« La théorie des zones monétaires optimales nous enseigne qu’en l’absence de flexibilité des marchés du travail (en l’occurrence, flexibilité des salaires et mobilité des travailleurs), les chocs asymétriques doivent être gérés par la flexibilité des politiques budgétaires nationales. Si ces politiques budgétaires sont contraintes par des règles, alors les pays auront une capacité limitée pour gérer les chocs asymétriques. Nous pouvons alors en conclure que l’union monétaire sera sous-optimale.

Avant qu’éclate la crise de la dette souveraine, l’idée que l’union monétaire ne soit pas optimale fut considérée comme peu d’importance au niveau pratique. Elle était perçue comme un concept purement académique, sans implications dans le monde réel. Cependant la récente crise de la dette souveraine a rendu évident que la sous-optimalité dans l’union monétaire a pourtant de profondes implications réelles. Nous comprenons maintenant qu’une union monétaire non optimale peut générer de l’instabilité financière et conduire à un effondrement de l’intégration des marchés financiers au sein de l’union monétaire. (…) En effet, lorsqu’un choc asymétrique survient et lorsque les politiques budgétaires nationales sont contraintes, alors les participants aux marchés financiers vont anticiper des problèmes d’ajustement. Si ces problèmes sont perçus comme sévères, une crise autoréalisatrice peut éclater, amenant les économies à un mauvais équilibre. Ce dernier se caractérise par de larges sorties de capitaux, par une hausse des primes de risque sur les obligations publiques et par une profonde récession qui détériore davantage les finances publiques. Cela va aussi avoir pour conséquence une segmentation des marchés financiers, avec de larges écarts de taux d’intérêt au sein même de l’union monétaire.

Ce que nous venons de dire suggère qu’en présence de chocs asymétriques, des règles budgétaires rigides sont incompatibles avec l’intégration financière et la stabilité financière. Autrement dit, il semble y avoir un arbitrage entre les règles budgétaires, l’intégration financière et la stabilité financière. Le lecteur habitué à la littérature sur les "triangles d’incompatibilités" en découvre un nouveau : en présence de chocs asymétriques, une union monétaire ne peut à la fois suivre des règles budgétaires, préserver stabilité financière et connaître une intégration financière.

Dans cette étude, nous analysons empiriquement si un tel arbitrage (triangle d’incompatibilités) existe dans la zone euro. Une telle analyse empirique est importante car elle éclaire le besoin qu’il y a à améliorer les règles budgétaires dans la zone euro. Ces règles ont été resserrées depuis la crise de la dette souveraine, puisque les décideurs politiques pensaient qu’une union monétaire nécessite une plus forte discipline budgétaire. La question demeure si un tel resserrement des règles budgétaires fut la bonne réponse à la crise de la dette souveraine. (…)

Nous constatons qu’un tel arbitrage existe dans la période consécutive à la crise, mais pas dans la période précédant la crise financière. Notre interprétation de ce résultat est le suivant. Il existe deux régimes dans une union monétaire. Lorsque la confiance en la stabilité de la zone euro prévaut, alors les chocs asymétriques génèrent des mouvements de capitaux stabilisateurs. Il n’est alors pas nécessaire de s’appuyer sur la flexibilité des politiques budgétaires pour faire face à ces chocs asymétriques. Les marchés des capitaux prennent en effet en charge le rôle de stabilisation et les mouvements de capitaux sont un facteur stabilisateur.

Cependant, lorsque les agents ne croient plus en l’optimalité de l’union monétaire, alors les marchés financiers perdent leur confiance en sa soutenabilité, si bien que les règles budgétaires, la stabilité financière et l’intégration financière deviennent incompatibles entre elles. Si c’est le cas, la flexibilité budgétaire est nécessaire pour maintenir la stabilité financière et l’intégration financière. Donc nous pouvons conclure que les règles budgétaires qui ont été introduites dans la zone euro après l’éclatement de la crise de la dette souveraine ont réduit la capacité des gouvernements nationaux à faire face aux chocs asymétriques et devinrent incompatibles avec la liberté des mouvements de capitaux et la stabilité financière. »

Paul De Grauwe et Pasquale Foresti, « Fiscal rules, financial stability and optimal currency areas », CESIFO, working paper, n° 5390, juin. Traduit par Martin Anota



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