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Tag - réformes structurelles

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vendredi 4 septembre 2015

Petite revue de la littérature sur les réformes structurelles

« Les effets persistants de la crise financière, les plans d’austérité mis en œuvre pour stabiliser la dette publique et les effets du vieillissement démographique pèsent sur les perspectives de croissance de la production à moyen terme. De ce point de vue, il est naturel de considérer les réformes structurelles comme des mesures additionnelles pour stimuler la croissance, en l’occurrence en accroissant la productivité ou l’utilisation de la main-d’œuvre. Nous passons en revue la littérature qui s’est développée sur ce sujet.

Les réformes structurelles comprennent : (i) les réformes sur le marché du travail ; (ii) les réformes sur le marché des produits visant à accroître la concurrence ; (iii) les réformes fiscales ; (iv) les améliorations apportées à la réglementation des marchés des capitaux ; (v) les mesures visant à stimuler l’innovation (par exemple l’investissement en recherche-développement) ; et (vi) les réformes éducatives.

Au cours des dernières décennies, le calendrier et l’ampleur des réformes a fortement varié d’un pays à l’autre. Pour certains secteurs en particulier, il y a eu une certaine convergence entre les pays en ce qui concerne le cadre réglementaire. Certains réformes apparaissent par vagues entre les pays et la plupart sont mises en œuvre graduellement (FMI, 2004). L’hétérogénéité structurelle dans la zone euro est bien documentée (Allard et Evaert, 2010 ; Irac et Lopez, 2013). Les réformes requises par conséquent diffèrent entre les économies de la zone euro. Les réformes structurelles lancées par certains pays de la zone euro durant la crise peuvent contribuer à réduire l’hétérogénéité au sein de l’union monétaire (OCDE, 2012a).

Les études empiriques transnationales

Les études réalisées par la Commission européenne, l’OCDE, le FMI et la Banque mondiale confirment que les réformes structurelles peuvent accroître la croissance à long terme. Par exemple, D’Auria et ses coauteurs (2009) utilisent un modèle d’équilibre général stochastique dynamique (DSGE) calibré aux pays-membres individuels de l’Union européenne pour étudier l’impact de diverses réformes. Les résultats suggèrent une hausse de l’emploi et de la production à long terme, bien que l’impact diffère d’un pays à l’autre en raison de certaines spécificités nationales. Bayoumi et ses coauteurs (2004) aboutissent à des conclusions similaires en utilisant un modèle d’équilibre général calibré pour capturer les effets de débordement entre l’ensemble de la zone euro et un pays étranger, en agrégeant d’autres économies développées. Evaraert et Schule (2006) confirment l’effet positif en utilisant une version du modèle GEM du FMI (…). Gomes et ses coauteurs (2011) réalisent un exercice similaire en utilisant le modèle EAGLE (…).

D’autres études empiriques utilisant des régressions transnationales confirment aussi les effets positifs des réformes structurelles sur la croissance. Ici, plusieurs articles se focalisent sur les effets des réformes menées sur le marché du travail et les marchés de biens et services. De nombreuses rigidités du marché du travail (notamment des niveaux élevés de protection de l’emploi, le salaire minimum, les indemnités de licenciement, les cotisations sociales et les inefficacités dans les négociations salariales) sont associées à de plus faibles niveaux d’emploi et de productivité (Nickell et ses coauteurs, 2005 ; Bassanini et Duval, 2006 ; Annett, 2007 ; Fialová et Schneider, 2008 ; Jaumotte, 2011 ; Banque mondiale, 2012). La réglementation excessive du marché des produits est également associée à une plus faible croissance de la production, de l’emploi et de l’investissement (Berger et Danninger, 2007 ; Pérez et Yao, 2012 ; Banque mondiale, 2012).

L’Allemagne, la Suède, le Danemark et la Finlande, qui ont tous réformé leur marché du travail au cours de la dernière décennie, réalisèrent de meilleures performances relatives si l’on considère divers indicateurs relatifs au travail, comme l’emploi et le chômage (Räisänen et ses coauteurs, 2012). Sur les réformes du marché des produits, Wölfl et ses coauteurs (2009) constatent une significative hétérogénéité d’un pays à l’autre, avec des restrictions anticoncurrentielles significativement inférieures à la moyenne de l’OCDE dans certains pays (les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Islande, le Canada, le Danemark et les Pays-Bas) et significativement supérieures à la moyenne de l’OCDE dans d’autres pays (Luxembourg, République Tchèque, Mexique, Turquie et Pologne). (...)

