« (…) L’activité bancaire et les marchés du crédit peuvent connaître des tensions. J’expliquerai très précisément ce que j’entends par "tensions". Celles-ci entraînent une hausse du coût d’emprunt et une réduction de la disponibilité du crédit. La chose importante est que les tensions sur le marché du crédit peuvent avoir des répercussions macroéconomiques très conséquentes. Je proposerai deux études de cas. La première porte sur la Grande Dépression des années 1930 et la seconde sur la crise financière mondiale de 2007-2009. Si j’ai le temps, je parlerai un peu de la façon par laquelle ces idées sont entrées dans la macroéconomie standard relative aux cycles d’affaires ordinaires et à la politique monétaire ordinaire. Elles ont influencé l’analyse standard des situations en dehors des crises, ainsi que des épisodes comme la crise financière mondiale.

Afin d’éclaircir ce que j’entends par "marchés du crédit sous tensions", évoquons l’économie du prêt. Les marchés du crédit sont très différents des autres marchés, par exemple du marché des pommes, parce qu’ils impliquent une information imparfaite et des asymétries d’information, ce qui signifie que l’une des partis à la transaction en sait plus que l’autre à propos du produit qui est échangé. Dans ce cas, les emprunteurs tendent à en savoir plus que les prêteurs à propos de leurs propres capacités financières, de leurs projets, de leurs risques, de ce qu’ils vont faire avec le crédit. (…) Des personnes qui se savent très risquées vont venir emprunter : c’est ce qu’on appelle la "sélection adverse". Des personnes peuvent emprunter et utiliser ce crédit pour faire autre chose que ce qu’elles sont censées faire avec : c’est ce qu’on appelle le "risque moral" ou l’"aléa moral". Vous avez donc besoin des banques (…), parce que les banques surmontent ces problèmes d’information en filtrant les emprunteurs. Elles leur font remplir de nombreux formulaires, elles les surveillent, elles leur imposent des restrictions sur ce qu’ils peuvent faire avec l’argent et elles leur demandent des garanties. Donc, le propre des banques est de surmonter les problèmes d’information qui imprègnent les marchés du crédit.

Ce n’est pas sans coût. Le coût de l’attribution d’un prêt inclut tous les coûts que la banque doit supporter pour filtrer, surveiller les emprunteurs potentiels. Un concept que je vais utiliser tout au long de mon exposé est la "prime de financement externe" (external finance premium). C’est fondamentalement le coût qu’il y a à accorder un crédit en plus du taux d’intérêt sans risque. Considérez-la comme ce que doit obtenir la banque pour faire des prêts plutôt que pour détenir des titres sûrs. (...)

Il est important d’avoir conscience que (…) les banques elles-mêmes empruntent. Elles doivent avoir les fonds qui leur sont nécessaires pour prêter aux emprunteurs ultimes. (…) Elles tendent à emprunter à court terme, des dépôts ou d’autres types de monnaie à court terme, ce qui a de la valeur pour les clients parce que cette monnaie peut être facilement convertie en liquidités quand c’est nécessaire et elle fournit un moyen de transactions de façon à acheter et à vendre. Donc, les banques tendent à dépendre étroitement de financements à court terme, ce qui les rend vulnérables aux ruées bancaires.

Les paniques bancaires sont un vrai danger. Quand des paniques ou des ruées bancaires sont en cours, les banques deviennent très prudentes. Elles arrêtent de prêter aux emprunteurs risqués parce qu’elles veulent maintenir la confiance. C’est ce qu’on appelle la "fuite vers la qualité" (flight to quality) : elles achètent des titres très sûrs comme les bons du Trésor. Le problème est que, si les banques cessent d’accorder des prêts au secteur privé, toutes les compétences qu’elles développent, toute l’information qu’elles ont accumulée, toutes les relations qu’elles ont établies, etc., (…) tout cela est gâché parce qu’elles ne prêtent pas au secteur privé. (...)

Ainsi, la prime de financement externe dépend de la valeur nette des emprunteurs et des prêteurs. Et elle est liée à l’état de l’économie. D’un côté, si la prime de financement externe est très élevée, c’est-à-dire s’il est très coûteux d’accorder des prêts au secteur privé, ce que j’entends par marchés du crédit sous turbulences, (…) le prêt devient rare, le crédit est moins disponible et cela va évidemment ralentir l’économie. D’un autre côté, si l’économie est faible pour une quelconque raison, par exemple en raison d’un choc pétrolier ou de tout autre événement qui affecte la valeur nette, la santé financière des prêteurs et emprunteurs, il devient plus compliqué de faire des prêts. (…) La prime de financement externe est affectée par l’économie ; l’économie affecte la prime de financement externe.

