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lundi 6 janvier 2014

Quelques notes sur la reprise au Royaume-Uni

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« Les plus récentes données que nous disposons en comptabilité nationale datent du troisième trimestre 2013. Entre le quatrième trimestre 2012 et le troisième trimestre 2013, le PIB réel a augmenté de 2,1 % (…). Ce n’est pas un grand chiffre, mais nous avons tout de même trois trimestres consécutifs de croissance solide, chose que nous n'avions pas vue depuis 2007. Alors, d'où vient cette croissance ? La bonne nouvelle, c’est que l’investissement au cours de cette même période a augmenté de 4 %. (...) Entre le quatrième trimestre 2012 et le troisième trimestre 2013, l'investissement des entreprises a augmenté (de 2,7 %), l'investissement public a stagné (augmentant de seulement 0,5 %), mais l'investissement immobilier a augmenté de 8 %. La mauvaise nouvelle, c’est que les exportations n'ont augmenté que de 0,1 %. Enfin, la consommation publique a augmenté de 1 %. Plus de la moitié de la croissance du PIB s’explique par une hausse de 1,8 % des dépenses de consommation. Ce n’est pas énorme, mais c’est significatif, car ça représente une forte baisse du taux d'épargne, comme le graphique ci-après le montre :

GRAPHIQUE Taux d'épargne au Royaume-Uni (en %)

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La forte hausse du taux d'épargne depuis 2009 a joué un rôle majeur dans la récession. La reprise cette année s’explique en grande partie par le fait que le taux d'épargne a commencé à baisser. Nous devons être prudents ici, parce que les données sur le taux d'épargne sont régulièrement sujettes à révision. Cependant, si nous regardons la principale composante du revenu, en l’occurrence les salaires, celle-ci a augmenté de 3,4 %, alors que la consommation nominale a augmenté de 4,4 %, ce qui suggère que l'épargne a bel et bien diminué.

Donc, la reprise à ce jour est essentiellement due à une réduction du taux d’épargne et à un accroissement de l’endettement, avec une contribution mineure de l'investissement dans l’immobilier (construction de logements). Comme le suggère Duncan Weldon, le programme Funding for Lending peut avoir joué un rôle important ici. Cependant, il se peut aussi que ce soit simplement la fin d'un ajustement de bilans, les ménages ayant enfin ramené leur dette et leur épargne à un niveau qu’ils considèrent comme plus approprié suite au krach financier.

Je ne peux m'empêcher de rappeler quelque chose que j'ai déjà dit à ce propos. La macroéconomie s’est vue reprocher de ne pas avoir prévu la crise financière (…). Mais ce que l’on peut vraiment reprocher à la macroéconomie, c’est de ne pas avoir idée de la proportion des ménages qui est soumise à des contraintes de crédit et ce qui pousse les autres à accumuler une épargne de précaution (…). C'est pourquoi personne ne savait vraiment quand le taux d'épargne commencerait à diminuer et personne ne sait vraiment quand il cessera de diminuer.

Certaines personnes ont affirmé que nous devrions nous méfier de cette reprise parce qu’elle se traduit précisément par une baisse de l’épargne et un surcroît d’endettement de la part des ménages. Certaines inquiétudes sont justifiées. L’une des craintes est que le marché immobilier, stimulé par le programme Help to Buy, connaisse la formation d’une nouvelle bulle et que beaucoup de gens se retrouveront à nouveau sur le carreau. Une autre crainte est que certains ménages croient à tort que les taux d'intérêt resteront à jamais à de faibles niveaux et qu’ils ne soient alors pas en mesure de supporter leur hausse. Toutefois, (…), c’est précisément en incitant les gens à dépenser plus et à épargner moins que la politique monétaire parvient à stimuler l'économie. Donc, si nous voulons une reprise, dans un contexte où le gouvernement ne cherche pas à relancer l’économie et où l'Europe reste déprimée à cause des plans d’austérité, c’est précisément ainsi que nous pouvons l’obtenir. (En théorie, cela aurait pu se produire via une forte hausse de l'investissement. Cependant, comme le suggèrent les études empiriques et l'expérience même de la récession, l'investissement est fortement influencé par la croissance de la production. Cela explique pourquoi l'investissement n'a pas été stimulé par les faibles taux d'intérêt et pourquoi les entreprises disent que ce n’est pas le manque de financement qui les retient d’investir. Cela dit, j'aurais préféré que le gouvernement essaye des incitations fiscales pour stimuler l'investissement plutôt que de mettre en œuvre des mesures visant à augmenter les prix de l'immobilier.)

