Annotations

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Environnement et ressources naturelles

Fil des billets

vendredi 9 février 2024

La planète a 99 problèmes, mais la croissance exponentielle n’en est pas un

« Si Noël est (hélas) une période de déchaînements matérialistes, janvier est souvent une période de réflexions tristes. Aurions-nous vraiment dû offrir à quelqu’un ce qui devrait bientôt se retrouver à la décharge ? La réponse, comme je l’ai écrit une douzaine de fois, est la suivante : probablement pas.

Heureusement, les gens ont arrêté de m'envoyer des mails pour me dire que les économistes ne comprennent pas Noël. Maintenant, ils m’envoient des mails pour me dire que les économistes ne comprennent pas la croissance exponentielle et qu’en conséquence la planète est condamnée. C’est irritant, car dire que les économistes ne comprennent pas la croissance exponentielle revient à dire que les comptables ne comprennent pas la comptabilité en partie double ou que les poètes ne comprennent pas la métaphore. (…)

Voilà une vieille, mais excellente, illustration de la croissance exponentielle. La légende raconte qu’un monarque ravi par le jeu d’échecs demanda à son inventeur quel récompense il désirait et ce génie demanda un paiement en apparence modeste : un grain de riz pour la première case de l'échiquier, deux grains de riz pour la deuxième, quatre grains de riz pour la troisième... le tas de riz doublant à chaque fois. Ce doublement est un processus exponentiel et la plupart des gens sont surpris lorsqu’ils apprennent que le 64ème carré nécessiterait plus de grains de riz que ce qu’il est possible de produire.

Moins intuitif encore, chaque case contient plus de riz que la somme de toutes les cases précédentes. Quel que soit la case que vous choisissez, et aussi important que puisse paraître le tas de riz dessus, la case suivante fera paraître tous les précédentes insignifiantes. Remplacez maintenant le riz par la consommation d’énergie ou les émissions de carbone, et vous pouvez avoir une image de l’imminente catastrophe environnementale.

Si le riz sur l’échiquier est l’illustration la plus célèbre de la croissance exponentielle, l’essai le plus célèbre sur le sujet a été publié en 1798 par Thomas Malthus. Malthus a affirmé que la population humaine menacerait toujours de dépasser la production agricole. Quelle que soit le rythme auquel la productivité agricole augmente, si cette croissance est arithmétique (10, 20, 30, 40, 50…), alors elle sera inévitablement dépassée par l’allure exponentielle de la croissance de la population humaine (2, 4, 8, 16, 32, 64…). Aucune prospérité soutenable n’est possible ; les humains finiront inévitablement par sombrer dans la pauvreté.

Il n’y a pas de débat avec les mathématiques ici. La faille dans le raisonnement de Malthus réside dans son hypothèse d’une croissance démographique exponentielle. La population mondiale se stabilise ; le nombre d’enfants de moins de cinq ans dans le monde a atteint un pic en 2017. Cela nous rappelle que les mathématiques tous seuls ne nous mènent pas loin et devrait inciter tous ceux qui s'inquiètent pour la planète à se demander ce qui croît ou non de façon exponentielle.

Il est instructif de jeter un coup d’œil sur le Royaume-Uni, l’une des premières économies développées au monde. Ce cœur industrialisé de l’empire brûlait autrefois de grandes quantités de charbon qui réchauffaient l’atmosphère et étouffaient les poumons. Mais comme le note Hannah Ritchie dans son nouveau livre Not the End of the World, les émissions de charbon par habitant au Royaume-Uni ont atteint un sommet il y a plus de cent ans. Une partie de cette baisse s’explique par la délocalisation des activités industrielles, le charbon étouffant quelqu'un d'autre, mais pour l’essentiel elle tient à l'utilisation de technologies plus propres et plus efficaces.

Au Royaume-Uni, les émissions de CO₂ par personne ont diminué de moitié au cours de ma vie. À l’échelle mondiale, les émissions de CO₂ par personne ont culminé en 2012. Même si le monde fait encore face à d’énormes défis environnementaux, rien dans ces chiffres ne suggère une croissance exponentielle.

