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Tag - terrorisme

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samedi 21 novembre 2015

Quel est l’impact macroéconomique du terrorisme ?

« (…) Une analyse agrégée identifiant l’impact du terrorisme sur diverses variables macroéconomiques éclaire les répercussions du terrorisme sur la situation globale de l’économie. Dans ce contexte, la littérature se focalise sur deux variables clés pour mettre en évidence l’impact direct des attaques terroristes, à savoir la croissance économique et l’intégration économique (échanges internationaux et mouvements de capitaux).

Quel impact sur la croissance ?


La littérature constate en général que les impacts des attaques terroristes sur la croissance sont de courte durée. On estime que le 11 septembre provoqua aux Etats-Unis des pertes de productivité représentant 35 milliards de dollars, des pertes de production s’élevant à 47 milliards de dollars et une hausse de 1 % du chômage au cours du trimestre suivant (Sandler et Enders, 2004). En général, ces impacts apparaissent avoir été peu significatifs pour l’économie américaine, non seulement en raison de la taille et de la maturité de son économie, mais aussi en raison de l’adoption de politiques publiques prudentes (…).

Le 11 septembre est une "anomalie" (sur le plan statistique), en comparaison aux répercussions des attaques plus fréquentes, mais de moindre ampleur, qui surviennent généralement, en particulier lorsqu’elles ont lieu dans des économies moins diversifiées que les Etats-Unis. L’impact du terrorisme sur les économies de l’Espagne (en particulier dans la région basque) et d’Israël a été étudié en profondeur et offre des exemples très éclairants. Les études de cas concernant ces deux pays montrent l’impact négatif que les attaques terroristes peuvent avoir sur les économies de petite taille, en particulier lorsque ces attaques ne sont pas des événements singuliers, mais répétés, au cours d’une très longue période de temps. Dans le cas de l’Espagne, Abadie et Gardeazabal (2003) ont estimé les effets économiques globaux du terrorisme dans la région basque : après le début de la campagne de l’ETA en 1975, le PIB par habitant déclina de 12 points de pourcentage relativement à la région de contrôle synthétique à la fin des années soixante-dix et d’environ 10 points de pourcentage durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Dans le cas d’Israël, Eckstein et Tsiddon (2004) estiment que la production par tête d’Israël aurait pu être en 2004 supérieure de 10 % si Israël n’avait pas subi d’attentats terroristes au cours des trois années précédentes.

Gaibulloev et Sandler (2008) ont fourni une investigation empirique de la relation entre terrorisme et croissance économique pour un autre pan du monde développé, à savoir l’Europe occidentale pour la période s’écoulant entre 1971 et 2004. Ils constatent également que l’activité terroriste réduit l’activité économique. Par exemple, pour cette région du monde, tout attentat par million d’habitants lié au terrorisme transnational se traduit par une baisse de la croissance économique d’environ 0,4 %. Le terrorisme domestique déprime également la croissance. L’étude conclut que les deux genres de terrorisme n’affectent pas la croissance économique de la même manière : alors que le terrorisme transnational entraîne une éviction de l’investissement, le terrorisme domestique tend à entraîner une hausse des dépenses publiques inefficaces.

En se focalisant sur un pays moins développé, Araz-Takay et ses coauteurs (2009) constatent que le terrorisme réduit aussi l’activité économique dans les pays émergents. L’étude constate aussi une relation non linéaire entre le terrorisme et la performance économique, dans la mesure où les effets négatifs du terrorisme sur la croissance sont particulièrement forts en périodes d’expansion économique.

