« Noah Smith a bien résumé ses critiques vis-à-vis de la macroéconomie et semble conclure en appelant les chercheurs à rester proches du terrain. C’est définitivement un bon conseil pour les jeunes chercheurs.

Mais que dire à propos des économistes qui essayent de donner des conseils utiles, directement ou indirectement, aux responsables de la politique économique, qui ont besoin de prendre des décisions en se basant sur les estimations éclairées à propos de l’ensemble du système ? Noah Smith leur dit "d’y aller lentement, de laisser les banquiers centraux s’appuyer sur le jugement et les modèles simples entre-temps". Ce serait mieux que ce que font en grande partie les macroéconomistes en pratique, notamment leur tendance à fustiger les banquiers centraux et les autres décideurs de politique économique pour ne pas utiliser des modèles élaborés qui ne fonctionnent pas. Mais les chercheurs n’ont-ils réellement aucun rôle à jouer pour faciliter ce processus ? Et si c’est le cas, qu’est-ce que cela dit à propos de l’utilité de ce que réalise la profession ?

Le fait est que ces modèles simples ont plutôt bien marché depuis 2008. Et les banquiers centraux qui les utilisèrent, par exemple Ben Bernanke, se sont mieux débrouillés que les banquiers centraux comme Jean-Claude Trichet qui basèrent leur jugement sur autre chose. Donc, une partie de la formation des macroéconomistes doit les préparer à savoir appliquer des modèles simples, peut-être même à améliorer ces modèles simples.

En lisant Noah Smith, je me suis rappelé quelques phrases de Robert Solow défendant la théorisation économique sophistiquée : "En économie, j’aime un homme pour sa maîtrise de la théorie sophistiquée avant de le croire avec une théorie simple… Parce que l’économie à haute puissance semble être une excellente école pour utiliser judicieusement l’économie à faible puissance."

Est-ce que quelqu’un serait capable d’affirmer la même chose concernant la macroéconomie moderne ? Sans sourciller ? En pratique, il est souvent apparu que l’expertise dans la macroéconomie à haute puissance (je pense tout particulièrement aux modèles DSGE) réduisait la capacité de ses détenteurs à utiliser la macroéconomie à faible puissance, notamment le modèle IS-LM et ses dérivés.

Je ne veux pas faire ici un argument fonctionnel grossier : les analyses qui font avancer le savoir n’ont pas à fournir immédiatement un dividende sur le plan pratique. Mais les événements depuis 2008 suggèrent bien que le programme de recherche qui a dominé la macroéconomie au cours de la précédente génération a en fait empêché les économistes de fournir un conseil utile à ce moment-là. Maîtriser les choses sophistiquées rend les économistes incapables de faire des choses simples.

Un programme plus modeste consisterait, en partie, à contribuer à réduire ce dommage. Mais il serait aussi réellement utile si les macroéconomistes réapprenaient l’idée que les modèles agrégés simples puissent, en fait, être utiles. »

Paul Krugman, « Macroeconomics: The simple and the fancy », in The Conscience of a Liberal (blog), 12 juin 2017. Traduit par Martin Anota