La croissance économique se poursuit – peut-être pas de façon exponentielle, mais d’une façon quasi-exponentielle. Heureusement, la planète ne se soucie tout simplement pas des chiffres des comptes de comptabilité nationale. Ce qui compte pour notre environnement, ce sont les flux d’énergie, les polluants et autres grandeurs physiques.

On peut supposer que la croissance économique s’accompagne nécessairement d’une augmentation de la pollution et de la consommation d’énergie, mais les données suggèrent que la situation est plus encourageante que cela. On peut faire aussi un peu d'introspection : si vous gagnez 1 000 euros à la loterie, vous pouvez augmenter le chauffage dans votre logement. Cela ne veut pas dire que si vous gagniez 1 million d’euros, vous vous feriez bouillir vivant. Chaque centime dépensé n’est pas nécessairement arraché du sol de notre planète.

Il y a d’autres lueurs d’espoir. Par exemple, même si la déforestation continue à prendre une ampleur inquiétante, elle a été bien pire pendant la majeure partie du vingtième siècle et, dans de nombreux pays riches, les forêts sont en train de réapparaître. L'utilisation des terres agricoles a atteint son apogée à l'échelle mondiale il y a environ vingt-cinq ans, et Ritchie soutient que nous pourrions également avoir atteint ou quasiment avoir atteint le pic dans l’utilisation d'engrais.

Mais tous les indicateurs ne sont pas aussi rassurants. Ed Conway, dans son livre Material World, publié en 2023, avance des chiffres troublants sur la quantité de choses (sable, eau, terre) que nous déplaçons. "En 2019, écrit-il, nous avons extrait, creusé et dynamité plus de matériaux de la surface de la Terre que la somme totale de tout ce que nous avions extrait depuis l'aube de l'humanité jusqu'en 1950."

Cela est dû en partie à la croissance de la demande, mais aussi au fait que nous avons tout d’abord cueilli les fruits à portée de main. Le cuivre est le système nerveux de notre ère électronique, mais les mineurs ont dû extraire des quantités croissantes de minerais de plus en plus rares. La plus grande et la plus célèbre mine de cuivre du monde, Chuquicamata, avait des filons qui contenaient jusqu'à 15 % de cuivre à la fin du dix-neuvième siècle. Aujourd’hui, ils contiennent moins de 1 % de cuivre. Nos appareils deviennent plus petits et plus légers, mais pas les camions gargantuesques de Chuquicamata.

Conway craint que nous tenions pour acquis les processus industriels cachés qui sous-tendent notre confort quotidien. Ritchie craint que nous soyons si découragés par les prophéties catastrophiques que nous risquons de rater l'occasion de devenir la première génération véritablement soutenable dans le monde moderne.

Tous deux ont raison. Nous dépendons d’une grande variété de ressources naturelles ; il existe des tendances à la fois alarmantes et encourageantes. Nous avons besoin des bonnes politiques dès maintenant, et les adopter signifie mettre de côté les expériences de pensée sur la croissance exponentielle et plutôt examiner ce que les données nous montrent sur les défis et les opportunités à venir. »

Tim Harford, « The planet’s got 99 problems, but exponential growth isn’t one », janvier 2024. Traduit par Martin Anota

mardi 13 juin 2023

Le monde doit se préparer à un épisode El Niño destructeur l’année prochaine

« La National Oceanic and Atmospheric Administration des Etats-Unis prévoit un puissant épisode El Niño, susceptible de particulièrement perturber le temps au niveau mondial, au début de l’année 2024. Les études suggèrent qu’un El Niño peut freiner la croissance économique, aggraver la crise de la dette des pays en développement et exacerber les conflits armés dans les régions les plus affectées. Il n’est pas trop tôt pour que les nations créancières du monde accélèrent le rythme de la restructuration de la dette des pays en développement.

El Niño/La Niña sont des périodes de températures atypiquement chaudes/froides dans l’Est de l’océan Pacifique. Le cycle entre les deux est appelé "oscillation australe" et il constitue la plus forte source de variabilité d’une année à l’autre du système climatique mondial. Son impact sur le temps est plus prononcé dans les tropiques et en Afrique subsaharienne, où plusieurs économies dépendent de la pêche et de l’agriculture pluviale.