La relation négative entre attaques terroristes et croissance décelée par ces études est confirmée à un niveau plus général par Blomberg et ses coauteurs (2004a). En employant une régression transnationale avec des observations tirées de 177 pays entre 1968 et 2000, ils ont constaté que le terrorisme déprime significativement l’économie. Surtout, les répercussions économiques du terrorisme sont plus faibles et moins persistantes que celles des conflits. De même, Crain et Crain (2006) estiment aussi qu’une réduction de l’activité terroriste se traduit par une hausse marquée du revenu, en analysant un échantillon de 147 pays pour la période s’écoulant entre 1968 et 2002. L’étude suggère qu’une élimination de l’ensemble du terrorisme transnational se serait traduite pour l’année 2002 par une hausse du revenu mondial de 3.600 milliards de dollars. La réduction du terrorisme entraînerait évidemment d’autres effets positifs, notamment une hausse de l’investissement en capital fixe.

Pour contextualiser l’impact négatif du terrorisme, Tavares (2004) compare l’ampleur de différents chocs, à savoir les campagnes terroristes, les désastres naturels et les crises financières. Il constate que les attaques terroristes sur des cibles civiles et militaires (par opposition, par exemple, aux attaques portant sur des bâtiments publics ou gouvernementaux) sont les plus pernicieuses, entraînant des baisses potentielles de la croissance du PIB de 0,25 point de pourcentage. En comparaison, les désastres naturels ont des impacts négatifs et significatifs, les crises de change ont des impacts négatifs et très significatifs sur la croissance du PIB. En somme, après avoir pris en compte des déterminants additionnels de la croissance du revenu, il conclut que l’impact des désastres naturels et des crises de change impactent la croissance, mais pas le terrorisme. De même, les répercussions économiques du terrorisme sur la croissance sont plus faibles et moins persistants que celles des conflits (Blomberg et ses coauteurs, 2004a).

Même des économies locales semblent être capables de renouer rapidement avec la reprise, du moins si elles présentent un certain degré de maturité économique. (…) Le terrorisme peut s’apparenter à une "taxe" sur les villes. Le consensus général de la littérature sur la guerre et les villes au vingtième siècle montre que les coûts pour les villes (en particulier pour le long terme) associés à la destruction sont relativement faibles (Eisingern 2004 ; Brück, 2006), même si certains événements extrêmes (Glaeser et Shapiro, 2002) et certains événements touchant de larges pans d’une ville (Abadie et Dermisi, 2008) peuvent constituer des exceptions. Même pour l’événement de grande ampleur qu’a été le 11 septembre, Bram (2002) conclut que pour la ville de New York (…) les perturbations économiques majeures semblent avoir été de court terme et la reprise fut déjà à l’œuvre en 2002.

Pour conclure (…), les répercussions macroéconomiques des actes terroristes sont généralement visibles, la croissance et le revenu pouvant être affectés par les effets négatifs (perturbateurs) du terrorisme sur la consommation et l’investissement public et privé (par exemple, Llussa et Tavares, 2009). Pourtant, les effets négatifs du terrorisme semblent être généralement modestes et temporaires. C’est particulièrement vrai pour les économies de grande taille et diversifiées qui sont capables de faire face à de sévères chocs économiques à travers leur capacité à réallouer rapidement le travail et le capital, dans la mesure où les effets immédiats sont localisés. A l’inverse, les effets macroéconomiques des attaques terroristes sur les économies de petite taille et moins développées sont susceptibles d’être plus prononcés, en particulier lorsque ces pays font face à des campagnes terroristes soutenues (cf. Enders et Sandler, 2009).

Quel est l’impact sur les échanges et les IDE ?


D’autres variables macroéconomiques ont reçu beaucoup d’attention, notamment celles relatives au commerce international et aux investissements internationaux. Le terrorisme affecte directement le commerce lorsque les biens échangés et l’infrastructure deviennent des cibles du terrorisme ou lorsqu’un niveau accru d’incertitude déprime les échanges entre pays, en rendant ce commerce plus coûteux (Mirza et Verdier, 2008). La mise en place de mesures de sécurité supplémentaires (notamment aux postes frontières et à d’importantes plateformes de transport) pèse également sur les échanges. Nitsch et Schumacher (2004) ont cherché à quantifier l’impact sur les échanges entre plus de 200 pays sur la période comprise entre 1960 et 1993. Selon leurs résultats, les pays ciblés par le terrorisme commercent significativement moins avec les autres que les pays non affectés par le terrorisme. De plus, l’effet est économiquement large : un doublement des événements terroristes dans un pays partenaire à l’échange réduit le commerce international de 4 %. Blomberg et Hess (2006) calculent que, pour une année donnée, la présence du terrorisme (…) s’apparente à un droit de douane de 30 % sur les échanges. (…) En général, la littérature s’accorde à l’idée que les flux du commerce international peuvent être négativement affectés par les événements terroristes.

