« Savoir combien de temps prend la politique monétaire pour affecter la production et l’inflation est central pour les délibérations relatives à la politique économique. La littérature n’a pas encore abouti à un consensus, mais plusieurs facteurs façonnant les effets ont été identifiés. La crédibilité de la banque centrale et la flexibilité du taux hypothécaire augmentent la vitesse de transmission. D’autres facteurs, tels que le développement financiers et les politiques budgétaires (non coordonnées) compensatrices la réduisent. Avec le resserrement synchronisé en cours, il est possible que la réponse de la production et des prix soit plus rapide.

La vitesse de transmission

Un passage en revue des études relatives aux Etats-Unis et à la zone euro suggère que les estimations du calendrier de la transmission de la politique monétaire à la production varient entre les effets quasi-immédiats et un délai d’environ trois trimestres. Au-delà, la production revient habituellement à son niveau initial dans les deux à trois ans, bien que des effets plus persistants puissent survenir. Les estimations du délai de transmission de la politique monétaire aux prix varient également. Les estimations les plus hautes indiquent un délai de 1,5 à 2,5 ans. Ce délai peut s’expliquer par l’ajustement échelonné des prix des entreprises ou par des frictions informationnelles qui font qu'il est difficile de distinguer les purs chocs monétaires de l’information en termes de perspectives que les banques centrales donnent durant leurs annonces de politique monétaire. Parmi les études donnant les estimations les plus basses, celles qui prennent en compte la composante informationnelle concluent que les prix déclinent immédiatement suite aux chocs monétaires. La réponse immédiate découle de l’appréciation du taux de change et des changements dans les anticipations d’inflation. En outre, on constate que les variables macroéconomiques réagissent plus vite au forward guidance, puisque ce dernier signale un changement plus durable dans les conditions financières.

L’hétérogénéité des effets entre les pays

Une méta-analyse de 67 études couvrant 30 économistes différentes (Havranek et Rusnak, 2013) constate que l’effet d’un resserrement sur les prix en moyenne trois ans pour atteindre son creux, avec une vaste gamme. Les prix dans les pays développés prennent environ deux fois le temps nécessaire dans les pays émergents et en développement. Plusieurs facteurs spécifiques aux pays peuvent affecter les canaux de transmission de la politique monétaire, façonnant par ce biais la vitesse et force de la transmission.

  • Le développement financier affecte le canal du crédit. Les systèmes financiers fournissent davantage d’opportunités pour se couvrir contre les surprises monétaires dans les pays développées, retardant l’impact d’un ajustement de politique monétaire (Havranek et Rusnak, 2013). En outre, des secteurs financiers plus concurrentiels présentent une transmission des taux d’intérêt plus rapide et plus complète (Georgiadis, 2014). (…)

  • Les frictions financières affectent le canal de l’investissement et la réallocation du capital. La sensibilité de l’investissement des entreprises à la politique monétaire est plus forte pour les entreprises les moins liquides, puisqu’elle augmente leurs coûts d’émission de dette à taux fixe (Jeenas, 2019) ; pour les entreprises les plus jeunes qui ne versent pas de dividendes, puisque leurs financements externes sont très exposés aux fluctuations de la valeur des actifs (Cloyne et alii) ; pour les entreprises les moins risquées, puisque leur coût marginal de financement de l’investissement est plus aplati que pour les entreprises très risquées (Ottonello et Winberry, 2020) ; et pour les entreprises avec une productivité marginale du capital élevée, puisqu’elles sont financièrement contraintes (González et alii, 2022 ; Albrizio, González et Khametshin, 2023). Globalement, suite à un resserrement monétaire, l’investissement décline davantage dans les pays avec de fortes frictions financières, la mauvaise allocation du capital s’accentue et la productivité décline.