Cependant, l’un des problèmes qui se pose lorsque la reprise s’explique par une baisse du taux d'épargne, c’est que le taux d'épargne ne va pas diminuer indéfiniment. Dès l’instant où il cessera de baisser, la croissance de la consommation va correspondre à la seule croissance des revenus. Il faut espérer que le taux d’épargne baisse suffisamment longtemps pour inciter les entreprises à investir davantage et que la zone euro renoue avec la croissance pour que les exportations puissent augmenter. Mais la grande inconnue reste la productivité. Jusqu'à présent, la reprise de la croissance ne semble pas avoir été accompagnée d’une reprise de la productivité. À court terme, c’est une bonne chose, car la stagnation de la productivité réduit le chômage, mais si cette stagnation se poursuit, elle se traduira par une faible progression des salaires réels, ce qui conduira à un ralentissement de la croissance de la consommation.

Il y a un superbe ensemble de graphiques sur le blog Flip Chart Fairy Tales qui illustre l'ampleur du problème de la productivité. (…) Par exemple, l’Office for Budget Responsibility (OBR) s’attendait en novembre 2010 à ce que les salaires réels en 2015 soient supérieurs de 10 % au niveau qu’il anticipe désormais (…). Nous ne récupérerons pas le terrain perdu avec la récession tant que la croissance de la productivité ne dépassera pas sa moyenne d'avant-crise. Comme le suggère également Martin Wolf, le chancelier devrait se concentrer sur les raisons pour lesquelles la productivité ralentit au Royaume-Uni, plutôt que d’être obsédé par le déficit public. »

Simon Wren-Lewis, « Some notes on the UK recovery », in Mainly Macro (blog), 22 décembre 2013.

samedi 4 janvier 2014

Les différentes étapes de la reprise au Royaume-Uni

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« La récession au Royaume-Uni : non seulement elle a été provoquée par les banques, mais elle est peut-être aussi entretenue par ces dernières. Ce que je veux faire ici, c’est voir pour quelles raisons nous avons basculé en récession et ce qui s'est passé ces cinq dernières années pour déterminer si cela aura des implications sur le type de reprise que nous sommes susceptibles d’avoir.

(…) Il y a trois étapes dans une reprise après une récession. La première consiste à renouer de nouveau avec la croissance économique. La deuxième étape consiste à générer suffisamment de croissance économique pour commencer à récupérer le terrain perdu lors de la récession. Pour cela, la croissance annuelle doit dépasser 3 % et non pas se maintenir à 1 % ou 2 %. Nous ne sommes pas encore à la deuxième étape. La troisième étape consiste à maintenir cette forte croissance suffisamment longtemps pour récupérer l'essentiel du terrain que nous avons perdu dans la récession. Les récessions ne sont jamais une bonne chose, mais nous pouvons encore espérer qu’elles nous appauvrissent quelques années, peut-être une décennie, mais pas de façon permanente.

Par le passé, les récessions au Royaume-Uni (au début des années quatre-vingt et durant les années quatre-vingt-dix) ont été provoquées par des gouvernements qui cherchaient à réduire l'inflation. Ils ont relevé les taux d'intérêt, ce qui a fait très rapidement refluer l'inflation, si bien qu’ils ont pu rapidement inverser le processus. Nous avons eu des reprises assez rapides qui nous ont permis de récupérer une grande partie du terrain perdu pendant la récession. La dernière récession a été différente. Elle a été provoquée par les banques et non par les gouvernements. Les banques se sont hypertrophiées, si bien qu’elles se sont effondrées quand un montant relativement modeste des prêts a mal tourné. Oubliez toutes les choses que vous entendez suggérant que la récession a été provoquée par l’endettement irresponsable du gouvernement : ce n'est tout simplement pas vrai. (…) A moins que vous habitiez en Grèce, c'est un non-sens.

La récession a été provoquée par les banques, mais elle a été aggravée par l'austérité budgétaire. Au Royaume-Uni, l'économie avait atteint la première étape en 2010, mais ces progrès ont été balayés lorsque les gouvernements du Royaume-Uni et la zone euro ont commencé à augmenter les impôts et à réduire les dépenses publiques. L'Office for Budget Responsibility (OBR), l’institut indépendant mis en place par le gouvernement en place, estime que, depuis 2010, la production du Royaume-Uni a été chaque année inférieure de 1,5 % à ce qu’elle aurait été si le gouvernement britannique n’avait pas imposé l'austérité (…). La Commission européenne a calculé que le PIB de la zone euro en 2013 est inférieur de 4,5% à ce qu’il aurait été s’il n’y avait pas eu de mesures d’austérité depuis 2011. Et ces dernières ont eu également un grand impact sur le Royaume-Uni.

