« Plus de dix millions d’immigrés sans papier vivent aux Etats-Unis, représentant 23 % de la population née à l’étranger et environ 3 % de la population totale. De même, l’Europe (les pays de l’UE, le Royaume-Uni et les pays de l’AELE) hébergent entre 4 à 5 millions d’immigrés sans papier, représentant presque 20 % de la population née à l’étranger et 1 % de la population totale.

La présence de cette significative population sans papier alimente un débat sur la politique migratoire, soulevant des questions à propos du statut des immigrés. Certains papiers ont opté pour des programmes d’amnistie qui régularisent le statut des sans papier. Par exemple, les Etats-Unis ont adopté l’Immigration Reform and Control Act en 1986, donnant l’amnistie à 2,7 millions de personnes. L’Italie et l’Espagne ont aussi mis en œuvre des programmes de régularisation, offrant un statut légal à des centaines de millions d’immigrés. De plus, avec la crise de la Covid-19 et les besoins en main-d’œuvre grandissants, des pays comme la France et le Portugal ont facilité l’emploi de la main-d’œuvre sans papiers en légalisant leur statut.

Mais quel impact ces programmes d’amnistie ont sur le marché du travail ? Pour explorer cette question, nous avons exploité les plus grandes programmes d’amnistie dans l’histoire française, qui régularisèrent le statut de travailleurs sans papiers qui étaient entrés sur le territoire française avant le 1er janvier 1981 et qui avaient un emploi stable.

Le programme de régularisation s’est traduit par une hausse de l’emploi et des salaires pour les travailleurs autochtones et immigrés, en particulier parmi les travailleurs peu qualifiés qui formaient la majorité de ceux régularisés. Cela s’explique notamment par la prévalence du pouvoir de monopsone sur le marché du travail clandestin, où la peur d’une détection et d’une déportation donne aux employeurs un contrôle sur les salaires et l’emploi. Les programmes de régularisation éliminent cette inefficacité, ce qui entraîne des gains d’emplois pour les immigrés régularisés et peut bénéficier à d’autres segments du marché du travail si des complémentarités existent entre travailleurs autorisés et sans papiers.

En théorie, de tels programmes doivent aussi stimuler la production économique, créant ce que nous appelons un "excédent de régularisation" (regularization surplus). Le programme de régularisation français a augmenté le PIB par tête d’approximativement 1 %, ce qui a représenté une hausse permanente du revenu agrégé résultant de l’élimination d’inefficacités sur le marché du travail.

Cependant, les implications de cette analyse pour les politiques relatives à l’immigration clandestine ne sont pas aussi simples que l’idée d’une stimulation de l’économie par la régularisation pourrait suggérer. Les inefficiences éliminées par ces programmes n’auraient pas existé s’il n’y avait pas de marché du travail clandestin. En outre, les programmes d’amnistie peuvent impacter les incitations à l’émigration dans les pays d'origine, ce qui peut créer de nouvelles inefficacités. En outre, les conséquences fiscales, notamment en termes de dépenses sociales et de recettes fiscales, doivent être considérées lorsque l’on évalue les coûts et bénéfices des politiques de régularisation.

En conclusion, les programmes d’amnistie visant à régulariser le statut des immigrés sans papiers peuvent significativement affecter le marché du travail, en conduisant à une hausse de l’emploi et des salaires. Ils peuvent aussi générer un "excédent de régularisation" qui contribue à la croissance économique. Cependant, les implications plus larges et arbitrages associés à de telles politiques sont complexes et requièrent une prise en considération précise de leur impact à long terme sur l’économie et la société. »

George Borjas et Anthony Edo, « The pros and cons of regularizing undocumented immigrants », IZA, 22 août 2023. Traduit par Martin Anota



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