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Tag - saving glut

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vendredi 4 novembre 2016

L’Asie génère toujours un excès d’épargne

« En 2005, lorsque Ben Bernanke mit en garde pour la première fois contre le risque d’un excès mondial d’épargne (global savings glut), le taux d’épargne combiné des principales économies en excédent d’Asie (en l’occurrence, de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud, de Taïwan, de Hong Kong et de Singapour) était égal à environ 35 % de leur PIB collectif. A combien s’élève ce chiffre désormais ? Environ 40 %.

GRAPHIQUE Taux d’épargne des trois régions majeures du monde (en % du PIB régional)

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Cela fait évidemment beaucoup d’épargne, de l’épargne qui doit soit financer un niveau très élevé d’investissement dans l’économie domestique, soit être exporté au reste du monde. Et avec les faibles taux d’intérêt que l’on observe autour du monde, l’économie mondiale n’a pas vraiment besoin d’importer de l’épargne d’Asie en ce moment.

Le niveau élevé d’épargne de l’Asie de l’Est est précisément l’objet de mon nouveau document de travail.

On parle beaucoup de la récente baisse du taux d’épargne national de la Chine. Ce dernier avait atteint un pic à environ 50 % du PIB ; en 2015, il a chuté à 48 %. Une chute, certes, mais relativement modeste. N’oubliez pas qu’une forte épargne a pour revers un faible niveau de consommation ; sans niveaux élevés d’investissement, la croissance de la demande domestique peut facilement s’essouffler. Dans les données agrégées des pays asiatiques en excédent, l’accroissement de la part de la Chine dans la production régionale fait plus que compenser la chute (modeste) du taux d’épargne chinois. Le taux d’épargne national en Corée du Sud et à Taïwan se sont aussi accrus au cours des cinq dernières années. Nous avons donc un niveau record d’épargne au niveau régional. En dollars, l’accroissement de l’épargne est encore plus spectaculaire. Les économies excédentaires d’Asie ont épargné environ 2.800 milliards de dollars en 2005. Ils épargnent à présent environ 7.000 milliards de dollars. L’épargne chinoise est passée de 1.000 milliards de dollars à 5.000 milliards de dollars.

GRAPHIQUE Epargne des économies est-asiatiques en excédent (en milliards de dollars)

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Les chiffres en dollars importent tout particulièrement. Ils montrent l’ampleur de l’offre de matières premières pour les larges excédents (700 milliards en 2015) de l’Asie de l’Est. Et, avec l’excédent européen, cela contribue à générer un excès mondial d’épargne qui déprime les taux d’intérêt réels tout autour du monde. Trop d’épargne, pour trop peu de bons investissements.

GRAPHIQUE Solde du compte courant agrégé des économies est-asiatiques et européennes en excédent

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Il est vrai qu’en pourcentage du PIB des économies excédentaires d’Asie, l’excédent externe de l’Asie est plus faible qu’il ne l’était à la veille de la crise mondiale. 4 % du PIB régional aujourd’hui, contre 7 % lors du pic. Après la crise, la Chine a adopté un ensemble de politiques qui contraignit une plus grande part de son épargne à être utilisée au sein de son économie, ce qui compensa en partie les excédents qui se sont accrus en Corée du Sud et à Taïwan.

GRAPHIQUE Epargne, investissement et excédent courant des économies en excédent de l’Asie de l’Est (en % du PIB régional)

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Il est aussi vrai que l’économie mondiale n’a pas connu une aussi forte croissance que les économies asiatiques en excédent (la croissance rapide de la Chine après la crise a plus que compensé la faible croissance du Japon). Par conséquent, l’excédent externe agrégé de l’Asie de l’Est n’était seulement qu’un peu plus faible en 2015, relativement au PIB de ses partenaires à l’échange, qu’il ne l’était avant la crise mondiale. Je suis convaincu que c’est un chiffre important pour l’économie mondiale. Le reste du monde a du mal à générer une forte croissance de sa demande aujourd’hui ; avoir à la partager avec l’Asie de l’Est n’aide pas vraiment.