Ceci a plusieurs implications pour la reprise. Enfoncez l'économie avec l'austérité, nos modèles économiques standards vous diront que qu’elle rebondira après quelques années. Plus forte est l'austérité, plus fort sera le rebond. La raison en est que ces policiers ou fonctionnaires licenciés trouveront finalement un emploi ailleurs et commenceront à produire quelque chose d'autre. Donc, pour cette seule raison, une fois la reprise amorcée, elle pourrait être assez vigoureuse. Bien sûr, cela ne signifie pas que l'austérité était une bonne idée. Avec l’austérité, la première étape a été retardée de trois ans. Mais en termes de deuxième étape, cela pourrait signifier que la reprise sera plus forte une fois qu’elle sera là.

Mais la question vraiment importante est celle de la troisième phase, celle consistant à rattraper le terrain que nous avons perdu. Et ici, nous devons nous pencher sur une autre particularité de la récession au Royaume-Uni : l'emploi a beaucoup mieux résisté que la production. Maintenant, même si ça peut paraître une bonne chose (et ça l’est bel et bien à court terme), ce n’est pas sans importer quelques problèmes. La différence entre la production et l'emploi est la productivité du travail, ce qui signifie que la croissance de la productivité du travail s'est effondrée durant la récession. Or, les salaires réels ont tendance à évoluer avec la productivité du travail, ce qui explique en grande partie pourquoi le niveau de vie a tant décliné au Royaume-Uni.

Personne ne sait vraiment pourquoi la croissance de la productivité a ralenti. Or c’est une question importante, parce que si ce ralentissement de la croissance de la productivité est permanent, l'économie peut risque de ne pas rattraper une grande partie du terrain perdu lors la récession. Nous n’atteindrons pas la troisième étape et nous serons tous plus pauvres de façon permanente.

Par conséquent, répondre à l'énigme de la productivité est la clé pour déterminer quel type de reprise nous allons avoir. Mon soupçon, partagé par d'autres à la Banque d'Angleterre et ailleurs, c'est qu’une partie de la réponse réside là où la récession a commencé : avec les banques du Royaume-Uni. Les prêts bancaires aux entreprises sont importants pour augmenter la productivité, car ils permettent aux entreprises productives de s’étendre (sur le territoire domestique et à l'étranger) et aux nouvelles entreprises de remplacer les entreprises plus anciennes, qui sont moins efficaces. Ainsi, lorsque le crédit bancaire s'est effondré lors de la récession, la productivité s'est effondrée. Si les banques prêtaient à nouveau à ces entreprises plus productives (mais aussi plus risquées), nous pourrions être en mesure de rattraper une bonne partie du terrain perdu.

Alors, comment résoudre le problème bancaire ? Pour être honnête, je ne sais pas, mais je vais vous faire part d’une inquiétude. Les banquiers aiment prétendre qu'ils font tant d'argent car ils en font beaucoup pour l'économie. Il y a très peu de preuves empiriques pour soutenir cette idée. En revanche, les études empiriques suggèrent qu'ils font de l'argent pour deux raisons. La première est ce que les économistes appellent la recherche de rente (rent seeking), qui consiste essentiellement à faire de l'argent sur le dos des autres. Quand c’est illégal, nous en entendons parfois parler, mais je soupçonne que c’est endémique.

La deuxième façon par laquelle les banques font beaucoup d'argent, c’est en prenant des risques. Lorsque ces prises de risques deviennent excessives, les gouvernements interviennent pour renflouer les banques. Elles sont récompensées lorsque le risque paye, nous payons la note dans le cas contraire. En effet, le secteur public offre une énorme subvention au secteur bancaire, d’un montant égal aux bénéfices que ce dernier réalise, et une grande partie de ces bénéfices partent sous forme de bonus. Ce serait beaucoup mieux pour tout le monde si l'argent versé sous forme de primes était plutôt utilisé pour recapitaliser les banques, pour qu’elles puissent prêter à nouveau aux entreprises innovantes. Donc, ce devrait être une bonne nouvelle que l'UE ait l'intention de mettre un plafond, même très modeste, sur les bonus des banquiers. Que fait le gouvernement du Royaume-Uni ? Il attaque Bruxelles en justice pour tenter d’empêcher ce plafonnement.

