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« L’abenomics est un ensemble de mesures ambitieuses de politique économique annoncé par le Japon en décembre 2012 qui comporte trois principaux éléments, qualifiés de "flèches" : un assouplissement monétaire, une gestion budgétaire flexible et des réformes structurelles. Les objectifs sont de mettre fin à la déflation, d’accélérer durablement la croissance et d’inverser la tendance à la hausse de la dette publique. Cette initiative a déjà amélioré les perspectives à court terme, mais les anticipations d’inflation à moyen terme restent sensiblement inférieures à 2 %, ce qui indique un risque de non réalisation de cet objectif en 2015 en l’absence d’une stimulation supplémentaire.

Or, celle-ci pourrait compromettre la réalisation des autres objectifs et l’atténuation indispensable de la vulnérabilité des finances publiques. L’encadré analyse les aléas de l’abenomics et présente leurs résultats actuels. Il y a deux leçons principales. D’abord, une application intégrale et dans les délais des trois flèches conditionne le respect des objectifs généraux. Ensuite, des réformes structurelles sont absolument nécessaires pour créer les conditions permettant de porter l’inflation à 2 %.

La première flèche est un nouvel assouplissement monétaire quantitatif et qualitatif au moyen duquel la Banque du Japon cherche à arrêter la déflation et à réaliser son objectif d’inflation de 2 % en 2015. La seconde flèche est une politique budgétaire flexible : 1) de nouvelles dépenses en 2013–14, représentant 1,4 point de PIB et financées par endettement; 2) un assainissement à partir de 2014 pour diminuer de moitié le déficit primaire pendant l’exercice 2015, par rapport à son niveau de 6,6 % du PIB en 2010, et dégager un excédent primaire en 2020. La troisième flèche est un ensemble de réformes structurelles dans le cadre d’une stratégie de croissance destinée à stimuler l’investissement, l’emploi et la productivité.

Le nouveau dispositif a eu un effet immédiat sur le marché financier. De décembre 2012 à juin 2013, l’indice boursier Nikkei a augmenté de quelque 30 % et le taux de change effectif réel s’est déprécié de 17 %. Les rendements obligataires sont tombés brièvement à des points bas historiques, mais se sont ensuite légèrement redressés. Il a déjà accéléré la croissance et amélioré les perspectives à court terme. Selon les estimations du FMI, il explique entre le tiers et la moitié de la progression de 3,9 % du PIB (en taux annuel corrigé des variations saisonnières) au premier semestre de 2013, après deux trimestres de croissance négative ou faible. L’incidence totale sur la croissance du PIB réel pour l’ensemble de l’année serait de l’ordre d’1,3 point. On estime que l’effet de richesse résultant de la hausse des actions ferait augmenter la consommation et la production de respectivement 0,3 % et 0,2 % environ. La dépréciation du taux de change expliquerait 0,4 point de hausse de la production, le reste provenant d’autres canaux. Au vu de ces évolutions, les projections de référence des Perspectives de l’économie mondiale intègrent les effets d’un assouplissement monétaire agressif et des ajustements attendus de la politique budgétaire jusqu’en 2015.

GRAPHIQUE Les anticipations d’inflation au Japon (variation en pourcentage sur un an)

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Malgré ces résultats, le succès à plus long terme de l’abenomics n’est pas garanti, notamment en ce qui concerne l’accélération de l’inflation. Bien que les anticipations d’inflation à moyen terme aient augmenté, elles demeurent inférieures à l’objectif de 2 % (cf. graphique). Dans un contexte de désinflation, leur ajustement est souvent lent, en particulier lorsqu’il s’accompagne d’une faible croissance et d’un chômage élevé. De même, les salaires nominaux n’ont pas encore commencé à augmenter, ce qui n’est pas surprenant compte tenu des délais dus aux contrats en vigueur et d’autres facteurs.

La grande question est de savoir si le Japon va parvenir à l’accélération durable de la croissance probablement nécessaire pour vaincre la déflation. Dans le cas contraire, et si les anticipations d’inflation ne s’élèvent pas plus, il faudra davantage de stimulation. En supposant qu’il y ait peu de marge sur le plan de la politique monétaire, on devra prendre de nouvelles mesures budgétaires. Il faut pour cela qu’il existe une marge et il n’y en a guère pour appliquer l’abenomics. La majoration de la taxe sur la consommation en deux étapes (2014 et 2015), envisagée avant l’application du nouveau dispositif, est essentielle pour contenir la vulnérabilité budgétaire.

Mais elle risque d’être défavorable à la croissance et aux anticipations d’inflation — même si l’activité est censée rester bien orientée grâce à la reprise de l’investissement privé et au caractère assez limité du multiplicateur de la TVA — retardant la réalisation de l’objectif d’inflation. Un net ralentissement de la croissance pourrait nécessiter des mesures budgétaires de soutien (par exemple des transferts ciblés à caractère temporaire) à condition qu’elles s’accompagnent d’un plan à moyen terme crédible assurant la viabilité budgétaire. (…)

Les autorités doivent être prêtes à prendre d’autres mesures de relance pour atteindre l’objectif d’inflation de 2 %. (…) Cela pourrait augmenter le risque associés à l’abenomics, une mise en œuvre intégrale et dans les délais des trois flèches conditionnant l’atténuation de ces risques. Enfin, l’analyse fait bien apparaître que les trois flèches sont étroitement liées. Des réformes structurelles (par exemple, le relèvement de l’âge de la retraite et du taux d’activité des femmes ainsi que des mesures destinées à augmenter les gains de productivité) sont nécessaires pour renforcer la croissance à long terme et assurer la viabilité des finances publiques. Celle-ci s’impose pour dégager une marge d’action budgétaire permettant d’aider la politique monétaire, contrainte par le plancher des taux d’intérêt nuls, et prévenir une envolée des taux à long terme. L’assouplissement de la politique monétaire est nécessaire à l’abaissement des taux d’intérêt réels, destiné à stimuler la croissance et à réaliser le nouvel objectif d’inflation, ce qui contribuera aussi à la viabilité des finances publiques. Le fait que l’assainissement budgétaire doive éventuellement être retardé pour conserver une croissance élevée pendant un certain temps montre bien l’avantage de "verrouiller" les progrès budgétaires à plus long terme en réformant à court terme les droits à prestation. À cet égard, le relèvement de l’âge de la retraite et les réformes destinées à contenir les dépenses de santé paraissent indispensables. Enfin, l’analyse laisse penser qu’à court terme, des plans d’urgence prévoyant plus de relance monétaire non conventionnelle seraient utiles compte tenu des faiblesses sur le plan budgétaire. »

FMI, « Abenomics : des risques après les premiers succès ? », Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2013.


aller plus loin… lire « L’expérience japonaise au prisme de la Grande Dépression » et « Dette publique et réformes budgétaires au Japon »