GRAPHIQUE Solde du compte courant des économies est-asiatiques et européennes en excédent (en % du PIB agrégé de leurs partenaires à l’échange)

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L’excédent des principales économies asiatiques en excédent devrait un peu baisser en 2016. L’excédent du compte courant de la Chine devrait baisser un peu. Il y a une part de vérité dans cela (la demande d’importations a augmenté, grâce à la dernière relance basée sur le crédit de la Chine). Et une part qui se révélera inexacte. Je doute que toute la hausse des importations de tourisme soit réelle (si les importations de tourisme dissimule des sorties de capitaux, l’excédent sous-jacent de la Chine doit être révisé à la hausse. L’excédent commercial de la Chine est resté autour de 600 milliards de dollars.

Sans l’adoption de certaines mesures de politique économique, il y a aussi un risque que les exportations d’épargne de l’Asie (par exemple son excédent de compte courant) puissent augmenter davantage au cours du temps. Pourquoi ? Le niveau élevé d’épargne et le fait que l’ajustement que l’on a pu voir après la crise soit passé par une hausse de l’investissement et non par une chute du niveau d’épargne sous-jacent.

Le compte courant de l’Asie est resté en excédent même avec les larges déficits budgétaires qui ont réduit l’épargne nationale du Japon et avec des niveaux exceptionnellement élevés d’investissement en Chine. Les déficits budgétaires se traduisent généralement par une désépargne du gouvernement dans un cadre de comptabilité nationale ; de hauts niveaux d’investissement domestique poussent l’épargne domestique à être utilisée dans l’économie domestique et donc réduisent les excédents externes. Sans une réduction du niveau d’épargne nationale sous-jacent, une baisse de l’investissement en Chine et une baisse des déficits budgétaires au Japon peuvent se traduire par un plus ample excédent du compte courant asiatique et par de nouveaux risques mondiaux. La constellation de risques ne sera pas la même que celle d’avant-crise, mais de larges excédents externes peuvent exporter la stagnation séculaire d’un pays à l’autre et accroître le risque de trappes à liquidité contagieuses.

La solution ? On ne peut plus continuer à s’appuyer sur le crédit pour soutenir de hauts niveaux d’investissement en Chine. Il existe un ensemble de politiques susceptibles de ramener le niveau d’épargne nationale dans plusieurs économies est-asiatiques à des niveaux plus adéquats avec un niveau d’investissement soutenable. En l’occurrence, une plus grande prise en charge par l’Etat des dépenses de santé et des retraites en Chine, en Corée du Sud et à Taïwan, financé via des impôts sur le revenu progressifs plutôt que par de plus fortes contributions sociales. Et des politiques budgétaires raisonnables (c’est-à-dire prudemment expansionnistes) dans plusieurs pays excédentaires d’Asie. »

Brad Setser, « Asia’s persistent savings glut », in Follow The Money (blog), 25 octobre 2016. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« La fin des déséquilibres globaux ? »

« Pourquoi les déséquilibres globaux se sont-ils résorbés ? »

« L'ajustement des déséquilibres globaux depuis la crise mondiale »

« Les déséquilibres globaux sont-ils à un tournant ? »

vendredi 9 octobre 2015

La surabondance d’épargne et les déséquilibres financiers

« Martin Wolf, dans un article publié dans le Financial Times du 9 octobre, s’est penché sur les raisons expliquant pourquoi les taux d’intérêt sont faibles. Il dresse quelques scénarii intéressants pour les prochaines années. Je suis d’accord avec la majorité de ses propos, mais j’ai quelques doutes à propos du rôle qu’il assigne aux banques centrales.

