« Trois ensembles de forces ont fortement influencé la croissance économique et la création d'emplois dans les pays avancés et en développement ces dernières décennies.

  1. L'innovation technologique, la mondialisation et l’accroissement de la main-d'œuvre mondiale : Le changement technologique et le commerce international (…) ont eu un impact extrêmement positif sur les revenus du monde et sur le bien-être global. L'impact sur la répartition des revenus au sein des pays, cependant, a varié au fil du temps. Dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, par exemple, la croissance de la productivité et la croissance du commerce ont coexisté avec la baisse des inégalités dans la répartition des revenus dans les pays avancés. Au cours des dernières décennies, ces forces (en particulier la globalisation financière), ainsi que (…) l’ouverture de la Chine, de l'Inde et des économies en transition à l'économie mondiale dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, ont conduit à de profonds changements. De nombreux pays émergents ont connu une croissance rapide et, dans ces pays, des millions de personnes sont sortis de la pauvreté, ce qui conduisit à un déclin des inégalités au niveau mondial (…). Les pays avancés en ont eux aussi tiré de substantiels bénéfices, par exemple, sous la forme de gains de revenu réel grâce à la baisse des prix. Mais, en même temps, cela s’est traduit par une moindre demande pour les travailleurs peu qualifiés dans les économies avancées et dans certains pays émergents, en particulier dans le secteur manufacturier et plus récemment dans les services (le secteur tertiaire étant désormais la composante la plus dynamique du commerce mondial). Par conséquent, alors que les inégalités ont diminué à l'échelle mondiale, les inégalités au sein des pays se sont accrues, en particulier dans la plupart des pays avancés. (…) L'augmentation des inégalités au sein du pays reflète les dynamiques du progrès technique et, dans une moindre mesure, de la globalisation financière. Celles-ci ont été compensées par l'amélioration de l'éducation et les changements dans la composition sectorielle de l'emploi. La libéralisation du commerce et la croissance des exportations sont liées aux inégalités de revenus, en particulier dans les pays en développement. Ces résultats, bien sûr, ne signifient pas que le progrès technologique doit être stoppé ou la mondialisation renversée. Ces deux tendances sont sources de gains à long terme en matière de prospérité. (...)

  2. Les tendances démographiques : La situation a été compliquée par (…) les tendances démographiques observées dans les différents pays. Dans de nombreux pays en développement, en particulier en Asie de l'Est, en Asie du Sud, au Moyen-Orient et en Afrique, la croissance plus rapide du nombre de travailleurs a augmenté par rapport au nombre de personnes à charge a facilité la réforme politique, comme les ressources épargnées avec la réduction du nombre de personnes à charge ont fourni un "dividende démographique". Ce dividende ne peut être récolté que si un cadre politique est en place pour canaliser l'épargne vers des investissements en capital physique et humain nécessaires pour que la main-d’œuvre à hauts salaires et à productivité élevée absorbe le nombre croissant d'arrivants sur le marché du travail. En revanche, les populations des pays les plus avancés vieillissent. Cela a des implications sur la façon par laquelle le marché du travail réagit aux variations de la demande pour certaines qualifications, sur la marge disponible pour l'investissement (comme l'économie entre dans une phase où l’épargne décline) et sur les pressions qui s’exercent sur les budgets publics avec la hausse des coûts de retraite et de santé.

