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« Les réallocations d'emplois sont perçues comme une caractéristique essentielle d’un bon fonctionnement des marchés du travail, comme les entreprises les plus productives croissent, tandis que les moins productives se contractent, voire disparaissent. Cependant, en dépit des avantages potentiels qu’elles ont pour l'économie, les travailleurs réaffectés supportent des coûts importants. Bien qu'une abondante littérature mette l'accent sur les pertes de revenus occasionnées par la réallocation, on sait beaucoup moins de choses sur l’impact que ces pertes d'emplois peuvent avoir sur la santé des travailleurs. Cette question est particulièrement importante, étant données les fortes hausses des taux de chômage qui se sont produites avec les ralentissements économiques de ces dernières années.

Il existe plusieurs mécanismes par lesquels les suppressions d'emplois peuvent affecter la santé. Les suppressions d'emplois augmentent le stress, qui est connu pour avoir des effets négatifs sur la santé cardiovasculaire. Cependant, il existe peu de données sur le lien entre les causes spécifiques de stress (telles que les changements dans le statut d’emploi ou les pertes de revenu) et la santé cardio-vasculaire (Bosma, Siegrist et Marmot, 1998 ; Kirvimaki et ses coauteurs, 2002). Les variations du revenu induites par la réallocation pourraient également influer sur les habitudes de consommation, ce qui pourrait avoir un effet soit positif ou négatif sur la santé. Par exemple, une personne peut répondre à la baisse des revenus en réduisant sa consommation de cigarettes et d'alcool ou, au contraire, en réduisant sa consommation de fruits et légumes frais. Enfin, les changements dans la situation d'emploi qui accompagnent le déplacement peuvent affecter le temps passé à faire de l'exercice et, de cette façon, impactent la santé.

(…) Nous examinons comment les déplacements d'emplois en Norvège affectent directement la santé cardiovasculaire en utilisant un échantillon d'hommes et de femmes qui sont pour la plupart d’entre eux au début de la quarantaine. Notre base de données fusionne les données du registre de la population de la Norvège avec de nouvelles données d'enquête représentatives sur la santé et les comportements sanitaires. (…) Nous déterminons quels employés perdent leur emploi en raison de fermetures d'usines ou de licenciements collectifs et suivons la santé des travailleurs réaffectés et non réaffectés 5 ans à 7 ans après la réaffectation. Nous nous concentrons sur l'effet de la réallocation sur les variables cardiaques (cholestérol, l'hypertension artérielle, le tabagisme, indice de masse corporelle) ainsi que sur deux indices qui mesurent le risque de maladie cardiaque. (...)

Notre travail a un certain nombre d'avantages par rapport aux travaux existants. Nous observons la population norvégienne, donc nous sommes en mesure de suivre un grand nombre de travailleurs déplacés, y compris ceux qui quittent le marché du travail. En outre, nos données d'enquête de santé contiennent des tests de diagnostic, y compris la pression artérielle et le cholestérol, ainsi que des informations relatives à certains comportements liés à la santé comme le tabagisme.

Nous constatons que le déplacement d'emplois a un effet négatif sur la santé des travailleurs déplacés. Surtout, il semble qu'une grande partie de cet effet est attribuable à la hausse du tabagisme chez les hommes et chez les femmes. Chose intéressante, il n'y a pas d'effet sanitaire équivalent sur les conjoint(e)s de ces travailleurs. Cependant, nous constatons des effets négatifs sur la santé des travailleurs dans les entreprises où ont lieu les réductions d’effectif, même si ces travailleurs ne sont pas touchés par ces dernières. »

Sandra E. Black, Paul J. Devereux et Kjell G. Salvanes, « Losing heart? The effect of job displacement on health », NBER working paper, n° 18660, décembre 2012.