Commençons avec les arguments que j’accepte à 100 %. L’idée développée par la Banque des règlements internationaux selon laquelle la faiblesse des taux d’intérêt s’explique par la volonté des banques centrales à maintenir des taux d’intérêt artificiellement faibles pendant plusieurs décennies est peu tenable. Et les principales raisons sont que nous n’avons pas de modèle économique (ou de preuves empiriques) qui suggèrent que les banques centrales sont capables de manipuler les taux d’intérêt pendant plusieurs décennies et nous n’avons pas non plus de modèle (ou de preuves empiriques) soutenant l’idée qu’une politique monétaire de faibles taux d’intérêt ne va pas générer une inflation substantielle.

Comme Martin Wolf l’affirme, toute explication de la faiblesse des taux d’intérêt doit commencer en développant une certaine version de l’hypothèse d’abondance d’épargne (savings glut). Les changements économiques, démographiques et sociaux ont accru le désir d’épargner dans une part significative de l’économie mondiale et cela a contribué à affaiblir les taux d’intérêt. C’est une explication cohérente avec tout modèle économique qui possède une dimension intertemporelle et il y a plein de preuves empiriques qui sont cohérentes avec cette idée.

Quel est le rôle de la politique monétaire dans cette histoire ? Martin Wolf croit qu’à cause de la hausse du désir d’épargner dans le monde, les banques centrales doivent "faire émerger les conditions monétaires nécessaires pour que s’équilibrent l’épargne et l’investissement à des niveaux élevés d’activité en encourageant la croissance du crédit".

C’est ici où je ne suis pas sûr de suivre le raisonnement de Martin. Pourquoi les banques centrales devraient-elles encourager la croissance du crédit ? Le fait qu’il y ait une surabondance d’épargne qui exerce des pressions à la baisse sur les taux d’intérêt signifie déjà que, quelque part dans le monde, il va y avoir une hausse de l’emprunt. Il n’y a pas nécessité pour les banques centrales d’encourager le crédit. Nous pouvons nous demander si les banques centrales peuvent avoir découragé le crédit, si elles avaient les outils pour cela et si c’était dans leur mandat, mais il n’y a pas nécessité que les banques centrales alimentent le processus de croissance du crédit pour rendre l’histoire cohérente avec ce que nous avons observé.

Ce qui complique la description des dynamiques de taux d’intérêt et de flux financiers qui résultent d’une surabondance d’épargne est le fait que nous devons comprendre l’hétérogénéité parmi les agents économiques (les individus, les sociétés, les gouvernements). Et cette hétérogénéité, combinée avec un cadre régulateur qui est limité, peut générer des dynamiques qui sont malsaines et excessives, susceptibles d’entraîner des bulles et des crises financières.

S’il y a une épargne surabondante et des taux d’intérêt poussés à la baisse, c’est un signal indiquant à quelqu’un d’emprunter plus. Une partie de cet emprunt va se refléter en partie par la hausse du levier d’endettement parce qu’il va prendre la forme d’achats immobiliers et d'une création de prêts hypothécaires. Certains pays (par exemple la Chine) épargnent au niveau agrégé, mais en leur sein, le secteur privé accroît son exposition à la dette interne et son levier d’endettement en raison des politiques de taux de change, de la demande publique d’actifs étrangers sûrs et des contrôles de capitaux qui font partie de leur environnement financier. Il y a plein d’histoires comme celles-ci qui débutent par un changement significatif dans le scénario économique (en l’occurrence, de plus faibles taux d’intérêt) et qui peuvent alors se traduire par des déséquilibres financiers menant au final à une crise. De la même manière que les nouvelles technologies peuvent générer des bulles et de l’instabilité financière (comme dans les années quatre-vingt-dix), la surabondance d’épargne a généré un comportement nouveau et potentiellement excessif dans la mesure où les agents économiques s’adaptèrent (pas toujours bien) au nouvel équilibre.