GRAPHIQUE Une mesure de la prime de financement externe

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Il y a eu une tentative pour mesurer la prime de financement externe. On la trouve dans un article de Simon Gilchrist et Egon Zakrajšek. Ils ont observé l’écart entre le rendement sur les obligations d’entreprise et celui des titres du Trésor de la même maturité. Cette série remonte jusqu’aux années 1970. C’est un indicateur indirect de la prime de financement externe. Quand cette valeur est élevée, cela indique que les marchés du crédit connaissent d’importantes tensions. Les barres grises se réfèrent aux périodes de récession. Vous remarquez deux choses. D’une part, la prime de financement externe tend à augmenter durant les récessions. D’autre part, elle est devenue plus volatile au fil du temps, en partie parce que les emprunteurs sont devenus plus dispersés. (...)

Faisons une petite étude de cas, celle de la Grande Dépression. Au cours des 25 dernières années, de nombreux travaux ont suggéré que la Grande Dépression des années 1930, un événement majeur, a été provoquée en grande partie par un Etalon-or dysfonctionnel. Avant la Première Guerre mondiale, la plupart des pays ancrèrent leur devise à l’or, ce qui maintint les taux de change fixes et promut le commerce international, etc. L’étalon-or a été suspendu durant la guerre. Après la guerre, on essaya de le reconstruire. Mais (…) le nouvel étalon-or présenta des défauts structurels et, en outre, il y eut beaucoup d’hostilité entre la France et l’Allemagne après la guerre, si bien que ces pays ne coopérèrent pas pour faire fonctionner l’étalon-or. En conséquence, l’étalon-or s’effondra à la fin des années 1920 et au début des années 1930. Cet effondrement entraîna une contraction des offres de monnaie à travers le monde et poussa par ce biais les prix à la baisse (…).

Dans les années 1930, il y a eu de la déflation, les prix chutèrent, et certains travaux empiriques suggèrent que l’étalon-or a joué un rôle important. J’ai moi-même travaillé sur cette question. J’ai pendant longtemps été très intéressé par la Grande Dépression. Les éléments empiriques suggèrent que les pays qui ont quitté relativement tôt l’étalon-or, pour une raison ou une autre, comme la Grande-Bretagne, le Japon et les pays scandinaves, ont connu une reprise plus rapide suite à la dépression que ceux qui restèrent plus longuement dans l’étalon-or, comme la France et la Suisse. Cette idée est devenue centrale dans l’explication de la Grande Dépression, mais il y a toujours des problèmes et des questions qui demandent une réponse.

Quel a été le mécanisme à l’œuvre ? Pourquoi la déflation a-t-elle entraîné de fortes baisses de la production ? Pourquoi la reprise a-t-elle été si lente aux Etats-Unis et dans d’autres pays ? Selon moi, les turbulences sur le marché du crédit, conjuguées à l’Etalon-or, ont été une cause très importante de la dépression. Il y a eu de fortes turbulences sur le marché du crédit dans les années 1930. Aux Etats-Unis, il y avait à l’époque 25.000 banques. Beaucoup d'entre elles étaient de très petite taille, quelques unes étaient de très grande taille. Environ 40 % des banques disparurent entre 1929 et 1933. Pourquoi ont-elles disparu ? Elles firent faillite ou furent absorbées par d’autres banques. Cela a eu lieu parce qu’il y a eu des vagues massives de ruées bancaires. Les gens perdirent confiance envers les banques et en retirèrent leur monnaie. Les banques qui fermèrent ne purent bien sûr pas accorder de prêts et celles qui survécurent devinrent extrêmement réticentes à en accorder. Du côté des débiteurs, il y a eu une vague d’insolvabilité et de défauts de paiement.

