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Tag - union monétaire

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vendredi 8 février 2013

La question de l’intégration européenne : seulement économique ou également politique ?

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« Avec les nations européennes qui se débattent actuellement avec la crise de la dette souveraine (...), un intense débat s’est développé sur les avancées, l'opportunité et l'avenir de l'intégration tant économique que politique du marché unique. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1951 avait été perçue par Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères, comme constituant "un premier pas vers une fédération européenne". Depuis le Traité de Rome, l'Acte unique européen et le traité de Maastricht ont contribué à la poursuite de l'intégration économique et politique entre les nations de l'Europe. Toutefois, les importants problèmes économiques auxquels font face aujourd'hui plusieurs pays de la zone euro ne peuvent être résolus que par une action collective et une poursuite de l’intégration économique. Cela conduit à nous demander s'il est possible de le faire sans approfondir également l'intégration politique au sein de l'Europe.

L'intégration économique se définit comme "la suppression des frontières économiques entre deux ou plusieurs économies", étant considérée comme frontière toute "différenciation qui réduit les mouvements effectifs et potentiels des biens, services et facteurs de production". En outre, ce type d'intégration désigne à la fois l'intégration des marchés et celle des politiques économiques, la première restant toutefois l’essence même de l'intégration économique. (...) L'intégration économique conduit, en théorie, à une multiplication des échanges totaux, à l'intensification de la concurrence réelle ou potentielle et au relèvement des taux de croissance dans la zone intégrée. De plus, les consommateurs de la région devraient profiter d’une baisse des prix, avoir accès à des produits de plus grande qualité et à une plus grande diversité de choix, dans la mesure où l'intégration accroît l'efficacité de l'allocation des ressources.

L'intégration politique se définit comme "le processus par lequel les nations renoncent à la volonté et à la capacité de mener des politiques étrangères et nationales clés indépendamment les unes des autres, cherchant plutôt à prendre des décisions communes, voir à déléguer le processus de prise de décision à de nouveaux organes centraux". Les caractéristiques clés de ce type d'intégration sont (…) le passage de la souveraineté nationale à la souveraineté partagée et la création d'institutions supranationales. Des études empiriques ont montré que l'intégration stimule l'innovation et la croissance économique et intensifie la concurrence sur les marchés économiques et politiques. Il y a eu un débat continu pour savoir si l'intégration politique est une condition ou un processus et si elle a un aboutissement, ce qui est particulièrement important lorsque l'on considère les objectifs à long terme du "projet" européen.

La crise actuelle a révélé des failles profondes dans le processus d'intégration économique entre les membres de la zone euro, tout en montrant également que l'intégration politique affecte l'optimalité de l'union monétaire. Le défaut majeur est l'absence d'un système fédéral pour stimuler la convergence en termes de croissance, via des fonds pouvant être alloués là où ils sont nécessaires en cas de chocs asymétriques (c’est-à-dire de chocs ne touchant que certains Etats). La crise a conduit à une profonde divergence en termes de croissance entre les États du "cœur" de l’Europe (Allemagne, France et Autriche) et sa "périphérie" (Espagne, Portugal, Irlande et Grèce). Les partisans d'un tel système prennent comme exemple les États-Unis où le budget fédéral redistribue les revenus entre les régions, compensant ainsi une partie des différences de revenu entre les régions.

L’idée d’émettre des obligations communes, ou "euro-obligations" (eurobonds), a aussi été avancée pour permettre aux pays en difficulté d'emprunter à un plus faible taux qu’ils ne le font actuellement sur les marchés. Non seulement cette consolidation des budgets nationaux et de la dette s'accompagnerait de la création d'une autorité budgétaire commune protégeant les Etats-membres d’un défaut de paiement, mais elle serait aussi un engagement très visible et très contraignant qui devrait "convaincre" les marchés de l'avenir à long terme de l’union. En outre, l'appel à la création d'une "union bancaire" entre les Etats-membres, pour garantir les dépôts de tout individu dans la zone, a pris de l’ampleur lorsque l'Irlande a garanti tous les dépôts de ses épargnants, sans que les autres pays ne fassent de même. De plus, l’existence d’un budget distinct pour la zone euro est apparue nécessaire pour améliorer le fonctionnement de l'Union, puisqu’il permettrait notamment d’amortir l'impact des chocs asymétriques.