Martin Wolf clôt son article en cherchant à anticiper ce qui pourrait survenir après. C’est un exercice difficile, puisqu’il requiert une bonne compréhension des tendances économiques à l’œuvre dans toutes les régions à travers le monde. Il y a certaines forces de court terme qui jouent contre l’hypothèse d’épargne surabondante : les pays producteurs de pétrole réduisent rapidement leur épargne et certains d’entre eux deviennent même des emprunteurs. Mais ce mouvement est plus que compensé par la zone euro, puisque celle-ci est devenue un grand épargnant lorsque les pays qui étaient autrefois des emprunteurs (notamment la Grèce et l’Espagne) ont ramené leurs déficits de compte courants à zéro, alors que les épargnants (notamment l’Allemagne et les Pays-Bas) n’ont pas changé de comportement. Donc les taux d’intérêt sont susceptibles de rester faibles et la surabondance d’épargne de certains pays va devoir être absorbée quelque part ailleurs (bien qu’il ne soit pas clair si les excédents seront plus larges ou non que par le passé). Oui, cela signifie un "boom du crédit" quelque part d’autre, mais cela ne doit pas forcément amener aux déséquilibres.

Ce dont manque le monde, c’est une demande d’investissement qui soit robuste. La réelle tragédie est que l’investissement en capital physique a été faible alors même que les conditions financières étaient très favorables. Pourquoi ? Jason Furman (et, avant lui, le FMI) affirme que la meilleure explication est que l’apparition d’un environnement de faible croissance ne crée pas la demande nécessaire pour stimuler l’investissement. Et cela commence à ressembler à une histoire de confiance, de crises potentiellement autoréalisatrices et d’équilibres multiples. Mais cela est un autre sujet difficile en économie, que nous allons devoir laisser pour un prochain billet. »

Antonio Fatás, « Savings glut and financial imbalances », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 8 octobre 2015. Traduit par Martin Anota

samedi 13 juin 2015

Les taux d’intérêt sont-il artificiellement bas ?

« Au cours des dernières années, il y a eu tout un débat autour de la faiblesse des taux d’intérêt observée dans la plupart des économies au cours des dernières années pour en déterminer les responsables. Ce débat a été ravivé par la série de billets de blog que Ben Bernanke a récemment publiée à propos des déterminants des taux d’intérêt. Il a de nouveau affirmé que ce sont les dynamiques mondiales de l’épargne et de l’investissement qui ont poussé à la baisse les taux d’intérêt à partir du milieu des années quatre-vingt-dix et de façon plus marquée suite à la crise. Dans son récit, les banques centrales se content simplement de réagir aux conditions économiques plutôt que de contrôler les taux d’intérêt (il est toujours rafraîchissant de voir un ancien banquier central expliquer à quel point les banques centrales sont impuissantes). Ce que Bernanke décrit peut être interprété comme une baisse de ce que les économistes appellent le taux d’intérêt naturel.

Il y a cependant ceux qui ont une interprétation très différente de la faiblesse persistante des taux d’intérêts. Ils considèrent les banques centrales comme les principales responsables de cette tendance et ils considèrent que la faiblesse actuelle des taux d’intérêt est artificielle et que ce sont en l'occurrence les banques centrales qui les poussent à la baisse. Il y a plein de références dans la presse populaire à propos d’une faiblesse artificielle des taux d’intérêt qui provoquerait des bulles, des déséquilibres, qui nuirait aux épargnants et qui sèmerait les graines de la prochaine crise (vous trouvez environ 1 million de résultats si vous faites une simple recherche sur Google).

Dans le monde universitaire, John Taylor a beaucoup parlé des répercussions négatives de la faiblesse artificielle des taux d’intérêt. Il souligne le fait que les taux d’intérêt ont été à un niveau inférieur à celui qu’aurait impliqué une règle de Taylor, ce qui signalerait une politique monétaire excessivement accommodante. Dans un récent billet de blog, il fait référence aux résultats d’une étude réalisée par Fitwi, Hein et Mercer qui cherchent à déterminer qui de Bernanke ou Taylor a raison lorsqu’il s’agit d’expliquer les taux d’intérêt. L’article montre que les deux théories peuvent être justes. Ces faibles taux d’intérêt sont le résultat d’une surabandance d’épargne (saving glut), comme l’estime Bernanke, et que les banques centrales poussent les taux sous le niveau impliqué par une règle de Taylor. Je trouve que les résultats de cette étude sont peu robustes, mais c’est surtout sur l’interprétation de l’hypothèse de taux d’intérêt artificiellement faibles que je m’interroge.

