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Intégration européenne

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samedi 13 juin 2020

Intégration européenne : la préhistoire du dernier tour de force de Merkel

« Tout au long de son mandat de chancelière allemande, Angela Merkel s’est régulièrement montrée des plus surprenantes. Ces derniers jours, elle s’est surpassée.

En 2010, Merkel avait contre toute attente insisté pour que le FMI soit inclus dans l’opération de sauvetage de la Grèce. Après 2011, elle a fait fermer les usines nucléaires allemandes, suite au désastre de Fukushima au Japon. Ensuite, en 2015, elle a ouvert les frontières allemandes à plus d’un million de réfugiés syriens. Et à présent, elle donne son accord à la proposition de la création d’un fonds de soutien de 500 milliards d’euros pour aider les pays-membres les plus touchés par la crise du Covid-19.

Chacune de ces décisions a provoqué des cris d’indignation en Allemagne, mais aussi amené certains dans le reste de l’Europe à se plaindre en voyant l’Allemagne jouer un rôle de meneur. Mais à chaque fois, Merkel avait insisté à l’idée qu’il n’y avait pas d’alternative. Sa dernière décision a été la plus surprenante. "L’Etat-nation n’a en soi pas d’avenir", déclara-t-elle durant une récente conférence de presse avec le président français Emmanuel Macron.

La perspective d’un fonds de soutien a amené plusieurs observateurs à se demander si l’Union européenne ne s’approcherait pas de son "moment hamiltonien". Dans les premières années de la république américaine, le premier secrétaire du Trésor étasunien, Alexander Hamilton, a affirmé que le gouvernement fédéral devait "assumer" les dettes accumulées par les Etats durant la Guerre d’indépendance. Il a gagné le débat, parce que la mutualisation de la dette semblait nécessaire pour résoudre l’urgence immédiate.

Mais il serait erroné de penser qu’une crise suffit pour écarter les obstacles à un approfondissement de l’intégration. Quand la crise de l’euro a éclaté il y a une décennie, les fédéralistes espéraient qu’elle donnerait l’impulsion manquante pour le projet européen. En fait, les Etats-membres se sont davantage fracturés entre le nord et le sud à propos de la dette. Dans les années qui ont suivi, la Russie et la Chine ont attiré les Etats-membres individuels de l’UE sur leur orbite, le Royaume-Uni s’est formellement retiré du bloc et le président américain Donald Trump a abandonné l’alliance transatlantique.

Comme les crises de la dette souveraine et des réfugiés, ces développements géopolitiques ont davantage fracturé l’Europe entre le nord et le sud et entre l’est et l’ouest. Les conditions historiques clés qui permettent une grande impulsion au-delà de l’Etat-nation ont toujours manqué. La question est alors de savoir pourquoi le Covid-19 pourrait faire ce que le président russe Vladimir Poutine, Trump, le Brexit et les précédentes querelles autour de la dette publique n’ont pas réussi à faire.

Il y a deux raisons amenant à penser que la crise actuelle est en effet différente. Pour commencer, la pandémie est fondamentalement une crise née de la mondialisation, requérant une réponse mondiale coopérative. Deuxièmement, les comparaisons de mortalité et des taux d’infections entre les pays et les régions et la profondeur et l’échelle terrifiantes des répercussions économiques de la pandémie ont donné du crédit à la bonne gouvernance aux yeux d’une grande partie du public. Il n’y a pas de secret derrière les niveaux élevés d’infections et de morts aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Brésil. Chacun de ces trois pays a un gouvernement incompétent, aveuglé par l’idéologie et incoordonné.

A la différence de Trump ou du président brésilien Jair Bolsonaro, Merkel et Macron ne sont pas enclins à déployer la politique de l’émotion. Au contraire, tous deux préfèrent se présenter comme des dirigeants compétents qui prennent des décisions en se basant sur les preuves empiriques. Et les preuves empiriques relatives à la pandémie du Covid-19 suggèrent que l’Etat-nation est en effet mal équipé pour la crise immédiate ; les besoins les plus urgents sont soit hautement locaux, soit supranationaux.

La question des "réponses nécessaires" est particulièrement prégnante en Allemagne qui, comme l’Italie, a été une création du nationalisme du dix-neuvième siècle. Avant Otto von Bismarck (et son équivalent italien, Camillo Cavour), ce que nous appelons désormais l’Allemagne était composé de plusieurs petits Etats. Chacun d’entre eux donnait beaucoup d’importance à son identité locale, mais aucun n’était particulièrement bon pour surmonter les défis techniques et économiques posés par un monde où les marchés, les échanges et de nouvelles formes de communication et de transport croissaient. Quand ces petites entités s’unifièrent, le journaliste libéral Ludwig August von Rochau observait, ce n’était pas en raison d’une "sympathie d’âmes", mais "purement" pour des "raisons d’affaires".