Donc, c'est une récession provoquée par les banques et il existe un réel danger qu’en raison du pouvoir que les banques ont sur les gouvernements (et sur ce gouvernement en particulier), nous ne récupérerions jamais le terrain que nous avons perdu. »

Simon Wren-Lewis, « Stages of economic recovery in the UK », in Mainly Macro (blog), 22 novembre 2013. Traduit par M.A.


aller plus loin… lire « D’une décennie perdue à l’autre » et « Pourquoi le Japon a connu sa décennie perdue (et pourquoi l’Europe est susceptible d’en connaître une) »

jeudi 24 octobre 2013

Attendez un (deuxième) moment… Retour sur le lien entre incertitude et croissance en zone euro

« Marco Buti et Pier Carlo Padoan ont répondu à la critique que je leur avais adressée dans un précédent billet suite à la publication de leur article sur Vox où ils se demandaient comment stimuler la reprise économique en Europe. Je vois que leur argument est désormais plus équilibré puisqu’ils mentionnent désormais le resserrement de la politique budgétaire comme un possible facteur expliquant la faiblesse de la reprise. Nous sommes peut-être en désaccord sur l'importance de ce facteur (…) Sur la question des réformes, il est difficile d'être en désaccord avec eux sur la nécessité de poursuivre les réformes en Europe. En revanche, on peut s’interroger si ces réformes stimuleront rapidement l’activité et, si ce n’était pas le cas, quel pourrait être le rôle des politiques traditionnelles de gestion de la demande, en l’occurrence les politiques monétaire et budgétaire.

Mais il y a un autre point dans leur article sur lequel nous sommes en désaccord : le rôle de l'incertitude entourant la politique économique. (…) L'une de mes études les plus citées porte précisément sur le rôle que joue la volatilité de la politique budgétaire dans la réduction de la croissance économique (voici un exemple de mes travaux dans ce domaine), donc je suis très ouvert à l'idée que ma volatilité de la politique économique puisse être préjudiciable à la croissance. Mais j'ai toujours été surpris que l'incertitude et la volatilité soient parfois utilisées pour désigner les épisodes où la probabilité d'un mauvais scénario s’élève, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que l’accroissement de l'incertitude. Je m'explique.

Lorsque nous parlons de volatilité, nous nous référons à une augmentation de la variance (qui constitue un "moment de second ordre" en statistique, d’où le titre de mon billet), tandis que nous maintenons la moyenne constante (la moyenne est un "moment du premier ordre"). Donc, l'augmentation de l'incertitude et de volatilité ne s'applique qu'aux situations où, en moyenne, nous nous attendons à un résultat similaire, mais désormais avec une probabilité plus élevée qu’un meilleur ou un pire scénario se réalise. Ce que nous avons vu en Europe au cours de la crise est très différent. Buti et Padoan estiment que "l'augmentation sans précédent des risques extrêmes en 2011 et au premier semestre de 2012, lorsque la survie de la zone euro a été fortement remise en question, constitue un choc d'incertitude".

Ce n'est pas (seulement) un choc d'incertitude. La moyenne changeait également. Le scénario moyen en ce qui concernait l'avenir empirait puisque la zone euro était alors vraiment au bord de l’effondrement. Certes, il se pourrait que la variance ait également augmenté, mais le changement de la moyenne était probablement plus pertinent que le changement de la variance. Le fait que l'effondrement de la zone euro ait été désormais possible signifie que nous faisions face à un bien pire scénario futur pour les pays de l'euro (quel que le degré de certitude qui était associé à ce scénario). Et pourquoi la zone euro était-elle sur le point de s'effondrer ? Parce que nous étions au milieu d'une très mauvaise crise. Et qu’est-ce qui rendait cette crise si mauvaise ? Beaucoup de choses, mais l'une d'entre eux était la combinaison de politiques budgétaire et monétaire inappropriées. Donc, est-ce vraiment l'incertitude qui était à l’œuvre ? Non. (…) Il y a des méthodes statistiques pour essayer de séparer chacun de ces facteurs et ainsi mesurer l'incertitude et établir une véritable relation de causalité entre celle-ci et la croissance. Toutefois, lorsque je vois la littérature académique sur ce sujet, j’en conclus que ce n'est pas ce que nous sommes en train de faire et que nous considérons des corrélations et des covariations de variables sans comprendre clairement la variation vraiment exogène dans l'incertitude politique. En fait, cette littérature se contente tout simplement d’inclure les mauvaises nouvelles dans ce qu’elle appelle un "choc d'incertitude". »

Antonio Fatás, « Wait a (second) moment… », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 9 octobre 2013. Traduit par M.A.


aller plus loin... lire « Incertitude et activité économique » et « Le cycle des prix d’actifs permet-il de prédire les récessions ? »

dimanche 25 novembre 2012

Pourquoi la reprise américaine est-elle si lente ?