(…) Une enquête menée en 1933, observant 22 villes, a montré que les taux de défaut de paiement des propriétaires sur les prêts hypothécaires allaient de 21 % à 62 % (…). Environ la moitié de toute la dette hypothécaire des fermiers était délinquante en 1933. C’est bien pire que ce que nous avons vu durant la crise financière mondiale. Les emprunteurs privés étaient alors en très grande difficulté et ne pouvaient continuer de rembourser leur prêt. Et les enquêtes menées auprès des banques montrent qu’elles essayaient, non pas d’accorder de nouveaux prêts, mais de liquider les prêts existants et qu'elles refusaient tout nouveau prêt, sauf pour les emprunteurs les plus sûrs, qui n’étaient guère nombreux. Donc, entre ce qui est arrivé aux banques, les ruées bancaires et ce qui est arrivé aux emprunteurs, le marché du crédit a été en définitive paralysé.

A présent, cela contribue à expliquer plusieurs faits intéressants concernant la Grande Dépression. (…) Tout d’abord, aux Etats-Unis, les prix ont baissé de 20 % entre 1931 et 1933. Pourquoi cela a-t-il été si dommageable ? L’une des raisons a été l’effet sur les emprunteurs. Imaginez un fermier. Il doit rembourser chaque mois un certain montant pour son crédit immobilier. Or, le prix des choses qu’il récolte baisse de 30 %, de 40%, de 50 %, de 60 %, comment va-t-il continuer de rembourser ? Il risque de ne pas y parvenir. Donc, la chute des prix affecte l’économie en détériorant la situation de nombreux emprunteurs.

Une forte reprise s’amorça en 1933, quand Franklin Roosevelt devint Président. Selon moi, Roosevelt fit deux choses qui améliorèrent l’économie. (…) Il rompit la relation liant le dollar à l’or, sortit les Etats-Unis de l’étalon-or. Voilà ce qui fut important. Mais l’autre chose qu’il fit a été de stabiliser le système bancaire. Rapidement après son arrivée à la présidence, il appela à une fermeture des banques, toutes les banques eurent à fermer. Il promit à la population américaine qu’elles ne rouvriraient pas tant que le gouvernement ne les avait pas inspectées et il se fit confiant à l’idée qu’elles soient viables. Et ensuite le Congrès adopta l’assurance-dépôt, qui garantissait que les petits déposants seraient remboursés si leur banque faisait faillite. Cela stabilisa immédiatement le système bancaire et, comme ce dernier redevint fonctionnel, la reprise s’accéléra.

Pour autant, même après la sortie de l’étalon-or, la reprise fut très lente. (…) En 1941, le taux de chômage était toujours de 15 % aux Etats-Unis, c’est-à-dire à un niveau très élevé. Donc, ce fut une reprise très lente, mais pourquoi ? J’affirmerai que, d’une part, les banques, certes moins en difficulté, restaient très frileuses et les emprunteurs en difficulté. Il leur fallut beaucoup de temps pour sortir de leurs problèmes de dette. Pour cette raison, le crédit resta contraint et cela empêcha l’économie de connaître une reprise plus rapide.

Dans un travail que j’ai réalisé avec Harold James, un historien de Princeton, nous avons étudié 24 pays et avons comparé la sévérité de leurs crises bancaires. Nous avons constaté que, toute chose égale par ailleurs, les pays où le système bancaire resta stable, comme la Suède, le Japon, les Pays-Bas, réalisèrent de meilleures performances que les pays où il y eut de sévères crises bancaires, comme l’Allemagne, l’Autriche et les Etats-Unis. Donc, certains éléments empiriques confortent l’idée que l’effondrement du système bancaire a été une cause de la Grande Dépression.

Ma seconde étude de cas porte sur la Grande Récession de 2007-2009. J’ai affirmé que la Grande Dépression avait été le produit de deux forces principales, l’étalon-or et la crise financière ou l’effondrement des marchés du crédit. Je vais affirmer que l’effondrement des marchés du crédit fut la principale raison pour la récession de 2007-2009 et pour la très lente reprise qui s’ensuivit.

Il y a eu des changements dans le système financier entre 1929 et 2007. Aux Etats-Unis, plusieurs intuitions financières qui n’étaient pas officiellement des banques grossirent : les sociétés de prêt hypothécaire, les sociétés de crédit à la consommation, les banques d’investissements, les fonds monétaires, les véhicules hors bilan de titrisation... Je pourrais poursuive un long moment. Toutes ces sociétés ou véhicules accordaient des prêts ou détenaient des instruments de crédit, mais il ne s’agissait pas de banques. Le fait qu’elles n’étaient pas des banques signifie fait qu’elles n’étaient pas éligibles à l’assurance-dépôt. Or, elles se finançaient en s’endettant à court terme, ce qui les rendait vulnérables à d’éventuelles ruées.