En d’autres termes, l’Etat-nation était impulsé pour des questions pratiques. Avant la Paix de Westphalie en 1648, il y avait 3.000 à 4.000 territoires indépendants, pour la plupart sujets à une juridiction impériale lâche. Au dix-huitième siècle, ce chiffre avait été réduit à un nombre compris entre 300 et 400 ; et, après 1815, tous devinrent membres de la Confédération allemande. A la fin du dix-neuvième siècle, il y avait juste trois Etats avec d’importantes populations germanophones : l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois et la Confédération suisse.

En d’autres termes, le nombre d’Etats en Europe centrale a été divisé par dix au cours de chaque siècle. Cela ne doit pas nous amener à penser qu’il y aura seulement un tiers d’Etat en Europe centrale ; l’Histoire ne suit pas des lois mathématiques. Néanmoins, il est clair que les vieux Etats-nations sont forcés de reconsidérer leur place dans le monde.

En fait, les récentes décisions par la Cour constitutionnelle fédérale allemande contre la Banque centrale européenne représentent la dernière poussée vers un approfondissement de l’intégration européenne. Bien qu’elles imposent nominalement une limite sur la participation de la Bundesbank dans les programmes d’achats obligataires de la BCE, elles n’auront pas pour effet de mettre un terme au projet européen, mais plutôt de forcer à la création d’une fondation légale et politique sur laquelle le projet pourra se poursuivre.

En outre, aucun pays n’a de Constitution donnant autant d’importance à l’idée d’Europe que l’Allemagne. La Loi fondamentale allemande de 1949 déclare que le peuple allemand est "animé de la volonté de servir la paix dans le monde en qualité de membre égal en droits dans une Europe unie". L’article 24 de ce document prévoit explicitement une "limitation des droits de souveraineté" au nom d’"un ordre pacifique durable en Europe".

Au dix-neuvième siècle, les Etats-nations se sont forgés dans le sang et le fer. Aujourd’hui, quelque chose de nouveau est créé de la médecine et de la politique économique. »

Harold James, « The prehistory of Merkel’s latest coup », 1er juin 2020. Traduit par Martin Anota

vendredi 8 mai 2020

Le Covid-19 et la nouvelle bataille des idées en Europe

« L’Europe peut voir la lumière au bout du tunnel du Covid-19 comme les chiffres des infections et morts quotidiennes liées à l’épidémie chutent graduellement à travers le continent. Mais les retombées économiques du "Grand Confinement" (Great Lockdown) ne se sont pas encore pleinement matérialisées. Selon les prévisions du FMI, la zone euro devrait connaître une chute de son PIB réel de plus de 7 % cette année et elle ne rebondirait que partiellement en 2021, ce qui ferait de cet épisode une contraction de l’activité bien plus sévère que la Grande Récession de 2008-2009.

L’Europe, ou plutôt l’Union européenne, a déçu durant la plus grave crise que le continent ait connue depuis plusieurs générations. Les Etats-membres se sont non seulement engagés dans une affligeante ruée pour sécuriser le matériel médical, mais ils ont aussi fait peu d’avancées tangibles en ce qui concerne la contribution de l’UE aux coûts économiques et financiers de la crise.
Certes, la Banque Centrale Européenne a correctement fait tout ce qu’elle devait faire pour calmer les marchés financiers. Mais les Etats-membres de l’UE restent coincés sur la question clé quant à savoir ce que le bloc peut et doit faire pour aider les pays en difficultés budgétaires.

En surface, le principal débat concerne l’éventualité pour l’UE démettre des "cononabonds" mutualisés pour financer les dépenses sanitaires et autres dépenses liées à la crise dans les pays les plus touchés. Pourtant, le vrai combat ne porte pas sur l’usage d’"instruments financiers innovants", comme les ministres des Finances de la zone euro les ont présentés de façon diplomate lors de leur plus récente réunion, mais sur la direction future de la politique budgétaire et même de l’euro lui-même.

Dans leur livre instructif, The Euro and the Battle of Ideas, les économistes Markus Brunnermeier, Harold James et Jean-Pierre Landau ont analysé le rôle joué par les idées entre 2010 et 2014, quand la zone euro semblait sur le point d’éclater. Ils affirment que la gestion de la crise de l’euro a été dominée par les affrontements entre la France et l’Allemagne et que les positions des deux pays étaient largement déterminées par les idées économiques fondamentales qui dominaient alors leurs débats nationaux.

Cette fois-ci, cependant, la ligne de fracture clé se situe clairement entre l’Allemagne et l’Italie. Le Président français Emmanuel Macron est dans une position relativement confortable, parce que la plupart des électeurs français n’ont pas de véritable opinion sur les eurobonds ou coronabonds. A l’inverse, ces instruments sont au centre du débat domestique en Italie et en Allemagne et ils sont perçus très différemment des deux côtés des Alpes.

En Italie, les coronabonds sont perçus comme l’expression naturelle de la solidarité européenne. Le gouvernement italien affirme que la crise du Covid-19 ne pouvait pas être anticipée, que l’Italie mérite par conséquent une aide de la part de ses partenaires européens et que les coronabonds sont la seule solution acceptable. Plusieurs Allemands, d’un autre côté, voient dans les coronabonds un danger mortel, parce que ces derniers ouvriraient la porte à la perspective, effrayante à leurs yeux, que des eurobonds soient émis, puisque ces derniers signifieraient que les contribuables allemands seraient alors responsables pour la dette italienne.