Comme pour l’investissement direct à l’étranger, Abadie et Gardeazabal (2008) affirment que le terrorisme entraîne des modifications dans la position nette en termes d’IDE des pays affectés par le terrorisme. En théorie, le terrorisme accroît l’incertitude et réduit les rendements attendus de l’investissement, ce qui entraîne des transferts internationaux de capitaux. Empiriquement, Abadie et Gardeazabal (2008) montrent que l’accroissement du risque terroriste est associé à des chutes substantielles de la position nette en termes d’IDE des économies ciblées. Cela est cohérent avec les constats qu’avaient précédemment obtenus Enders et Sangler (1996) : ils avaient montré que l’activité terroriste en Espagne et en Grèce avait entraîné un déclin des IDE dans ces deux pays. Le terrorisme peut ainsi perturber les mouvements de capitaux internationaux, en particulier lorsque le système économique est ouvert et permet ainsi de rapides ajustements de l’investissement face au risque terroriste. »

Friedrich Schneider, Tilman Brück et Daniel Meierrieks, « The economics of terrorism and counter-terrorism: A survey (part I) », DIW, discussion paper, août 2010. Traduit par Martin Anota

jeudi 19 novembre 2015

Boko Haram et l'Etat islamique ont été les groupes terroristes les plus meurtriers en 2014

GRAPHIQUE Nombre de personnes tuées par les cinq groupes terroristes les plus meurtriers

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source : The Economist (2015), d'après les données de l'Institute for Economics & Peace

Y a-t-il un lien causal entre éducation, pauvreté et terrorisme ?

« Les preuves empiriques que nous avons assemblées et analysées suggèrent qu’il y a un faible lien direct entre la pauvreté, l’éducation et la participation au terrorisme et à la violence à caractère politique. En effet, les données empiriques disponibles indiquent que, en comparaison avec la population concernée, les participants à l’aile dure du Hezbollah à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix étaient aussi bien susceptibles de provenir de familles économiquement favorisées et dotées d’un niveau relativement élevé d’éducation que de provenir de familles modestes peu éduquées. Nous devons cependant faire attention au fait que les preuves empiriques que nous avons considérées restent fragiles en raison du manque de données. En outre, nous nous sommes focalisés principalement sur le Moyen-Orient, donc nos conclusions peuvent ne pas être généralisées aux autres régions ou à d’autres circonstances.

Néanmoins des études moins qualitatives des participants à diverses formes de terrorisme dans divers cadres différents ont abouti à une conclusion similaire. Nous sommes particulièrement frappés par les travaux de Russell et Miller (1983) à ce propos. Pour tirer un profil des terroristes, ils avaient assemblé des informations démographiques relatives à plus de 350 individus engagés dans des activités terroristes menées en Amérique latine, en Europe, en Asie et au Moyen-Orient, de 1966 à 1976, en se basant sur les comptes-rendus de journaux. Leur échantillon se composait d’individus appartenant à 18 groupes révolutionnaires connus pour s’être engagés dans le terrorisme urbain, notamment l’Armée Rouge japonaise, le groupe Baader-Meinhof en Allemagne, l’Armée Républicaine Irlandaise, les Brigades rouges en Italie et l’Armée de Libération du Peuple en Turquie. Russell et Miller constatèrent que "la vaste majorité de ces individus impliqués dans des activités terroristes comme cadres ou dirigeants est assez éduquée. En fait, approximativement les deux tiers de ceux identifiés comme terroristes sont des personnes ayant une certaine formation universitaire, des diplômés de l’université ou des étudiants postuniversitaires". Ils rapportent aussi que plus des deux tiers des terroristes qui ont été arrêtés "proviennent des classes moyennes ou supérieures dans leurs pays ou zones respectifs".