La mise en œuvre des réformes structurelles

Plusieurs études se focalisent sur les effets des réformes structurelles dans des économies en particulier. Forni et ses coauteurs (2010), Almeida et ses coauteurs (2010) et Kilponen et Ripatti (2006) étudient respectivement l’impact des réformes des marchés du travail et des produits sur la production et le bien-être en Italie, au Portugal et en Finlande. Dans ces trois articles, les auteurs utilisent des modèles DSGE pour quantifier les effets de réformes qui visent à accroître la concurrence et à réduire par là les surprofits sur les marchés du travail et des produits. Ils aboutissent aux mêmes conclusions qualitatives. Une plus forte concurrence accroît la production, la consommation et l’investissement et stimule l’emploi. Cependant les coûts à court terme comprennent une réduction temporaire de la consommation et une hausse du taux d’intérêt. Gomes et ses coauteurs (2011) constatent que les réductions des surprofits sur les marchés du travail et des services au Portugal génèrent des gains à long terme pour ce qui concerne les principales composantes macroéconomiques. Pour la Grèce, la Fondation pour la Recherche Economique et Industrielle (IOBE) (2010) suggère que les réformes des marchés des produits et du travail et les réformes du secteur public ont d’importants effets sur la productivité et la croissance. Cette étude souligne la nécessite de réduire les surprofits et les rigidités des prix sur les marchés des produits grecs. Pour l’Espagne, Gavilan et ses coauteurs (2011) proposent la mise en œuvre simultanée de réformes structurelles sur les marchés du travail et des produits.

En fait, plusieurs auteurs affirment que les réformes du marché du travail et des marchés des produits sont complémentaires. Everaert et Schule (2006), Berger et Danninger (2007), Aghion et ses coauteurs (2009), Allard et Everaert (2010), Gomes et ses coauteurs (2011), Bouis et Duval (2011), Pérez et Yao (2012) et Turner et Nicoletti (2012) constatent que la synchronisation des réformes des deux marchés a un impact positif. Annett (2007) suggère que les bénéfices de la modération salariale sont plus importants dans les pays où les marchés du travail et des produits sont moins réglementés. Berger et Danniger (2007) constatent que la déréglementation du marché des produits est plus efficace lorsque la réglementation du marché du travail est moins stricte. Cependant Fiori et ses coauteurs (2012) aboutissent la conclusion opposée lorsqu’ils prennent en compte les liens d’économie politique entre les politiques.

La productivité et la croissance potentielle sont aussi affectées par la déréglementation du marché du travail et du marché des produits, par le niveau d’éducation de la main-d’œuvre et par le niveau technologique de l’économie (Aghion et ses coauteurs, 2009 ; Sideris, 2010).

Certains auteurs (Annett, 2007 ; Pérez et Yao, 2012) soulignent le cercle vertueux des réformes du marché du travail : la hausse de l’offre de travail permet de consolider les finances publiques, ce qui trace la voie pour davantage de réformes structurelles. Ostry, Prati et Spilimbergo (2009) soulignent l’importance du séquençage des réformes. Les réformes structurelles ont souvent des coûts de transition parce que les bénéfices (accélération des créations d’emplois et d’entreprises, hausse de l’innovation) ne se matérialisent que lentement, tandis que les coûts (modération salariales, baisse de la consommation, réallocation structurelle, réduction de la taille du gouvernement, etc.) sont immédiats. Cacciatore et ses coauteurs (2012) suggèrent qu’un large ensemble de réformes des marchés du travail et des produits peut atténuer les coûts de transition. Les effets récessifs à court terme associés aux réformes structurelles peuvent trouver leur origine dans les coûts d’ajustement, dans l’accroissement de l’incertitude et dans d’autres facteurs. Cependant les réformes peuvent aussi apporter des bénéfices à court terme, dans la mesure où les surprofits chutent sur les marchés des produits (selon Blanchard et Giavazzi, 2003) et où l’ajustement s’améliore sur le marché du travail (Bassanini et Duval, 2006). Divers modèles supposent que les réformes menées sur les marchés des produits réduisent immédiatement les prix et salaires excessivement élevés (c’est notamment le cas des études d’Everaert et de Schule, 2006, et de Gomes et de ses coauteurs, 2011).