On peut tout d’abord se demander comment se fait-il que certains considèrent que les banques centrales sont tellement puissantes qu’elles contrôleraient et perturberaient un prix de marché pendant une si longue période de temps. Typiquement, les modèles où les banques centrales sont suffisamment puissantes pour faire cela sont les modèles comportant des rigidités nominales dans les prix et les salaires. Mais ces rigidités sont supposées être temporaires, puisque les prix et les contrats sont régulièrement révisés. Comment est-il possible que la banque centrale ait réussi à affecter le prix réel (le taux d’intérêt réel) pendant plus d’une décennie ? Je n’ai pas en tête un quelconque modèle qui soutiendrait cette idée. Ce qui est plus étonnant est que ceux qui tendent à soutenir cette idée sont très souvent critiques vis-à-vis des modèles comportant une rigidité des prix. Donc, d’un côté, ils n’aiment pas les modèles où les banques sont puissantes et, d’un autre côté, ils affirment que les banques centrales ont été surpuissantes au cours des 10 ou 15 dernières années. C’est très incohérent.

On peut également se demander comment il pourrait être possible que le taux d’intérêt soit artificiellement bas et qu’il n’ait pourtant aucun effet sur l’inflation. L’interprétation originelle de la règle de Taylor est qu’elle détermine le niveau de taux d’intérêt qui est cohérent avec un taux d’inflation stable. Comment pouvons-nous expliquer le fait que le taux d’intérêt ait été inférieur au niveau impliqué par une règle de Taylor pendant plusieurs années et que et qu’il n’y ait pas eu d’accélération de l’inflation, mais de faibles taux d’inflation partout où les taux d’intérêt sont faibles ? Une fois encore, je ne vois pas quel modèle pourrait expliquer cela.

Enfin, ceux qui parlent de taux d’intérêt artificiellement faibles ont tendance à s’appuyer sur une analyse de l’économie américaine où celle-ci est isolée du reste du monde. Les taux d’intérêt sont faibles à un niveau mondial, ils demeurent à des niveaux historiquement faibles partout dans le monde. Quel type de coordination pourrait-il y avoir entre toutes les banques centrales dans le monde pour maintenir des taux d’intérêt artificiellement faibles partout sans générer de l’inflation nulle part ? L’étude réalisée par Fitwi, Hein et Mercer essaye de répondre à cette question en analysant les entrées de capitaux aux Etats-Unis et leurs possibles répercussions sur les taux d’intérêt (ce qui constitue finalement un test de l’hypothèse de Bernanke), mais ce n’est pas un bon test. Si vous prenez le monde, il n’y a pas d’afflux de capitaux provenant de d’autres planètes, mais un surcroît d’épargne va toujours provoquer de faibles taux d’intérêt.

En résumé, il y a deux faits très simples qui tendent à soutenir l’hypothèse avancée par Bernanke pour expliquer pourquoi les taux d’intérêt sont (naturellement) faibles :

1. Les taux d’intérêt sont faibles presque partout dans le monde.

2. L’inflation est faible partout dans le monde.

Ces deux faits sont très difficiles à concilier avec l’idée que la Réserve fédérale des Etats-Unis maintient les taux d’intérêt à un niveau artificiellement faible pendant plusieurs années. »

Antonio Fatás, « Interest rates: natural or artificial? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 8 juin 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « La règle de Taylor doit-elle être une référence pour la politique monétaire ? »

mercredi 5 mars 2014

La relation entre taux d’intérêt et taux de croissance mondiaux

« La différence entre le taux d'intérêt et les taux de croissance apparaît comme l’un des paramètres importants dans de nombreux modèles macroéconomiques. Elle est aussi une variable clé pour juger de la soutenabilité des finances publiques : des taux d'intérêt plus élevés accroissent la charge de la dette, tandis que des taux de croissance élevés aident à garder le ratio dette publique sur PIB sous contrôle.

