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jeudi 11 avril 2013

The Wire et la théorie du choix rationnel

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« Comment peut-on tirer des analyses sociologiques de la série The Wire sans faire intervenir le personnage si complexe d’Omar Little ? Ce dernier est une sorte de Robin des Bois qui vole sans cesse la drogue et l'argent de la bande d’Avon Barksdale. En guise de représailles, Avon a brutalement torturé et tué le partenaire d’Omar, ce qui a nourrit l’obsession de ce dernier à voler la bande de Barksdale.

Dans ces deux extraits de la première saison, nous voyons tout d'abord Omar et sa bande se préparer la nuit à braquer l'une des planques de Barksdale. Puis, nous voyons Omar et sa bande (tenter de) mettre en œuvre leur plan le lendemain. Il s'agit d'un excellent ensemble de scènes que l’on peut mobiliser pour mieux comprendre la théorie du choix rationnel. Cette dernière prétend que les individus sont généralement des criminels potentiels, rationnels, qui se livrent au crime s'ils peuvent espérer en tirer quelque chose. En d'autres termes, nous sommes dotés du libre-arbitre et pesons les avantages et inconvénients qu’il y a à commettre différents crimes.

(…) Nous sommes tous des criminels en puissance qui ...

  1. évaluent l'utilité du crime ;

  2. ont parfois un jugement obscurci concernant le crime en raison de notre rationalité limitée ;

  3. prennent différentes décisions selon le type de crime considéré ;

  4. doivent décider de s’impliquer dans l’action (initiation, accoutumance et désistement) et prendre des décisions au cours de l’action (les décisions qui sont prises au moment même d'un crime et qui sont censées réduire les chances d'être pris) ;

  5. ont différents niveaux d’implication (facteurs liés aux antécédents, circonstances de vie actuelle et variables situationnelles) ;

  6. peuvent planifier une séquence de décisions à prendre lors de l’action (un scénario du crime).

Voici les scènes en question :


On se rend compte de la rationalité limitée d’Omar (comment son jugement est obscurci par sa haine envers la bande de Barksdale) lorsque sa bande lui demande la nuit dans la voiture pourquoi ils continuent de s’attaquer aux planques de Barksdale, alors qu’il existe des cibles plus faciles. En outre, le scénario du crime est censé fonctionner, mais il échoue finalement, car Omar et sa bande n’ont pas conscience de la puissance de feu que recèle la planque qu'ils ciblent. »

Dave Mayeda, « “The Wire” and rational choice theory », in The Cranky Sociologists, 7 avril 2013.

lire « The Wire et la théorie de Robert Merton »

dimanche 7 avril 2013

The Wire et la théorie de Robert Merton

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« Dans les années cinquante, lorsque les criminologues ont commencé à explorer plus sérieusement les causes sociales du crime, Robert K. Merton mit en avant son point de vue avec sa théorie de la tension (strain theory). Merton affirma que la société majoritaire détient certains objectifs définis culturellement qui prédominent dans la société. Dans une société capitaliste, l'objectif que la plupart des gens visent est l’accumulation des richesses. Merton a également soutenu que cet objectif d’enrichissement était si puissant que le but de s'enrichir était lui-même devenu plus important que le moyen par lequel on pouvait l'atteindre. En d'autres termes, il importe peu que vous vous soyez enrichi par des moyens conventionnels/légaux ou par des moyens non conventionnels/illégaux tant que vous soyez parvenu à vous enrichir. Pour Merton, il y avait une anomie (une absence de normes) en ce qui concerne les moyens.

Merton approfondit cette perspective en fournissant un cadre avec lequel les sociologues pourraient faire la distinction entre les criminels et les non-criminels : la théorie de la tension (strain theory). Celle-ci soutient que l'on doit considérer si une personne rejette ou accepte (1) les buts culturels de la société (se faire de l'argent), ainsi que (2) les moyens institutionnels par lesquels elle atteint ces objectifs.

À cette fin, Merton établit cinq catégories :

  1. Les conformistes (conformists), qui acceptent le but culturel de réussite financière, ainsi que les moyens institutionnels que la société définit comme appropriés pour atteindre cet objectif (par exemple, en poursuivant ses études, en travaillant sans relâche, en économisant de l'argent). Les conformistes suivent les règles et croient qu'ils en seront récompensés.