  • La crédibilité de la banque centrale et l’efficacité de sa communication affectent le canal des anticipations et le canal du taux de change. Quand les anticipations d’inflation sont bien ancrées et que la banque centrale jouit d’une forte indépendance, la politique monétaire est plus efficace pour restaurer la stabilité des prix avec un moindre coût en termes de production (Bems et alii, 2020). Inversement, si les anticipations se fondent davantage sur l’expérience passée, comme dans les pays émergents et en développement, une plus forte réaction de la politique monétaire pour réancrer les anticipations s’avère nécessaire (Alvarez et Dizioli, 2023) et la transmission du taux de change aux prix à la consommation sera plus forte (Carrière-Swallow et alii, 2021).

  • Le patrimoine des ménages et la répartition du revenu façonnent les canaux de la consommation et de l’épargne. Les ménages avec un crédit hypothécaire sont les plus sensibles à un resserrement de la politique monétaire, dans la mesure où ils réduisent leurs dépenses sur les biens durables (Cloyne, Ferreira et Surico, 2020). (…) Enfin, les ménages à haut revenu réduisent davantage leurs dépenses que les ménages à bas revenu, peut-être en raison de contraintes d’endettement moins fortes ou de plus forts effets de substitution intertemporelle enclenchés par la hausse des taux d’intérêt (Grigoli et Sandri, 2022).


Les rigidités nominales affectent de plusieurs façons l’effet de la politique monétaire sur la production. De plus grandes rigidités salariales amplifient l’effet sur la production (Olivei et Tenreyro, 2010). Inversement, les rigidités sur le taux hypothécaire atténuent cet effet, en réduisant la sensibilité de l’investissement résidentiel (Calza, Monacelli et Stracca, 2013) et la sensibilité des défauts, des prix de l’immobilier, des achats de voitures et de l’emploi (Di Maggio et alii, 2017) aux variations du taux d’intérêt. Par conséquent, une large part des prêts hypothécaires à taux ajustable, plus communs dans les pays émergents et en développement (Cerutti et alii, 2016), amplifient l’effet récessif d’un resserrement monétaire sur la production.

Les effets asymétriques

Les effets de la politique monétaire sur la production et l’inflation peuvent être asymétriques selon la conjoncture. Certains éléments empiriques suggèrent que l’assouplissement monétaire a de larges effets sur les prix, mais de faibles effets sur l’activité réelle, tandis que le resserrement monétaire a de larges effets sur la production, en particulier durant les booms, mais de faibles effets sur les prix (Barnichon et Matthes, 2018 ; Angrist, Jordà et Kuersteiner, 2018 ; Forni et alii, 2020 ; Tenreyro et Thwaites, 2016). Ces effets asymétriques peuvent s’expliquer par la présence de rigidités nominales à la baisse (Forni et alii, 2020) ; par l’interaction avec la politique budgétaire, qui atténue l’effet de la politique monétaire lors des récessions, mais le renforce lors des expansions (Tenreyro et Thwaites, 2016) ; ou par les changements dans le comportement des entreprises en matière de fixation des prix quand l’inflation augmente (Alvarez, Lippi et Paciello, 2011 ; Nakamura et Steinsson, 2008 ; Albagli, Grigoli et Luttini, 2023). Finalement, un resserrement synchronisé entre les pays peut contrer les chocs mondiaux, tels que les explosions mondiales des prix des produits de base. La synchronisation parmi les importateurs d’énergies réduit effectivement la demande mondiale d’énergie, donc réduit plus rapidement l’inflation (Auclert et alii, 2022).

Globalement, avec le resserrement monétaire mondial exceptionnellement synchronisé que l’on connaît aujourd’hui, accompagné d’un retrait généralisé du soutien budgétaire, une hausse brutale des taux hypothécaires et des conditions financières très sensibles aux nouvelles en matière de politique économique, on peut observer un délai de transmission plus rapide que par le passé dans plusieurs pays. (…) »

Silvia Albrizio & Francesco Grigoli, « Monetary policy: Speed of transmission, heterogeneity, and asymmetries », in FMI, World Economic Outlook, avril 2023, pp. 25-26. Traduit par Martin Anota



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