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« Quels sont les vents contraires qui ralentissent le retour de notre économie au plein emploi ? Certains proviennent du secteur du logement. Les reprises précédentes ont souvent été associées à un rebond vigoureux de l’activité immobilière, comme la progression des revenus, le retour de la confiance et, souvent, une baisse des taux d'intérêt hypothécaires ont puissamment stimulé la demande de logements. Mais la bulle immobilière et ses conséquences ont rendu l'épisode actuel tout à fait exceptionnel. Au cours de la première moitié des années deux mille, les prix immobiliers se sont envolés et la construction s'est trouvée dynamisée pour atteindre des niveaux qui se sont finalement révélés insoutenables, conduisant à un effondrement de l'activité immobilière : entre 2006 et début 2012, les prix de l’immobilier ont diminué de près d'un tiers, la construction de maisons individuelles a chuté de deux tiers et le nombre d'emplois dans la construction a diminué de près d'un tiers. Et, bien sûr, l’explosion des défauts de paiement sur les prêts hypothécaires a contribué à déclencher la crise financière globale.

Récemment, le marché immobilier a montré quelques signes d'amélioration, comme les ventes de maisons, les prix et la construction ont renoué avec une tendance haussière depuis le début de l’année. Ces développements sont encourageants et il semble probable que l'investissement résidentiel sera une source de croissance économique et de nouveaux emplois au cours des deux prochaines années. Cependant, bien que les taux d'intérêt hypothécaires soient historiquement bas et que la baisse des prix des logements rendent le logement très abordable, un certain nombre de facteurs empêche toujours le logement de connaître une reprise vigoureuse, comme il en avait habituellement connu par le passé. Les prêteurs ont notamment maintenu serrées les conditions de prêt hypothécaire (…). Les prêteurs citent un certain nombre de facteurs qui influent sur leurs décisions d'accorder des crédits, y compris les incertitudes entourant l’évolution future de l'économie, du marché immobilier et du cadre réglementaire. Malheureusement, même si un certain resserrement des conditions de crédit hypothécaire était certainement une réponse appropriée aux excès antérieurs, le pendule semble être allée trop loin, pesant sur le rythme de reprise dans le secteur immobilier.

(…) De nombreuses personnes ne peuvent toujours pas acheter de maisons, malgré les faibles taux hypothécaires ; par exemple, environ 20 % des emprunteurs hypothécaires doivent davantage sur leur prêt hypothécaire que ne vaut leur logement, ce qui rend plus difficile pour eux de se refinancer ou de vendre leurs maisons. En outre, un excès de logements vacants, destinés à la vente ou bien issus des saisies, pèse sur les prix immobiliers et rend moins nécessaire de lancer de nouvelles constructions. Bien que ces vents contraires sur l'offre et la demande de logements aient clairement commencé à s'atténuer, la reprise dans le secteur du logement devrait rester modérée par rapport aux normes historiques.

Une deuxième série de vents contraires découle des conditions financières auxquelles font face les emprunteurs potentiels sur les marchés du crédit et des capitaux. Après que le système financier se soit grippé fin 2008 et début 2009, l'activité économique mondiale s'est fortement contractée et les marchés des capitaux ont subi des dommages importants. Bien que les puissantes mesures prises par les gouvernements et les banques centrales du monde entier aient permis à ces marchés de se stabiliser et de connaître une reprise, le resserrement du crédit et le degré élevé d'aversion au risque ont freiné la croissance économique aux États-Unis, ainsi que dans d'autres pays. (…) Les pertes infligées par la crise financière n’ont pas encore été entièrement couvertes dans d’importants segments du secteur financier. (…) Les banques ont été prudentes dans l'octroi de prêts aux consommateurs et aux entreprises (…).