Les partisans raisonnables des coronabonds en France, en Espagne et en Italie ne comprennent pas cette objection. Après tout, affirment-ils, ils ne demandent pas une garantie allemande pour la dette italienne existante, seulement que les dépenses additionnelles découlant de la crise soient financées par un instrument européen commun. Mais les politiciens hollandais et allemands craignent un dérapage, en l’occurrence qu’une émission limitée de coronabonds ouvre la voie à des sommes larges et incontrôlées d’autres instruments. Il faut dire que beaucoup en Italie et ailleurs espèrent en effet que les coronabonds ouvrent la voie aux eurobonds. Ils ont longtemps pensé que la zone euro a besoin d’instruments de dette communs pour qu’elle devienne une union monétaire "complète" et ils regardent la crise courante comme le moment idéal pour atteindre ce but.

La raison fondamentale expliquant cette défiance mutuelle est l’absence de vision partagée en ce qui concerne les principes budgétaires sous-jacents à long terme. Et parce que les gens lors des crises voient ce qu’ils veulent voir (ce qui, comme Dani Rodrik, le professeur de Harvard, l’a récemment souligné, est souvent une affirmation de leurs croyances de longue date), le biais de confirmation a seulement creusé le fossé entre leurs positions respectives.

Donc, les Allemands voient dans la crise une justification de leur approche prudente de la politique budgétaire, parce que plusieurs années de Budgets équilibrés permettent à leur gouvernement de dépenser aujourd’hui davantage pour aider les travailleurs et entreprises allemands à surmonter la crise. Mais les détracteurs de l’austérité voient dans l’ample déficit budgétaire de l’Allemagne une confirmation de leur propre position. Après tout, personne ne peut s’opposer aux gros déficits aujourd’hui.

Malheureusement, ce dialogue de sourds nous détourne de la vraie question, à savoir la direction de la politique budgétaire une fois que la crise immédiate sera surmontée. Les gouvernements devront-ils essayer d’équilibrer leur Budget le plus vite possible et chercher de nouveau à réduire l’endettement public ? Ou devront-ils continuer d’être en déficit aussi longtemps que les taux d’intérêt resteront faibles ? Le dénouement final de cette bataille d’idées budgétaires sera décisif pour l’avenir de l’euro.

Ce n’est pas une question qui sera pertinente seulement dans un avenir lointain, quand l’économie renouera avec la reprise. Plus immédiatement, aussi longtemps que cette bataille n’est pas terminée, les Etats-membres vont avoir des difficultés à s’accorder sur une stratégie européenne commune pour faire face à la crise actuelle. »

Daniel Gros, « COVID-19 and Europe’s new battle of ideas », 23 avril 2020. Traduit par Martin Anota

lundi 27 avril 2020

Ce n’est pas de solidarité dont l’Europe a besoin

« (…) Un démon malveillant qui chercherait à maximiser la désunion européenne n’aurait pas pu mieux calibrer la façon par laquelle l’épidémie de Covid-19 a touché l’Europe. L’Italie, toujours l’économie de l’UE la plus affaiblie une décennie après la crise de l’euro (avec le potentiel de croissance le plus faible, le ratio d'endettement public le plus élevé, la moindre marge de manœuvre budgétaire et la politique la plus fragile) a subi le plus lourd tribut humain de la pandémie. L’implosion économique provoquée par la pandémie va davantage accentuer les souffrances. De même, l’Espagne, dont la population a souffert d’un énorme chômage et de massives saisies de logements suite à la crise de l’euro, est devenue l’épicentre du coronavirus. Comme pour la Grèce, qui subit une moindre tragédie humaine, l’écroulement des recettes tirées du tourisme dont son économie dépend s’ajoute à une crise longue d’une décennie qui l’a fait basculer dans une véritable dépression.

Parallèlement, les pays avec les finances les plus saines ont moins souffert sur les fronts économique et sanitaire.

Comme la crise s’est aggravée en Europe, neuf dirigeants des gouvernements de la zone euro ont appelé à l’émission de "coronabonds" pour répartir plus également à travers l’Europe le supplément de dette que les gouvernements vont avoir besoin pour contenir la chute des revenus privés. Etant donné que, à la différence du Japon, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, l’Europe n’a pas de banque centrale capable de financer directement les gouvernements en difficulté, les eurobonds assureraient que le fardeau de la nouvelle dette ne soit pas seulement portée par ceux les moins à même de le faire.

L’idée derrière de telles obligations n’est ni nouvelle, ni compliquée. Ce qui est nouveau est que, durant cette pandémie, l’appel aux eurobonds s’est fait au nom de la solidarité vis-à-vis des pays en difficulté du sud.

Comme certains d’entre nous l’ont anticipé avant les réunions cruciales de l’Eurogroupe des ministres des Finances de la zone euro, il n’y en aura pas. Comme on pouvait s’y attendre, les "coronabonds" ont été définitivement écartées lors de la réunion de l’Eurogroupe du 9 avril, reléguées aux oubliettes pour plusieurs années, voire à jamais.