Aujourd’hui, tout le monde connait les prêts subprime et sait à quel point ils furent désastreux, mais pourquoi ont-ils été si désastreux ? L’une des choses qui nous a surpris à la Réserve fédérale était que les prêts subprime ne constituaient pas une large classe d’actifs. L’un d’entre nous estima que si tous les prêts subprime du monde perdirent toute leur valeur en une journée, ce serait comme une mauvaise journée sur le marché boursier, ce ne serait presque rien. Les prêts subprime ont été si dommageables parce qu’ils étaient disséminés dans l’ensemble du système financier : ils étaient détenus dans les portefeuilles des banques et du système bancaire parallèle, beaucoup d’instruments dérivés étaient liés aux prêts subprime, des titrisations incluaient des prêts subprime, etc.

Les investisseurs financiers, en particulier dans le système bancaire parallèle, mais aussi dans les banques commerciales, craignirent soudainement que leur institution soit très exposée au crédit subprime et à d’autres prêts hypothécaires de mauvaise qualité. Ces institutions connurent une ruée, peut-être une ruée lente dans certains cas, ce qui les poussa à vendre leurs actifs parce qu’elles n’avaient pas les liquidités pour faire des prêts : c’est ce qu’on appelle des ventes en catastrophe ou des ventes forcées (fire sales). Celles-ci firent s’écrouler le prix des instruments de crédit, poussèrent à la hausse les taux d’intérêt sur le crédit et amenèrent au bord de l’insolvabilité le système bancaire parallèle et même de très nombreuses banques majeures en Europe et aux Etats-Unis. (...)

Donc, comme lors de la Grande Dépression, les tensions touchant les marchés du crédit ont été à l’origine de la récession très sévère de 2007-2009 et à la lente reprise subséquente. (…) Lors de la crise financière internationale de 2007-2009, ce fut la panique financière qui poussa les marchés financiers et les institutions financières au bord de la faillite, c’est elle qui constitua le facteur le plus important qui explique la sévérité de la récession. En particulier après l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008, il y a eu une paralysie complète des prêteurs, des institutions financières, et cela a eu des effets très négatifs sur l’économie.

Voici des éléments empiriques tirés d’un article que j’ai écrit en 2018 pour la Brookings Institution. La ligne noire représente la trajectoire suivie par le PIB réel des Etats-Unis, la zone grisée indique la récession. Vous pouvez voir le PIB chuter lors de la récession. La ligne bleue représente ce que j’ai appelé l’indicateur de panique, (…) que l’on obtient lorsque l’on utilise des variables reliées à la panique financière, des choses qui affectent les prêteurs, comme le coût de financement des banques, par exemple, ou le prix de la titrisation du crédit. Comme vous pouvez le voir (…), l’indicateur de panique, c’est-à-dire de turbulences touchant les prêteurs, prévoit extrêmement bien le PIB. Ce que j’appelle l’indicateur de défauts de paiement, qui mesure le taux d’emprunteurs hypothécaires qui ne parviennent plus à rembourser, est corrélé avec le PIB observé, mais plus faiblement. Je ne dis pas qu’il s’agit d’un résultat général, mais, en ce qui concerne cet épisode, la crise touchant Wall Street a été plus importante que les difficultés que connurent les consommateurs et les propriétaires, aussi dangereuses et dommageables qu’elles furent.

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Quelles sont les implications de tout cela ? (…) Quand le système financier s’effondra dans les années 1930, avant l’arrivée de Roosevelt au pouvoir, on ne fit rien pour empêcher cet effondrement, si bien qu’il se poursuivit et les marchés du crédit se retrouvèrent paralysés. L’une des leçons que l’on a tirées de la Grande Dépression selon moi est que nous ne pouvons pas laisser cela survenir. La Réserve fédérale et le Trésor ont précisément cherché à stopper la crise financière internationale et à faire en sorte que les institutions financières prêtent à nouveau. C’est ce qu’il faut faire une fois que la crise a éclaté. Le mieux est de ne pas avoir de crise tout court. Comment y parvient-on ? Je pense qu’il est très important d’avoir une réglementation financière qui veille à ce que les institutions financières soient sûres et saines, c’est-à-dire qu’elles aient un bon capital, qu’elles aient des portefeuilles sûrs, qu’elles ne prennent pas de risques excessifs, etc. Et vous devez avoir une approche macroprudentielle, ce qui signifie que vous ne devez pas seulement regarder individuellement les institutions, mais devez également considérer l’ensemble du système et vous demander comment des problèmes touchant un segment du système peuvent en affecter d’autres segments. (...)

