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Développement

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vendredi 26 octobre 2018

Quelques remarques sur la convergence mondiale

« (…) J’ai lu deux choses ces derniers jours qui m’ont amené à réfléchir à propos de la plus grande histoire économique de tous les temps : l’ascension énorme de quelques nations autrement extrêmement pauvres et le déplacement concomitant du centre de gravité de l’économie mondiale en-dehors de l’Occident.

La première a été le nouvel article de Patel, Sandefur et Subramanian montrant que la convergence mondiale en termes de PIB par tête, qui avait été pendant si longtemps absente des données, est devenue bien plus prononcée depuis 1990, avec la croissance très rapide dans les pays à revenu intermédiaire. L’autre chose a été un tweet de (…) Branko Milanovic, soulignant que la convergence parmi les économies occidentales semble à l’arrêt. Selon moi, ces observations font partie de la même histoire. Commençons avec l’observation de Milanovic.

Une manière de faire sens de cette observation est de considérer que l’Occident a déjà achevé sa convergence, en termes de technologie et de productivité. Les différences restantes en termes de PIB par tête reflètent principalement des choix sociaux différents, par exemple avec la durée des vacances et l’âge de départ à la retraite et il n’y a pas de raisons de croire que ces différences vont s’estomper.

Je ne vais pas réaliser une analyse statistique complète, mais me contenter de donner l’exemple de la France par rapport aux Etats-Unis. Le graphique 1 montre la productivité française (c’est-à-dire le PIB réel par tête par heure travaillée) relativement à celle des Etats-Unis et le PIB réel par tête. Ce que vous voyez, c’est que la productivité française a rejoint celle des Etats-Unis pendant plusieurs années. (Elle a en fait été plus élevée pendant un moment, mais cela a certainement résulté d’un effet de composition reflétant une main-d’œuvre plus âgée) Le PIB réel par tête français a cependant baissé par rapport à celui des Etats-Unis. Pourquoi ?

GRAPHIQUE 1 Productivité et PIB par tête de la France relativement à ceux des Etats-Unis

Paul_Krugman__France_Etats-Unis_productivite_PIB_par_tete.png


C’est en partie parce que moins de personnes travaillent (pas des adultes d’âge intermédiaire, qui sont plus souvent employés en France, mais principalement les pré-seniors, ceux qui ont entre 55 et 65 ans, encouragés à prendre leur retraite en raison d’un système de retraite plus généreux. Surtout, les Français prennent des vacances, ce que les Américains ne font pas (ils n’y ont souvent pas le droit.) Donc ce sont juste des choix différents. Et alors que la France a davantage besoin de réformer son système de retraite (elle l’a déjà bien réformé), il est loin d’être manifeste que les choix des Français soient plus mauvais que les choix des Américains. Selon plusieurs indicateurs en matière de qualité de vie, comme l’espérance de vie (cf. graphique 2), les Etats-Unis réalisent de moins bonnes performances.

GRAPHIQUE 2 Espérance de vie en France et aux Etats-Unis

Paul_Krugman__France_Etats-Unis_esperance_de_vie.png

La fin de la convergence occidentale, alors, n’est pas le signe d’une quelconque panne. De plus, l’occurrence d’une convergence rapide des pays émergents est avant tout le récit d’un succès.

Quand j’étais sur les bancs de l’université dans les années soixante-dix, je pensais que je devais me lancer dans l’économie du développement (parce qu’il s’agissait clairement du sujet le plus important), mais je ne l’ai pas fait, parce que c’était trop déprimant. A cette époque, il s’agissait essentiellement d’une économie de non-développement, où l’on se demandait pourquoi les pays du tiers-monde semblaient condamnés à rester en retard par rapport à l’Occident. Certes nous avions observé un décollage de plus petites économies d’Asie de l’Est, mais peu de monde pensait qu’une telle tendance se diffuserait à la Chine et à l’Inde.

Ensuite, quelque chose s’est produit. Nous ne savons toujours pas exactement quoi. Il s’agit probablement de quelque chose qui a à voir avec l’hypermondialisation, l’essor sans précédents du commerce international qui a été rendu possible par le morcellement des chaînes de valeur et la délocalisation de tâches de production dans les pays à faibles salaires. Mais nous n’en sommes pas vraiment sûrs.

Une chose est claire : à n’importe quel moment, tous les pays ne bénéficient pas de "Ça", ce qui ne leur permet pas d’utiliser efficacement le répertoire de technologies avancées qui ont été développées depuis la Révolution industrielle. Au cours du temps, cependant, l’ensemble de pays qui bénéficient de Ça semble augmenter. Une fois qu’un pays acquiert Ça, la croissance peut être rapide, précisément parce que la meilleure pratique est bien en avance par rapport au point de départ du pays. Et parce que la frontière continue d’avancer, les pays qui obtiennent Ça continuent de croître plus rapidement. La croissance d’après-guerre du Japon a été bien plus rapide que celle des pays qui rattrapaient la Grande-Bretagne à la fin du dix-neuvième siècle ; la croissance de la Corée du Sud à partir du milieu des années soixante a été plus rapide que le rattrapage du Japon ; et la croissance de la Chine encore plus rapide.

