« Les larges afflux de capitaux ont habituellement un impact important sur les conditions macroéconomiques et en particulier sur les fluctuations du crédit domestique. Les booms dans les entrées de capitaux peuvent financer l’investissement et la croissance économique et peuvent aussi renforcer l’approfondissement de secteurs financiers peu profonds.

Habituellement, le crédit du secteur bancaire s’étend et stimule la consommation. La volatilité associée à ces cycles, cependant, peut poser de significatifs enjeux macroéconomiques. Les inversions dans les afflux de capitaux sont susceptibles d’entraîner un effondrement du crédit et une déflation des prix d’actifs, avec des effets dévastateurs sur les conditions macroéconomiques. En l’occurrence, les récentes fluctuations dans l’aversion au risque mondiale générées par les déclarations de la Réserve fédérale en 2013 concernant le tapering (c’est-à-dire le ralentissement dans ses achats d’actifs) rappellent que les larges afflux de capitaux sont susceptibles de s'inverser. Par conséquent, ces événements rendent plus pressant le débat sur le cadre politique (…) nécessaire pour s’attaquer aux larges fluctuations dans les flux de capitaux internationaux. Nous nous attaquons ici à certaines de ces questions.

L’impact des mannes (bonanzas) dans les entrées de capitaux sur le cycle du crédit domestique dans les économies émergentes a suscité un plus grand intérêt de la part des économistes et des responsables politiques au cours des dernières années. Cette littérature a montré que les larges afflux de capitaux sont associés à une détérioration du compte de capital, à une appréciation du taux de change réel et quelques fois à une expansion rapide du crédit. La littérature a aussi montré que les larges flux de capitaux (en particulier ceux associés à certains flux de capitaux autres que les investissements de portefeuille) sont de bons indicateurs avancés de booms du crédit et que ces booms sont plus probables de se finir en effondrements du crédit. Plus récemment, Mendoza et Terrones (2008, 2012) et Magud et ses coauteurs (2011, 2014) ont observé le rôle joué par la flexibilité du taux de change dans les booms du crédit alimentés par les larges entrées de capitaux. Ces derniers constatent que les expansions rapides du crédit domestique qui sont alimentées par d’amples flux de capitaux sont particulièrement sévères dans les régimes de change moins flexibles ; en outre, ces régimes changent la composition du crédit domestique au profit du crédit en devise étrangère.

Notre étude contribue à la littérature existante en observant comment les économies caractérisées par différents degrés de flexibilité du taux de change se comportent durant les inversions dans les entrées de capitaux. Pour cela, nous construisons un large ensemble de données comprenant 179 pays pour la période 1969-2012. Puis, nous utilisons des algorithmes standards pour identifier les inversions (...). Cette identification est la première contribution de notre étude. De façon à focaliser l’analyse sur un groupe plus homogène de pays avec des comptes de capitaux relativement ouverts et l’accès aux flux internationaux de capitaux privés, nous resserrons notre échantillon aux économies émergentes durant les 25 dernières années, en identifiant environ 130 événements correspondant à des inversions. La deuxième contribution est de présenter des faits stylisés pour la période commençant 5 ans avant l’évènement et finissant 5 ans après et nous nous focalisons sur les différences entre les économies avec des régimes de change relativement fixes et les économies avec des régimes de change relativement flexibles. La dernière contribution technique est de réaliser des régressions de panel pour évaluer le rôle spécifique joué par la flexibilité du taux de change durant les booms et inversions dans les afflux de capitaux, en contrôlant plusieurs facteurs macroéconomiques. Les constats sont alors utilisés pour discuter des politiques potentielles pour atténuer les effets des fluctuations de crédit qui sont conduites par les cycles de flux de capitaux.

Le rôle de tampon joué par la flexibilité du taux de change lors des cycles d’affaires semble comme un ticket pour le purgatoire, mais pas une promesse pour entrer au paradis. En effet, ces résultats suggèrent que la flexibilité du taux de change aide à davantage contenir la croissance du crédit bancaire que le font les taux de change plus rigides durant les booms dans les afflux de capitaux. Pourtant, la chute de la croissance du crédit dans les économies avec des régimes de change plus flexibles suggère que la flexibilité ne peut totalement protéger l’économie durant l'inversion, même si la chute des taux de croissance du crédit sont plus modestes que dans les régimes fixes. De plus nous observons ce que nous appelons une "énigme dans la reprise" : la croissance du crédit dans les régimes de taux de change plus flexibles reste faible bien après les flux de capitaux se soient inversés.

Nos constats suggèrent que les régimes de taux de change flexible peuvent s’accompagner de politiques macroprudentielles pour lisser les cycles du crédit (qui sont susceptibles d’élever les risques financiers systémiques) durant les booms et inversions des flux de capitaux. Il est bien connu que les politiques macroprudentielles peuvent trouver difficile de contrôler la croissance du crédit lors des booms. Comparativement, ces politiques semblent être plus efficaces à construire des tampons pour aider l’économie à éviter un effondrement du crédit bancaire lorsque (pour une raison ou une autre) le cycle du crédit se retourne après le boom. La flexibilité des taux de change peut maintenir la croissance du crédit relativement sous contrôle durant les mannes et elle peut être complétée par des mesures comme les surcharges de capitaux ou les provisions contracyliques durant la phase d’expansion du crédit. En construisant des tampons, ces instruments macroprudentiels peuvent aider à s’attaquer à l’énigme de reprise que connaissent les régimes de taux de change flexible durant les inversions. D’un autre coté, des mesures visant à contenir les croissances excessives du crédit (telles que les réserves obligatoires, les ratios prêts sur valeur et le plafonnement des ratios dette sur revenu et charge de la dette sur revenu) semblent très utiles dans le contexte de régimes de change moins flexibles, lorsque le crédit tend à croître plus rapidement qua dans les régimes de taux de change plus flexibles.

Les politiques monétaires expansionnistes dans les pays avancés ont eu des effets de débordement significatifs sur les économies émergentes en raison des faibles taux d’intérêt internationaux. Ces effets de débordement ont cette fois été puissants parce que les économies avancées ont maintenu des politiques monétaires exceptionnellement expansionnistes (notamment des mesures non conventionnelles telles que les mesures d’assouplissement quantitatif et d’assouplissement du crédit) pour une plus longue période de temps que dans les précédents cycles d’affaires, comme il y a des cycles de financement externe. Et étant donné que le retrait de ces politiques monétaires non conventionnelles a récemment commencé (même si c’est à un faible rythme), il est crucial de déterminer les réponses appropriées des autorités publiques dans les pays émergents. »

Nicolas E. Magud and Esteban R. Vesperoni (2014), « Exchange rate flexibility and credit during capital inflow reversals: Purgatory… not paradise », avril 2014. Traduit par Martin Anota