Dans un billet récent, Floyd Norris critique le Congressional Budget Office (CBO) des États-Unis pour ses projections budgétaires au motif que l’institut suppose des taux de croissance inférieurs dans le futur, mais aussi un retour à des taux d'intérêt "normaux". Norris avance que (…) les taux d'intérêt et les taux de croissance sont corrélées, si bien que si la croissance va être beaucoup plus faible à l'avenir nous devons aussi prévoir des taux d'intérêt plus faibles (et cela nous amène à être plus optimistes quant aux perspectives budgétaires).

Paul Krugman soutient tout d’abord les arguments de Floyd Norris, mais ensuite, après avoir vérifié les données, Krugman réalise que les taux de croissance et d’intérêt ne sont pas corrélés. Voici un graphique de Krugman représentant la différence entre les taux d’intérêt et les taux de croissance pour les Etats-Unis.

Fatas__world_interest_and_growth_rates__1.png

La relation entre les taux d'intérêt et les taux de croissance ne présente pas de tendance claire dans le graphique. Durant les années soixante, les taux d'intérêt étaient plus bas que les taux de croissance (lorsque la croissance était élevée). Nous voyons une tendance similaire au cours des dernières années, mais la croissance était alors faible. Les années quatre-vingt se distinguent par une période de taux d'intérêt élevés par rapport à la croissance (et la croissance fut autour de sa moyenne de long terme).

Mais il y a autre chose à prendre en compte lorsque l’on analyse la différence entre taux d’intérêt et croissance : Norris et Krugman observent des taux d'intérêt et de croissance dans le cadre d'une économie (en l’occurrence les États-Unis). Mais étant donné la nature mondiale des marchés de capitaux, la relation entre les taux d'intérêt et de croissance (si elle existe) doit être présente au niveau mondial. Qu’est-ce qui se passe si l'on regarde l'écart entre les taux d'intérêt et les taux de croissance pour le monde ? Voici une estimation rapide de cette différence :

GRAPHIQUE Taux d'intérêt moins taux de croissance (r - g, en %)

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Pour mieux comprendre le schéma ci-dessus se rattache à celui de la croissance du PIB, voici la croissance mondiale au cours de chacune de ces décennies (mesuré à la fois en termes réels, c’est-à-dire en dollars américains constants, et en termes nominaux, c’est-à-dire en dollars américains courants) .

GRAPHIQUE Croissance mondiale (en %)

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Quel est le comportement des taux de croissance et d'intérêt mondiaux ? Comme dans les données américaines, la relation entre les taux d'intérêt et les taux de croissance a changé au cours des dernières décennies. La croissance réelle est stable au cours de chaque décennie, bien qu’en hausse après 2000 (en raison des pays émergents).

Les années quatre-vingt se distinguent comme une décennie avec des taux d'intérêt très élevés par rapport à la croissance. Les années deux mille et la période 2010-2013 se caractérisent par des taux très bas par rapport à la croissance (alors que la croissance mondiale reste forte). Qu’est-ce qui détermine alors les taux d'intérêt ? L’idée habituellement avancée pour expliquer leur comportement après 2000 est celui d’un excès d’épargne (saving glut) qui apparaitrait à la fin des années quatre-vingt-dix avec la hausse des taux d’épargne dans des régions comme l’Asie (en partie en réponse à la crise asiatique). En théorie, un tel un changement dans l'épargne mondiale devrait conduire à des taux d'intérêt plus faibles et à des taux de croissance plus élevés dans le monde.