Cette théorie explique aussi la relation en forme de U que Subramanian et ses coauteurs ont constaté entre le PIB par tête et la croissance, dans laquelle les pays à revenu intermédiaire croissent plus vite que les pays pauvres ou riches. Les pays qui sont toujours très pauvres sont les pays qui n’ont pas bénéficié de Ça. Les pays qui sont déjà riches sont déjà à la frontière technologique, ce qui réduit la marge pour une croissance rapide. Entre eux, il y a des pays qui ont bénéficié de Ça il n’y a pas si longtemps, ce qui leur a permis d’avoir le statut de pays à revenu intermédiaire, mais aussi de croître très rapidement en se déplaçant vers la frontière.

Il en résulte un monde où les inégalités dans les pays déclinent si vous regardez du milieu vers le haut, mais où les inégalités se creusent si vous regardez du milieu vers le bas. Fondamentalement, cependant, c’est l’histoire d’une réduction de l’exceptionnalisme occidental, comme le club des pays qui peuvent tirer avantage des technologies modernes s’élargit. Oh, et le creusement des inégalités dans les pays occidentaux signifie que si vous regardez la distribution mondiale des revenus des ménages, vous obtenez le graphique de l’éléphant de Branko Milanovic.

Ce n’est pas une histoire entièrement joyeuse. Cette concentration du revenu et du patrimoine au sommet de la distribution est inquiétante, pas simplement sur le plan économique, mais également en raison de ses répercussions politiques et sociales. C’est l’une des raisons pour lesquelles la situation de la démocratie américaine est bien inquiétante. Et il y a toujours des centaines de millions de personnes dans la misère. Mais il y a aussi beaucoup de bonnes nouvelles dans l’histoire. (…) »

Paul Krugman, « Notes on global convergence », 20 octobre 2018. Traduit par Martin Anota

mercredi 12 juillet 2017

L’aide internationale ne peut pas être régressive

« Il y a plusieurs arguments contre l’aide étrangère. Angus Deaton a affirmé que l’aide étrangère, en fournissant aux gouvernements des ressources autrement qu’à travers la fiscalité, brise le lien de réciprocité qui existe entre les contribuables et l’Etat. Elle affaiblit donc les institutions nationales et isole les régulateurs de la population. Dambisa Mayo croit que l’aide alimente la corruption. Bill Easterly a attaqué l’aide au motif qu’elle irait aux gouvernements et non au secteur privé. Plusieurs critiques récentes rappellent des arguments avancés il y a plusieurs décennies par Peter Bauer ("Dissent on development") et même plus tôt par Ludwig von Mises.

Aujourd’hui, à l’instant même où l’Union européenne semble considérer une hausse de l’aide pour l’Afrique (non pas pour répondre à des inquiétudes humanitaires, mais pour satisfaire le seul intérêt domestique comme la réduction de la migration est difficile à imaginer sans une convergence substantielle des revenus entre l’Afrique et l’Europe), il est utile de souligner qu’un argument contre l’aide ne tient pas. C’est l’argument avancé quelques fois dans la presse populaire (et même par moments par certains universitaires aussi) selon lequel l’aide aux pays pauvres est juste un transfert de ressources des personnes pauvres dans les pays riches aux riches des pays pauvres. C’est que l’économie appelle un "transfert régressif" (par opposition au transfert « progressif » que nous désirons, consistant à taxer une personne plus riche et à transférer l’argent à un plus pauvre.)

Les données sur la répartition mondiale du revenu montrent clairement que cet argument précis avancé contre l’aide ("la régressivité") n’est pas valide. (J’ai déjà abordé ce sujet, de façon plus détaillée, ici.)

(…) Le graphique ci-dessous montre les niveaux de revenu annuel par tête (en dollars PPA de 2011) à différents centiles des répartitions du revenu aux Pays-Bas et au Mali. Comme nous pouvons facilement le voir, même les centiles les plus pauvres aux Pays-Bas sont plus riches que n’importe quel centile de la répartition malienne, notamment les 1 % les plus riches. En d’autres mots, les deux répartitions ne s’imbriquent pas : la répartition hollandaise commence à des niveaux de revenu bien plus élevés que ceux où la répartition malienne s’achève. (La ligne en pointillés est tirée à partir du niveau de revenu du centile le plus pauvre de la répartition hollandaise.)

