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« Les responsables politiques en Europe et aux Etats-Unis s’inquiètent des répercussions économiques de l’actuelle pénurie de crédit. Comme l’a noté le Fonds Monétaire International (FMI) dans sa récente analyse des efforts fournis par les économies avancées pour raviver leurs marchés du crédit, "les responsables politiques veulent soutenir les marchés parce que le déclin du prêt est perçu comme une cause primordiale dans la lente reprise". Les données empiriques disponibles quant aux répercussions de la récente chute des prêts sont cependant toujours limitées. Pour certains des pays les plus affectés, comme les Etats-Unis, il y a un manque de données concernant le crédit bancaire accordé aux entreprises et cela pose un problème pour l’identification.

Dans notre étude, nous contribuons à cette littérature en fournissant de nouvelles données qui permettent de résoudre les problèmes d’identification. Nous cherchons à estimer l’impact de la chute du crédit bancaire sur l’emploi en Espagne durant la Grande Récession. L’économie espagnole offre un cadre idéal pour explorer cette question. Tout d’abord, les entreprises espagnoles dépendent fortement du crédit bancaire et ont un ratio de levier élevé, en particulier les petites et moyennes entreprises, ce qui les a rendu particulièrement vulnérables à la contraction du prêt bancaire qui est survenu lors de la récession.

Ce choc du crédit trouve son origine dans le cycle d’expansion et d’effondrement des prix domestiques de l’immobilier qui a eu un large impact sur la solvabilité des banques. Donc, l’exemple espagnol peut nous aider à tirer des leçons qui sont applicables aux autres pays, comme l’Irlande ou les Etats-Unis, qui connurent également un effondrement de leurs marchés du logement et une forte hausse du chômage. Enfin et surtout, l’extrême qualité de nos données nous permet de relever le défi de distinguer les chocs de demande de crédit des chocs d’offre de crédit. (…)

L’effondrement de la bulle immobilière affecta toutes les banques espagnoles, mais l’impact sur leur solvabilité fut loin d’être uniforme. Seulement un sous-ensemble des banques, les caisses d’épargne (appelées "cajas de ahorros" en espagnol) ont dû être renflouées par l’Etat. Le sauvetage a entraîné soit une fusion des banques, soit l’acquisition d’une banque alliée par une banque solvable, habituellement avec des prêts et garanties du secteur public, soit la nationalisation et recapitalisation d’une banque, quelques fois suivie par une reprivatisation (…). Avant la crise, ces banques renflouées ou en difficulté avaient accumulé une très large part des prêts au secteur immobilier et, entre le début de la crise et le début de 2010, ces mêmes banques ont davantage rationné les prêts que les autres. (…)

Nous cherchons à mesurer l’impact des contraintes de crédit sur l’emploi durant la Grande Récession en Espagne pour les entreprises à l’extérieur du secteur immobilier. (…) Nous procédons en comparant les changements de l’emploi entre l’expansion et la récession entre les entreprises qui sont hautement exposées aux faibles banques et les entreprises moins exposées. Les effets estimés sont significatifs. (…) Le fait d’avoir affaires à de faibles banques provoqua une plus large chute dans l’emploi entre 2006 et 2010 allant de 3 à 13,5 points de pourcentage, c’est-à-dire de 8 à 36 % des pertes d’emplois agrégées dans notre échantillon, même si bien sûr ces estimations ne peuvent être prises comme une approximation de l’effet macroéconomique (…). Nous trouvons également une hétérogénéité significative selon la vulnérabilité financière ex ante des entreprises.

Nos résultats sont cohérents avec ceux trouvés précédemment dans la littérature américaine. Greenstone et Mas (2012) constatent que le déclin des prêts entre 2007 et 2009 expliqua plus de 20 % du déclin de l’emploi dans les entreprises américaines avec moins de 20 salariés et pour 16 % des pertes d’emplois totales. D’un autre côté, Chodorow-Reich (2013) constate que le retrait du crédit explique entre un quart et un tiers des pertes d’emplois des petites et moyennes entreprises au cours de l’année qui suivit la faillite de Lehman Brothers. (…)

Nous contribuons aussi à la littérature sur l’interaction entre les contraintes de crédit et le nombre de banques avec lesquelles les entreprises travaillent. Nos résultats montrent clairement que, dans le cas espagnol, les entreprises qui dépendaient d’une seule banque ne furent pas affectées négativement par cette banque une fois que celle-ci est affaiblie. Enfin, nous avons également constaté que les contraintes de crédit provoquèrent des pertes d’emplois principalement en poussant les entreprises à fermer plutôt qu’à juste réduire leurs effectifs. Ce canal n’a pas identifié dans la littérature existante, pour autant que nous le sachions. Et cela a des implications potentiellement importantes sur le bien-être, puisque les pertes d’emplois provoquées par la destruction d’entreprises ont un plus large coût économique que la réduction d’effectifs dans les entreprises survivantes et elles contribuent certainement à prolonger la récession. »

Samuel Bentolila, Marcel Jansen, Gabriel Jiménez & Sonia Ruano, « When credit dries up: Job losses in the Great Recession », IZA discussion paper, n° 7807, décembre 2013. Traduit par Martin Anota