De même, Taylor (1988) conclut de sa propre revue de la littérature que "ni l’environnement social, ni les opportunités éducatives, ni la réussite scolaire ne semblent être particulièrement associées au terrorisme". Similairement, nous montrons que les membres du mouvement clandestin juif qui terrorisa les civils palestiniens à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt furent dans leur majorité très éduqués et avaient des professions assez prestigieuses. Bien que d’autres études n’ont pas systématiquement comparé les caractéristiques sociales de ceux impliqués dans le terrorisme avec celles de la population générale, ces constats suggèrent que la plupart des terroristes n’ont pas tendance à provenir de milieux modestes et que cette conclusion ne se limite pas au Hezbollah.

Même si la pauvreté économique n’est peut-être pas associée à la participation au terrorisme et à la violence à caractère politique au niveau individuel, elle peut néanmoins importer au niveau national. Par exemple, si un pays est appauvri, une minorité des bien lotis dans ce pays peut se tourner vers le terrorisme pour chercher à améliorer les conditions de leurs concitoyens. On peut se demander, cependant, si le but final de plusieurs organisations terroristes est vraiment d’installer un régime politique susceptible de réduire la pauvreté. En outre, il y a des cas bien documentés de terrorisme dans les pays économiquement avancés (par exemple, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie), donc il est loin d’être clair que la pauvreté au niveau national soit associée au soutien du terrorisme. Néanmoins, cette question ne peut être traitée qu’avec des analyses transnationales.

En outre, la pauvreté peut affecter indirectement le terrorisme à travers l’apparente connexion entre les conditions économiques et la propension des pays à subir des guerres civiles. Fearon et Laitin (2001) constatent que le PIB par tête est inversement corrélé au déclenchement de guerres civiles et Collier et Hoeffler (2000) constatent que le taux de croissance du PIB par tête et la réussite des hommes dans le secondaire sont inversement corrélés avec la fréquence de guerres civiles. Le Liban, l’Afghanistan et le Soudan sont de bons exemples de pays où la guerre civile a fourni un environnement propice aux terroristes internationaux. Il y a d’autres cas, cependant, où les pays subissant une guerre civile n’ont pas fourni un terrain propice au terrorisme international, donc il n’est pas clair jusqu’où l’on doit extrapoler à partir de la relation entre le développement économique et la guerre civile. Et le terrorisme a pris son essor dans plusieurs pays qui ne subissaient pas de guerre civile. Avant que trop de choses ne soient inférées à propos du terrorisme à partir de la relation entre guerre civile et pauvreté, nous pensons qu’il serait utile pour les études futures d’examiner directement la relation entre les incidents terroristes et le PIB au niveau national, en utilisant des analyses transnationales similaires à celles utilisées dans la littérature sur les guerres civiles.

Suffisamment de preuves empiriques sont accumulées pour qu’il soit fructueux de commencer à conjecturer sur les raisons expliquant pourquoi la participation au terrorisme et à la violence à caractère politique n’est apparemment pas liée, ou alors positivement liée, au revenu et à l’éducation des individus. Le modèle économique standard de la criminalité suggère que ce sont les personnes accordant la plus faible valeur au temps qui doivent s’engager dans l’activité criminelle. Mais nous ferions l’hypothèse que, dans la plupart des cas, le terrorisme s’apparente moins à un crime contre la propriété et plus à une forme violente d’engagement politique. Des individus plus éduqués provenant de milieux privilégiés sont davantage susceptibles de participer à la politique, probablement en partie parce que la participation politique requiert un niveau minimum d’intérêt, d’expertise, d’engagement et d’efforts, choses dont les personnes éduquées et riches font davantage preuve que les autres. Ces facteurs peuvent au final se révéler plus important que l’effet du coût d’opportunité sur les décisions des individus à s’impliquer dans le terrorisme.