Cette tournure des événements n’est pas difficile à expliquer. Les neuf dirigeants de gouvernement avaient fait le pari que leur évocation des obligations comme l’incarnation financière de la solidarité européenne susciterait l’adhésion. Ils se sont trompés.

On a beaucoup parlé de la forte résistance aux eurobonds dont a fait preuve Wopke Hoekstra, le ministre des Finances hollandais, qui a opposé son veto lors de la réunion à chaque idée impliquant un minimum de dette européenne commune. Une majorité de commentateurs à l’ouest du Rhin et au sud des Alpes a peint Hoekstra comme un nordiste sans cœur pour lequel le mot solidarité n’aurait aucun sens. La division géographique et émotionnelle de l’Europe n’a jamais été aussi profonde qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Hélas, Hoekstra a raison : la solidarité est une mauvaise justification pour les eurobonds ou toute autre forme de mutualisation des dettes publiques. Quand je rencontre des individus ou des communautés en souffrance, je me sens obligé de leur donner de l’argent, de leur offrir un abri ou de leur fournir un prêt d’un montant important, qu’ils pourraient rembourser sur une longue échéance avec un faible taux d’intérêt. C’est de la solidarité. Mais la solidarité ne m’oblige pas et ne peut m’obliger à m’endetter avec eux.

En appelant à la solidarité pour justifier leur appel à l’émission d’eurobonds, les neuf dirigeants de gouvernements ont perdu la bataille avant même de l’avoir commencé. Jacques a tort de demander à ce que Gilles, au nom de la solidarité, se joigne à lui pour contracter un prêt. Même Jacques pourra difficilement penser que c’est injuste que Gilles ait le droit de lui opposer son veto à sa proposition. Et donc l’Eurogroupe a enterré les eurobonds. Les pays en difficulté ont toutefois reçu 27,7 milliards d’euro (soit 0,22 % du revenu de la zone euro) en aide directe et quelques centaines de milliards d’euros de prêts.

Les détracteurs des gouvernements "radins" du nord de l’UE mettent en avant de fortes disparités. La relance budgétaire domestique du gouvernement allemand représente l’équivalent de 6,9 % du PIB, soit un niveau plus élevé que celui des Etats-Unis (5,5 % du PIB). Par contraste, les gouvernements italien et espagnol, qui sont confrontés à de plus grandes crises sanitaire et économique, ne peuvent se permettre qu’une relance budgétaire de seulement 0,9 % et 1,1 % du PIB respectivement. N’est-ce pas la preuve d’un manque de solidarité ?

Peut-être. Mais supposons pour l’instant que, au nom de la solidarité, l’Allemagne soit prête à partager sa relance avec les pays du sud qui manquent de marge de manœuvre budgétaire. Le bénéfice macroéconomique serait négligeable, parce que l’argent allemand se disperserait trop peu dans le reste de la zone euro. Bref, la solidarité n’est pas seulement un mauvais argument pour justifier les eurobonds ; c’est également une politique peu pertinente sur le plan macroéconomique. Pire, les appels à un surcroît de solidarité pourraient être contreproductifs dans la mesure où ils divisent davantage l’Europe et détruisent la solidarité qui y existe.

Bien avant l’épidémie de Covid-19, les Européens du nord craignaient que les sudistes endettés ne cherchent des excuses pour profiter de leur épargne. Les sermonner à propos de la signification du mot solidarité ne peut que renforcer cette suspicion. Il serait plus facile d’assurer l’unification de l’Europe et d’empêcher sa désintégration si l’on cessait de parler de solidarité et que l’on appelait plutôt à la rationalité.

Les épargnants hollandais et allemands doivent reconnaître qu’ils auraient bien moins épargné si les emprunteurs italiens, grecs et espagnols n’avaient pas partagé l’euro avec eux. Après tout, ce sont les déficits du sud qui maintiennent le taux de change de l’euro suffisamment faible pour que l’Allemagne et les Pays-Bas puissent maintenir leurs exportations nettes. Le mérite des eurobonds n’a donc rien à voir avec la solidarité. En transférant la dette des pays déficitaires vers une Union forte et, au cours du processus, en réduisant la dette totale de la zone euro (grâce aux taux d’intérêt de long terme plus faibles impliqués par la plus grande solvabilité de l’UE), les eurobonds permettraient de maintenir un pays comme l’Italie dans la zone euro, ce qui empêcherait l’épargne des Hollandais et des Allemands de disparaître.

Comme le dit Adam Smith en 1776 : "ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt". De même, aujourd’hui, les eurobonds et un changement des règles ridicules de la zone euro ne s’obtiendront pas en appelant à la "bienveillance" des pays ayant un excédent. Pour éviter les vetos du nord, il faut en appeler à ce que Smith appelait leur "égoïsme", en rendant manifeste que les politiques autodestructrices du nord feront aussi l’objet d’un veto. »

Yanis Varoufakis, « Solidarity is not what Europe needs », 20 avril 2020. Traduit par Martin Anota



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« Le cœur de la zone euro aiderait-il la périphérie en adoptant un plan de relance ? »

« L’Allemagne contre la zone euro »

mercredi 26 juin 2019

Quelle architecture pour la politique macroéconomique de la zone euro ?

