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« Je n'ai pas toujours été élogieux à l'égard de la Commission européenne, que ce soit pour son analyse économique ou bien pour ses conseils de politique économique. C'est donc avec un réel plaisir que je m'avoue être en parfait accord avec l’excellent rapport "Employment and Social Developments in Europe 2012" (porté à mon attention par le tout aussi bon article d’Ambrose Evans-Pritchard dans The Telegraph) publié par la Direction générale de l'Emploi, des Affaires sociales et de l'inclusion de la Commission. Le rapport mérite vraiment d'être lu. (…) Les principaux messages sont les suivantes :

1. La faiblesse de l’économie européenne et la hausse subséquente du chômage sont essentiellement dues à un manque de demande globale, qui est elle-même le résultat d’inopportunes politiques macroéconomiques (en l’occurrence, une consolidation budgétaire particulièrement agressive) : "depuis 2011, le ralentissement économique s’est peu à peu transformé en récession dans l'UE, comme l’aggravation des crises de la dette souveraine dans plusieurs États-membres a entraîné (…) une consolidation budgétaire particulièrement brutale dans l'ensemble de l'UE avec des répercussions négatives sur la demande globale. Par conséquent, la timide croissance de l'emploi que l’on avait auparavant retrouvée s’est interrompue ces derniers trimestres et le chômage a atteint des niveaux qui n’avaient pas été observés depuis plus d'une décennie". C'est un truisme, bien qu’il ne soit pas évident pour une partie de la Commission (en l’occurrence la Direction générale des Affaires économiques et financières, malheureusement en charge de la politique économique) qui a réalisé une piètre analyse dans ses prévisions de novembre 2012 en affirmant que la consolidation budgétaire n’était vraiment pas un problème (sur la base d'une analyse économétrique qui ferait honte à un étudiant de maîtrise en première année). (…)

2. Bien que les marchés financiers pourraient s'être stabilisés (qui sait pour combien de temps), les choses empirent, au lieu de s'améliorer, dans l'économie réelle des pays en crise. "Une nouvelle fracture se dessine entre, d’une part, les pays qui semblent avoir été pris au piège dans une spirale associant baisse de la production, hausse massive du chômage et érosion des revenus disponibles et, d’autre part, les pays qui ont montré jusqu'à présent une certaine résilience (en partie grâce à des marchés du travail en meilleur fonctionnement et à des systèmes de protection sociale plus robustes, bien qu’il soit incertain qu’ils soient capables de continuer à résister aux incessantes pressions économiques)." (…)

3. Les pays aux États-providence les plus généreux, mais aussi aux marchés du travail les plus flexibles, s'en sortent le mieux : «Les pays avec des marchés du travail relativement peu segmentés et de forts systèmes sociaux (Allemagne, pays nordiques et dans une moindre mesure le Royaume-Uni) ont obtenu de meilleurs résultats que ceux qui ont des marchés du travail très segmentés et de faibles protections sociales (sud de l'Europe)". Cela finit de remettre en cause le mythe absurde, populaire dans certains milieux (en particulier aux États-Unis), selon lequel la crise européenne trouve sa source dans un "État-providence en faillite" (pour citer le Wall Street Journal). Les problèmes structurels des marchés du travail au sud de l’Europe, comme le dit le rapport, ont bien plus à avoir avec la segmentation (à deux niveaux) des marchés du travail qu’avec une excessive générosité.

4. Par conséquent, des réformes structurelles sur les marchés du travail apparaissent nécessaires dans de nombreux pays, mais elles doivent toutefois être conçues à partir d’une robuste analyse empirique ! La segmentation des marchés du travail constitue un véritable problème et contribue à l’élévation du chômage des jeunes : "De nombreux pays de l'UE, en particulier ceux avec des marchés du travail segmentés, éprouvent des difficultés à intégrer les jeunes sur le marché du travail, c’est-à-dire non seulement à les faire sortir du chômage, mais aussi à mettre en adéquation leurs qualifications et compétences avec des emplois convenables." Cela suggère que certaines formes de "déréglementation" (par exemple, faciliter le licenciement de certains types de travailleurs, notamment les plus jeunes, tout en préservant les protections pour les autres…) feraient empirer les choses au lieu de les améliorer. (…) Et même en récession, le salaire minimum, fixé à un niveau raisonnable, fait plus de bien que de mal. "Les études montrant que le salaire minimum aurait un impact négatif sur l'emploi, même lors d’une grave récession économique, sont limitées (…). L’augmentation du salaire minimum a le potentiel d'augmenter l'assiette fiscale, puisque l'emploi global augmente, et de réduire les dépenses pour les allocations de chômage et les prestations d'activité, améliorant ainsi la position budgétaire."

5. Là où ils ont pu librement jouer leur rôle, les stabilisateurs automatiques fonctionnèrent efficacement (à la fois en termes macroéconomiques et sociaux) : "Dans ces Etats-membres, l’impact de robustes stabilisateurs automatiques (qui furent initialement renforcés par les mesures discrétionnaires) couplé à la plus grande résilience des marchés du travail a contribué en général à atténuer les répercussions de la récession sur les revenus des ménages et sur la demande privée." En revanche, là où les stabilisateurs automatiques n’ont pu jouer leur rôle en raison de la mise en œuvre de "plans d’austérité voués à l’échec" (self-defeating austerity), les choses ont empiré : "La situation sociale se détériore, en particulier dans les États-membres dans le sud et l'est de l'Europe où l'effet bénéfique des stabilisateurs automatiques nationaux, qui avaient joué un rôle important en maintenant les dépenses des ménages et en protégeant les plus vulnérables dans la première phase de la crise, s'est récemment affaibli." (…)

6. La Lettonie, l'Irlande (et même l’Estonie) peuvent ressembler à des «success stories» aux yeux de certains membres de la Commission et peut-être des marchés financiers (à l'heure actuelle), mais la réalité en termes d'emplois et de revenus est assez différente. Entre 2008 et 2011, le chômage de longue durée a plus que triplé en Estonie, plus que quadruplé en Lettonie malgré l'émigration massive et a presque été multiplié par cinq en Irlande. Tout cela dans des pays qui (contrairement à la Grèce et l'Espagne) ont été loués pour la flexibilité de leurs marchés du travail ! Il y aussi eu une forte dégradation de la pauvreté et de l'exclusion sociale dans ces pays (…). »

Jonathan Portes, « European labour markets: six key lessons from the Commission report », in Not the Treasury View… (blog), mardi 15 janvier 2013.

aller plus loin... lire « L’austérité est-elle vouée à l’échec ? », « L’austérité budgétaire dans une union monétaire » et « Leçons lettones »