Les réformes structurelles mises en œuvre lors des crises

Les études empiriques qui se sont récemment focalisés sur les réformes structurelles menées en temps de crise aboutissent à diverses conclusions. Premièrement, l’impact de la réforme dépend de l’état de l’économie (Bouis et ses coauteurs, 2012 ; OECD, 2012b). Les répercussions récessives à court terme peuvent être amplifiées si les réformes structurelles accroissent l’incertitude entourant le revenu futur et par conséquent si elles conduisent à une hausse de l’épargne de précaution. Deuxièmement, la réussite de la mise en œuvre dépend de plusieurs facteurs d’économie politique. A partir d’un échantillon de 10 pays de l’OCDE, Tompson (2009) affirme que cette réussite requiert que les buts soient clairement rendus publics, que les mesures apparaissent équitables, qu’elles obtiennent le soutien de nombreux responsables politiques (…) et qu’elles fassent consensus parmi les partenaires sociaux. L’OCDE (2012b) note que ces conditions peuvent avoir été absentes en Grèce, ce qui aurait contribué au déclin de la production et aux tensions politiques. Troisièmement, seule une approche globale peut raviver la croissance à moyen terme, si bien que les réformes nécessitent de stimuler la demande globale aussi longtemps que la reprise demeure fragile (Allard et ses coauteurs, 2010). Quatrièmement, les synergies entre les réformes menées sur le marché du travail et celles menées dans le secteur des services doivent être exploitées pour promouvoir les créations d’emplois (Allard et ses coauteurs, 2010 ; OCDE, 2012b). L’effet récessif des pertes d’emplois suite aux réformes du marché du travail peuvent être partiellement compensées si les réformes du marché des produits conduisent à une baisse des prix et à une hausse des profits, stimulant le revenu disponible réel (Blanchard et Giavazzi, 2003 ; IOBE, 2010). Les réformes des marchés du travail et des produits peuvent aussi améliorer la compétitivité en réduisant les salaires et les prix. Cependant, pour des pays hautement endettés, la baisse des prix peut aussi réduire le fardeau de la dette (OCDE, 2012b). La compétitivité peut aussi être améliorée par des mesures pour améliorer la productivité. Cinquièmement, les réformes structurelles sont davantage susceptibles de réussir si les anticipations de gains futurs rétroagissent sur la demande courante à travers la consommation et l’investissement (OCDE, 2012b). Cela requiert aussi un système bancaire robuste et efficace pour financer l’investissement et permettre un lissage du revenu en anticipation de gains futurs et pour compenser les pertes temporaires de revenu (OCDE, 2012b ; Allard et ses coauteurs, 2010). »

Maria Albani, Delphine Irac et Dimitris Sideris, « Research on structural reforms », in BCE, Public debt, population ageing and medium-term growth, août 2015. Traduit par Martin Anota



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« La dérégulation du marché du travail est-elle une solution au chômage ? »

« Les réformes structurelles peuvent-elles sauver l’Europe ? »

« Les Réformes ratées du président Sarkozy »

mardi 26 mai 2015

Le rôle des réformes structurelles selon Draghi

« A chaque conférence de presse depuis que je suis président de la BCE, j’ai toujours conclu mon allocution liminaire en appelant à accélérer les réformes structurelles en Europe. Mes prédécesseurs ont également transmis le même message, dans les trois quarts des conférences de presse qu’ils ont tenues depuis l’introduction de l’euro. Le terme de "réformes structurelles" est mentionné dans un tiers des discours prononcés par les divers membres du comité de la BCE. Par comparaison, il n’apparaît que dans 2 % des discours prononcés par les gouverneurs de la Réserve fédérale. (…)

