« Le commerce international ne progresse guère depuis la crise financière mondiale, hormis un premier rebond en 2010 (graphique 1). La faible croissance de l’économie durant cette période, surtout dans les pays avancés, est largement considérée comme un facteur explicatif clé. En fait, les erreurs de prévision de la croissance du commerce et du PIB mondiaux sont étroitement corrélées. Néanmoins, le ratio croissance du commerce/croissance du PIB, ce que l’on appelle l’élasticité-revenu du commerce, baisse aussi. En réalité, cette tendance s’est amorcée avant la crise : l’élasticité-revenu du commerce était légèrement supérieure à 2 en 1986–2000, mais n’était plus que de 1,3 en 2001–14.

GRAPHIQUE 1 Croissance du PIB réel et volume des importations (en %)

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L’objet du présent encadré est de permettre de mieux comprendre les facteurs qui contribuent au ralentissement du commerce en analysant des facteurs cycliques (sur la période 2012–14 pour l’essentiel), ainsi que des facteurs structurels à plus long terme. Il est important de chiffrer les contributions de ces facteurs pour comprendre les perspectives du commerce international lorsque la croissance mondiale ralentit (ce dont font état les projections actuelles).

Facteurs cycliques


Pendant la crise financière mondiale, les pays avancés ont enregistré des contractions de la production très synchronisées. Ces contractions ont été plus fortes dans les pays déficitaires où l’ajustement extérieur résultait d’une réduction des dépenses (…). Dans ces pays, un effondrement marqué de la demande et de la production intérieures a provoqué un recul des importations.

Afin de chiffrer les répercussions de la faiblesse de la demande sur les importations, un modèle économétrique standard est utilisé pour établir une relation entre les importations en volume et le PIB intérieur à l’aide de données portant sur un panel de 18 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le deuxième trimestre de 2014. Le graphique 2 montre les volumes effectifs des échanges, ainsi que les prévisions du modèle et d’une tendance linéaire. En prenant la fin de 2011 comme date à laquelle a commencé le récent ralentissement du commerce, la croissance réelle cumulée des importations a été de 4,6 %, contre 13,2 % (soit près de trois fois ce qui ressort des données) d’après la tendance linéaire ajustée et une croissance cumulée de 10 % (un peu plus du tiers du ralentissement) selon le modèle standard des importations durant la période 1985–2014.

GRAPHIQUE 2 Volumes cumulés des importations : données, modèle et tendance linéaire (Indice, 2011 : T4 = 100)

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Comme l’activité économique et la croissance du commerce mondial, l’investissement a été faible ces dernières années. Il est possible qu’il existe une relation entre le ralentissement des importations et celui de l’investissement et des exportations. Les importations sont en général une composante importante de l’investissement et des exportations, de sorte que la faiblesse de la demande de ces éléments de dépenses peut avoir causé celle de la demande d’importations. Bussière et al. (2013) construisent une mesure de la demande ajustée en fonction de l’intensité des importations (DAI) qui pondère les composantes du PIB selon leur intensité commerciale relative calculée à partir de tableaux entrées-sorties. Le modèle DAI (voir graphique 2), qui tient compte non seulement de la faiblesse de la demande, mais aussi de la réorientation des dépenses vers leurs composantes moins intensives en importations, prévoit pour 2012–14 une croissance des importations de 8,6 %, soit environ la moitié de l’écart entre la croissance observée et ce que laisse supposer la tendance linéaire. À eux seuls, les changements de composition ont donc contribué au ralentissement à hauteur de 1,4 point de pourcentage, soit un chiffre élevé étant donné que les importations n’ont progressé que de 4,6 % pendant cette période. Néanmoins, près de la moitié du ralentissement des importations dans les pays de l’OCDE ces trois dernières années reste inexpliquée; c’est pourquoi l’analyse s’oriente maintenant vers les facteurs structurels.

Facteurs structurels


Bien que des facteurs cycliques expliquent en partie le ralentissement du commerce mondial, la mutation de sa relation à long terme avec le PIB joue peut-être aussi un rôle. Au cours de la période 1986–2000, le taux de croissance du commerce mondial en volume était pour ainsi dire le double de celui du revenu réel, représenté en général par la progression du PIB réel mondial. Cette période semble avoir été exceptionnelle lorsqu’on la compare aux périodes précédente et ultérieure, pendant lesquelles la croissance des échanges en volume n’a été que légèrement supérieure à celle du PIB réel.

