« Dans le débat de politique économique qui se poursuit actuellement en Europe, il semble y avoir une polarisation entre la conception allemande et la conception des autres pays. Comment pouvons-nous avoir un tel décalage ? Qu’est-ce qui fonde l’apparent entêtement de l’Allemagne à ne pas vouloir reconsidérer ce que pourrait constituer les politiques économiques les mieux adaptées pour la zone euro ? J’essaye ici d’expliquer au mieux la logique derrière la vision allemande, notamment une critique des arguments lorsque c’est nécessaire.

  1. L’Europe nécessite des réformes structurelles. Correct, mais ce fut toujours vrai et ce sera toujours le cas dans les années ou décennies à venir.

  2. Certains pays et gouvernements vont trouver des excuses pour éviter de mettre en œuvre les réformes. Sans pression externe ou crise, il n’y aura pas de changement. Ce fut également vrai pour l’Allemagne lorsqu’elle adopta ses réformes après 2000.

  3. Les déséquilibres de dépenses et de dette (et les bulles de prix d’actifs) furent une cause fondamentale de la crise. Correct.

  4. Les déséquilibres d’avant-crise requièrent des sacrifices après la crise. Correct, mais seulement jusqu’à un certain point. Nous comprenons que le désendettement peut ralentir la croissance, mais cela ne justifie pas l’ampleur de la crise de la zone euro. Par exemple, le fait que la croissance d’avant-crise n’ait pas été équilibrée et qu’elle nécessite un ajustement ne justifie que l’on révise à la baisse après la crise la croissance potentielle de plusieurs pays-membres de la zone euro.

  5. La compétitivité et les faibles salaires sont la clé de la croissance économique. Faux. Les prix doivent refléter l’équilibre entre l’offre et la demande et, malgré qu’il soit possible dans certains cas que certains prix ou salaires soient au-dessus de leurs niveaux optimaux l’idée que la réduction des salaires nominaux entraîne la croissance économique est fausse. Elle mène juste à la déflation. Et l’idée que la réduction des salaires réels soit toujours bonne ne fait pas sens. Si c’était vrai, nous aurions à travailler gratuitement pour être plus compétitifs. En outre, la réduction des salaires ne sont pas sans similarités avec les dévaluations compétitives, or nous savons que celles-ci ne sont pas possibles partout.

  6. Un bon comportement, une forte épargne et un excédent du compte courant sont signes de robustesse. Faux. Tous les pays ne peuvent pas générer simultanément un excédent de compte courant. Le monde ne peut épargner (net d’investissement).

  7. L’inflation est toujours mauvaise. Faux. Même la Bundesbank a toujours compris qu’une inflation nulle n’était pas optimale. Toutes les banques centrales autour du monde fixent des cibles d’inflation au-dessus de 0 % pour des raisons justifiées. Débattre de la cible de 2 % et préconiser une cible de 3 ou 4 % (de manière permanente ou temporaire) est cohérent avec la cadre que les banques centrales utilisent pour appréhender l’inflation.

  8. L’Allemagne peut vivre sans l’euro ; ce dernier n’a été qu’une source de coûts pour l’économie. L’Allemagne pourrait certainement être une économie saine si elle n’avait pas l’euro, mais jusqu’à présent l’Allemagne est le pays qui a profité le plus de la création de l’euro.

  9. La demande n’importe pas ; la seule chose qui importe est l’offre et les réformes structurelles. Faux. Les récessions sont une réalité et certaines d’entre elles s’expliquent par une insuffisance de la demande globale. Même s’il sera toujours vrai que des réformes sont nécessaires (voir le point 1), à court terme la politique économique doit se focaliser sur la demande. Et ce qui importe à court terme (les dépenses) peut être très différent de ce qui importe à long terme (l’épargne et l’investissement).

C’est donc pour tout cela que nous finissons avec une politique économique qui se fonde sur l’idée que les excès d’avant-crise justifient certains sacrifices après-crise. Cette visions des choses suppose que, quelle soit l’ampleur de la contraction de la production, elle n’est la conséquence que des déséquilibres qui provoquèrent la crise et de l’absence de réformes. Les partisans de cette vue refusent de débattre à propos de l’inflation malgré un consensus parmi les banques centrales que l’inflation nulle n’est jamais optimale. C’est vouloir parier sur les conséquences politiques d’un mécontentement dans certains pays-membres de la zone euro, même s’ils mènent encore à une autre crise et éventuellement à un éclatement de la zone euro. »

Antonio Fatás, « The logic behind the German Euro gamble », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 2 décembre 2014. Traduit par Martin Anota