(…) La mise en place d'un système fédéral en Europe rencontre plusieurs complications. La principale d’entre elles est que les gouvernements nationaux auraient à abandonner le seul instrument économique qui leur est encore disponible, en l’occurrence la politique budgétaire. En outre, non seulement cela impliquerait de substantielles transformations dans les constitutions des Etats-membres (…), mais il faudrait également convaincre les contribuables de la zone d’aider financièrement leurs "concitoyens européens". À l'heure actuelle, il est peu probable que ces difficultés soient surmontées, en raison des prochaines élections nationales et du silence des citoyens dans les pays du cœur européen, qui ont déjà eu à subventionner des plans massifs de sauvetage. L'appel à l’émission d’eurobonds a rencontré une forte résistance de la part de pays qui, comme l'Allemagne, jouissent actuellement de taux réels d’emprunt négatifs et estiment que cela augmenterait le risque d'aléa moral. Le risque serait que, avec l’assurance implicite, les Etats-membres émettent trop de dette.

Les discussions sur "l’union bancaire" ont commencé entre les ministres des Finances de la zone mais elles rencontrent déjà de multiples problèmes. Il y a des désaccords sur le degré auquel la Banque centrale européenne assurera la surveillance : l'Allemagne réclame que l'organe supranational ne surveille que les 60 plus grandes banques de la zone, tandis que la France estime que la BCE devrait être responsable de la surveillance de toutes les institutions bancaires. La perspective d'un budget distinct pour la zone euro semble bien sombre en raison de l'incapacité de tous les membres de l'UE à se mettre d'accord sur un budget collectif pour la période 2014-2020 et un accord semble de plus en plus improbable. En outre, le budget 2012 de l'UE totalise 0,98 % du revenu national brut des régions, or un budget efficace pour la zone euro devrait être beaucoup plus conséquent.

L’approfondissement de l’intégration économique et politique nécessiterait de faire évoluer les institutions supranationales dans la région. Comme nous l’avons précédemment dit, l'intégration économique signifierait que davantage de pouvoirs soient transférés à la Banque centrale européenne, une organisation qui a été construite pour être totalement indépendante des gouvernements nationaux. Le transfert de la politique financière à un organisme qui dispose déjà de la politique monétaire et n'est pas responsable (accountable) n’apparaît pas politiquement souhaitable. Il est également peu probable que la Commission européenne et le Parlement aient une plus grande influence dans la gestion de la politique régionale. Une grande partie du débat porte déjà sur l'utilité de la politique agricole commune (PAC) et avec des institutions déjà fortement impliquées dans l'élaboration des politiques concurrentielles, commerciales et industrielles ; la transmission de nouveaux pouvoirs à Bruxelles remettrait en cause la nécessité de gouvernements nationaux.

Les processus d'intégration économique et politique entre les pays européens ont été largement interdépendants et l'approfondissement de la première nécessite une poursuite de la seconde. La situation économique du continent après 1945 poussa à l’action politique collective ; celle-ci se traduisit par un accroissement des liens économiques entre les nations pour améliorer la prospérité de la région. La suppression continue des barrières économiques entre les économies européennes a conduit à de bonnes performances en termes de croissance économique dans la seconde moitié du vingtième siècle, ce qui renforce la nécessité que la première s’accompagne de la dernière. L’actuelle crise de la dette souveraine menace cependant la poursuite des deux types d'intégration. Il est désormais évident que la longévité du processus d'intégration repose sur le renforcement des liens économiques entre les pays, mais il est possible que le processus d'intégration politique ait atteint son "point final". »

Thomas Viegas, « The European integration question: economical or political? », in A Younger Perspective (blog), 7 février 2013.

lundi 24 décembre 2012

Kenen et la construction européenne

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« Peter Kenen, qui est décédé paisiblement à Princeton (New Jersey) il y a quelques jours, a été l'un des plus grands économistes sur le thème des relations monétaires internationales (…). Peter fit des contributions fondamentales sur de nombreux sujets, mais aucune n’a été plus importante que celle sur la question de l'euro. Qu'il ait particulièrement influencé à la fois la théorie et la pratique de l'intégration monétaire européenne est d'autant plus remarquable qu’il était (…) un Américain plutôt qu'un Européen, et qu'il était sceptique concernant des points majeurs du projet. Cela dit, Peter était un partisan de l'Europe (…).