« (...) L’architecture de la politique macroéconomique de la zone euro souffre de deux faiblesses sérieuses, qui ont largement façonné l’histoire des 20 dernières années et qui devraient façonner aussi les années qui arrivent. (…). La première est ancienne et bien connue, à savoir le manque d’ajustement des prix relatifs. Ce fut à la source des larges déficits de comptes courants dans le sud de la zone euro et cela se manifeste à présent à travers les larges excédents de comptes courants de l’Allemagne et des Pays-Bas. Ce problème n’est toujours pas résolu. La seconde est plus récente. C’est le cadre de la politique budgétaire, à la lumière des très faibles taux d’intérêt qui prévalent et qui devraient persister à l’avenir. Dans ce contexte, la politique budgétaire a un rôle bien plus actif à jouer, et elle n’est pas encore équiper pour ce faire.

Je vais commencer par brièvement évoquer la première fragilité. Elle nous est familière, mais elle ne doit pas être ignorée. Mais je vais surtout me focaliser sur la seconde. J’avoue que, dans le contexte géopolitique de la zone euro, cela paraît hors sol, mais il est utile de commencer par là.

L’architecture de politique macroéconomique dans l’"idéal"


Prenons un peu de recul et commençons avec l’architecture de la politique macroéconomique et l’allocation des tâches entre politiques budgétaire et monétaire dans l’idéal dans une zone monétaire telle que la zone euro. La politique monétaire devrait être en charge du maintien de la production potentielle de la zone euro à son potentiel ou, ce qui revient au même (selon moi), du maintien de l’inflation de la zone euro à sa cible. Dans chaque pays-membre, la politique budgétaire devrait suivre ce que j’appellerai des principes de pures finances publiques, le vieillissement démographique, la redistribution intergénérationnelle, le lissage des impôts. En d’autres mots, il devrait y avoir une nette séparation des tâches. Et si, comme c’est probable, cela laisse des pays en particulier avec des écarts de production, positifs ou négatifs, les prix relatifs devraient s’ajuster pour maintenir la production de chaque pays à son potentiel. Qu’importe ce que seront les soldes courants, (…) tout se passera bien.

Les prix relatifs ne s’ajustent pas, du moins pas assez vite


Pourquoi cela n’a-t-il pas eu lieu ? La principale raison est que les prix relatifs ne s’ajustent pas ou, du moins, ne s’ajustent pas assez vite. En conséquence, comme nous l’avons vu, certains pays finissent avec de larges déficits de comptes courants ou de longues et douloureuses contractions ou une combinaison des deux. Et maintenant nous voyons subsister de larges excédents de comptes courants, qui ne sont pas aussi mauvais, mais qui constituent pourtant un problème majeur. Nous nourrissions l’espoir, au début, que le taux de change nominal fixe mènerait à un ajustement plus rapide des prix et salaires. Ce ne fut pas le cas. Et, à cause de la faiblesse de l’inflation, la rigidité des salaires à la baisse s’est renforcée.

Est-ce que cela peut être résolu ? Pas facilement, et je pense que cela restera un problème à résoudre à l’avenir. Nous ne pouvons pas obtenir les mêmes amples chocs que nous avions eus au début de l’euro, mais il y aura des chocs spécifiques aux pays. Pour résoudre le problème, ou du moins le réduire, cela requiert un certain nombre de conditions. Premièrement, il doit y avoir un accord sur ce qui doit être fait, sur ce qui serait la bonne configuration des comptes courants et sur la façon par laquelle chaque pays doit s’ajuster. Et ensuite, il y a la mise en œuvre, via les ajustements des salaires et des prix au niveau de chaque pays, à la hausse comme à la baisse. Aucune de ces conditions n’est satisfaite.

Concernant la première, voici une anecdote. En 2015, le rapport des Cinq Présidents préconisait la création d’un système d’autorités de la compétitivité pour la zone euro et la création de conseils nationaux de la compétitivité. Après l’opposition de l’Allemagne, les conseils s’appellent désormais les "conseils nationaux de la productivité".

Même s’il y avait un accord à propos de la bonne configuration des soldes de comptes courants, il ne serait pas facile d’obtenir celle-ci. Il vaut mieux l’atteindre via l’inflation dans les pays dont le compte courant est excédentaire que via la déflation dans les pays dont le compte courant est déficitaire. La raison en est que la déflation entraîne une hausse des taux d’intérêt réels, rendant l’ajustement encore plus difficile pour les pays à déficits courants. Penser en ces termes serait un premier pas pour les pays-membres de la zone euro et requiert une cible d’inflation plus flexible pour la BCE. Nous n’en sommes pas là.

Finalement, au niveau d’un pays, même si un ajustement parallèle des salaires nominaux et des prix des biens produits dans l’économie domestique peut réduire le fardeau, il est très difficile à obtenir. La confiance nécessaire entre les partenaires sociaux pour atteindre un tel ajustement coordonné n’est pas là. J’ai conseillé des cadres institutionnels où de tels accords ou, du moins, de telles discussions peuvent prendre place, mais là aussi nous n’y sommes pas.

