« C’est un mois de janvier très important qui se profile pour la zone euro. Le 22 janvier, la BCE va se réunir et elle va soit annoncer une mesure telle que l’assouplissement quantitatif, comme beaucoup s’y attendent désormais, soit elle va décevoir les marchés en déclarant de nouveau qu’il faut attendre d’avoir des données supplémentaires et voir les effets de ce qui a déjà été fait. Le 25 janvier, soit trois jours après, les élections en Grèce vont décider si un parti qui s’affirme fortement anti-austérité et qui propose un effacement (haircut) de sa dette publique prendra le pouvoir en zone euro.

Pas de doute que l’issue de ces deux développements va déterminer l’évolution de l’économie de la zone euro au cours des prochaines années, mais il est possible qu’elle détermine aussi le destin même de la zone euro (…).

La rumeur a commencé à se répandre dans la presse que les Allemands ne vont pas négocier avec Syriza et qu’ils sont prêts à laisser la Grèce quitter la zone euro. Nous avons déjà vu ça avant et nous en connaissons les conséquences : en 2011 et en 2012, lorsque la crainte de voir la Grèce sortir la zone euro fut à son maximum (et qu’il était alors probable que Syriza obtienne déjà une victoire aux élections), la contagion aux autres pays, en particulier à l’Italie et à l’Espagne, forcèrent les Allemands (et la BCE) à venir à la rescousse. Une réduction de la dette grecque et l’affirmation de Draghi qu’il ferrait "tout ce qu’il faudrait" (whatever it takes) mirent un terme à la crise et assurèrent qu’aucun pays ne quitte la zone euro.

Mais la situation est aujourd’hui très différente pour plusieurs raisons. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de contagion à d’autres pays-membres, peut-être parce qu’ils sont perçus comme ayant de meilleurs fondamentaux. Mais ce qui importe n’est peut-être pas d’ordre économique, mais politique. Dans certains des autres pays-membres, nous avons des partis politiques avec des plateformes qui sont très similaires à celle du parti Syriza en Grèce (par exemple Podemos en Espagne). Ces partis (et les citoyens de ces pays) vont regarder très attentivement ce qui se passe en Grèce. Si Syriza gagne et si sa stratégie de négociation se révèle fructueuse, nous verrons probablement des changements politiques similaires dans d’autres pays-membres et une révolte contre l’actuelle politique menée actuellement en zone euro. C’est la dernière chose que voudraient les Allemands.

Comment les Allemands peuvent-ils éviter cette issue ? Je vais être cynique en affirmant qu’ils ne disposent qu’une seule stratégie, en l’occurrence une stratégie très risquée. Imaginons que la BCE (…) décide le 22 janvier d’adopter un véritable assouplissement quantitatif avec achats d’obligations souveraines. (…) Si les Grecs votent massivement pour Syriza, alors les Allemands refuseront de négocier et ils laisseront les Grecs face à une seule issue : la sortie de la zone euro. Si ça se passe ainsi, le système financier grec est susceptible de connaître d’énormes pressions avec une forte chance de paniques bancaires. Comme le risque pourrait se répandre à d’autres pays, la BCE pourrait avoir à être très agressive pour contenir la contagion. Si une panique bancaire survient et si la BCE refuse de fournir des liquidités, alors la Grèce va faire défaut et sortir de la zone euro. Cela va entraîner, au moins à court terme, une aggravation de la crise en Grèce qui exposerait le secteur bancaire et les autres entreprises à de puissantes perturbations. C’est exactement de ce dont les Allemands ont besoin pour faire comprendre aux autres pays-membres de ne pas prendre le même chemin que la Grèce et de rester dans la zone euro. Le coût, ce sont les pertes potentielles sur la dette publique grecque, mais en ce moment très peu de personnes croient que la Grèce sera capable de rembourser sa dette.

C’est une réelle prise de risque. Pour réussir, il faudrait que les électeurs allemands acceptent les nouvelles politiques agressives de la part de la BCE, que les pertes potentielles associées à un défaut de la Grèce et à sa sortie de la zone euro soient contenues et que les autres pays-membres soient d’accord avec cette stratégie. C’est très risqué.

Mais peut-être que j’ai tort et que les Européens vont à nouveau trouver une manière d’avancer sans adopter de solution radicale, ni connaître de crise finale. Toutefois je pense que les choses sont différentes cette fois-ci. La probabilité que soit sérieusement remis en cause le statu quo est trop forte pour croire que nous ne risquons pas de connaître une nouvelle période de forte volatilité. »

Antonio Fatás, « And this is how Greece might leave the Euro », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 5 janvier 2014. Traduit par Martin Anota