Les premiers travaux que Robert Mundell réalisé sur les zones monétaires optimales ont insisté sur la symétrie ou l'asymétrie des perturbations qui frappent différentes économies régionales comme un critère clé à partir duquel on peut juger de leur aptitude à partager une monnaie commune. Peter a poussé cette réflexion plus loin en affirmant que les perturbations étaient souvent spécifiques à un secteur donné et que la diversification des économies régionales est par conséquent un facteur clé pour juger de leur capacité à créer une union monétaire. Plus l'économie est diversifiée, moins il est probable qu'elle soit déstabilisée par un choc spécifique à un secteur donné (Kenen, 1969).

(…) Kenen a signalé un problème pour lequel la zone euro aurait pu mieux se préparer. Avec un énorme secteur produisant des biens d’équipement, l'Allemagne a bénéficié d'un puissant choc positif avec l'émergence de la Chine sur la scène mondiale, étant donné l'appétit vorace de l'économie chinoise pour les biens d'équipement. Le Portugal et l'Italie, par contre, étaient beaucoup plus fortement spécialisés dans la production de biens de consommation et ressentirent le choc de la concurrence chinoise. Aucun membre de la zone euro n’était suffisamment diversifié pour faire face à ce genre de choc, quelque chose qui aurait dû faire réfléchir à deux fois les architectes de l'euro.

Plus précisément, ils auraient davantage réfléchir à la coordination des politiques budgétaires nationales, à la nécessité d'un budget commun à la zone euro et à des mécanismes permettant de transférer des ressources budgétaires des régions en plein essor vers les régions en difficulté. (…) La question de la viabilité d’une union monétaire sans un minimum d’union budgétaire est maintenant au cœur du débat sur l'avenir de l'euro. S’ils avaient fait un peu plus attention aux idées de Kenen, les dirigeants européens n’auraient pas été si en retard dans le jeu. Ils auraient alors prêté davantage d’attention aux conséquences budgétaires de leurs institutions collectives. Plus que tout autre économiste, Peter a compris qu’une union monétaire est une construction aussi bien juridique qu’économique. Son analyse minutieuse du traité de Maastricht a expliqué à la profession d'économistes ce que le traité permet et ne permet pas de faire. Actuellement, il y a beaucoup de confusion au sujet de la base juridique d'un mécanisme de supervision unique et, finalement, d’une union bancaire européenne avec une assurance-dépôts commune et un mécanisme de résolution commune. (…)

Peter a même anticipé le débat autour des déséquilibres de TARGET2, en observant en 1999 qu'il était possible de "concevoir aisément les conditions ... dans lesquelles une banque centrale nationale serait réticente à accumuler indéfiniment des créances sur une autre banque centrale nationale." (Kenen, 1999 ). (…)

Enfin, Peter constata que l’on ne pouvait exclure la possibilité qu’un Etat-membre sorte de la zone euro ne peut être exclue, mais il avertit que les responsables européens doivent faire preuve de prudence en réfléchissant et en se prononçant sur le sujet (Kenen, 1999). "Les coûts de défection", écrivait-il en 1999, "pourraient être très élevés". Le transfuge ferait courir le risque d'un effondrement du système financier et ses anciens partenaires de l'union monétaire seraient également susceptibles de subir de sévères répercussions financières. Les dirigeants européens ont désormais à se rallier à cette position (qu'une sortie de la Grèce serait coûteuse et doit être évitée autant que possible), mais seulement après avoir envoyé pendant longtemps des signaux contradictoires à ce sujet. »

Barry Eichengreen et Charles Wyplosz, « Kenen on the euro », in VoxEU.org, 21 décembre 2012.

aller plus loin... lire « Vers l’union budgétaire »