Les impacts sur la croissance économique dans ces zones peuvent être désastreux. Un récent article publié dans Science par Christopher Callahan et Justin Mankin attribue des pertes économiques massives aux effets durablement négatifs d’El Niño sur la croissance, en estimant des pertes totales de 4.100 milliards et 5.700 milliards respectivement durant les épisodes El Niño de 1982-1983 et 1997-1998. L’ordre de magnitude de ces estimations est supérieur à celle des estimations précédemment obtenues pour les pertes économiques associées à El Niño. Les estimations suggèrent que les pertes découlant de ces événements climatiques peuvent persister au-delà de cinq ans, notamment les effets cumulés de croissance et d’investissement perdus, les dommages aux infrastructures dus aux glissements de terrains et aux inondations et les maladies.

Certains économistes, notamment Matthew Kahn et David Ubilava, ont contesté ces estimations. Mais les pays en développement, en particulier en Afrique et les pays où la relation historique entre el Niño et la croissance du PIB est la plus forte (comme le Pérou, le Ghana et l’Indonésie) sont bien exposés à des pertes d’un montant s’élevant à des centaines de milliards.

Un El Niño puissant peut aussi être politiquement déstabilisateur. Un article publié dans Nature par Solomon Hsiang, Kyle Meng et Mark Cane conclut que les explosions de conflits civiles (les conflits armés entre rebelles et gouvernements) ont été deux fois plus probables durant les épisodes d’El Niño que durant les épisodes de La Niña. Certains de leurs déclencheurs sont des chocs économiques (liés ou non au temps) ou des déclins de l’activité agricole, en particulier pour les agriculteurs de subsistance et les communautés reculées. De tels conflits armés ont des conséquences dévastatrices et durables pour le développement économique et humain.

Dans un récent article publié dans Marine Policy, mon équipe de recherche a trouvé une forte relation entre El Niño et les conflits militaires autour des pêcheries dans des pays côtoyant les mers à l’est et ou sud de Chine, notamment la Chine, le Japon et l’Indonésie. Les conflits autour des pêcheries dans ces pays sont trois fois plus susceptibles de se produire au cours des épisodes El Niño qu’au cours du reste du temps. Bien que ces conflits n’aient pas escaladé en guerres à grande échelle, ils ont entraîné des incidents internationaux avec d’importants effets économiques. L’embargo de la Chine sur les exportations de terres rares vers le Japon durant le conflit territorial des îles Senkaku de 2010 commença avec des conflits impliquant des navires de pêche par exemple.

Tous ces effets sont les plus susceptibles de se manifester dans les pays en développement qui ont déjà une importante dette externe consécutivement aux lentes reprises post-Covid et à la hausse des taux d’intérêt et qui s’est aggravée avec les désaccords entre les principales nations créancières, notamment la Chine et les membres du Club de Paris, à propos du partage de la dette dans d’éventuelles restructurations de la dette. Un puissant El Niño peut aggraver les difficultés déjà sévères que ces pays rencontrent pour chercher à assurer le service de leur dette externe tout en fournissant des services publics critiques comme les soins de santé et le paiement d’importations d’aliments et de carburants. La crise de la dette en Amérique latine (1982-1983) et la crise asiatique (1997-1998) ont coïncidé avec certains des plus puissants épisodes El Niño qui aient été enregistrés au cours de l’Histoire.

Les crises de la dette de plusieurs pays sont le sujet de vives discussions impliquant la Banque mondiale, le FMI et des nations créancières, mais les accords larges ont été élusifs. Cependant, en avril, le Ghana a sécurisé un prêt de 3 milliards de dollars du FMI après que la Chine et d’autres créanciers sont arrivés à un accord, signalant la possibilité d’une coopération plus large entre la Chine et les créanciers occidentaux pour répondre au problème de la dette du monde en développement. Un puissant El Nino en 2023-2024 pourrait rendre une telle coopération encore plus impérieuse. »

Cullen Hendrix, « The world must prepare for a destructive El Niño season next year », PIIE, Realtime Economics (blog), 12 juin 2023.

vendredi 7 octobre 2022

Les nouvelles technologies peuvent-elles résoudre le problème du changement climatique ?