L’analyse doit aussi bien prendre en compte la demande que l’offre de terroristes. Les organisations terroristes peuvent préférer des individus hautement éduqués plutôt que des individus peu éduqués, même pour les attaques suicides à la bombe. En outre, les individus éduqués provenant de classes moyennes ou supérieures sont mieux préparés à perpétrer des actes de terrorisme international que les illettrés des classes populaires car les terroristes doivent parvenir à s’adapter à un environnement étranger pour être efficaces. Cette considération suggère que les terroristes qui menacent les pays développés vont être tirés de façon disproportionnée des rangs des couches riches et éduquées de la société.

Dans l’ensemble, nous concluons qu’il y a peu de raisons d’être optimistes à l’idée qu’une baisse de la pauvreté ou qu’une hausse de la réussite scolaire puissent entraîner une réduction significative du terrorisme international s’il n’y a pas d’autres changements en parallèle. Stern (2000) a observé que plusieurs madrasas, ou écoles religieuses, au Pakistan sont financées par des riches industriels, et que ces écoles éduquent délibérément les étudiants pour devenir des fantassins et des opérateurs d’élite dans divers mouvements extrémistes autour du monde. Elle constate également que "la plupart des madrasas offraient seulement de l’instruction religieuse et ignoraient les maths, la science et d’autres sujets profanes importants pour le fonctionnement des sociétés modernes". Ces observations suggèrent que, pour utiliser l’éducation comme axe d’une stratégie de réduction du terrorisme, la communauté internationale ne doit pas se contenter d’accroître la durée de scolarité, mais qu’elle doit aussi faire attention au contenu des savoirs enseignés. »

Alan B. Krueger et Jitka Maleckova, « Education, poverty, political violence and terrorism: Is there a causal connection? », NBER, working paper, n° 9074, juillet 2002. Traduit par Martin Anota

L'Afrique et le Moyen-Orient sont les régions les plus meurtries par le terrorisme

GRAPHIQUE Nombre de tués lors d'attentats dans le monde (en milliers)

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source : The Economist (2015)

mercredi 18 novembre 2015

Terrorisme international, instabilité politique et effet d’escalade

« La littérature a fourni une analyse soigneuse et détaillée des rôles respectifs des conditions économiques (les niveaux et taux de croissance du PIB, la pauvreté, les inégalités de revenu), des droits politiques et de la démocratie (en examinant les effets linéaires et non linéaires) et les conflits violents interétatiques, parmi d’autres facteurs de moindre importance. Cependant, les estimations empiriques divergent fortement sur l’ampleur, la significativité statistique et même le signe de leurs contributions respectives. Surtout, cette littérature a minimisé le rôle de l’instabilité politique domestique. Est-ce que l’instabilité politique domestique est une cause première du terrorisme international ? Ici nous introduisons l’effet d’escalade (escalation effect) en affirmant qu’il est en effet une cause majeure du terrorisme international.

Il y a trois aspects de notre étude que nous pensons novateurs par rapport aux précédentes études. L’un est que l’instabilité domestique est explicitement considérée comme une cause majeure du terrorisme international. Le deuxième est que nous utilisons différents types d’instabilité politique (pour identifier l’effet d’escalade), aussi bien que différents indicateurs du terrorisme international (reflétant aussi bien le nombre d’actes terroristes que leur sévérité). Et une troisième différence se réfère aux implications politiques, qui diverge des prescriptions de politique actuelles en général et, en particulier de la perspective des "Etats faillis" (failed states) qui est dominante (en particulier parmi les non-économistes). (…)

