« Il y a de plus en plus d’études économiques qui se penchent sur l’impact du terrorisme islamiste radical sur la situation des immigrés (...). Ces études mettent en évidence que les musulmans font face à une discrimination de plus en plus forte en raison des actes terroristes (...), mais aussi que cette discrimination affecte leur santé (...) et leurs perspectives d’emplois (...). Peu d’études se penchent sur l’impact des attaques terroristes associées à l’islamisme radical sur l’intégration des immigrés musulmans dans les sociétés occidentales. (…)

Plusieurs études ont utilisé l’exogénéité des attaques terroristes associées à l’islamisme radical pour déterminer l’impact des attaques terroristes sur la situation des immigrés musulmans. Par exemple, Kaushal et ses coauteurs (2007) ont étudié l’impact que les attaques du 11 septembre ont pu avoir sur les perspectives d’emploi des musulmans aux Etats-Unis et ils montrent que ces attaques n’ont pas significativement affecté l’emploi et la durée du travail des hommes arabes et musulmans, mais qu’elles ont entraîné une baisse temporaire de leurs salaires comprise entre 9 et 11 %. Les études ont également cherché à déterminer l’impact du 11 septembre sur les perspectives d’emplois des immigrés musulmans dans d’autres pays occidentaux. Cornelissen et Jirjahn (2012) ont montré que le 11 septembre a affecté les travailleurs musulmans en Allemagne, en particulier les travailleurs peu qualifiés dans les petites et moyennes entreprises. Shannon (2012) ne constate par contre aucun impact du 11 septembre sur les immigrés musulmans sur le marché du travail canadien. (…)

L’impact du terrorisme sur la santé des immigrés musulmans a fait également l’objet de plusieurs études. Johnston et Lordan (2012) ont constaté à travers leur analyse empirique que les musulmans ont présenté une plus forte détérioration de leur pression sanguine, de leur niveau de cholestérol, de leur masse corporelle et de leur état de santé autodéclaré que les non-musulmans suite au 11 septembre. Le mécanisme sous-jacent décrit dans toutes ces études met l’accent sur la plus forte discrimination dont les musulmans font l’objet avec la colère provoquée par le terrorisme. Gautier et ses coauteurs (2009) trouvent des preuves empiriques suggérant une telle discrimination en constatant un déclin des prix immobiliers dans les quartiers d’Amsterdam avec une forte présence de Turcs et de Marocains suite à l’assassinat de Theo van Gogh. De plus, les crimes haineux commis à l’encontre des Asiatiques et des Arabes se sont fortement accrus en Angleterre immédiatement suite aux attaques du 11 septembre 2001 et du 7 juillet 2005 (Hanes et Machin, 2012). L’impact que les attaques terroristes de grande échelle menées par des islamistes radicaux ont pu avoir sur la discrimination n’est pas géographiquement limitée aux pays où ces attaques ont eu lieu. Par exemple, Schüller (2012) montre que les attaques du 11 septembre se sont traduites, parmi les autochtones allemands, par une hausse significative des attitudes négatives envers l’immigration et par une plus grande acceptation de l’hostilité xénophobe.

Bien que les questions d’identité et d’intégration des immigrés musulmans dans les sociétés occidentales commencent à recevoir une attention considérable dans la littérature économique (voir par exemple, Bisin et ses coauteurs, 2008 ; Battu et Zenou, 2010 ; Manning et Roy, 2010 ; Georgiadis et Manning, 2011 ; Georgiadis et Manning, 2013), aucune étude n’a utilisé une structure de panel pour estimer les modifications dans le processus d’intégration des immigrés musulmans au cours du temps. Goel (2010) a cherché à déterminer s’il y a eu un changement dans les perceptions de discrimination parmi les musulmans suite au 11 septembre. Elle s’est appuyée sur un ensemble d’entretiens menés avant et après les attaques du 11 septembre pour estimer comment les immigrés musulmans en Australie perçoivent l’intolérance à leur égard, par rapport aux autres immigrés. Elle constate que les immigrés musulmans déclarent subir une plus forte intolérance et une plus forte discrimination que les autres immigrés. (…)

Dans notre étude, nous analysons l’intégration des immigrés musulmans et non musulmans aux Pays-Bas avant et après qu’une vague violente d’attaques terroristes islamistes ait frappé l’Europe occidentale. La vague d’attentats commence avec ceux de Madrid en mars 2004 et finit avec ceux de Londres en juillet 2005. L’assassinat de Theo van Gogh à Amsterdam par un fanatique islamiste d’origine marocaine a eu lieu au milieu de cette vague d’attentats. Cet événement a déclenché une vague d’indignation dans tout le pays et elle a provoqué un surcroît de discrimination à l’encontre des musulmans aux Pays-Bas (Gautier et ses coauteurs, 2009). Nous utilisons les données tirées de l’enquête Netherlands Kinship Panel Survey qui s’intéresse aux quatre plus grandes minorités ethniques aux Pays-Bas (les Turcs, les Marocains, les Surinamiens et les Antillais). L’échantillon inclut deux sous-ensembles de données : celles collectées en 2002 et 2003 avant les attaques terroristes et celles collectées entre 2005 et 2007, après les attaques.

Notre analyse montre que l’acceptation perçue s’est davantage détériorée chez les immigrés musulmans que chez les immigrés non musulmans suite aux attaques terroristes. De plus, les immigrés musulmans déclarèrent qu’ils sentirent leurs conditions de vie se détériorer aux Pays-Bas et qu’ils étaient moins à l’aise avec les autochtones, alors que d’autres immigrés ne rapportèrent pas un tel changement. Ces résultats demeurent même après que nous ayons pris en compte un large ensemble de variables de contrôle comme le statut d’emploi, la part de personnes ayant la même origine ethnique que le répondant dans la municipalité, la durée de temps passée depuis l’installation aux Pays-Bas, etc. Nos résultats sont aussi robustes après que nous ayons pris en compte la possibilité d’un biais de sélection et ils ne s’expliquent pas à une tendance négative préexistante dans l’intégration des immigrés musulmans.

Une poursuite de l’analyse montre que la différence dans l’intégration des immigrés musulmans par rapport à celle des immigrés non musulmans suite aux attentats s’explique principalement par la situation des hommes, hautement éduqués, vivant dans des zones géographiques avec une forte concentration de personnes de la même origine ethnique et qui sont en emploi. Cela suggère que le changement d’attitude vis-à-vis des immigrés musulmans ne s’explique pas par des facteurs économiques, mais plutôt par des facteurs culturels. Nous constatons aussi que, parmi les musulmans, les plus religieux sont moins intégrés que les autres. Cependant le surcroît de difficultés pour s’intégrer que rencontrent les moins religieux suite aux attentats est significativement plus prononcé que pour les plus religieux. Ces constats mettent en évidence un plus fort impact négatif sur l’intégration des immigrés musulmans qui étaient pourtant initialement les mieux à même de s’intégrer. »

Ahmed Elsayed et Andries de Grip, « Terrorism and integration of Muslim immigrants », IZA, discussion paper, n° 7530, juillet 2013. Traduit par Martin Anota