« Il est clair que des progrès significatifs peuvent être réalisés dans l’atténuation du changement climatique via le passage à une énergie décarbonée, la réduction de la déforestation et des changements dans nos façons de produire et de consommer les aliments. L’énergie renouvelable devient de moins en moins chère à produire relativement aux carburants fossiles ; une récente étude de l’Université d’Oxford suggère que le remplacement des combustibles fossiles par de l’énergie propre pourrait permettre d’économiser plus de 12.000 milliards de dollars d’ici 2050. Et l’Agence Internationale de l’Energie a souligné qu’il y a maintenant plus d’emplois dans l’"énergie propre" (notamment les énergies renouvelables, les véhicules électriques, l’efficience énergétique et l’énergie nucléaire) que dans l’industrie des combustibles fossiles, si bien que même le seul raisonnement "économique" devrait constituer une incitation suffisante pour procéder rapidement à une décarbonation du système énergétique.

Nous savons aussi qu’une transition hors des carburants fossiles apporterait d’importants bénéfices en termes de santé et de bien-être en réduisant la pollution de l’air et en imposant l’adoption de styles de vie plus actifs et des régimes alimentaires plus équilibrés. Et les efforts déployés pour réduire les émissions nettes de carbone peuvent aussi contribuer à réduire les inégalités sociales, en particulier dans les sociétés déjà très inégalitaires, si des investissements sont réalisés, par exemple, dans des transports publics à faible carbone abordables et fiables, dans des espaces verts en ville et dans l'efficacité des systèmes de refroidissement et de réchauffement des logements.

Pourtant, le fait est que les émissions mondiales de carbone augmentent toujours et que les pays semblent résister à l’adoption des fiscalités et réglementations nécessaires à l’accélération de la transition énergétique si cruciale pour ramener les émissions nettes à zéro. Cela s’explique notamment par les intérêts privés et par le fait qu’une attention insuffisante est portée à la justice de la transition, par exemple à l’égard des travailleurs dont l’existence est liée aux carburants fossiles.

Il serait difficile de ne pas rechercher de nouvelles solutions technologiques si le monde espère parvenir atteindre les objectifs de l’Accord de Paris en matière de températures. En effet, d’ici 2050, presque la moitié des réductions d’émissions nécessaires pour ramener les émissions nettes à zéro viendra de technologies qui sont actuellement à l’étape de prototypes, selon l’Agence Internationale de l’Energie.

Que peuvent encore offrir les technologies ?


Nous devons continuer de développer des technologies qui augmentent l’efficience énergétique et réduisent la demande d'énergie, pour développer des méthodes de création d’énergies qui soient peu carbonées et pour déplacer le carbone présent dans l’atmosphère. En ce qui cerne ce dernier point, la capture du carbone (utilisée soit pour réduire les émissions industrielles qui sont les plus cruciales à réduire, soit pour déplacer le carbone directement de l’atmosphère) est souvent considérée comme un élément essentiel de la trajectoire vers le zéro net. (…) Les coûts sont toutefois pour l’instant très élevés (…).

L’hydrogène est un autre domaine dans lequel il y a un large potentiel d’innovation pour un passage vers une énergie propre. Ce carburant versatile n’est peu carboné que dans la mesure où il est produit d’une façon qui soit peu carbonée. La méthode la plus courante pour produire de l’hydrogène à bas carbone requiert une ample offre d’énergies renouvelables et d’eau. Pour fournir cette dernière, certains scientifiques travaillent afin de réussir à faire sortir ce combustible "du néant". Ces méthodes sont très coûteuses, avec des estimations suggérant que l’hydrogène vert ne serait pas compétitif, même si les prix du carbone étaient autour de 200 dollars la tonne.