Nous ne nous focalisons que sur le terrorisme international (nous excluons le terrorisme domestique de notre analyse). Le terrorisme international est défini comme les actes terroristes impliquant des citoyens ou des territoires présents dans au moins deux pays différents. Nous affirmons que l’instabilité politique domestique est à la source du terrorisme international. Naturellement, si ces effets de débordement sont substantiels, ils vont être plus larges sur le terrorisme domestique que sur le terrorisme international. Une raison pour cela est que les guerres civiles et la guérilla peuvent (bien que ce ne soit pas nécessairement le cas) impliquer des actes de terrorisme domestique. Si c’est correct, les effets que nous estimons pour, par exemple les guerres civiles, risquent d’être substantiellement plus larges pour le terrorisme domestique que pour le terrorisme international. Donc, la focale placée sur le terrorisme international fournit des estimations conservatrices des rôles des différentes formes d’instabilité politique domestique.

Quels sont les faits stylisés du terrorisme international ? (…) Le principal fait stylisé est que, même s’il y a eu en moyenne une baisse du nombre d’attaques terroristes menées chaque année, le nombre moyen de morts qu’elles ont provoquées a systématiquement augmenté au cours des 40 dernières années. De plus, il y a d’importantes différences régionales. Par exemple la létalité a augmenté dans toutes les régions depuis au moins 2000, sauf en Afrique subsaharienne. En termes de nombres totaux, nos données montrent que la plupart des attaques prennent place au Moyen-Orient et en Europe, alors que la plupart des attaques létales eurent lieu en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. (…)

Quels sont les mécanismes à travers lesquels l’effet d’escalade peut opérer ? Bien que les difficultés à distinguer de tels mécanismes soient bien connus, nous conjecturons que le principal mécanisme à l’œuvre a à voir avec l’apprentissage par la pratique et l’accumulation de capital humain terroriste. Le terrorisme requiert une scolarité et une formation sophistiquée. Des pays politiquement instables offrent des conditions propices pour cela. Il a été noté que les groupes terroristes mènent des politiques de ressources humaines qui favorisent les individus les plus éduqués et les mieux lotis économiquement (Krueger et Maleckova, 2003). Un aspect connexe qui a retenu moins d’attention est que le capital humain requis pour le terrorisme est spécifique et implique une combinaison complexe de compétences qui sont coûteuses à acquérir et à maintenir. Les compétences des terroristes ont un taux élevé d’obsolescence et elles ne sont pas facilement transférables d’une profession à l’autre. De plus, certaines formes d’instabilité politique domestique (disons, la guérilla et la guerre civile) fournissent l’affûtage des compétences militaires, tactiques et organisationnelles nécessaires pour réaliser des actes terroristes, alors que d’autres formes (comme les émeutes, les manifestations contre le gouvernement en place et les grèves) ne fournissent pas le même niveau, ni le même genre de compétences.

Nous utilisons des données sur divers aspects des actes terroristes menés à travers le monde (le nombre total d’événements terroristes), l’occurrence d’événements, le total de victimes et les victimes à l’événement médian) couvrant plus de 130 pays, annuellement depuis 1968. Nos principaux constats sont (i) que les guerres civiles et les guérillas sont associées de façon robuste au terrorisme international, alors que les émeutes et les grèves ne le sont pas, et cette association est plus forte pour les victimes que pour le nombre d’attaques (ce qui tend à confirmer l’effet d’escalade), (ii) que le pouvoir explicatif de l’escalade semble s’accroître au cours du temps, (iii) que le PIB par tête et l’aide étrangère ne sont pas des facteurs robustes pour expliquer le terrorisme international, ce qui est quelque peu en lien avec les précédentes études, et (iv) qu’il y a des preuves empiriques suggérant que l’appartenance à l’OCDE (ou le fait d’être un pays riche) est un facteur moins important que la proximité idéologique avec les Etats-Unis. »

Nauro F. Campos et Martin Gassebner, « International terrorism, political instability and the escalation effect », IZA, discussion paper, n° 4061, mars 2009. Traduit par Martin Anota

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