  3. La récession mondiale : la Grande Récession de 2008-09 fut l'une des récessions les plus sévères et les plus synchronisées dans les pays avancés au cours des cinquante dernières années. Dans la plupart d’entre eux, la production reste bien en-deçà de son potentiel et le chômage demeure élevé, comme les ménages, les banques et les gouvernements cherchent à se désendetter simultanément, ce qui déprime la demande globale. Le niveau élevé de chômage qui en résulte exacerbe les inégalités de revenus. Pendant les premières années de la récession, les disparités de genre face à l’emploi ont diminué dans la plupart des pays de l'OCDE, principalement en raison de la plus grande robustesse de l'emploi dans le secteur des services par rapport aux secteurs dominés par les hommes, comme la construction et l’industrie manufacturière. Cependant, la situation a changé entre 2009 et 2012, lorsque la création d’emplois s’est poursuivie pour les femmes, tandis que le chômage chez les hommes a diminué ou ralentit. La récession a également réduit la marge budgétaire dans les pays avancés, en raison des (…) dépenses réalisées pour soutenir les systèmes bancaires en difficulté et de la baisse brutale des revenus avec l’effondrement de l'activité. Par conséquent, dans certains de ces pays, la capacité des gouvernements à intervenir et à prendre le relais de la demande globale s’en trouve limitée. »


Face à ces tendances lourdes, les pays ne font pas face aux mêmes défis et priorités. (…) La priorité dans de nombreux pays avancés est de réduire le chômage de masse généré par la crise financière mondiale. Les politiques économiques doivent stimuler la demande globale (…) pour relancer la croissance et réduire l'écart de production (output gap). Les mesures visant à stimuler la demande globale doivent être soutenues par des réformes structurelles pour supprimer les goulets d'étranglement qui pèsent sur la croissance de la productivité, de manière à ce que ces pays puissent tirer un maximum d’avantages des tendances lourdes qui sont à l’œuvre, tout en atténuant l'impact sur les parties les plus vulnérables de leurs populations, en améliorant la répartition des revenus et en luttant contre la ségrégation sur le marché du travail (…). De nouvelles sources de croissance peuvent également être nécessaires dans certains de ces pays, comme les modèles antérieurs qui se fondaient sur la finance et la construction se sont révélés insoutenables.
(…) De nombreux pays émergents et en développement ont déjà tiré de grands bénéfices de l'intégration dans l'économie mondiale et de l'absorption des nouvelles technologies. Mais nombreux sont ceux qui sont confrontés au défi posé par leur rattrapage sur les pays avancés, un processus qui implique une transformation structurelle, y compris une rythme plus rapide d’accumulation des facteurs et une croissance plus rapide de la productivité globale des facteurs. De nombreux pays en développement sont également confrontés à de fortes inégalités voire, pour certains d’entre eux, à des inégalités croissantes. Dans les pays à croissance rapide, cela peut refléter un changement structurel rapide, en cohérence avec la théorie de Kuznets, selon laquelle les inégalités croissent dans les premiers stades du développement. Dans les autres, de fortes inégalités peuvent plutôt refléter un manque d'intégration économique et politique et les imperfections des marchés qui permettent à une petite élite de capturer des rentes. La redistribution et la[ suppression des privilèges qui mènent à la capture des revenus par une minorité sont des conditions préalables fondamentales à l’accélération de la croissance. Enfin, un certain nombre de pays en développement font face à des défis spécifiques : par exemple, comment éviter le piège des larges dotations en ressources naturelles ou bien comment générer (…) de la croissance dans des environnements fragiles marqués par les conflits.

A l'avenir, l'innovation technologique va certainement se poursuivre et la main-d'œuvre mondiale continuer à croître. Bien qu'il y ait un débat autour du possible ralentissement du rythme de l'innovation technologique, il ne fait guère de doute que l'innovation va se poursuivre, élevant le bien-être global, mais en continuant aussi probablement à accroître la demande relative pour les qualifications élevées, ce qui pourrait aggraver les inégalités de revenus. Cet effet est susceptible d'être plus marqué dans les pays avancés, où l’usage de la technologie est largement répandu dans l'industrie manufacturière et les services, ce qui affecte un segment important de l'économie. La main-d'œuvre mondiale va aussi continuer à croître, mais à un rythme moins soutenu, comme les économies asiatiques deviennent matures. La majorité de la croissance de la main-d'œuvre sera tirée par les pays en développement non asiatiques. »

FMI, « Megatrends shaping developments in jobs and growth », in Jobs and Growth: Analytical and Operational Considerations for the Fund, 14 mars 2013.