Le défi des très faibles taux d'intérêt neutres


Passons au deuxième défi, celui qui pose les très faibles taux d’intérêt neutres. Comme je l’ai affirmé dans une récente contribution, cela a deux implications générales. Ils impliquent un plus faible coût de la dette, à la fois budgétaire et économique. Je me suis focalisé sur un différentiel r-g négatif, mais le point général est le faible coût de la dette. Et (…) parce que la faiblesse des taux augmente la probabilité que la borne inférieure effective soit plus contraignante et réduit donc la marge de manœuvre de la politique monétaire, elle implique un rôle plus important pour la politique budgétaire.

Est-ce la situation dans laquelle se trouve la zone euro ? Ma réponse est oui. Y a-t-il un écart de production de la zone euro ? Comme nous le savons, c’est une question controversée, mais je continue de me fier au comportement de l’inflation. Selon moi, le fait que l’inflation soit inférieure à la cible indique qu’il y a en effet un écart de production. Et en regardant les pays à un, je vois un écart de production négatif dans plusieurs d’entre eux. Est-ce que la politique monétaire a perdu sa marge de manœuvre ? Elle est clairement réduite. Certes, elle peut acheter beaucoup plus d’actifs. Mais les effets de ces achats sur les taux sont sûrement très limités. Et il n’y a sûrement pas assez de marge de manœuvre pour répondre à une récession (…).

Cela a des implications pour la politique budgétaire en général et pour la politique budgétaire dans une zone monétaire en particulier. Commençons avec les implications générales (…) : La première, qui est assez évidente, est qu’il était peut-être urgent de réduire la dette publique, mais que sa réduction n’est pas urgente aujourd’hui. Les coûts sont plus faibles. Les risques sont aussi plus faibles. Alors que la dette est élevée, le service de la dette ne l’est pas, selon les normes historiques. Il n’y a pas de crise de la dette souveraine.

La deuxième implication est que, dans la mesure où la demande globale est insuffisante pour maintenir la production à son potentiel, les déficits sont nécessaires pour la soutenir. Certes, des réformes structurelles, qui stimulent la croissance et nourrissent l’optimisme et par là la demande aujourd’hui, peuvent aider, mais les preuves empiriques suggèrent qu’il serait dangereux de ne se reposer que sur elles.

La troisième implication, qui est complémentaire à la deuxième, est que, dans la mesure où les déficits budgétaires sont nécessaires, ils doivent être utilisés, autant que possible, pour investir dans le futur, soit via l’investissement public, compris dans un sens large, soit via le financement des réformes structurelles.

Les implications pour l’architecture budgétaire de la zone euro


Tournons-nous maintenant vers les implications pour l’architecture budgétaire de la zone euro (…). Focalisons-nous sur quatre implications. La première est qu’il faut réviser les diverses règles définissant des cibles de dette, les vitesses d’ajustement à ces cibles et la flexibilité avec laquelle la politique budgétaire peut répondre à une faible demande globale.

La deuxième implication est que, dans la mesure où des déficits publics sont nécessaires pour soutenir la demande globale, ils doivent être bien utilisés. Depuis 2007, le ratio rapportant l’investissement public au PIB dans la zone euro a baissé de 0,8 point de pourcentage, de 2,3 points de pourcentage en Grèce, 2,7 points de pourcentage en Espagne, 1,3 point de pourcentage au Portugal et 0,9 points de pourcentage en Italie. Cela suggère fortement de réviser ce que l’on appelle la règle d’or budgétaire, c’est-à-dire la séparation entre un compte courant et un compte de capital pour les gouvernements, avec la possibilité de financer les dépenses du compte de capital via l’emprunt. Je suis conscient du risque que les gouvernements cherchent à classer un maximum de dépenses comme investissement. (…) Donc, il faut clairement une certaine institution au niveau de la zone euro qui ait le pouvoir de dire ce qui doit être ou non classé comme tel.

Les troisième et quatrième implications reflètent la spécificité d’une zone monétaire. La troisième a à voir avec la coordination des politiques monétaire et budgétaire. Dans cet environnement, la coordination entre politiques monétaire et budgétaire devient plus cruciale. Elle est plus difficile quand il y a 19 pays qui y sont impliqués. Cela plaide davantage pour une sorte de ministère des finances au niveau de la zone euro.

Enfin, la quatrième découle des externalités spécifiques à la monnaie unique. Lorsque la politique budgétaire doit être expansionniste au niveau de la zone euro, elle risque de ne pas être suffisamment assouplie. La raison tient aux effets de débordement, c’est-à-dire aux externalités survenant dans un groupe de pays très intégrés les uns aux autres. La hausse de la demande domestique provenant de l’expansion budgétaire se traduira par une hausse des importations et non seulement une hausse de la demande de produits domestiques. Par conséquent, les pays sont susceptibles d’en faire trop peu et la production de la zone euro risque de rester inférieure à son potentiel.