On considérait que la fusion nucléaire, susceptible de constituer une source illimitée d’énergie peu carbonée, serait à portée de mains en quelques décennies… il y a déjà plusieurs décennies. Le coût de l’ITER, le mégaprojet international visant à donner vie à la fusion, pourrait maintenant coûter 22 milliards d’euros, bien plus que l’estimation initiale de 6 milliards d’euros. Mais la croyance en l’idée que la fusion va finir par être commercialisée est peut-être plus forte aujourd’hui que jamais, avec la hausse rapide de l’investissement du secteur privé ces dernières années et un record de production d’énergie par fusion battu cette année.

A l’extrémité la plus controversée du spectre se trouvent les techniques de géoingénierie telles que la géoingénierie solaire, qui réfléchit la lumière du soleil dans l’espace, ou l’"ensemencement" (seeding) des nuages et des océans pour modifier les chutes de pluie et accroître l’absorption du carbone par les océans. (Certains scientifiques ont même suggéré un projet pour rafraîchir les pôles nord et sud.) De telles techniques offrent la possibilité de réduire les températures mondiales sans réduire les concentrations en dioxyde de carbone de l’atmosphère, ce qui signifie qu’elles ne s’attaquent pas à la cause profonde du changement climatique et que les températures pourraient fortement varier si elles étaient utilisées de façon discontinue. Elles ne réduisent pas non plus l’acidification de l’océan, alors que réduire ou déplacer le dioxyde de carbone le permettrait. Il y a aussi une considérable incertitude autour des effets que ces technologies pourraient avoir : si elles altèrent les pluies des moussons tropicales, par exemple, les répercussions pour la sécurité alimentaire pourraient être significatives, en particulier pour les pays à faible revenu.

Qu’importe les promesses, nous ne devons pas nous reposer excessivement sur une solution technologique

Même si de nouvelles technologies constituent la meilleure (et peut-être la seule) chance que le monde ait pour ramener les émissions nettes à zéro, nous ne devons pas retarder l’adoption de solutions aujourd’hui disponibles dans l’espoir qu’une future solution technologique nous sauve. Si nous le faisons, nous prenons le risque de ne pas respecter les objectifs de l’Accord de Paris en matière de températures et de menacer l’équité intergénérationnelle en mettant en péril l’avenir des plus jeunes générations et de celles qui ne sont pas encore nées. Le temps que ces nouvelles technologies soient disponibles sous des formes fonctionnelles, à un prix abordable, il pourrait être trop tard. L’expérience avec certains projets de capture et de stockage du carbone montre que la technologie peut ne pas parfaitement fonctionner tout d’abord et que l’apprentissage par la pratique (qui prend du temps) est une part essentielle du processus d’innovation.

La chute rapide du coût du solaire photovoltaïque et de l’énergie éolienne peut suggérer que la même chose pourrait se passer pour des technologies plus récentes. Cependant, la suraccumulation de ressources publiques à de nouvelles innovations (avec la possibilité de conséquences socialement régressives, selon la façon par laquelle les coûts sont recouvrés) peut saper la légitimité publique de la transition dans son ensemble. Cette menace peut être plus forte au regard de l’investissement dans des technologies controversées, qui ont actuellement de faibles niveaux de soutien public, telles que la géoingénierie.

(…) Nous avons déjà une très bonne idée des mesures qui pourraient immédiatement nous donner les réductions d’émissions que nous avons besoin en urgence, une croissance économique compatible avec une émission nette nulle et des bénéfices en termes de santé et de bien-être. Il n’y a donc pas de raison de retarder les mesures d’atténuation des émissions que nous pouvons et devons adopter aujourd’hui. »

Elizabeth Robinson et Esin Serin, « Could new technology solve climate change? », LSE Business Review, 20 septembre 2022. Traduit par Martin Anota

samedi 27 août 2022

Pourquoi les prix des produits de base ont peut-être atteint un pic

« Parmi les plus saillants développements économiques au cours des deux dernières années, il y a eu les amples mouvements des prix du pétrole, des minéraux et des produits de base agricoles. Il était difficile d’ignorer la forte hausse des prix des produits de base. Le prix du pétrole Brent est passé de 20 dollars le baril en avril 2020, durant la première vague de Covid-19, à un pic de 122 dollars le baril en mars 2022, après le début de l’invasion russe de l’Ukraine. Mais il n’y a pas que le pétrole. Le prix du cuivre a doublé au cours de cette période. Le prix du blé a plus que doublé. Et ainsi de suite. Les indices mondiaux des prix des produits de base ont presque triplé d’avril 2020 à mars 2022. Ces chiffres sont en dollars. La hausse des prix est plus forte lorsqu’ils sont exprimés en euros, en yens, en wons ou dans d’autres devises.

