« (…) Une analyse agrégée identifiant l’impact du terrorisme sur diverses variables macroéconomiques éclaire les répercussions du terrorisme sur la situation globale de l’économie. Dans ce contexte, la littérature se focalise sur deux variables clés pour mettre en évidence l’impact direct des attaques terroristes, à savoir la croissance économique et l’intégration économique (échanges internationaux et mouvements de capitaux).

Quel impact sur la croissance ?


La littérature constate en général que les impacts des attaques terroristes sur la croissance sont de courte durée. On estime que le 11 septembre provoqua aux Etats-Unis des pertes de productivité représentant 35 milliards de dollars, des pertes de production s’élevant à 47 milliards de dollars et une hausse de 1 % du chômage au cours du trimestre suivant (Sandler et Enders, 2004). En général, ces impacts apparaissent avoir été peu significatifs pour l’économie américaine, non seulement en raison de la taille et de la maturité de son économie, mais aussi en raison de l’adoption de politiques publiques prudentes (…).

Le 11 septembre est une "anomalie" (sur le plan statistique), en comparaison aux répercussions des attaques plus fréquentes, mais de moindre ampleur, qui surviennent généralement, en particulier lorsqu’elles ont lieu dans des économies moins diversifiées que les Etats-Unis. L’impact du terrorisme sur les économies de l’Espagne (en particulier dans la région basque) et d’Israël a été étudié en profondeur et offre des exemples très éclairants. Les études de cas concernant ces deux pays montrent l’impact négatif que les attaques terroristes peuvent avoir sur les économies de petite taille, en particulier lorsque ces attaques ne sont pas des événements singuliers, mais répétés, au cours d’une très longue période de temps. Dans le cas de l’Espagne, Abadie et Gardeazabal (2003) ont estimé les effets économiques globaux du terrorisme dans la région basque : après le début de la campagne de l’ETA en 1975, le PIB par habitant déclina de 12 points de pourcentage relativement à la région de contrôle synthétique à la fin des années soixante-dix et d’environ 10 points de pourcentage durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Dans le cas d’Israël, Eckstein et Tsiddon (2004) estiment que la production par tête d’Israël aurait pu être en 2004 supérieure de 10 % si Israël n’avait pas subi d’attentats terroristes au cours des trois années précédentes.

Gaibulloev et Sandler (2008) ont fourni une investigation empirique de la relation entre terrorisme et croissance économique pour un autre pan du monde développé, à savoir l’Europe occidentale pour la période s’écoulant entre 1971 et 2004. Ils constatent également que l’activité terroriste réduit l’activité économique. Par exemple, pour cette région du monde, tout attentat par million d’habitants lié au terrorisme transnational se traduit par une baisse de la croissance économique d’environ 0,4 %. Le terrorisme domestique déprime également la croissance. L’étude conclut que les deux genres de terrorisme n’affectent pas la croissance économique de la même manière : alors que le terrorisme transnational entraîne une éviction de l’investissement, le terrorisme domestique tend à entraîner une hausse des dépenses publiques inefficaces.

En se focalisant sur un pays moins développé, Araz-Takay et ses coauteurs (2009) constatent que le terrorisme réduit aussi l’activité économique dans les pays émergents. L’étude constate aussi une relation non linéaire entre le terrorisme et la performance économique, dans la mesure où les effets négatifs du terrorisme sur la croissance sont particulièrement forts en périodes d’expansion économique.

La relation négative entre attaques terroristes et croissance décelée par ces études est confirmée à un niveau plus général par Blomberg et ses coauteurs (2004a). En employant une régression transnationale avec des observations tirées de 177 pays entre 1968 et 2000, ils ont constaté que le terrorisme déprime significativement l’économie. Surtout, les répercussions économiques du terrorisme sont plus faibles et moins persistantes que celles des conflits. De même, Crain et Crain (2006) estiment aussi qu’une réduction de l’activité terroriste se traduit par une hausse marquée du revenu, en analysant un échantillon de 147 pays pour la période s’écoulant entre 1968 et 2002. L’étude suggère qu’une élimination de l’ensemble du terrorisme transnational se serait traduite pour l’année 2002 par une hausse du revenu mondial de 3.600 milliards de dollars. La réduction du terrorisme entraînerait évidemment d’autres effets positifs, notamment une hausse de l’investissement en capital fixe.