Quelle peut être la solution ? (…) Premièrement, via une expansion budgétaire coordonnée, telle que celle qui a été menée par le G20 en 2009, lorsque chaque Etat avait émis de la dette publique. Cela se limiterait malheureusement aux Etats capables de le faire, même si je pense que les marchés seraient plus favorables à un creusement des déficits publics en Italie si celui-ci était la contrepartie d’un plan de relance coordonné. Deuxièmement, via un Budget commun, financé par l’émission d’eurobonds. Mais cela implique un partage des risques et nous connaissons les difficultés politiques auxquelles se heurte une telle idée (le nouvel embryon de Budget est un début et je l’espère pas une fin). (…) »

Olivier Blanchard, « ECB monetary policy in the post-Draghi era », discours prononcé à la conférence de la BCE tenue à Sintra le 17 juin 2019. Traduit par Martin Anota



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« Faut-il s'inquiéter de la dette publique lorsque les taux d’intérêt sont faibles ? »

« Le cœur de la zone euro aiderait-il la périphérie en adoptant un plan de relance ? »

« Unification budgétaire ou désintégration monétaire »

« Vers l’union budgétaire »

jeudi 31 janvier 2019

L’euro : vingt ans de succès et d’échecs

« En Europe, il y a vingt ans ce mois-ci, onze devises nationales historiques ont disparu et furent remplacées par une nouvelle monnaie : l’euro. Depuis, l’euro a connu des succès et des échecs. Passons en revue l’expérience de l’euro au cours de ses deux premières décennies. Là où il y a eu des échecs, dans quelle mesure ces derniers résultaient d’erreurs techniques évitables ? Combien d’échecs survinrent parce que des avertissements furent ignorés ? Dans quelle mesure ces échecs furent la conséquence inévitable d’une détermination à construire une union monétaire en l’absence de volonté politique pour soutenir les changements fondamentaux nécessaires pour qu’une telle union fonctionne ? Les trois réussites initiales

On oublie trois réussites initiales. Premièrement, la transition des monnaies nationales à l’euro en janvier 1999 s’est déroulée sans difficultés. A l’époque, on ne pensait pas que ce serait forcément le cas. Souvenez-nous des crises de devises européennes en 1992 et 1993 ou des plus récentes démonétarisations ailleurs. Deuxièmement, l’euro est instantanément devenu la deuxième devise internationale selon pratiquement toutes les mesures de l’usage international des devises. Troisièmement, l’incitation à être admis dans le club mena à des réformes favorables dans plusieurs pays candidats, en particulier les pays en Europe centrale et orientale qui rejoignirent la zone euro en 2002.

Sept échecs


Il y a eu peut-être plus d’échecs que de réussites. Considérons sept échecs.

  • Premièrement, il y a le problème des chocs asymétriques ou non synchronisés. Plusieurs économistes américains, en particulier, avaient alerté au préalable que les économies européennes manquaient de synchronisation conjoncturelle et d’autres critères clés pour qu’un groupe de pays constituent une "zone monétaire optimale". Il est plus facile d’abandonner l’indépendance monétaire si les besoins de votre économie sont les mêmes que ceux des pays avec lesquels vous allez adopter une politique monétaire unique. Il est aussi plus facile de le faire si vous avez des moyens alternatifs pour ajuster votre économie aux chocs, par exemple si les travailleurs peuvent facilement aller d’une région à l’autre ou s’il existe des mécanismes de transferts supranationaux permettant d’absorber les impacts locaux. Les pays européens disposaient moins de tels mécanismes alternatifs d’ajustement que, par exemple, les cinquante Etats fédérés qui composent les Etats-Unis et qui partagent la même monnaie.


Ces craintes se révélèrent exactes. Prenons un exemple, les Irlandais en 2004-2006 avaient besoin d’une politique monétaire bien plus stricte que celle que suivait alors la BCE, parce qu’ils connaissaient alors une bulle spéculative et une surchauffe de leur économie. Mais, bien sûr, ils avaient abandonné la possibilité de réévaluer leur monnaie ou de relever leurs taux d’intérêt. Inversement, durant la période 2009-2013, l’Irlande avait besoin d’une politique monétaire plus souple que celle adoptée par la BCE, parce qu’elle affrontait alors une sévère récession. Mais malheureusement pour elle, elle n’avait plus la possibilité de dévaluer, d’imprimer de la monnaie ou de réduire ses taux d’intérêt.

  • Deuxièmement, il y a eu de larges déficits de comptes courants dans les pays périphériques dans la première décennie de l’euro. A l’époque, de larges flux de capitaux vers la périphérie étaient considérés comme la preuve d’une intégration financière efficace. Avec le recul, les déséquilibres furent considérés comme moins bénins, attribuables en partie à la hausse des coûts du travail unitaires de la périphérie relativement à ceux de l’Allemagne.