Les réformes structurelles se définissent, selon moi, comme des politiques qui améliorent de façon permanente l’économie du côté de l’offre. Cela signifie qu’elles ont principalement deux conséquences. Premièrement, elles relèvent la trajectoire de la production potentielle, soit en accroissant la quantité d’intrants disponibles dans l’économie (notamment l’offre et la qualité du travail et le montant de capital par travailleur) ou en assurant que ces intrants soient utilisés plus efficacement, c’est-à-dire en accroissant la productivité totale des facteurs. Et deuxièmement, ils rendent les économies plus résilientes aux chocs économiques en facilitant la flexibilité des prix et salaires et la réallocation des ressources entre les secteurs et au sein de chacun d’entre eux. Ces deux effets sont complémentaires. Une économie qui rebondit plus rapidement après un choc est une économie qui croît plus rapidement au cours du temps, puisqu’elle souffre de moindres effets d’hystérèse. Et les mêmes réformes structurelles vont souvent accroître la flexibilité à court terme et la croissance à long terme. Par exemple les réformes visant à encourager la réallocation ne vont pas seulement accélérer l’ajustement ; elles vont accroître aussi la productivité en rendant l’allocation des ressources plus efficace. Les réformes visant à renforcer la concurrence vont rendre les prix plus flexibles, mais aussi stimuler l’investissement dans la mesure où les jeunes entreprises sont capables de pénétrer de nouveaux marchés et de se développer plus rapidement. Un ensemble complet de réformes structurelles va tendre par conséquent à accroître la résilience et la croissance d’une économie. Ce sont des questions très importantes pour les banques centrales, surtout pour la banque centrale d’une union monétaire (…).

En termes de résilience, la capacité de chaque économie dans une union monétaire à s’ajuster rapidement aux chocs est essentielle à la stabilité des prix et, au cours du temps, pour la viabilité de l’union monétaire. C’est parce que, face à un choc de demande négatif, une économie plus flexible va tendre à réagir en diminuant immédiatement les prix, mais les agents vont ensuite anticiper une accélération de l’inflation lorsque le choc se dissipera, assurant un ancrage des anticipations d’inflation. A l’inverse, une économie rigide s’ajustera face à un choc de demande négatif en connaissant une hausse du chômage, qui exerce une plus forte pression à la baisse sur l’inflation et sur les anticipations d’inflation. Cela peut à son tour entraîner une hausse des taux d’intérêt réels et aggrave les répercussions du choc. Dans une économie dotée d’une banque centrale, celle-ci peut directement compenser ce dernier ; dans une union monétaire, la banque centrale ne peut pas compenser les choses touchant un pays-membre en particulier. Il n’y a pas non plus de larges transferts budgétaires à grande échelle entre les pays-membres de la zone euro pour compenser les chocs qui toucheraient l’un d’entre eux. Les économies avec une flexibilité insuffisante risquent de connaître une désinflation plus durable, un chômage durablement plus élevé et une divergence économique permanente au cours du temps. (…)

(…) Les institutions internationales estiment que la croissance potentielle est inférieure à 1 % dans la zone euro, contre 2 % aux Etats-Unis. C’est en partie le résultat des répercussions de la crise sur l’investissement et le chômage structurel via les effets d’hystérésis. Mais cela reflète aussi des faiblesses dans la croissance de la productivité et l’offre de travail. Par conséquent, même si les effets de la crise sur l’investissement et l’emploi finissent par disparaître, la croissance potentielle devrait rester bien en-deçà des taux de croissance d’avant-crise.

C’est problématique pour au moins trois raisons. Premièrement, ça signifierait que l’écart de production se refermerait à un plus faible niveau de la production, ce qui rapproche l’instant où la politique monétaire devra être normalisée. Une part significative des pertes économiques que subirent les pays deviendrait alors permanente. Le chômage structurel resterait aux alentours de 10 %. Le chômage resterait également très élevé pour les jeunes, laissant de lourds stigmates sur leur avenir. Tout cela affecterait en définitive la société dans son ensemble dans la mesure où (…) la soutenabilité à long terme dépend de la capacité des jeunes à exploiter leur potentiel et à innover.