La relation entre les échanges et le revenu est examinée en utilisant un modèle de correction des erreurs pour estimer l’élasticité-revenu des échanges à long terme (élasticité-commerce).

Les résultats semblent indiquer que, durant la période 1970–2013, l’élasticité des échanges à long terme a été de 1,7, tout en variant considérablement (graphique 3). Pendant la période 1986–2000, une hausse de 1 % du PIB réel mondial est allée de pair avec un accroissement de 2,2 % du commerce international en volume. Cette élasticité est nettement supérieure à celle observée pendant les périodes précédente (1970–85) ou ultérieure (2001–13), où elle était de 1,3.

GRAPHIQUE 3 Élasticité à long terme

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Une ventilation plus poussée du commerce mondial entre ses composantes (biens manufacturés, produits de base et services) donne à penser que la principale cause de la baisse de l’élasticité des échanges mondiaux a été le recul, guidé par le commerce manufacturier, de l’élasticité-commerce des marchandises pendant les années 2000. Les causes de la baisse de l’élasticité-commerce, de produits manufacturés notamment, pourraient aller du protectionnisme à la mutation de la structure des échanges ou de la demande globale. Il semble ressortir du présent encadré que les changements dans la spécialisation verticale internationale constituent un élément d’explication important. L’élasticité des échanges à long terme a augmenté durant les années 90, la production se segmentant en chaînes d’approvisionnement mondiales, et a baissé dans les années 2000 à mesure que ce processus ralentissait.

La Chine offre un bon exemple de cette mutation des relations internationales de production. Dans une large mesure, la chaîne d’approvisionnement manufacturier entre la Chine et les pays avancés a consisté en des importations par la Chine de pièces et de composants qui étaient assemblés en biens finaux exportés vers les pays avancés. La part de ces importations dans les exportations de marchandises de la Chine est revenue d’un pic de 60 % au milieu des années 90 à environ 35 % à l’heure actuelle sous l’effet du remplacement d’intrants étrangers par des intrants intérieurs, conclusion que corrobore l’augmentation de la valeur ajoutée intérieure dans les entreprises chinoises.

Aux fins d’une analyse plus systématique des retombées des chaînes d’approvisionnement mondiales, les élasticités à long terme du commerce à valeur ajoutée par rapport au revenu sont estimées en glissement sur sept ans, puis comparées à celles du commerce brut calculées de la même façon. Intuitivement, si l’expansion moins rapide des chaînes d’approvisionnement mondiales contribue au ralentissement des échanges, l’écart entre l’élasticité du commerce brut et celle du commerce à valeur ajoutée devrait se combler à terme, la première convergeant vers la valeur de la seconde. Le graphique 4 montre qu’au niveau mondial, les élasticités à long terme du commerce brut par rapport au PIB ont bel et bien baissé avec le temps et se rapprochent des estimations plus faibles et plus stables des élasticités du commerce à valeur ajoutée.

GRAPHIQUE 4 Élasticités à long terme (L’axe des abscisses indique la dernière année d’une période de sept ans)

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Dans l’ensemble, des facteurs à la fois cycliques et structurels ont, semble-t-il, joué un rôle dans le récent ralentissement des échanges. La moitié pour ainsi dire du recul observé peut tenir à l’effet conjugué de la faiblesse de l’activité et de la réorientation de la composition de la demande vers des biens moins intensifs en importations. Le développement plus lent des chaînes d’approvisionnement mondiales, qu’indique à l’évidence la diminution de l’élasticité-revenu des échanges à long terme, semble avoir contribué également au ralentissement.

D’autres facteurs, qui ne sont pas analysés dans le présent encadré, peuvent aussi avoir joué un rôle dans le ralentissement des échanges. Il s’agit notamment du rythme plus lent de la libéralisation du commerce, ainsi que de la diminution des écarts de salaire entre pays avancés et pays émergents. Enfin, des incertitudes quant à l’exactitude des données commerciales, notamment pour le secteur des services, compliquent l’opération consistant à tirer des conclusions définitives sur l’ampleur réelle du ralentissement des échanges. »

FMI, « Comprendre le rôle des facteurs cycliques et structurels dans le ralentissement du commerce mondial », Perspectives de l’économie mondiale, avril 2015, pages 41-44.