  • Le troisième échec tient au niveau élevé des déficits budgétaires et de la dette publique dans certains pays, en particulier la Grèce. Le problème de l’aléa moral dans la politique budgétaire nationale (c’est-à-dire le fait que la croyance que le pays serait renfloué en cas de crise entraîne une érosion de la discipline budgétaire) n’était pas très présent dans les travaux académiques. (Ces derniers se focalisaient plutôt sur la question de la zone monétaire optimale.) Mais poussés par les contribuables allemands qui s’inquiétaient à l’idée d’avoir à renflouer les pays dépensiers du contour méditerranéen, les architectes de la zone euro identifièrent correctement l’aléa moral budgétaire comme une vulnérabilité centrale. Ils essayèrent vraiment de répondre à ce problème. Ils adoptèrent (1) les critères de Maastricht, notamment l’obligation pour chaque pays d’avoir un déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB ; (2) la clause de "non-renflouement" et (3) plus tard, le Pacte de Stabilité et de Croissance, qui pérennisaient les obligations budgétaires.


En pratique, les règles budgétaires furent mal respectées. Presque tous les membres de la zone euro violèrent la règle des 3 %, même l’Allemagne. Les gouvernements affirmèrent régulièrement que les cibles budgétaires seraient respectées à l’avenir, des affirmations qui découlèrent notamment de prévisions de croissance systématiquement excessivement optimistes. Les responsables politiques durant la première décennie n’indiquèrent jamais prévoir un déficit budgétaire supérieur à 3 %, même s’ils avaient souvent connu des déficits excessifs au cours des précédentes années. Quand les déficits dépassaient les 3 %, les dirigeants évoquaient des "chocs négatifs inattendus".

  • Quatrièmement, quand les gouvernements des pays périphériques eurent soudainement la capacité d’emprunter à de faibles primes de risque souverain par rapport aux taux d’intérêt allemands, cela fut interprété comme une bonne nouvelle. Que les pays fortement endettés n’aient pas à payer des pénalités d’intérêt, contrairement à des Etats fédérés étasuniens comme l’Illinois, devait être interprété comme un signal que le problème de l’aléa moral n’avait pas été résolu.

Beaucoup ont parlé que cela constituait une erreur fatale de ne pas avoir transféré davantage de la politique budgétaire au niveau supranational, un échec qui devint manifeste lors de la crise de la zone euro et qui est aussi problématique dans le cas de l’Italie aujourd’hui que dans les pays périphériques en 2010. (La même chose s’applique à la réglementation bancaire. Quelques économistes soulignèrent correctement la nécessité d’une réglementation bancaire paneuropéenne si l’union monétaire se concrétisait, mais cet avertissement fut ignoré.) Il n’est peut-être pas juste de parler d’"erreurs", puisque l’opposition politique à l’encontre d’une fédéralisation de ces fonctions aurait été puissante à l’époque, comme elle l’est toujours d’aujourd’hui.

Dans d’autres domaines, cependant, les dirigeants ont mis des buts contre leur propre camp.

  • La BCE a commis l’erreur de relever ses taux d’intérêt en juillet 2008 et deux fois en 2011, malgré la récession mondiale.

  • Quand la crise grecque éclata au début de l’année 2010, les dirigeants européens ne l’ont pas gérée correctement. Ils avaient la possibilité de contenir le feu de forêt. Ils ont au contraire contribué à la propager. La première erreur a été l’échec à envoyer rapidement la Grèce au FMI. Bruxelles et Francfort pensaient que l’histoire des pays émergents n’était pas pertinente pour un pays-membre. La deuxième erreur fut le refus d’effacer rapidement la dette publique grecque, malgré l’analyse de soutenabilité de la dette montrant que la trajectoire du ratio dette publique sur PIB serait explosive même avec une forte austérité budgétaire.

  • L’insistance après 2009 sur l’austérité (appliquée en particulier à la Grèce, mais aussi à d’autres pays) a été une énorme erreur. Plus spécifiquement, la troïka (la Commission européenne, la BCE et le FMI) en 2010 sous-estima la chute de revenu qui suivrait l’adoption de plans d’austérité dans les pays périphériques. Même en laissant de côté le coût économique de la récession et le coût politique de la colère populiste qui lui est associée, l’austérité budgétaire ne pouvait atteindre l’objectif de ramener la dette publique de la Grèce et d’autres pays sur une trajectoire soutenable. Au contraire, la chute du PIB fut plus ample que celle de la dette, avec pour conséquence que les ratios dette publique sur PIB s’accrurent plus rapidement. (…)

Les troisième et septième échecs relèvent de la procyclicité de la politique budgétaire. La combinaison de fortes dépenses publiques en 2001-2007 et de l’austérité en 2010-2018 fit de la politique budgétaire grecque l’une des plus procyclique au monde. Les dépenses publiques dans d’autres pays périphériques se montrèrent aussi procycliques. Or une politique budgétaire procyclique exacerbe l’amplitude des cycles d’affaires. (…) »

Jeffrey Frankel, « Successes and failures of the euro’s first 20 years », in Econbrowser (blog), 28 janvier 2019. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Quelles ont été les répercussions de l'austérité dans la zone euro ? »

« Rattrapage entre pays-membres et optimalité de la politique monétaire unique »

« Les contrecoups de l’unification monétaire »

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