Deuxièmement, une situation de croissance potentielle durablement faible complique le désendettement (…). Pour les entreprises qui se sont endettées en se basant sur des anticipations de croissance d’avant-crise, la faible croissance potentielle agit comme une barrière majeure aux nouveaux investissements, comme tous les profits générés vont probablement être absorbés pour assurer le service de leur dette. (…)

Troisièmement, la faible croissance potentielle peut avoir un impact direct sur les outils dont dispose la banque centrale pour assurer son mandat. Une faible croissance potentielle implique un plus faible taux d’intérêt réel d’équilibre, ce qui signifie que, en présence d’un écart de production négatif, les taux directeurs nominaux doivent être plus amplement réduits pour ramener la production à son potentiel. Cela accroît le risque que les taux directeurs butent sur leur borne inférieure, qui n’est pas très loin de zéro. Cela accroît par conséquent également le risque que les banques centrales aient à recourir régulièrement à des mesures non conventionnelles pour assurer leur mandat. (…) Accroître la croissance potentielle faciliterait la tâche de stabilisation de la politique monétaire en accroissant le taux d’intérêt réel d’équilibre. (…)

Les politiques qui peuvent stimuler la croissance potentielle ne sont pas seulement celles qui se focalisent sur la flexibilité des prix. Elles incluent notamment, du côté de l’offre de travail, les politiques visant à soutenir la recherche d’emploi pour les chômeurs à long terme et la requalification des travailleurs peu qualifiés. Et du côté de la productivité totale des facteurs, les politiques qui encouragent la réallocation des ressources et les politiques qui accélèrent la diffusion de nouvelles technologies (…).

Ce débat sur l’importance des réformes structurelles nous amènerait à la conclusion suivant : plus tôt elles seront mises en œuvre, mieux ce sera. Cependant (…) le fait que les taux d’intérêt nominaux aient atteint leur borne inférieure et que la demande globale reste faible complique la situation. (…) Mettre en œuvre des réformes structurelles lorsque l’économie est faible peut être contre-productif, car elles réduisent davantage la demande globale à court terme et compliquent la tâche des banques centrales. (…) Si les réformes accroissent l’offre agrégée, alors elles vont amener les agents à réviser leurs anticipations d’inflation à la baisse. Et si les taux d’intérêt nominaux ne peuvent davantage chuter parce que les taux directeurs butent sur leur borne inférieure, alors les taux d’intérêt réels vont s’élever, détériorant davantage l’activité à court terme. (…) Les réformes adoptées au creux du cycle ou avant qu’une reprise soit pleinement achevée peuvent accroître le chômage et amener les ménages à accroître leur épargne de précaution et donc à réduire leur consommation. Les facteurs tels qu’un marché immobilier déprimé exacerberait aussi ces effets en freinant la mobilité géographique et la réallocation des ressources. Certaines études empiriques tendent à confirmer ces inquiétudes. Par exemple, elles suggèrent que les réformes qui accroissent la flexibilité de l’emploi, telles que la réduction de la protection de l’emploi, sont davantage susceptibles de déprimer la demande durant les récessions.

(…) Je pense toutefois que cela ne devrait pas nous amener à retarder la mise en œuvre de réformes structurelles. Premièrement, si les réformes sont crédibles, elles peuvent stimuler la demande à court terme en alimentant la confiance, ce qui permettrait de compenser les éventuelles répercussions négatives qu’aurait un accroissement de l’offre sur l’inflation. Un accroissement de la production potentielle amène les entreprises à anticiper de plus amples recettes dans le futur, ce qui les encourage à investir dès à présent. N’oublions pas que l’investissement accroît l’offre de demain, mais aussi la demande d’aujourd’hui. (…) Les réformes qui amènent les ménages à anticipent davantage de revenus au cours de leur cycle de vie stimulent la consommation dans la période courante. (…) Mais la crédibilité est cruciale pour que ces effets positifs se matérialisent. S’il y a une incertitude quant au calendrier de mise en œuvre des réformes ou à propos de l’engagement des gouvernements successifs pour les maintenir, cela prend plus de temps pour que les entreprises et les ménages ajustent leurs anticipations et les bénéfices des réformes en sont alors retardés. De plus, si les réformes ne sont pas perçues comme soutenables (…), les agents vont anticiper qu’elles seront révisées dans le futur et ils ajusteront plus difficilement leur comportement aujourd’hui. »