(…) Les prix de plusieurs produits de base ont chuté au cours de l’été. Le prix du pétrole a baissé d’environ 30 % entre début juin et la mi-août.

Cette chute des prix de produits de base est-elle juste temporaire ? ou est-ce le signe qu’ils ont atteint un pic et que l’on peut s’attendre à ce qu’ils continuent de baisser ?


Pourquoi les prix de différents produits de base sont si corrélés ?

Pour l’essentiel, les prix des différents produits de base sont très corrélés entre eux. Dans plusieurs cas, c’est dû à des liens microéconomiques directs. Quand le prix du pétrole augmente, les coûts des producteurs de blé augmentent, parce que l’équipement de récolte utilise du diesel, tandis que l’engrais est fait à partir de gaz naturel, ce qui pousse à la hausse les prix du blé. Mais la corrélation entre les énergies, les minéraux et les produits de base agricoles appelle une explication macroéconomique. Il y a deux raisons macroéconomiques pour penser que les prix des produits de base en général vont davantage chuter. L’une d’entre elles est évidente, l’autre moins.

Différents récits s’appliquent à différents produits de base, bien sûr, en raison de particularités microéconomiques. Le prix du gaz naturel en Europe est poussé à augmenter, comme le continent se prépare à passer l’hiver sans gaz russe. Mais le récit est susceptible d’être très différent ailleurs.

La croissance mondiale

Le facteur macroéconomique le plus évident est le niveau global de l’activité économique. Le PIB est un déterminant important de la demande de produits de base et par conséquent de leur prix réel. Chose moins évidente, le taux d’intérêt réel est un autre déterminant. A présent, la perspective pour la croissance mondiale (un ralentissement) et la perspective pour les taux d’intérêt (une hausse) suggèrent une trajectoire descendante pour les prix des produits de base.

Une forte croissance mondiale, avec notamment la croissance chinoise, peut expliquer les hausses majeures des prix des produits de base en 2004-2007, en 2010-2011 et en 2021. Inversement, les récessions abruptes peuvent expliquer le plongeon des prix des produits de base de juin 2008 à février 2009 (durant la Grande Récession) et à nouveau de janvier à avril 2020 (durant la récession pandémique). Cela laisse inexpliquée, pour le moment, la hausse des prix des produits de base durant la première moitié de l’année 2008 et le déclin en 2014-2015.

La croissance mondiale est actuellement en train de ralentir, pour des raisons bien connues. Le taux de croissance de la Chine a fortement baissé (en particulier dans le secteur manufacturier intensif en produits de base). Il est devenu négatif au deuxième trimestre, comme Shanghai et d’autres villes ont subi des confinements en soutien à une futile politique zéro-Covid. L’Europe est durement touchée par les effets de l’invasion russe de l’Ukraine. Même la croissance américaine a ralenti en 2022 par rapport à l’année dernière, beaucoup estimant qu’une récession a commencé. (Pour ma part, cependant, je suis toujours prêt à parier qu’aucune récession n’a commencé au premier semestre de l’année 2022 et que soit le PIB du premier trimestre, soit le PIB du deuxième trimestre sera révisé à la hausse d’ici fin septembre.)

Globalement, selon la plus récente actualisation des Perspectives de l’économie mondiale, la croissance mondiale devrait substantiellement ralentir, en passant de 6,1 % en 2021 à 3,2 % en 2022, puis à 2,9 % en 2023. Un ralentissement de la croissance signifie une moindre demande de produits de base et donc de moindres prix.

Les taux d’intérêt réels

En outre, comme la Fed et d’autres banques centrales resserrent leur politique monétaire, on s’attend à ce que les taux d’intérêt réels augmentent. Cela est susceptible de réduire les prix des produits de base et pas seulement parce que des taux d’intérêt réels plus élevés augmentent la probabilité qu’une récession éclate. Les taux d’intérêt ont un effet indépendamment du PIB, que ce soit en théorie ou statistiquement.