Un risque important à l'heure actuelle (et une importante source de turbulences financières au cours des deux dernières années) est la situation budgétaire et financière en Europe. (…) Le pessimisme en ce qui concerne l'Europe semble avoir pesé sur les cours boursiers américains et empêché les spreads de crédit des États-Unis de diminuer encore davantage. La détérioration des conditions économiques en Europe et d'autres parties du monde ont également pesé sur les exportations et les profits des entreprises américaines. Les dirigeants européens ont pris des mesures importantes récemment et, ce faisant, ils ont contribué à un assouplissement bienvenu des conditions financières. En particulier, le nouveau programme OMT de la Banque Centrale Européenne, via lequel elle pourrait acheter de la dette souveraine des pays vulnérables de la zone euro (…) a contribué à apaiser les craintes du marché à propos de ces derniers. Les gouvernements européens ont pris des mesures pour renforcer leurs pare-feux financiers et progresser vers l’union budgétaire et bancaire. L'amélioration des conditions financières au niveau mondial dépendra de la capacité des responsables européens à mener à bien ces mesures.

Un troisième vent contraire à la reprise (et qui peut s’intensifier dans les trimestres à venir) est la politique budgétaire américaine. Bien que la politique budgétaire au niveau fédéral ait été très expansionniste durant la récession et au début de la reprise (…), le soutien qu’elle apporte à l'économie a de plus en plus été compensé par les répercussions négatives de la consolidation budgétaire des Etats et des administrations locales. En réponse à une baisse importante et durable de leurs recettes fiscales, les Etats et administrations locales ont supprimé environ 600.000 emplois nets depuis le troisième trimestre de 2008 et réduit de 20 % les dépenses pour les projets d'infrastructure. Plus récemment, la situation s'est quelque peu inversée : la politique budgétaire des Etats et des administrations locales a cessé de peser sur la croissance économique comme les recettes fiscales se sont améliorées (…). En revanche, le retrait progressif des programmes de relance antérieurs et les mesures politiques visant à réduire le déficit fédéral ont amené la politique budgétaire fédérale à peu à peu freiner la croissance du PIB. (…) »

Ben S. Bernanke, « Economic recovery and economic policy », discours prononcé à New York, 20 novembre 2012.

mardi 6 novembre 2012

Les reprises sans emplois aux Etats-Unis

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« Le fait que l'emploi se redresse plus lentement que le PIB est un phénomène relativement nouveau. Les reprises sans emplois ne sont vraiment survenues que suite aux récessions de 1991 et de 2001. Ces trois dernières reprises constituent une rupture nette par rapport aux précédents épisodes de récession observés après la Seconde Guerre mondiale, épisodes au cours desquels le PIB et l'emploi rebondissaient vigoureusement suite aux récessions. (…)

Une reprise sans emplois n'est pas simplement un retard des entreprises dans leurs embauches. (…) Elle peut être attribuée à un manque de reprise dans tout un sous-ensemble des emplois, en l’occurrence les emplois focalisés sur la routine ou les tâches répétitives, ces dernières étant de plus en plus effectuées par des machines. (…) Les professions concentrées sur les tâches de routine ont tendance à être des emplois moyennement rémunérés. Ainsi, la disparition des emplois de routine au cours des trente dernières années représente une "polarisation" de l’emploi parce que le milieu de la distribution des salaires se creuse. (…)

Le changement structurel sur le marché du travail est clairement manifeste dans le cycle d’affaires. Le déclin à long terme des emplois de routine se produit par à-coups, puisque ce type d’emplois disparaît essentiellement au cours des récessions. La portée de la polarisation des emplois est large. L’automatisation et l’adoption de technologie informatique mène au déclin des emplois de salaires intermédiaires (…), d’une part les emplois à col bleu dans la production et la maintenance et, d’autre part, les emplois de col blanc dans les bureaux et administrations. Cela affecte à la fois les professions dominées par les hommes et celles dominées par les femmes et cela touche de nombreux secteurs (industrie manufacturière, commerces de gros et de détail, services financiers et même l’administration publique). (…)

La croissance de l'emploi à la suite des dernières récessions a donc été inégalement répartie, concentrée dans les emplois à hauts et bas salaires. (…) La reprise de l’activité suite à la Grande Récession a été particulièrement déséquilibrée, puisque la majorité des emplois qui ont été créés sont peu rémunérés. Le rythme de la polarisation de l’emploi s'est particulièrement accéléré dans la dernière récession. L’ampleur de l’automation et du progrès en robotique et technologie informatique n’a pas ralenti. (…) Nous devons nous attendre à ce que les prochaines récessions stimulent la polarisation de l’emploi. Les reprises sans emplois sont peut-être la nouvelle norme. »

Henry Siu et Nir Jaimovich, « Jobless recoveries and the disappearance of routine occupations », in VoxEU.org, 6 novembre 2012