroéconomie théorique d’aujourd’hui utilise le niveau de production naturel pour définir l'écart de production. Cela a l'avantage de nous dire ce que les autorités publiques doivent chercher à faire : atteindre le niveau de production naturel.

Maintenant, imaginez trois économies presque identiques où un écart de production subsiste parce que les taux d'intérêt nominaux ont atteint zéro. Le niveau des taux d'intérêt réels qui permettrait d'éliminer l'écart de production est le même dans les trois économies (c'est-à-dire que ces dernières ont les mêmes niveaux naturels de production). Dans la première économie, les travailleurs résistent aux réductions de salaires nominaux, donc réduit la pression du chômage sur les salaires réels. (Même les entreprises peuvent être réticentes à réduire les salaires, comme le suggère cette étude) Si les salaires nominaux cessent de baisser, les entreprises vont arrêter de baisser leurs prix à un certain moment afin de protéger leurs profits. Cette situation se caractérise par un plus faible niveau de demande globale, par une production inefficiente et un chômage élevé, mais les salaires et les prix sont stables. La politique monétaire non conventionnelle a une large marge de manœuvre, même si l'inflation ne chute pas.

Dans les deux autres économies, les salaires nominaux continuent de chuter. Dans la deuxième économie, les prix sont réduits de la même proportion, donc les salaires réels restent inchangés, tandis que dans la troisième économie, ce n’est pas le cas, si bien que les salaires réels chutent. Ainsi, dans la deuxième économie, l’inflation est plus faible que dans la première, mais les salaires réels sont les mêmes. Est-ce que cette baisse du taux d'inflation augmente ou diminue l'écart de production ? Cela dépend de si la production réelle chute ou augmente suite au ralentissement de l'inflation : le niveau naturel de la production implique une économie hypothétique qui n'est pas affectée par le fait que les salaires nominaux tombent ou non dans l'économie. La production réelle peut diminuer si l’inflation négative pousse les débiteurs à beaucoup moins dépenser, mais les créanciers pas plus (ce mécanisme est discuté dans un billet de Mark Thoma). En revanche, si les autorités monétaires n’avaient qu’une faible marge de manœuvre parce que l'inflation ne décélérait pas (ce qui peut-être le cas de la Banque d’Angleterre, par exemple), alors, comme le dit David Beckworth, la plus faible inflation pourrait augmenter la production réelle en encourageant la banque centrale à assouplir sa politique monétaire non conventionnelle.

Qu’en est-il de la troisième économie où les salaires réels ont baissé ? Supposons que les entreprises réagissent à la baisse des salaires réels en substituant du travail au capital et que ce processus se poursuive jusqu'à ce que tous ceux qui désirent travailler trouvent un emploi. Alors, le chômage involontaire disparaît dans la troisième économie. Mais l'écart de production est-il plus faible ? Une fois de plus, le niveau naturel de la production n'a pas changé. (Il a été fixé dans notre économie hypothétique où les taux d'intérêt réels sont tombés à leur niveau naturel.) Donc, la question clé est de savoir si la baisse des salaires réels et la baisse du chômage réduisent ou bien augmentent la demande globale et par là la production réelle. Cela peut aller dans un sens ou l’autre. Il est donc parfaitement possible que la production effective et par conséquent l’output gap soient exactement les mêmes dans les trois pays, même si le chômage est revenu à son taux naturel dans une seule et que les deux autres ont de très différents taux d'inflation.

Cette comparaison suggère que ceux qui prétendent que le chômage dans les deux premières économies trouve son origine dans une sorte de rigidité des salaires passent à côté de l’essentiel. Le problème fondamental est l’insuffisance de demande globale. On pourrait dire que la troisième économie est mieux lotie que les deux autres, parce que le fardeau de l’insuffisance de la demande est uniformément répartie (tout le monde a de plus faibles salaires réels), plutôt que d'être concentrée sur les chômeurs. Mais la meilleure solution est d'augmenter la demande globale, parce que cela fait disparaître ce fardeau.

J'ai commencé à écrire ce billet à cause d'une récente étude réalisée par Pessoa et van Reenan, qui suggère que le mystérieux déclin de la productivité du travail britannique dont j’ai auparavant parlé peut en grande partie s'expliquer par une croissance anormalement lente des salaires réels au Royaume-Uni. Le mécanisme qu'ils ont à l'esprit est tout à fait traditionnel : si les salaires réels sont faibles, les entreprises substituent du travail au capital. Cela peut expliquer à son tour (voir Neil Irwin par exemple) pourquoi le chômage au Royaume-Uni s’éleva moins amplement qu'aux États-Unis, même si la performance de la production au Royaume-Uni était pire. (...)