La théorie de la relation entre taux d’intérêt et prix de produits de base est établie depuis longtemps. J’aime la version de la "surréaction" de la théorie. L’intuition la plus simple derrière la relation est que le taux d’intérêt est un coût de possession de stocks. Une hausse du taux d’intérêt réduit la demande des entreprises pour détenir des stocks et par conséquent réduit les prix des produits de base.

Trois autres mécanismes opèrent en plus des stocks. Premièrement, pour une ressource épuisable, une hausse du taux d’intérêt augmente l’incitation à extraire aujourd’hui, plutôt que de laisser les ressources dans le sol pour demain. Deuxièmement, pour les produits de base qui ont été "financiarisés", une hausse du taux d’intérêt encourage les investisseurs institutionnels à se détourner de la classe d’actifs des produits de base pour se tourner vers les bons du Trésor. Troisièmement, pour un produit de base qui est échangé au niveau international, une hausse du taux d’intérêt réel peut provoquer une appréciation réelle de la devise domestique, ce qui conduit à une baisse du prix du produit de base en termes de devise domestique.

La relation entre les taux d’intérêt réels et les prix de produits de base est aussi établie statistiquement, par des analyses économétriques qui vont de simples corrélations aux régressions qui contrôlent d’autres déterminants importants, tels que le PIB et les stocks dans un modèle de "carry trade", en passant par des études d’événement à haute fréquence, qui sont bien moins sensibles aux problèmes économétriques des régressions, à savoir des questions de causalité et de propriétés des séries temporelles.

Deux épisodes illustrent l’idée selon laquelle l’effet de la politique monétaire opère indépendamment de l’effet du PIB. Ni le pic des prix des produits de base en dollars dans la première moitié de 2008, ni le déclin en 2014-2015 ne peuvent s’expliquer par des fluctuations de l’activité économique, mais ils peuvent être respectivement interprétés comme le résultat d’un assouplissement de la politique monétaire (...) et d’un resserrement de la politique monétaire (la fin de l’assouplissement quantitatif).

Les taux d’intérêt réels semblent être actuellement sur une trajectoire fortement ascendante, parce que les taux d’intérêt nominaux vont augmenter et parce que l’inflation va chuter. Cela peut signifier que les prix réels du pétrole, des minéraux et de produits agricoles vont chuter. »

Jeffrey Frankel, « Why commodity prices may have peaked », in Econbrowser (blog), 26 août 2022. Traduit par Martin Anota

jeudi 5 mai 2022

Nous devons payer le coût du carbone si nous voulons le réduire

« Devons-nous en faire plus pour répondre à l’urgence climatique ? Il est naturel de se poser cette question. Mais peut-être que nous devons la reformuler et nous demander : pourquoi n’avons-nous pas déjà résolu le problème du changement climatique ?

La science économique a une réponse toute prête : les externalités. Malheureusement, le concept d’externalités est vieux d’un siècle et cela se voit. Donc pourquoi les économistes persistent à utiliser ce vieux terme poussiéreux ? et est-il toujours utile ? Une externalité est un coût (ou parfois un bénéfice) qui n’est supporté ni par l’acheteur, ni par le vendeur du produit. Et si aucun des deux ne supporte le coût, aucun des deux n’a beaucoup de raison de s’en inquiéter.

Ce n’est pas la façon par laquelle un marché fonctionne habituellement. Normalement, quand les entreprises font les produits qui nous entourent, elles sont incitées à limiter chaque source possible de gâchis. Considérons un produit qui nous est familier : une canette de limonade. La première de ces canettes, produite au milieu du vingtième siècle, pesait environ 80 grammes quand elle était vide. Maintenant ces canettes pèsent juste 13 grammes. Le gain en termes de poids signifie que les fabricants de canettes ont à payer moins de matériaux et transport. Cela coûte moins cher de mettre une canette de limonade en face de vous au magasin et cela signifie que soit le fabricant, soit le distributeur peut se faire plus de profit ou que vous payez moins pour la limonade ou souvent les deux. Les canettes sont aussi plus faciles à ouvrir et moins susceptibles de donner un arrière-goût de métal à la boisson.

