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« Penchons-nous à nouveau sur les liens entre ressources naturelles et institutions. Dans un précédent billet, nous avons vu qu’il y avait débat quant à savoir si l’abondance des ressources naturelles sapait ou non la démocratie. L'autre débat qui a relié la question de l’abondance en ressources naturelles, en particulier le pétrole, à celle des institutions politiques, porte autour de la notion d’"État rentier" (rentier state).

Emis la première fois par l'économiste iranien Hossein Mahdavy en 1970 dans son article “The Pattern and Problems of Economic Development in Rentier States: The Case of Iran”, cette notion suggère que si un pays est fortement dépendant des ressources naturelles, en particulier pour le financement du gouvernement, alors cette dépendance conduit à un affaiblissement de l’Etat.

En d'autres termes, État rentier = Etat faible.

Cela tend aussi à nourrir l’irresponsabilité (unaccountability), car si un Etat peut se financer via les rentes tirées des ressources naturelles, alors il n'a pas besoin de développer un système budgétaire pour taxer la population. Quand les gens ne sont pas imposés par le gouvernement, selon cet argument, ils sont moins enclins à rendre le gouvernement responsable (accountable).

Ces idées ont suscité une abondante littérature en sciences sociales. Elles trouvent également de nombreuses résonances dans l'histoire économique. Dans notre livre Why Nations Fail, par exemple, nous avons vu comment l'afflux des richesses minérales en provenance des colonies américaines au seizième siècle a contribué à réduire les freins et contrepoids sur l’Etat espagnol, mais aussi à le rendre moins efficace. En effet, l'Espagne est passée du statut de potentielle puissance dominante en Europe à celui de perdant dans la compétition géopolitique européenne. À notre connaissance, il n'existe pas encore de test empirique convaincant de la thèse de l'État rentier, peut-être parce qu'il est très difficile de mesurer la "capacité" ou la "force" de l'Etat.

Il semble probable que bon nombre des enjeux qui ont surgi dans la littérature empirique sur les liens entre, d’une côté, les ressources naturelles et, de l’autre, la croissance économique et la démocratie soient pertinents. Peut-être que l’abondance des ressources naturelles peut affaiblir la capacité de l'Etat en certaines circonstances, mais dans d'autres cas, il semble tout à fait probable qu’elle puisse la renforcer. Par exemple, les monarchies du golfe persique n'avaient presque aucune infrastructure étatique ou bureaucratique moderne quand ils ont découvert le pétrole et qu’ils ont commencé à l’exploiter. Aujourd'hui, ces Etats sont beaucoup plus larges et capables, même s’ils sont complètement financés par le pétrole. »

Daron Acemoglu et James Robinson, « Natural resources and political institutions: The rentier state » in Why Nations Fail (blog), 25 juillet 2013.Traduit par M.A.