Je vais un peu parler de la façon par laquelle ces travaux sont entrés dans la macroéconomie orthodoxe, comment ils devinrent partie intégrante de l’analyse des cycles d’affaires ordinaires (…). Ces modèles de turbulences du crédit peuvent contribuer à expliquer pourquoi les récessions tendent à durer autant qu’elles le font. Même s’il n’y a eu en tout et pour tout qu’un unique choc, une récession va avoir tendance à durer un moment. Et une raison à cela est que, quand un choc touche l’économie, par exemple à nouveau une crise énergétique, cela détériore le revenu et la richesse, cela accroît la prime de financement externe dans l’économie, le marché du crédit devient moins efficace, les difficultés des emprunteurs s’accentuent, les banques deviennent plus frileuses, cela réduit la disponibilité du crédit et tout cela amplifie les effets du choc. L’économie s’en trouve affaiblie plus longtemps que n’a duré le choc initial. Et, dans l’autre sens, s’il y a un choc positif à l’économie, cela améliore la situation des emprunteurs et des prêteurs, cela réduit la prime de financement externe et renforce l’économie. Donc, les facteurs de crédit ou les turbulences sur les marchés du crédit tendent à amplifier les récessions ordinaires et les booms ordinaires, un phénomène que mes coauteurs, Mark Gertler et Simon Gilchrist, et moi avons appelé l’"accélérateur financier" (financial accelerator). Mark, Simon et moi avons créé un modèle macro-économétrique qui incorpore ces facteurs et nous avons constaté que nous pourrions mieux coller aux données, mieux reproduire le comportement effectif de l’économie avec un modèle comme celui-ci.

Nous avons également regardé comment la politique monétaire affecte l’économie. La politique monétaire semble être assez puissante. (…) Et c’est un peu intrigant parce que, par exemple, les études portant sur l'investissement des grosses entreprises montrent que celui-ci n'est pas sensible aux taux d’intérêt de court terme. Donc, qu’est-ce qui fait que l’économie ralentit quand la banque centrale relève ses taux d’intérêt ? Eh bien, ces théories nous donnent quelque chose appelé le "canal du crédit" (credit channel) de la politique monétaire. Si la banque centrale relève ses taux d’intérêt et freine l’économie, cela va avoir tendance à accroître la prime de financement externe en détériorant la situation des emprunteurs et des prêteurs, en réduisant l’emploi, les profits, etc., et cela va déprimer l’économie. Donc, c’est un canal à travers lequel la politique monétaire peut affecter l’économie. Il s’agit donc d’un autre domaine pour lequel ces théories ont contribué, selon moi, à ce que nous comprenions mieux la macroéconomie ordinaire.

(…) Beaucoup de tout cela devrait à présent vous être familier, mais il y a quarante ans, lorsque j’avais 29 ans et que j’écrivais l’article qui fut cité par le Comité Nobel, il y avait très peu d’attention portée à l’instabilité financière en macroéconomie. George Akerlof, un récipiendaire du Nobel, écrivit un très intéressant article historique affirmant que les écoles de pensée en macroéconomie, comme l’école keynésienne, par exemple, ne donnait pas de place à l’instabilité financière comme facteur affectant l’économie. (…) Quand la crise financière éclata en 2008, les modèles de la Réserve fédérale sous-estimaient son impact sur l’économie, parce qu’ils n’étaient pas conçus de façon à prendre en compte le plein effet des turbulences sur les marchés du crédit. Donc, évidemment, pour comprendre les effets des crises financières sur l’économie, nous devons comprendre ces relations. (...) »

Ben Bernanke, « Banking, credit, and economic fluctuations », discours prononcé à la remise du Nobel d’économie, le 9 décembre 2022. Traduit par Martin Anota



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