Un meilleur produit, pour moins d’argent : c’est la façon par laquelle le libre marché tend à fonctionner. Mais il ne fonctionne pas forcément ainsi. Quelle incitation le fabricant d’une boisson a-t-il à réduire les émissions de dioxyde de carbone générées par la fabrication de la boisson, par exemple en utilisant une énergie renouvelable pour raffiner l’aluminium ? Il n’en a guère. Il y serait incité si l’énergie renouvelable était l’énergie la moins chère. Une entreprise cherchant à faire du profit ne s’inquiète guère des émissions de dioxyde de carbone. Et, en tant que consommateur, vous vous préoccupez avant tout du prix et de la qualité de la boisson. Mais en ce qui concerne les émissions de carbone ? Vous n’avez que de vagues inquiétudes en ce qui les concerne. Savez-vous quelles sont les boissons dont la production ne génère que de faibles émissions de carbone ? Même si vous vous en inquiétez, ce n’est pas le cas d’autres consommateurs.

Voilà le problème de l’externalité : un vendeur fait un produit, un consommateur achète le produit, mais les émissions de gaz à effet de serre associées au produit n’inquiètent pas vraiment l’un d’entre eux. Une armée de concepteurs, d’ingénieurs et de technologues peut être déployée pour réduire d’une fraction d’euro le coût de production d’un produit, mais l’idée de réduire les émissions de dioxyde de carbone ne vient qu’après coup.

Donc, que peut-on faire ? Il y a une certaine place pour la pression des consommateurs : nous voulons tous avoir le sentiment que nous faisons quelque chose qui aide. Mais la pression des consommateurs se limite à cela : nous pouvons n’avoir qu’une vague idée des produits qui sont les plus nuisibles à l’environnement ou des améliorations les plus faciles à réaliser. Certains produits attirent beaucoup l’attention, tandis que d’autres échappent aux radars.

Les autorités publiques peuvent directement réguler le marché. Cela peut fonctionner pour certains secteurs larges et évidents de l’économie ; par exemple, nous savons que le charbon est une source d’énergie qui produit un gros volume de dioxyde de carbone, donc les autorités publiques peuvent bannir l’usage des centrales au charbon. Une autre régulation simple consiste à imposer l’usage de voitures ou machines à laver moins énergivores.

Les gouvernements peuvent aussi essayer de financer les innovations qui peuvent résoudre le problème, de la charge des batteries à la lumière à faible consommation d’énergie. Mais ces efforts sont limités. Il est tentant de penser la transition vers une économie propre comme l’équivalent d’un grand bond, mais il faut plutôt y avoir un milliard de petits pas, les pas que chacun d’entre nous fait, plusieurs fois par jour, tout autour du monde, quand nous décidons comment vivre et quoi acheter. Dans chacun de ces milliards de pas il y a une externalité : un coût qui n’est supporté ni par l’acheteur, ni par le vendeur du produit, mais par toute l’humanité aujourd’hui et dans le futur. Et, à moins que nous n’éliminions un milliard de petites externalités, il y a peu de chances que nous résolvions le problème.

En 1920, l’économiste Arthur Pigou tentait une définition formelle d’une externalité et il proposait une façon de la résoudre : une taxe en proportion directe du coût externe. Dans certains cas, la taxe "pigouvienne" est difficile à calculer. Mais, dans le cas des émissions de carbone, il est possible de taxer le charbon, le pétrole et le gaz naturel à l’instant même où ils sont extraits. Cela a été encourageant de voir les coûts des énergies solaire et éolienne chuter rapidement. Une taxe carbone contribuerait à pousser vers l’avant cette révolution de l’énergie propre et dans les décisions que chacun de nous fait chaque jour. »

Tim Harford, « We must pay the cost of carbon if we are to cut it », 19 mars 2022. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Les Européens se soucient-ils vraiment du changement climatique ? »

« Climat : il est urgent que les économistes se réveillent »

- page 1 de 8