En ce qui concerne l'économie britannique, les affirmations de Pessoa et de Van Reenan sont discutables. (…) Ben Broadbent a affirmé que pour que l'histoire de la substitution des facteurs puisse expliquer ce qui s’est passé au Royaume-Uni, l'investissement aurait dû complètement s’effondrer, ce qui n’est pas le cas. (…) Cependant, la plupart s'accordent pour dire qu’une part de cette substitution des facteurs se poursuit au Royaume-Uni. Donc, ma réflexion théorique suggère que, en diffusant davantage le fardeau de l’insuffisance de la demande globale, cette "flexibilité des salaires réels" au Royaume-Uni a pu être une bonne chose, mais cela ne signifie pas que le problème de la demande globale ne se pose plus. Cela suggère qu’en regardant le seul chômage, nous risquons de sous-estimer la taille de l’output gap. Banquiers centraux, prenez note de tout ça ! »

Simon Wren-Lewis, « Unemployment, the output gap and wage flexibility », in Mainly Macro (blog), 19 juillet 2013. Traduit par M.A.

mercredi 17 juillet 2013

Les banques centrales sont-elles impuissantes ?

« Dans mon précédent billet, j'ai critiqué le dernier rapport annuel de la BRI pour plusieurs raisons. L'une d’entre elles était leur analyse de la politique monétaire. (…) J'observe les mêmes incohérences (et erreurs) chez d’autres. Il est surprenant que ceux qui affirmaient que l’assouplissement quantitatif avait très peu d'effets sur l'économie déclarent à présent que les autorités monétaires endommageront l'économie lorsqu’elles renverseront ces mesures. (…) Il est également surprenant que ceux qui se disent préoccupés par l’orientation excessivement expansionniste de la politique monétaire ne s’attellent pas à comparer les performances de l'inflation par rapport à sa cible. Ne devrions-nous pas observer la production et l’inflation lorsqu'il s'agit de juger de l’action des banques centrales ?

Penchons-nous à nouveau sur le graphique du rapport de la BRI que j’avais inclus dans mon précédent billet, celui où elle compare les taux d'intérêt des économies avancées et émergentes avec les taux suggérés par une règle de Taylor.

GRAPHIQUE Taux directeurs et règle de Taylor

Taylor_BIS_2.png

source : BRI (2013)

La ligne bleue représente les taux d'intérêt tels qu’ils sont suggérés par la règle de Taylor. La zone grise représente l’incertitude qui entoure cette règle. La ligne rouge est le taux d'intérêt réel fixé par les banques centrales. Depuis 2002, la ligne rouge est quasi systématiquement en dessous de la ligne bleue (à l'exception de l'automne 2008 dans les économies avancées). Dans certains cas, l’écart est important (allant jusqu'à quatre points de pourcentage). Le rapport de la BRI en conclut que les banques centrales jouent avec le feu, qu’elles maintiennent leurs taux d'intérêt trop bas et qu’une telle situation est susceptible de générer de l’inflation et des bulles d'actifs.

Mais comment se fait-il que les banques centrales aient mal fixé leur taux d'intérêt depuis plus d'une décennie, toujours dans le même sens, et que l'inflation demeure à sa cible ? Quel modèle économique peut générer ce comportement de l'inflation ? Comment se peut-il que les banques centrales soient si impuissantes à maîtriser l'inflation ? Et si elles le sont, pourquoi se soucier de ces taux d'intérêt ? Certains diraient que nous avons observé de l'inflation dans certains de ces pays, mais qu’il s’agit d’un autre type d'inflation : l’inflation des prix d’actifs. J'ai deux réponses à cela :

1. Je ne connais aucun modèle macroéconomique où la politique monétaire expansionniste ne génère pas d'inflation, définie comme augmentation des prix des biens et services. Même si je suis prêt à accepter l’idée que les banques centrales pourraient influer sur les prix des actifs via leurs communications, j'ai toujours un problème avec la façon par laquelle la règle de Taylor est calculée ci-dessus. La règle de Taylor a été conçue et a été utilisée comme point de référence pour stabiliser l'inflation (des biens et services). Si elle ne joue plus aucun rôle, alors nous devons produire un nouveau cadre (une nouvelle théorie) qui explique pourquoi la politique monétaire n'affecte plus l'inflation, nous avons besoin d'une nouvelle règle de Taylor.

2. S'il est vrai que nous avons assisté à un comportement fou sur les marchés financiers au cours des deux derniers cycles, celui-ci est peu corrélé avec la façon par laquelle la politique monétaire a été menée. J'ai participé à une étude au FMI en 2009 (une partie des Perspectives de l'économie mondiale, voir le chapitre ici) où nous avons étudié s'il y avait des preuves empiriques soutenant l’idée que les pays où la politique monétaire a été la plus expansionniste (…) ont vu se gonfler les plus fortes bulles de prix d'actifs. Au final, l’analyse empirique a montré que la corrélation était faible, voire inexistante. Donc, il y a peu de preuves étayant l’idée que la politique monétaire soit la cause de la volatilité des prix d’actifs que nous avons vue au cours des deux derniers cycles. »

Antonio Fatás, « Central Banks: powerful or powerless? Make up your mind », in Antonio Fatás and Ilian Mihov on the Global Economy (blog), 26 juin 2013. Traduit par M.A.

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