Mario Draghi, « Structural reforms, inflation and monetary policy », discours prononcé le 22 mai 2015. Traduit par Martin Anota



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« Les réformes structurelles peuvent-elles sauver l’Europe ? »

« La dérégulation du marché du travail est-elle une solution au chômage ? »

« La crise a-t-elle réduit la croissance potentielle ? »

dimanche 24 novembre 2013

La faible croissance en Europe s’explique-t-elle par l’austérité ou le manque de réformes structurelles ?

TOPSHOTS-GREECE-ECONOMY

« Dans un récent article publié sur vox, Lorenzo Bini Smaghi s’interroge sur la thèse selon laquelle l'austérité est la principale raison pour laquelle les taux de croissance des pays européens ont été si faibles depuis 2008. (…) Il ne rejette pas le fait que l'austérité ait fait quelques dégâts, mais il suggère que les questions structurelles sont également responsables de ce que nous avons pu voir dans les pays d'Europe du Sud.

Son principal argument peut se résumer en une série de graphiques où la croissance économique au cours de la période 2008-2012 semble négativement corrélée avec les mesures de la compétitivité. Par exemple, en comparant la croissance pendant la crise avec l'indice de compétitivité produit par le Forum économique mondial, on obtient la corrélation suivante :

GRAPHIQUE 1 Croissance du PIB et compétitivité

Fatas__croissance_et_competitivite__Europe__Martin_Anota__lycee_Rene_Descartes__Champs_sur_Marne_.png

Donc, il en conclut que les mauvaises performances réalisées par l’Europe du Sud (et l’Irlande) en termes de croissance au cours de la crise sont liées à leurs problèmes structurels.

Je ne suis pas en désaccord avec l’idée selon laquelle certains de ces pays ont des faiblesses structurelles qui peuvent contraindre leur taux de croissance. Mais je trouve que le tableau ci-dessus n’éclaire pas vraiment la façon par laquelle les réformes de croissance pourraient se révéler utiles ou l’ampleur dans laquelle le manque de réformes explique la profondeur de la récession dans ces pays. Ce qui m’embête, c’est le fait d’utiliser seulement 4 années pour évaluer les effets de la compétitivité. Si les faiblesses structurelles étaient si importantes que ça, elles devraient affecter la croissance à long terme (pas seulement en période de crise). Si l'on compare l'évolution de la croissance du PIB depuis 1994 entre certains de ces pays, nous n’obtenons pas la même image :

GRAPHIQUE 2 Croissance du PIB

Fatas__croissance_Allemagne__Autriche__Espagne__Grece__Martin_Anota__lycee_Rene_Descartes__Champs_sur_Marne_.png

Pour chaque année de la période 1994-2009 (sans exception), la croissance en Espagne ou en Grèce était plus élevée qu'en Allemagne (et, si l’on exclut l’année 1998, elle était également supérieure à celle de l'Autriche). C'est seulement au cours de la période 2010-2012 que l'Autriche et l'Allemagne affichent des taux de croissance plus élevés que l'Espagne et la Grèce. Et c'est au cours de ces années que l'austérité était la plus forte. Donc, ce que nous avons, ce sont des pays où l'amplitude du cycle économique est beaucoup plus grande. Ils ont fait mieux pendant les bonnes années et maintenant ils font pire, ce qui n’est pas surprenant (par exemple, la volatilité des marchés émergents tend à être plus grande que celle des économies avancées). Et compte tenu de ce qui s'est passé au cours de ces années en termes d'austérité et le fait que les marchés financiers restent dysfonctionnels, c’est encore moins surprenant. Sans doute que des faiblesses structurelles existent dans ces pays, mais leurs liens avec la croissance sont complexes et ne peut pas simplement être évalués en regardant les trois dernières années. »

Antonio Fatás, « Europe: lack of reforms or austerity? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 17 novembre. Traduit par M.A.


aller plus loin… lire « Les réformes structurelles peuvent-elles sauver l’Europe ? » et « L'austérité a échoué en zone euro »