  2. Les innovateurs (innovators), qui acceptent également l'objectif culturel de réussite financière, mais qui ne suivent pas les règles de la société (c’est-à-dire les lois) dans leur quête d’enrichissement. Les innovateurs peuvent ne pas avoir les moyens de s'enrichir (par exemple, ils n'ont pas assez d'argent pour poursuivre leurs études) et/ou ne croient tout simplement pas en la loi. Par conséquent, les innovateurs se tournent vers le crime.

  3. Les ritualistes (ritualists) sont les personnes qui se croient incapables d’atteindre le but culturel d’accumulation de richesse financière, mais qui continuent à essayer de le faire par les moyens culturels qui sont acceptables pour la société (par exemple, aller au travail ou à l'école, malgré le sentiment que de telles actions ne pourront jamais porter leurs fruits).

  4. Les marginaux (retreatists) sont des gens qui rejettent l'objectif d'enrichissement, mais aussi les moyens que la société juge acceptables pour s'enrichir. Ainsi, les gens de ce groupe échappent à la société ou s'en retirent, souvent à travers l’usage de stupéfiants.

  5. Les rebelles (rebels) constituent le dernier groupe : ils redéfinissent les objectifs de la société et créent de nouveaux moyens institutionnels pour poursuivre leurs propres objectifs. Les rebelles travaillent à l'extérieur du système établi. (...)

Nous allons appliquer cette théorie à des exemples tirés de la série dramatique de HBO, The Wire. Dans ce premier exemple, nous voyons deux extraits de la troisième saison lorsque les personnages Avon Barksdale (un baron de la drogue à l'ouest de Baltimore, récemment libéré de prison) et son bras droit, Stringer Bell, débattent des moyens par lesquels ils pourraient récupérer leurs meilleurs propriétés (ou "coins" de rue), où les plus jeunes membres de leur bande vendraient de l’héroïne. Bien que ce ne soit pas visible dans ces extraits, un nouveau concurrent, nommé Marlo, a pénétré le marché de Baltimore ouest et s'est violemment emparé des coins de rue les plus lucratifs de la bande d'Avon.


On entend Avon et Stringer Bell discuter des avantages et inconvénients à s'attaquer à Marlo plutôt que d'essayer de travailler avec lui. Avon (bien qu'il se soit déjà considérablement enrichi) déclare vouloir rester un gangster ou, selon la terminologie de Merton, un innovateur. En revanche, Stringer Bell suggère l'idée de travailler avec Marlo et éventuellement de se retirer de la scène du trafic de drogue, en faisant de l’argent légalement, à la manière d'un conformiste.

Penchons-nous également sur deux autres personnages de The Wire : Bubbles et Johnny. Au début de la série, Bubbles et Johnny pouvaient être facilement définis comme des marginaux, qui aspiraient à se défoncer constamment avec l’héroïne. Mais au cours de la série, Bubbles change. Alors que les deux amis marchent dans la rue dans cette scène, Bubbles déclare vouloir se retirer en devenant un "mouchard" (snitch) pour la police. En d'autres termes, il travaille à devenir un conformiste. Cependant, Johnny ne veut rien de tout cela :


Johnny convainc Bubbles de l'aider à arnaquer l'homme sur l'échelle. Bubbles et Johnny sont tous les deux des innovateurs dans cette scène, cherchant à obtenir de l'argent par des moyens illégaux. Pourtant, je dirais que le statut de Johnny s'apparente davantage à celui de marginal, qui innove grâce à la petite délinquance simplement pour nourrir sa dépendance de marginal (c’est-à-dire rester en retrait de la société). Et encore une fois, bien que Bubbles soit un innovateur en tandem avec son ami dans cette scène, il travaille clairement à se tourner vers une vie de conformiste, chose que l’on voit plus clairement lorsqu’il disparaît en laissant l'argent. »

Dave Mayeda, « The Wire and Robert Merton’s strain theory », in The Cranky Sociologists (blog), 7 avril 2013.