Pour contextualiser l’impact négatif du terrorisme, Tavares (2004) compare l’ampleur de différents chocs, à savoir les campagnes terroristes, les désastres naturels et les crises financières. Il constate que les attaques terroristes sur des cibles civiles et militaires (par opposition, par exemple, aux attaques portant sur des bâtiments publics ou gouvernementaux) sont les plus pernicieuses, entraînant des baisses potentielles de la croissance du PIB de 0,25 point de pourcentage. En comparaison, les désastres naturels ont des impacts négatifs et significatifs, les crises de change ont des impacts négatifs et très significatifs sur la croissance du PIB. En somme, après avoir pris en compte des déterminants additionnels de la croissance du revenu, il conclut que l’impact des désastres naturels et des crises de change impactent la croissance, mais pas le terrorisme. De même, les répercussions économiques du terrorisme sur la croissance sont plus faibles et moins persistants que celles des conflits (Blomberg et ses coauteurs, 2004a).

Même des économies locales semblent être capables de renouer rapidement avec la reprise, du moins si elles présentent un certain degré de maturité économique. (…) Le terrorisme peut s’apparenter à une "taxe" sur les villes. Le consensus général de la littérature sur la guerre et les villes au vingtième siècle montre que les coûts pour les villes (en particulier pour le long terme) associés à la destruction sont relativement faibles (Eisingern 2004 ; Brück, 2006), même si certains événements extrêmes (Glaeser et Shapiro, 2002) et certains événements touchant de larges pans d’une ville (Abadie et Dermisi, 2008) peuvent constituer des exceptions. Même pour l’événement de grande ampleur qu’a été le 11 septembre, Bram (2002) conclut que pour la ville de New York (…) les perturbations économiques majeures semblent avoir été de court terme et la reprise fut déjà à l’œuvre en 2002.

Pour conclure (…), les répercussions macroéconomiques des actes terroristes sont généralement visibles, la croissance et le revenu pouvant être affectés par les effets négatifs (perturbateurs) du terrorisme sur la consommation et l’investissement public et privé (par exemple, Llussa et Tavares, 2009). Pourtant, les effets négatifs du terrorisme semblent être généralement modestes et temporaires. C’est particulièrement vrai pour les économies de grande taille et diversifiées qui sont capables de faire face à de sévères chocs économiques à travers leur capacité à réallouer rapidement le travail et le capital, dans la mesure où les effets immédiats sont localisés. A l’inverse, les effets macroéconomiques des attaques terroristes sur les économies de petite taille et moins développées sont susceptibles d’être plus prononcés, en particulier lorsque ces pays font face à des campagnes terroristes soutenues (cf. Enders et Sandler, 2009).

Quel est l’impact sur les échanges et les IDE ?


D’autres variables macroéconomiques ont reçu beaucoup d’attention, notamment celles relatives au commerce international et aux investissements internationaux. Le terrorisme affecte directement le commerce lorsque les biens échangés et l’infrastructure deviennent des cibles du terrorisme ou lorsqu’un niveau accru d’incertitude déprime les échanges entre pays, en rendant ce commerce plus coûteux (Mirza et Verdier, 2008). La mise en place de mesures de sécurité supplémentaires (notamment aux postes frontières et à d’importantes plateformes de transport) pèse également sur les échanges. Nitsch et Schumacher (2004) ont cherché à quantifier l’impact sur les échanges entre plus de 200 pays sur la période comprise entre 1960 et 1993. Selon leurs résultats, les pays ciblés par le terrorisme commercent significativement moins avec les autres que les pays non affectés par le terrorisme. De plus, l’effet est économiquement large : un doublement des événements terroristes dans un pays partenaire à l’échange réduit le commerce international de 4 %. Blomberg et Hess (2006) calculent que, pour une année donnée, la présence du terrorisme (…) s’apparente à un droit de douane de 30 % sur les échanges. (…) En général, la littérature s’accorde à l’idée que les flux du commerce international peuvent être négativement affectés par les événements terroristes.

Comme pour l’investissement direct à l’étranger, Abadie et Gardeazabal (2008) affirment que le terrorisme entraîne des modifications dans la position nette en termes d’IDE des pays affectés par le terrorisme. En théorie, le terrorisme accroît l’incertitude et réduit les rendements attendus de l’investissement, ce qui entraîne des transferts internationaux de capitaux. Empiriquement, Abadie et Gardeazabal (2008) montrent que l’accroissement du risque terroriste est associé à des chutes substantielles de la position nette en termes d’IDE des économies ciblées. Cela est cohérent avec les constats qu’avaient précédemment obtenus Enders et Sangler (1996) : ils avaient montré que l’activité terroriste en Espagne et en Grèce avait entraîné un déclin des IDE dans ces deux pays. Le terrorisme peut ainsi perturber les mouvements de capitaux internationaux, en particulier lorsque le système économique est ouvert et permet ainsi de rapides ajustements de l’investissement face au risque terroriste. »

Friedrich Schneider, Tilman Brück et Daniel Meierrieks, « The economics of terrorism and counter-terrorism: A survey (part I) », DIW, discussion paper, août 2010. Traduit par Martin Anota