En résumé, étant donné que les taux d’intérêt sont déterminés par les conditions mondiales, tout peut arriver lorsqu’on les compare avec les taux de croissance pour un pays donné (bien sûr, si le pays est assez grand pour influencer les variables mondiales, alors les conditions domestiques et mondiales sont corrélées). La bonne façon d’observer ces deux variables est de la faire au niveau mondial. Mais les données empiriques confirment que, même si l'on regarde au niveau mondial, on ne peut pas exclure qu’à l’avenir les taux d'intérêt et des taux de croissance divergent (une telle divergence doit encore être justifiée par les dynamiques de l'investissement et de l'épargne au niveau mondial, mais elle est tout à fait possibles). »

Antonio Fatás, « Global interest rates and growth (r-g) », in Antonio Fatas on the Global Economy (blog), 5 mars 2014. Traduit par Martin Anota

samedi 7 décembre 2013

Où l’excès mondial d’épargne est-il allé ?

« J’ai précédemment parlé de la pénurie d’investissement (investment dearth) qui est survenu dans les économies avancées à l’instant même où elles subissaient un excès mondial d’épargne (global saving glut), comme l’illustre le graphique ci-dessous. En particulier, l’expansion observée entre 2002 et 2007 a été caractérisée par des taux d’investissement plus faibles qu’au cours des deux précédentes expansions.

GRAPHIQUE 1 Investissement des pays avancés (en % du PIB)

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Si l’on réfléchit à cela (…) en utilisant les courbes d’épargne (offre) et d’investissement (demande), cela signifie que la courbe d’investissement pour ces pays s’est déplacée vers la gauche à l’instant même où les taux d’intérêt mondiaux baissaient. Mais qu’en est-il des pays émergents ? L’investissement des pays émergents n’a pas chuté au cours des 10 dernières années. Au contraire, il s’est accéléré très rapidement après 2000.

GRAPHIQUE 2 Investissement des pays émergents (en % du PIB)

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C’est plus que l’on ne pourrait s’y attendre en réaction à l’excès mondial d’épargne. L’épargne additionnelle doit aller quelque part (l’épargne doit être égale à l’investissement au niveau mondial). Comme les taux d’intérêt diminuent, les pays émergents entreprennent davantage d’investissements (on ne peut toutefois déterminer à partir d’une analyse aussi simple s’il s’agit simplement un déplacement le long de la courbe d’investissement ou d’un déplacement des opportunités d’investissement pour tout niveau donné des taux d’intérêt).

Nous pouvons aussi regarder en prenant le monde dans son ensemble.

GRAPHIQUE 3 Investissement mondial (en % du PIB)

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A partir de l’année 2000, nous pouvons voir une tendance vers un plus haut investissement tiré par les pays émergents. A l’équilibre, l’épargne et l’investissement se sont tous deux déplacés d’un même montant (au niveau mondial), donc comment pouvons-nous savoir s’il s’agit d’un excès d’épargne et non d’un accroissement des opportunités d’investissement ? Le fait que les taux d’intérêt déclinent au cours de ces années signifie que ces changements furent dominés par un déplacement de la courbe d’épargne vers la gauche (si cela avait été un déplacement de la courbe d’investissement, nous aurions vu les taux d’intérêt s’accroître). Les taux d’intérêt plus faibles qui en résultent menèrent à un investissement plus élevé dans les pays émergents, comme attendu, mais ils n’ont pas alimenté un quelconque investissement additionnel dans les pays avancés, ce qui signale un déclin des opportunités d’investissement dans ces pays. Que cela soit le signe d’une faiblesse structurelle qui empêche les pays avancés à continuer d’innover au même taux ou la conséquence de d’autres facteurs, notamment conjoncturels, reste une question ouverte. »

Antonio Fatás, « Where did the saving glut go? », 2 décembre 2013.


aller plus loin... lire « Larry Summers et la stagnation séculaire »

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