GRAPHIQUE 1 Répartition du revenu aux Pays-Bas et au Mali

Branko_Milanovic__repartition_du_revenu_Pays-Bas_Mali.png

Maintenant, ce fait seul indique que si l’on taxait un Hollandais et transférait cet argent à une personne au Mali, il serait peu probable qu’il s’agisse d’un transfert régressif. Mais la probabilité d’un transfert régressif est même plus faible que cette première réflexion nous le suggérerait. On doit se demander quelle pourrait être l’identité du Hollandais dont proviendrait l’euro d’impôt (qui est utilisé pour l’aide). En d’autres mots, imaginons un gros bol où seraient collectés tous les impôts sur le revenu que payent les Hollandais et imaginons que sur chaque euro que contiendrait ce bol serait écrit le niveau de revenu (ou la position en termes de centile) de la personne qui l’a payé. Si le système hollandais était un système censitaire, chaque Hollandais contribuerait au même montant absolu et la position en termes de centile du contribuable dont l’euro irait au Mali serait le revenu médian hollandais. Si le système hollandais était tel que le taux d’imposition soit le même pour chaque individu, c’est-à-dire indépendamment de son niveau de revenu (le système d’« impôt forfaitaire »), l’euro viendrait de la personne gagnant le niveau de revenu hollandais moyen. (Formellement, t = αy où t désigne les impôts payés par un individu, α le taux d’imposition et y le revenu avant imposition. Ensuite, l’euro d’impôt aléatoire est reçu d’une personne avec le revenu : E(y(t/T)=E(αy2/T)=α(E(y))2/αE(y)=E(y) où T désigne les impôts totaux.) La personne avec le revenu moyen aux Pays-Bas est localisée au 63ème centile de la répartition du revenu hollandaise.

Mais ce n’est pas tout. Le système hollandais d’imposition directe est progressif, ce qui signifie que le taux d’imposition augmente avec le niveau de revenu. Maintenant, les plus riches vont verser un montant plus élevé non seulement de façon absolue, mais aussi de façon proportionnelle. (…) Nous pouvons calculer le taux d’imposition moyen par centile de la répartition hollandaise (présenté dans le graphique ci-dessous) et aussi calculer qu’un euro aléatoire qui irait financer l’aide en Afrique viendrait de la personne qui se situe au 73ème centile de la répartition du revenu hollandaise. (C’est l’autre façon de dire que la moitié des impôts hollandais sont payés par les 27 % plus gros contribuables.)

GRAPHIQUE 2 Part du revenu brut versé comme impôts directs aux Pays-Bas en 2013 selon le niveau de revenu avant imposition (en %)

Branko_Milanovic__part_des_impots_dans_le_revenu_brut_Pays-Bas.png

Nous pouvons maintenant retourner au premier graphique et quelle est la probabilité que le bénéficiaire de l’aide hollandaise au Mali soit plus riche que la personne au 73ème centile de la répartition hollandaise du revenu. Puisque même les 1 % des Maliens les plus riches ont un revenu qui est grandement inférieur (il est d’environ un quart) que le revenu au 73ème centile de la répartition hollandaise, cette probabilité doit être quasi nulle. En d’autres mots, même si nous supposons, plutôt de façon extravagante, que les seuls bénéficiaires de l’aide hollandaise au Mali sont les 1 % les plus riches locaux, le transfert serait toujours progressif. On peut bien sûr affirmer que si nous découpions la répartition malienne du revenu en de plus petites parts, il se pourrait qu’une petite part (regroupant, imaginons, les cinq ou dix Maliens les plus riches) soit plus riche que le 73ème centile de la répartition hollandaise. Mais cela revient simplement à dire que (en travaillant derrière le voile d’ignorance sur l’identité des bénéficiaires de l’aide) la probabilité d’un transfert régressif se situe quelque part au voisinage d’un centième d’un pourcent. Il incombe à ceux qui affirment que l’aide étrangère peut être régressive de montrer que les bénéficiaires de l’aide sont les gens qui font probablement partie des plus hauts revenus maliens. D’après tout ce que nous savons sur les effets de l’aide, cela semble des plus improbables.

En conclusion, l’aide n’est pas une panacée, elle peut même se révéler nuisible du pays destinataire, mais elle ne représente sûrement pas (dans la plupart des cas auxquels nous avons normalement affaire) un transfert de pouvoir d’achat d’une personne pauvre dans un pays riche à une personne riche dans un pays riche. (…) »

Branko Milanovic, « Why foreign aid cannot be regressive? », in globalinequality (blog), 11 juillet 2017. Traduit par Martin Anota

mardi 14 juin 2016

Depuis la crise mondiale, le rattrapage des pays en développement sur les Etats-Unis ralentit

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source : The Economist (2016), d'après les données de la Banque mondiale

jeudi 6 novembre 2014

Le lien entre argent et bonheur est fragile

GRAPHIQUE Part de la population dans une sélection de pays notant sa satisfaction de vivre entre 7 et 10 (sur une échelle de 0 à 10, en %)

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source : The Economist (2014)

jeudi 29 mai 2014

La marche de la classe moyenne

GRAPHIQUE Nombre de travailleurs dans les pays en développement (en milliards) selon leur groupe de revenu (par jour, dollar 2005 PPA)

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source : The Economist (2014), d'après les données de l'OIT

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